Sous pression de ChatGPT et frénétiquement, Google multiplie les produits d’intelligence artificielle

L’édition 2023 de la conférence des développeurs Google I/O, qui s’est tenue le 10 mai, a montré pour la première fois de l’histoire de la filiale d’Alphabet, créée il y a 25 ans, que l’IA est désormais devenue sa priorité numéro une. L’enjeu est de taille : ne pas se faire « ChatGPTéiser ».

Le 2 juin à l’assemblée générale annuelle des actionnaires d’Alphabet, la maison mère de Google, l’intelligence artificielle (IA) sera dans toutes les têtes. Ce rendez-vous entièrement virtualisé (1) devrait entériner la nouvelle stratégie de Google plus que jamais tournée vers l’IA. Le temps presse car la firme de Mountain View (Californie) ne mène plus la danse sur le Web, depuis que la start-up OpenAI a lancé fin novembre 2022 son IA générative ChatGPT, allant même jusqu’à déstabiliser le numéro un des moteurs de recherche.

Alphabet met de l’IA à tous les étages
Pour la première fois depuis sa création il y a 25 ans par Larry Page et Sergey Brin, « Google Search » se sent menacé. Audelà de sa réplique à ChatGPT avec sa propre IA générative, Bard, le groupe Alphabet dirigé par Sundar Pichai met les bouchées doubles dans l’IA. Jamais la conférence des développeurs Google I/O (2), dont c’était la 15e édition annuelle depuis son lancement en 2008 (en tenant compte de son annulation en 2020 pour cause de pandémie), n’a été autant tournée vers l’intelligence artificielle. Le système d’exploitation mobile Android, les smartphones Pixel et autres outils de l’écosystème Google sont passés au second plan (3).
L’année 2023 est une étape historique pour la filiale d’Alphabet qui a entrepris de généraliser l’IA partout où cela peut être utile. « L’IA est déjà dans de nombreux produits des millions (et dans certains cas des milliards) de personnes utilisent déjà comme Google Maps, Google Translate, Google Lens et plus encore. Et maintenant, nous apportons l’intelligence artificielle pour aider les gens à s’enflammer et à faire preuve de créativité avec Bard, à augmenter leur productivité avec les outils Workspace et à révolutionner la façon dont ils accèdent aux connaissances avec Search Generative Experience », a expliqué James Manyika (photo), vice-président chez Alphabet et Google, en charge des technologies et de la société ainsi que de Google Research et de Google Labs. L’IA s’est invitée dans la plupart des annonces faites aux développeurs « I/O », comme l’illustre un compte-rendu mis en ligne (4).
Quant au chatbot intelligent Bard, qui fut lancé dans la précipitation le 6 février dernier d’abord auprès d’happy few testeurs pour engager un bras de fer avec ChatGPT cornaqué par Microsoft (5), il est appelé à évoluer pour tenter de s’imposer. « Plus tard cette année, Data Commons – un système qui organise des données provenant de centaines de sources pour éclairer les approches des grands défis sociétaux, de la durabilité aux soins de santé, en passant par l’emploi et l’économie dans de nombreux pays – sera accessible par l’intermédiaire de Bard, ce qui le rendra encore plus utile », a aussi annoncé James Manyika. Au-delà de Bard, l’IA sera mise à contribution par Alphabet pour faire face aux changements climatiques et réduire les émissions de carbone, pour améliorer les soins de santé, y compris les soins maternels, les traitements contre le cancer et le dépistage de la tuberculose. « Nous avons récemment annoncé un nouveau grand modèle linguistique qui pourrait être un outil utile pour les cliniciens : Med-PaLM », cite en exemple Google.
L’IA va aussi de plus en plus aider les scientifiques dans de nombreux domaines, comme la physique, la science des matériaux et la santé, à l’instar du programme AlphaFold de Google DeepMind pour prédire avec précision la forme 3D de 200 millions de protéines (macronutriments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme). L’IA va contribuer également à rendre l’information mondiale encore plus accessible à tous et permettre à chacun d’évaluer l’information en ligne et de détecter la mésinformation. « Dans les prochains mois, a indiqué James Manyika, nous allons ajouter un nouvel outil, “About this image” (6) dans Google Search, qui fournira un contexte utile, comme le moment et l’endroit où des images similaires peuvent être apparues pour la première fois et où elles ont été vues en ligne, y compris les actualités, la vérification des faits et les sites sociaux. Plus tard cette année, cet outil sera disponible dans Chrome et Google Lens ». L’IA est aussi au cœur d’Universal Translator, un nouveau service expérimental du géant du Net. Il s’agit d’un outil intelligent de doublage vidéo qui traduit la voix d’un orateur et fait correspondre ses mouvements de lèvres.

Concevoir les IA avec des garde-fous
Selon Google, Universal Translator présente un énorme potentiel pour accroître la compréhension de l’apprentissage. Mais cela présente des risques de détournement, des « tensions » comme les désigne James Manyika : « Nous avons conçu le service avec des garde-fous pour limiter l’utilisation abusive et le rendre accessible seulement aux partenaires autorisés. Nous appliquons nos principes d’IA (7) à nos produits », assure-t-il. L’IA responsable (8) suppose aussi des outils de détection (« classificateurs ») pour débusquer les deepfake (9) et les supercheries. Et ce n’est que le début d’une nouvelle ère. @

Charles de Laubier

Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au cœur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne (1). Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (2). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (3). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt-ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis près de quinze ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future »] » présenté le 16 février par Christel Heydemann (4). Mais sa casquette de secrétaire du conseil d’administration a disparu… « Je suis toujours aussi secrétaire du conseil, comme l’atteste ma bio », assure néanmoins Nicolas Guérin à Edition Multimédi@. Plus que jamais en position de force, il est un interlocuteur influent du gouvernement. Depuis deux ans et demi, il est président de ce CSF-IN au sein du CNI, lequel est encadré par Matignon et Bercy – la Direction générale des entreprises (DGE) assurant son secrétariat général. C’est à ce titre que Nicolas Guérin a signé le 16 mars dernier le contrat stratégique 2023-2025 de la filière « Infrastructures numériques ». Dans ce document de 84 pages (5), industries des télécoms, organisations professionnelles et syndicales, régions françaises et Etat français (l’actionnaire avisé d’Orange) ont pris des engagements réciproques. Et ce, au regard des objectifs du plan « France Relance » et selon six grands axes : innovation, emplois, territoires connectés, développement international, 5G/réindustrialisation, transition environnementale. Ne sont cependant évoqués qu’une fois les « tensions sur le marché du raccordement de la fibre optique jusqu’au client final » et le « décommissionnement du cuivre », pourtant deux chantiers majeurs de la filière télécoms.
Outre les organisations Infranum (6), Afnum (7), Sycabel (8), CFDT, FO ou les associations de collectivités (Avicca, FNCCR, ADF, AMF, Régions de France, …), la FFTélécoms – que va représider Nicolas Guérin le 1er juillet 2023 (il en a été président de juin 2020 à juin 2021) – est l’une des parties prenantes au contrat de la filière « Infrastructures numériques ». Au sein de cette fédération, créée il y a 15 ans par Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free (ce dernier l’ayant quittée au bout d’un an), Nicolas Guérin va succéder à Liza Bellulo, secrétaire générale de Bouygues Telecom. Celle qui restera vice-présidente de la FFTélécoms s’était déclarée en décembre 2022 en faveur de la « taxe GAFA » pour financer les réseaux des opérateurs (9), autre sujet sensible à Bruxelles pour Nicolas Guérin.

Président d’honneur du Cercle Montesquieu
Le secrétaire général d’Orange est par ailleurs président d’honneur du Cercle Montesquieu qui réunit des directeurs juridiques et secrétaires généraux d’entreprises. Il en a été président de 2016 à 2019. Il a par ailleurs été président du comité d’évaluation et d’orientation de l’ancienne Chaire internationale sur le droit de l’espace et des télécommunications de l’université Paris-Sud XI, avant que celle-ci ne devienne l’Université Paris-Saclay. @

Charles de Laubier

Vivendi gonflerait-il l’audience de Dailymotion ?

En fait. Le 11 mai, le groupe Vivendi a annoncé une nouvelle application mobile pour Dailymotion. Son PDG Maxime Saada (président de Canal+) annonce une audience mensuelle de la plateforme de partage vidéo de « près de 400 millions d’utilisateurs ». Or c’est trois fois moins selon Similarweb.

En clair. « Dailymotion est passé d’une audience de moins de 300 millions d’utilisateurs mensuels en 2017 à près de 400 millions en 2023. C’est la seule plateforme vidéo gratuite française avec un rayonnement mondial et une présence dans 145 pays », s’est félicité le 11 mai Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, maison mère depuis 2015 de Dailymotion, dont il est aussi PDG depuis 2016. Dans le document d’enregistrement universel de Vivendi publié le 17 mars, il est question de « plus de 350 millions d’internautes » chaque mois. Est-ce à dire qu’en deux mois l’audience du « YouTube » français a progressé à ce point ?
Or, lorsque l’on se réfère au site de mesure d’audience Similarweb, Dailymotion affiche trois fois moins de fréquentation (toujours ordinateurs et mobiles) que les chiffres communiqués par Vivendi, à savoir : seulement 124,9 millions de visiteurs sur le mois d’avril, et même en baisse par rapport aux 130,5 millions de visiteurs de mars. Qui dit vrai ? Contacté, Vivendi ne nous a pas répondu. Toujours selon Similarweb (1), Dailymotion se place en avril au 367e rang mondial des sites web, soit à des années lumières des 32,7 milliards de visiteurs sur YouTube (2e rang mondial). En France, d’après Médiamétrie cette fois, Dailymotion totalise un peu plus de 19,4 millions de visiteurs en mars et se place ainsi à la 24e place, bien loin des plus de 48,3 millions de visiteurs sur la même période de YouTube, en 2e place derrière le moteur de recherche Google, sa filiale sœur au sein d’Alphabet. « L’audience de Dailymotion atteint des niveaux records », affirme Vivendi, grâce à des accords comme avec MSN (portail de Microsoft) en Europe et aux Etats-Unis.
Maxime Saada est président de la régie publicitaire Dailymotion Advertising. Il préside en outre les filiales de Dailymotion aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, tout en étant directeur général de celles basées en Allemagne et à Singapour. « Et nous voulons aller encore plus loin », a assuré le PDG de Dailymotion qui bénéficie à ce titre d’un plan d’intéressement depuis 2015 et jusqu’au 30 juin 2026 « indexé sur l’accroissement de la valeur de Dailymotion par rapport à son prix d’acquisition au 30 juin 2015 ». Vivendi ne dévoile pas les résultats de Dailymotion, hormis le fait que son chiffre d’affaires a augmenté en 2022 de 29,5 % sur un an. Mais la plateforme perd de l’argent (2). @

Bilan 2022 du CNC : l’après-crise sanitaire en chiffres

En fait. Le 16 mai, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a publié son bilan 2022. Le soutien financier au cinéma, à l’audiovisuel et au multimédia s’est élevé à 738,5 millions d’euros en 2022. On y apprend aussi que la (S)VOD a franchi les 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Retour à la normale ?

En clair. En tant qu’établissement public à caractère administratif placé sous l’autorité du ministère de la Culture, le CNC est le bras armé de l’Etat pour soutenir financièrement le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia, dont la création numérique sur Internet, la réalité virtuelle, voire le métavers (1), et le jeu vidéo. L’année 2022 est la troisième année consécutive où un « soutien spécifique » supplémentaire a été débloqué dans le cadre de la crise sanitaire via des dotations exceptionnelles de l’Etat, à savoir 58,3 millions d’euros, s’ajoutant aux 680,2 millions d’euros versés par le CNC à ces secteurs aidés – soit un total de 738,5 millions d’euros. C’est un peu moins que l’année 2021 qui, elle, avait atteint un record de 799,4 millions d’euros (dont 184,7 millions d’euros d’aides « Covid-19 »). La pandémie aura donc nécessité sur 2020-2022 un total d’aides d’Etat supplémentaires de 348,8 millions d’euros.
L’an dernier – qui, selon le CNC, « traduit une forme de retour à la normale sans revenir encore pour autant aux équilibres d’avant la crise » –, le cinéma a bénéficié de la plus grosse part, à 291 millions d’euros (39,4 %), devant l’audiovisuel, à 265,1 millions d’euros (35,9 %), et les « dispositifs transversaux » (innovation, jeux vidéo, numérique, exportation, vidéo, VOD, …), à 124,2 millions d’euros (16,8 %). Rappelons que tout cet argent « public » (hors mesures « Covid ») provient à 68,9 % des taxes éditeurs et distributeurs de services de télévision (TST, dont les fournisseurs d’accès à Internet et leurs box IPTV), à 18,6 % des taxes vidéo et VOD (TSV), ou encore à 17,3 % de la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA).
Le bilan 2022 du CNC a réévalué à la hausse le marché français de la VOD (par abonnement et à l’acte) qui a franchi pour la première fois la barre des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. A précisément 2.079.800.000 euros (alors que c’était 1.971.800.000 en février), soit une hausse de 9,2 % en un an (2). Les plateformes Netflix (toujours largement en tête), Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Orange VOD et Canal VOD/Canal+ Séries continuent de profiter de l’appropriation des plateformes depuis la crise sanitaire. Mais « pour la première fois depuis son lancement » en France mi-septembre 2014, la part des consommateurs utilisant Netflix est « en léger recul » (-0,9 point par rapport à 2021). Face aux plateformes américaines de SVOD, Orange VOD reste le numéro un de la VOD à l’acte. @

Believe, la petite major qui contenue de monter, se rapproche du 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires

Créé comme start-up sous le nom de Believe Digital en 2005, devenu licorne avant son introduction en Bourse en juin 2021, le groupe Believe perd encore de l’argent mais est en passe de devenir la quatrième major mondiale de la musique enregistrée. Sa croissance se fait en streaming et par acquisitions.

« Believe fait désormais partie des grands acteurs mondiaux de la musique numérique », se félicite son PDG fondateur Denis Ladegaillerie (photo), dans le document d’enregistrement universel 2022 publié le 21 avril dernier. Cela fera deux ans le 10 juin que la petite major qui monte a fait son entrée à la Bourse de Paris pour lever des fonds – d’un montant net total de 294,6 millions d’euros au lieu des 500 millions escomptés – afin de poursuivre sa stratégie d’acquisitions. C’est l’un de ses principaux moteurs de croissance pour proposer ses plateformes digitales de distribution, marketing et promotion au service des artistes et labels dans une cinquantaine de pays. Avec ses solutions automatisées (comme Tunecore) ou premium (comme Backstage), Believe leur permet des débouchés rémunérateurs sur les plateformes de streaming (Spotify, Apple Music, YouTube Premium, Amazon Music, Deezer, Tencent Music, …) et les réseaux sociaux (TikTok, Instagram, Facebook, Snap, …). Mais, depuis, l’action de Believe cote toujours en-dessous de son prix d’introduction de 19,5 euros, à 12,1 euros, et la valorisation de l’entreprise est à ce jour de seulement 1,1 milliard d’euros (au 25- 05-23). Il en sera question à l’assemblée générale des actionnaires prévue le 16 juin. Actionnaire à hauteur de 12,5 % du capital de Believe, Denis Ladegaillerie s’est engagé à conserver ses actions sur une durée de 3 ans à compter de l’introduction en bourse, à savoir jusqu’à juin 2024. Sous-évalué Believe ?

Des pertes mais bientôt le milliard d’euros de revenus
La croissance est pourtant bien là, portée par la musique numérique dans le monde. « Nous sommes convaincus que le marché de la musique connaît actuellement un changement de paradigme et qu’il est entré dans la décennie de l’artiste numérique », assure-t-il. La mini-major prend de l’ampleur au point de se rapprocher progressivement de la barre du 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, avec 760,8 millions d’euros réalisés en 2022, en hausse de plus de 30 % sur un an. Believe a encore perdu de l’argent l’an dernier (25 millions d’euros). Malgré un contexte économique dégradé, l’entreprise a maintenu – lors de la présentation de ses résultats du premier trimestre le 27 avril dernier – ses prévisions de croissance organique (hors acquisitions) de 18 %. Ce qui amènerait la petite major qui monte à près de 898 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est encore loin des niveaux du « Big Three » que sont les majors Universal Music (10,3 milliards d’euros), Sony Music (9,3 milliards d’euros) et Warner Music (5,4 milliards d’euros), mais cela en prend le chemin (1).

Filiale russe Believe Digital OOO impactée
« Believe confirme son scénario de croissance pour l’année 2023, impliquant une augmentation et un déploiement plus vaste du streaming payant, des gains de parts de marché supplémentaires et un environnement plus difficile pour la monétisation du streaming financé par la publicité. Le passage du streaming financé par la publicité au streaming payant devrait également poursuivre son accélération sur tous les marchés », a exposé la direction de Believe, alors que la croissance du chiffre d’affaires au premier trimestre de cette année (22,2 % sur un an) la conforte dans ses prévisions. Dans son rapport annuel 2022, elle évoque tout de même « le niveau élevé d’incertitudes économiques notamment en raison de la crise ukrainienne et de l’inflation ». Car la société créée en 2005 par Denis Ladegaillerie est devenue depuis un groupe international où la France ne pèse plus que 16,9 % des revenus en 2022, l’Allemagne 14,9 %, le reste de l’Europe avec la Turquie et la Russie générant ensemble la plus grosse part (27,6 %), suivi de l’Asie, l’Océanie et l’Afrique (26,2 % à eux trois), l’Amérique du Nord et l’Amérique Sud (14,3 % à elles deux).
Malgré le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine enclenché le 24 février 2022, Believe poursuit son activité en Russie via sa filiale Believe Digital OOO qui a accusé une perte de 5,8 millions d’euros en 2022 (2). « La guerre en Ukraine et ses répercussions sur l’environnement économique amènent le groupe à mettre sa politique de croissance externe en pause à partir de fin février. (…) Le poids de la Russie et de l’Ukraine dans son chiffre d’affaires a baissé par rapport à 2021 compte tenu d’une croissance beaucoup plus faible que dans les autres marchés du groupe, mais représentait encore 7,5 % du chiffre d’affaires en 2022, contre 8,9 % en 2021 », est-il précisé.
Believe compte 1.650 salariés présents dans plus d’une cinquantaine de pays, dont 643 en France. Cette internationalisation colle au marché « glocal » du streaming musical en pleine évolution grâce aux plateformes globales (de Spotify à Tencent Music en passant par YouTube, Apple Music, Amazon, Deezer ou encore Instagram et TikTok). C’est la filiale Believe International qui signe les contrats de licence avec ces plateformes. Et le groupe Believe basé rue Toulouse Lautrec à Paris entend poursuivre et accélérer cette dynamique par de la croissance externe. « Au cours des sept dernières années, le groupe a réalisé 23 acquisitions synergiques dans sept pays, allant des plateformes technologiques aux labels, et a dépensé 183 millions d’euros (hors trésorerie acquise) en acquisitions depuis 2018 », précise le dernier document boursier.
Pour rendre sa plateforme numérique indispensables aux artistes et labels, Believe s’était emparé en 2015 aux EtatsUnis de TuneCore (solutions automatisées pour les artistes), en France de Musicast (distributeur), et en 2020 en France de SoundsGood (outils marketing numériques pour artistes). Au point que de nombreux musiciens sont tentés de s’affranchir des maisons de disques (self-releasing) pour proposer directement sur les plateformes leurs titres (3). Parallèlement, la mini-major a rajouté des labels et des distributeurs à sa partition, parmi lesquels : en 2018, l’acquisition en Allemagne de Nuclear Blast (label de métal), de Groove Attack (distributeur) et la participation dans Tôt ou Tard (label français) ; en 2019, les acquisitions en Inde d’Entco Music (production de spectacles), de Canvas (services aux artistes), de Venus Music Private (rebaptisé Ishtar) ; en 2020, la participation majoritaire au capital du label DMC en Turquie ; en 2021, l’acquisition en France de 25 % du capital, avec option d’achat du solde dans quelques années, de Play Two (label indépendant et filiale du groupe TF1). La même année, il y a eu une prise de participation minoritaire aux Philippines dans le label Viva Music and Artists Group, l’acquisition en Inde de SPI Think Music, ainsi qu’une participation de 51 % dans le label Jo&Co en France. En 2022, Believe a conclu en Allemagne un partenariat avec le label Madizin et a pris une participation en France dans Morning Glory, société du DJ Belleck.
Et fin mars 2023, le groupe a racheté la société britannique d’édition musicale Sentric (gestion des droits numériques de 400 000 auteurs-compositeurs et artistes auto-distribués pour 4 millions de chansons), dont 23 % des abonnés de TuneCore en bénéficient déjà. « L’acquisition de Sentric est pour Believe une première étape dans le déploiement d’une offre d’édition musicale globale et complète », s’est félicité Denis Ladegaillerie en annonçant cette opération le 30 mars dernier (4).

Denis Ladegaillerie, un ex-Vivendi Universal
Que de chemin parcouru depuis l’acquisition du label français Naïve en 2016 (5). Après avoir commencé sa carrière en 1998 à New York en tant qu’avocat d’affaires au sein d’un cabinet international, Denis Ladegaillerie a fait ses premières armes chez Vivendi Universal (de Jean-Marie Messier) qu’il avait rejoint en 2000 en tant qu’analyste avant d’en devenir à New-York directeur stratégique et financier des activités numériques jusqu’en 2004. @

Charles de Laubier