Le contrat d’édition numérique français résistera-t-il à l’épreuve du droit européen ?

En France, tous les contrats signés depuis le 1er décembre 2014 doivent se conformer aux nouvelles règles entourant le contrat d’édition étendu au numérique. Les contrats antérieurs seront amendés. Mais avec le débat autour
de la réforme du droit d’auteur, l’Europe pourrait avoir son mot à dire.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, et Marta Lahuerta Escolano, avocate, Gide Loyrette Nouel

L’ordonnance du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions
du Code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives au contrat d’édition (1) entend clarifier le cadre législatif qui entoure l’édition numérique et l’adapter à un marché de l’exploitation numérique des livres qui peine encore aujourd’hui à se développer en France. Elle est avant tout le résultat d’une demande des auteurs soucieux de pouvoir isoler les droits liés à la diffusion numérique, dans un contexte où la lecture sur supports numériques gagne
de fait de plus en plus de terrain sans une véritable codification. Ainsi, l’ordonnance codifie l’accord-cadre du 21 mars 2013 intervenu entre le Syndicat national de l’édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) (2).

Télécoms, audiovisuels, Internet,… : quels sont les services taxés dans le pays du client depuis le 1er janvier 2015

Depuis 1er janvier 2015, les prestations de services de télécoms, de radiodiffusion et de télévision, ainsi que les services délivrés par voie électronique (via Internet ou par e-mail), sont désormais imposables au
lieu de consommation. Le e-commerce de biens physiques en est exlu.

Jusqu’à maintenant, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) était appliquée en fonction du pays du vendeur. Ce qui a créé des distorsions de concurrence entre les différents prestataires de l’Internet, certains comme Amazon, iTunes d’Apple ou Netflix au Luxembourg, ainsi que Google ou encore Apple en Irlande, bénéficiant d’avantages fiscaux grâce à une TVA moins élevée que pour les autres prestataires basés, eux, dans des pays fiscalement moins avantageux comme la France.

« The Interview qui tue » la chronologie des médias !

En fait. Le 31 décembre, Sony Pictures Entertainment a annoncé la disponibilité de son film contesté par la Corée du Nord, « The Interview qui tue ! », sur des plateformes de vidéo à la demande (VOD) ou directement sur Internet, et ce simultanément à sa projection dans des salles de cinéma depuis Noël.

En clair. Sorti simultanément en salles et en VOD, le film « The Interview qui tue ! » n’a pas provoqué l’ire des professionnels du cinéma hollywoodien et d’ailleurs. C’est une première. D’autant plus que cette sortie multi-support est un succès. Le film de Seth Rogen, qui a provoqué la colère de la Corée du Nord (laquelle serait à l’origine de la cyberattaque massive dont Sony Pictures Entertainment a été victime fin novembre), a rencontré son public : au 7 janvier 2015, 36 millions de dollars ont été générés sur les services en ligne et 5 millions de dollars dans les salles de cinéma. Là où d’habitude
ce sont les salles de cinéma qui assurent la grande majorité des recettes d’un nouveau film. Il faut dire que seulement 580 salles obscures aux Etats- Unis ont accepté de le proposer, alors que 3.000 salles étaient prévues initialement au niveau national.

Pas sûr que Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou Publie.net soient dans l’illégalité

La saisine de la médiatrice du livre par Fleur Pellerin pourrait finalement être salvateur et aboutir à lever l’incertitude juridique qui entoure ces nouvelles offres forfaitaires illimitées d’accès à des catalogues d’ebooks, lesquelles répondent à une demande des lecteurs. Car il serait impensable que Laurence Engel, la médiatrice du livre, en arrive – en cas d’échec de la conciliation – à saisir la juridiction compétente pour lui demander d’ordonner la cessation de ces nouvelles plateformes de lecture en ligne qui, si cela était démontré, seraient contraires aux lois n°81-766 du 10 août 1981 (loi
« Lang » sur le prix du livre) et n°2011- 590 du 26 mai 2011 (prix du livre numérique), toutes deux ayant été modifiées par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (consommation).

L’accès temporaire et la loi de 2011
Faudra-t-il interpréter différemment la loi – voire la préciser – plutôt que de fermer des plateformes innovantes ? « Les utilisateurs de Youboox n’obtiennent pas la propriété des livres numériques qu’ils consultent. Par conséquent, la loi du 26 mai 2011 et le décret du 10 novembre 2011 ne sont pas applicables à notre activité, qui est parfaitement légale », a assuré Hélène Mérillon (photo), la cofondatrice et présidente
de Youboox, dans un droit de réponse publié par ActuaLitté le 15 octobre dernier et transmis par son avocat Emmanuel Pierrat. « Ces livres sont mis à sa disposition temporairement (s’il reste abonné) dans l’application Youboox, au fur et à mesure de
la lecture. Ils ne sont à aucun moment téléchargés dans leur intégralité, ni transférés », a-t-elle expliqué en se défendant de vouloir ainsi « contourner la loi » comme le laissait penser explicitement l’article incriminé (1) mis en ligne le 31 juillet 2014. Car, selon elle, la licence d’utilisation de ce mode d’exploitation des livres numériques est exclue du périmètre de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique : son article 2 (premier alinéa) parle de « prix de vente au public » que doivent fixer l’éditeur : « Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public. Ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Cela suppose, soutiennent Hélène Mérillon et Emmanuel Pierrat, la transmission de la propriété d’un livre numérique, ce qui n’est pas le cas dans les offres de ebooks en streaming puisque ces derniers sont accessibles temporairement – le temps de la validité de l’abonnement. Avec Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou encore Publie.net, il n’est donc pas question de « prix de vente » mais de licences d’usage temporaire (le temps de l’abonnement). Pourtant, le décret semble prendre en compte ces nouvelles « modalités d’accès ou d’usage » dans son article 2 : « Les modalités d’accès au livre numérique s’entendent des conditions dans lesquelles un livre numérique est mis à disposition sur un support d’enregistrement amovible ou sur un réseau de communication au public en ligne, notamment par téléchargement ou diffusion en flux (“streaming”). Les modalités d’usage du livre numérique se rapportent notamment […] à la durée de mise à disposition du livre numérique ». Alors, le prix unique du livre s’applique-t-il aussi bien à la vente qu’à la location ? A la cession et au prêt ? Au téléchargement définitif et visionnage en streaming ? Nous l’avons vu, la loi de 2011 précise que « ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Est-ce à dire que les éditeurs et les plateformes doivent se mettre d’accord sur les prix des ebooks, qu’il y est vente ou location, au risque de tomber dans l’ornière de l’entente illicite sur les prix ? A moins que l’on admette une bonne fois pour toute que les abonnements « illimités » de ces nouvelles bibliothèques en ligne ne soient ni de la vente ni du prêt, mais un accès temporaire aux livres numériques, un usage éphémère des ebooks qui ne tombe pas sous le coup de la loi « Lang » modifiée en 2011.

Sébastien Soriano : l’homme de l’intégration Arcep-CSA ?

En fait. Le 3 janvier dernier, Jean-Ludovic Silicani a achevé son mandat de six ans à la présidence de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Le 23 décembre dernier, François Hollande a proposé Sébastien Soriano (X-Télécom et conseiller de Fleur Pellerin) comme successeur.

(Depuis la parution de cet article le 12 janvier 2015 dans le bimensuel EM@, Sébastien Soriano a été nommé président de l’Arcep par décret présidentiel du 14 janvier, après avoir été auditionné le 13 janvier à l’Assemblée nationale puis au Sénat)