Streaming vidéo et IA génératives posent des questions existentielles au cinéma et… au jeu vidéo

La grève dure depuis 140 jours aux Etats-Unis. Les scénaristes d’« Hollywood » l’ont déclenchée le 2 mai, étendue cet été aux comédiens, et maintenant au jeu vidéo. Leurs revendications : meilleures rémunérations à l’ère du streaming et de l’intelligence artificielle.

Les scénaristes de la Writers Guild of America (WGA), en grève depuis le 2 mai, et les acteurs de la Screen Actors Guild and American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA), en grève depuis le 13 juillet, sont très remontés contre l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP). Cette dernière regroupe les grands groupes de médias et de télévisions américains ainsi que des plateformes de streaming vidéo : « Amazon/MGM, Apple, Disney/ABC/Fox, NBCUniversal, Netflix, Paramount/CBS, Sony, Warner Bros. Discovery (HBO) et d’autres », mentionne le syndicat américain des comédiens. Le mouvement social s’étend aux éditeurs de jeux vidéo.

Hollywood donne d’une main, reprend de l’autre
D’un côté, la WGA (11.500 scénaristes) et, de l’autre, la SAGAFTRA (160.000 comédiens), qui vient de réélire sa présidente Fran Drescher (photo) le 8 septembre (1), négocient d’abord une augmentation des rémunérations pour tenir compte de l’inflation : les scénaristes proposent 5 % à 6 % de hausse mais les groupes cinématographiques et audiovisuels offrent 2 % à 4 % ; les acteurs proposent une augmentation de 11 % mais les groupes cinématographiques et audiovisuels offrent 5 %. Mais ce sont vis-à-vis des plateformes de streaming (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …) que les revendications se font plus pressantes. Les scénaristes et les comédiens demandent à être mieux rémunérés par les plateformes de SVOD (2) sur les minimum garantis – le MBA (Minimum Basic Agreement) inscrit dans la convention collective de la WGA – et à être intéressés aux bénéfices du streaming. Cette exigence d’« une meilleure rémunération initiale et des droits résiduels » porte aussi sur les plateformes vidéo financées par la publicité, les AVOD (3) et les FAST (4).

Les majors de la musique déplorent la « trop lente » croissance du streaming par abonnement

Est-ce une « anomalie » du marché français de la musique en ligne, comme le dit le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) qui représente entre autres les majors ? Le streaming financé par la publicité, porté par TikTok, est moins rémunérateur pour les producteurs.

« La croissance du streaming par abonnement en France reste trop lente, comparée à l’adoption massive du modèle payant dans les autres grands marchés historiques de la musique enregistrée », regrette le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), dont sont notamment membres les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music. « Avec 11 millions d’abonnements payants, soit 1 million de plus que l’an passé, l’usage réunit désormais 16 millions d’utilisateurs premium, grâce aux offres famille et duo », indique à Edition Multimédi@ son directeur général, Alexandre Lasch (photo).

TikTok participerait à l’« anomalie »
Rien que sur le premier semestre 2023, le streaming musical par abonnement génère près de 232 millions d’euros, plus que jamais première source de revenu des producteurs (58,3 % du total, numérique et physique confondus). Pour autant, d’après le Snep, le compte n’y est pas. La croissance des abonnements reste bien en deçà de celle du streaming gratuit financé par la publicité, même si celui-ci est loin derrière en termes de chiffre d’affaires. Ainsi, pour les six premiers mois de 2023, la hausse des revenus des abonnements est de 10 % sur un an (35,8 millions d’euros), alors que celle du streaming financé par la publicité est de 28,1 % (35,4 millions d’euros). « L’anomalie vient du fait que le streaming audio freemium et vidéo, qui réalise désormais près de 20 % du marché, contribue davantage à la progression des revenus du streaming que les offres payantes », explique Alexandre Lasch.

Vente liée de Teams dans la suite « Office 365 » ? Microsoft risque une nouvelle amende européenne

Dans la torpeur de l’été, la Commission européenne a annoncé le 27 juillet avoir ouvert une enquête à l’encontre de Microsoft soupçonné de « vente liée ou groupée » avec son logiciel Teams. La firme de Redmond est coutumière du fait, malgré ses amendes « Mediaplayer » et « Internet Explorer ».

« Les outils de communication et de collaboration à distance comme Teams sont devenus indispensables pour de nombreuses entreprises en Europe. Nous devons donc veiller à ce qu’[elles] soient libres de choisir les produits qui répondent le mieux à leurs besoins. C’est la raison pour laquelle nous examinons si le fait que Microsoft lie ses suites de productivité [Office 365 et Microsoft 365, ndlr] à Teams est susceptible d’enfreindre les règles de concurrence de l’UE », a déclaré Margrethe Vestager (photo de gauche), vice-présidente exécutive de la Commission européenne, chargée de la concurrence. Et ce, avant de prendre congé (1) (*) (**).

21 milliards de dollars d’amende ?
En cas d’infraction aux règles antitrust, telle qu’un abus de position dominante, Microsoft risque de se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires total. Clos le 30 juin dernier, son précédent exercice annuel affiche un total de 211,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le risque de sanction pécuniaire dans cette affaire « Teams » est potentiellement de plus de… 21 milliards de dollars. « Microsoft inclut Teams dans ses suites de productivité cloud bien ancrées pour les clients professionnels Office 365 et Microsoft 365 », a constaté la Commission européenne auprès de laquelle la société américaine Slack Technologies – éditrice de la plateforme de messagerie instantanée du même nom et propriété depuis plus de deux ans du groupe Salesforce – avait porté plainte le 14 juillet 2020.

Google : Amit Mehta, le juge du « procès du siècle »

En fait. Le 12 septembre s’est ouvert à Washington « le procès du siècle », selon l’expression utilisée par The American Prospect pour désigner l’affaire « United States versus Google ». Choisi au hasard pour présider ce procès : le juge Amit P. Mehta. Cet Indo-américain pourrait démanteler la filiale d’Alphabet.

En clair. Avec ses 90 % de parts de marché, Google est ainsi accusé – depuis trois ans (1) par le département américain de la Justice (DoJ) – d’abus de position dominante et de constitution de monopole. Ironie de l’histoire, c’est ce juge Indo-américain – Amit Mehta, né en 1971 à Patan en Inde – qui fait face à cet autre Indo-américain, patron d’Alphabet et de sa filiale Google – Sundar Pichai, né en 1972 à Madurai, en Inde également.
Amit Mehta préside ce « procès du siècle », comme l’appelle le magazine The American Prospect (2). Cet avocat a été nommé en décembre 2014 juge du district de Columbia (3) par Barack Obama et en juin 2021 membre de la Cour de surveillance du renseignement étranger des Etats-Unis (FISA Court).

Le Digital Services Act (DSA) présente un vrai risque pour la liberté d’expression des Européens

Les 19 très grandes plateformes Internet en Europe avaient quatre mois, après avoir été désignées comme telles le 25 avril 2023 par la Commission européenne, pour se mettre en règle avec la législation sur les services numériques (DSA). La liberté d’expression sera-t-elle la victime collatérale ?

La liberté d’expression risque gros en Europe depuis le 25 août 2023, date à laquelle les 19 très grandes plateformes numériques – Alibaba, AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing, et Google Search – doivent appliquer à la lettre le Digital Services Act (DSA), sous peine d’être sanctionnées financièrement jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.

« Définition large » des « contenus illicites »
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ces 19 géants du Net, dépassant chacun plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois (soit l’équivalent de 10 % de la population de l’Union européenne), pourrait les pousser à faire de l’excès de zèle. Et ce, pour ne pas prendre le risque d’être hors des clous du DSA et de se voir infliger une sanction pécuniaire. Entre leur désignation le 25 avril 2023 comme « Very large Online Platforms » (VLOP) par la Commission « von der Leyen » (photo) et leur mise en conformité avec la législation sur les services numériques, les dix-sept très grandes plateformes et les deux grands moteurs de recherche avaient un délai de quatre mois pour se préparer.
Depuis le 25 août 2023, soit moins d’un an après la publication du règlement au Journal officiel de l’Union européenne (1), le « Big 19 » est censé agir comme un seul homme pour réguler en Europe une grande partie de l’Internet relevant de leurs activités (2). Le DSA les oblige désormais à lutter contre « la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire ». Vaste et flou à la fois.