Les « Spac », ces entreprises dites « chèques en blanc », attirent de plus en plus de grands patrons

Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton en ont constitué une fin 2015 pour lever des fonds à la Bourse de Paris, avec Mediawan ; Craig McCaw, fondateur de McCaw Cellular dans les années 1990 puis de Clearwire, est le dernier en date à se lancer au Nasdaq à New York, avec Colicity.

Les « Spac » – Special Purpose Acquisition Company – ont le vent en poupe. Ces « sociétés d’acquisition à vocation spécifique » est un statut particulier qui permet à une coquille vide au départ – et sans activité commerciale – de levers des fonds en Bourse, sans vraiment savoir si ses ambitions de fusions et d’acquisitions aboutiront. Mais les gendarmes de la Bourse, comme la SEC aux Etats-Unis ou l’AMF en France, n’en ont cure. Seuls importent les fondateurs.

Colicity à la conquête des TMT
C’est en réalité un « chèque en blanc », d’où leur surnom anglo-saxon de « blank check company », que l’on fait à des hommes d’affaires dont la signature vaut en elle-même son pesant d’or. Comme celle de Craig McCaw (photo), qui a fait fortune au début des années 1990 avec McCaw Cellular, pionnier des opérateurs mobiles nationaux aux Etats-Unis. Il a fait fortune en revendant son entreprise à AT&T en 1994 pour la coquette somme de 11,5 milliards de dollars (1). Le nouveau milliardaire rachètera ensuite en 2004 Clearwire, un opérateur américain de réseaux fixes et mobiles pour petites et moyennes entreprises, pionnier là aussi de l’accès à Internet sans fil (dont le Wimax et la VoIP). Il en fut le président jusqu’en 2010, Sprint Nextel rachetant deux ans après Clearwire.
Plus de dix ans après, l’entrepreneur dans l’âme Craig McCaw continue d’investir. Cette fois, il a lancé le 24 février dernier l’introduction en Bourse à New York de sa nouvelle société Colicity. Il s’agit d’une Spac qu’il préside, dont l’ambition affichée est de conquérir « les secteurs des technologies, des médias et des télécommunications » – ce que les investisseurs appellent les TMT – à coup de fusions, d’acquisitions, de rachats ou d’échanges d’actions, de réorganisations ou encore de regroupements.
Le vétéran des télécoms Craig McCaw (71 ans) comptait, avec son IPO (2), lever en deux jours 300 millions de dollars au Nasdaq, soit 30.000.000 unités au prix de 10 dollars (souvent le montant de l’action fixé dans le cadre d’une Spac). Cet appel aux investisseurs était valable jusqu’au 26 février mais « la société a accordé aux preneurs fermes une option d’achat de jusqu’à 4.500.000 unités supplémentaires [l’équivalent de 45 millions de dollars de plus] de 45 jours au prix de l’appel public à l’épargne initial pour couvrir les surallocations, le cas échéant » – soit jusqu’au 12 avril prochain. Pour autant, difficile d’en savoir plus sur les réelles intentions de la Spac de Craig McCaw. C’est d’ailleurs le propre d’une Spac : le prospectus est censé être disponible auprès de Goldman Sachs qui, avec PJT Partners (spin off de Blackstone), participe à l’opérateur de « chèque en blanc ». Colicity, c’est comme une lampe-torche allumée dans le noir complet, comme le suggère la vidéo d’accueil du site web de l’entreprise (3). Le directeur de l’investissement de Colicity est le financier « Media & Telecom» Randy Russel (4), qui travaille pour une autre société d’investissement contrôlée par Craig McCaw : Pendrell. Celle-ci avait repris l’opérateur satellitaire ICO Global Communications après sa faillite en 1999. Colicity est en fait la deuxième Spac parrainée par Pendrell. La première Spac était Holicity, laquelle société – présidée aussi par le magnat américain des télécoms – vient d’annoncer la reprise et la mise en Bourse au Nasdaq de l’opérateur par satellite Astra (5) pour plus de 2 milliards de dollars (6). La Spac Colicity investira-t-elle aussi dans des réseaux mobiles et satellitaires ? L’avantage d’une Spac est en tout cas de permettre de lever des fonds dès sa création ex nihilo sur les marchés financiers sans avoir à procéder à une introduction en Bourse classique, donc la complexité et la rigidité habituelles. Les démarches auprès des gendarmes boursiers sont simplifiées et le coût de l’IPO minime. L’on comprend que le trio français Niel- Pigasse-Capton ait opté pour cette formule attractive pour constituer en décembre 2015 Mediawan, une Spac qui a levé 250 millions d’euros sur l’Euronext à Paris. Sept acquisitions plus tard, ce groupe est devenu « l’un des principaux studios indépendants de contenus audiovisuels en Europe » (production audiovisuelle, distribution de contenus, édition de chaînes et services digitaux). Fin 2020, Mediawan a bouclé l’acquisition de Lagardère Studios. A terme, la nouvelle Mediawan Alliance créée par le trio absorbera Mediawan qui sera retiré de la cote.

Les Spac ont levé 78 Mds de $ en 2020
D’autres personnalités ont joué sur cet effet de levier de la Spac : le rappeur et producteur Jay-Z, également cofondateur et premier actionnaire du service de streaming musical Tidal (que le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, veut racheter), s’en sert pour investir dans le cannabis légal aux Etats-Unis. Selon Refinitiv, 2020 a été l’année des Spac avec plus de 78 milliards de dollars (7) levés par l’ensemble des Spac dans tous les domaines. @

Charles de Laubier

Le livre ne tournera jamais la page du papier, mais il se dématérialise de plus en plus en ebook et audio

Le livre, ce sont les lecteurs qui en parlent le mieux : 25 % des Français ont déjà lu un livre numérique (+ 15 points sur un an) et 15 % ont déjà écouté un livre audio (+ 4 points). Contrairement aux apparences, l’industrie du livre n’est pas figée sur le livre imprimé. Les pages se dématérialisent.

Les périodes de confinement ont accéléré la dématérialisation de la lecture. Les Français lisent de plus en plus de livres numériques et/ou de livres audio. C’est, en creux, le grand enseignement du baromètre des usages du livre numérique et depuis que cette enquête annuelle a été créée en 2012, coordonnée par les auteurs au sein notamment de la Société des gens de lettres (SGDL) et les éditeurs via le Syndicat national de l’édition (SNE), associés au sein de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), organisme de gestion collective dédié au livre dirigé par Geoffroy Pelletier (photo).

Le confinement booste le livre hors-papier
Le chiffre d’affaires estimé de l’édition en France aurait accusé un recul de 2 % sur l’année 2020, à 2,7 milliards d’euros, mais c’est sans compter le livre numérique faute de chiffres. Or la lecture sur supports numériques (ebook et audio) progresse plus que jamais. Mais lors de ses vœux le 7 janvier dernier, le président du SNE, Vincent Montagne, n’a pas non plus livré de prévisions sur le marché de l’édition numérique. Pour mémoire, en 2019, celui-ci a généré en France un chiffre d’affaires de 232,3 millions d’euros (tous supports et toutes catégories éditoriales confondus), en progression de 9,2 % sur un an. Gageons que les deux périodes de confinement ont favorisé l’édition numérique, au détriment des livres imprimés quelque peu pénalisés par les fermetures des librairies. Force est cependant de constater que le sondage exclusif « Les Français et la lecture pendant les confinements », réalisé par l’institut Odoxa et dévoilé par le SNE lors de ses vœux, fait l’impasse sur les livres dématérialisés (à lire ou à écouter). Les résultats montrent qu’un tiers des Français (33 %) s’est mis à « lire davantage » sans qu’il soit précisé sous quel format. Ce sondage aux réponses suggérées en profite au passage pour opposer lectures et Internet : « Les Français ont surtout lu pour lutter contre l’ennui (43 %) mais aussi pour se déconnecter de l’actualité (33 %) et passer moins de temps sur les réseaux sociaux (31 %). Les 25-34 ans ont, quant à eux, d’abord vu dans la lecture un moyen d’‘’éviter de naviguer sur Internet” (31 %) ». Ce qui fait dire à Vincent Montagne (PDG de Média-Participations) ceci : « Face aux incertitudes et à la surconsommation anxiogène d’Internet et des réseaux sociaux, le livre est plébiscité par le public, notamment par les plus jeunes, comme un véritable antidote ». Or chacun sait que livres et réseaux sociaux sont complémentaires, et rien ne justifie de sanctifier la lecture et de vouer aux gémonies l’Internet. Si les jeunes de moins de 25 ans se sont mis à lire le plus pendant les deux périodes de confinement de l’an dernier (42 % d’entre eux, contre seulement 27 % pour les plus de 65 ans), ce n’est pas pour autant pour se détourner de leurs réseaux sociaux favoris. Il n’y a pas le bien d’un côté (le livre) et le mal de l’autre (Internet) ! Ce serait trop simpliste… De ce point de vue, la manière dont a été téléguidé ce sondage Odoxa pour le SNE déçoit (1). Et le fait qu’aucune référence aux livres numériques et aux livres audio ne soit faite est une occasion manquée. Heureusement que le baromètre du livre numérique de la Sofia vient nous éclairer sur ces nouveaux usages. D’autant que dans son édition spéciale « confinement », trois points forts se dégagent : une augmentation des pratiques de lecture, une diversification des supports utilisés, et un lectorat numérique qui s’est rajeuni. La grande tendance du #restezchezvous de l’an dernier a été « une forte progression des lecteurs de livres numériques et d’auditeurs de livres audios numériques ». Ainsi, pendant les confinements et sur les 52,8 millions de Français de plus de 15 ans, 35 % d’entre eux – 18,5 millions d’e-lecteurs tout de même – ont lu un livre numérique (+15 points par rapport à janvier 2020) et ils sont 15 % – 8 millions de personnes – à avoir écouté un livre audio numérique (+ 4 points sur un an). Même les auditeurs de livres audio physiques (sur CD pour la plupart) ont leur public : 18 %, soit 9,3 millions de Français (voir graphique en page précédente). Autre constat : une partie de ceux qui lisent des livres imprimés utilisent d’autres supports pour lire (livres numériques, audio numériques, audio physiques). Il est fort probable que cette « duplication » des supports de lecture s’accentue avec le temps, au fur et à mesure de l’appropriation des nouveaux moyens de lecture et/ou d’écoute (voir graphique ci-dessous). Cette diversification éditoriale rend obsolètes dans l’édition les frontières entre l’imprimé, les écrans et les écouteurs. En outre, « les lecteurs de livres numériques et les auditeurs de livres audio ont été, sans surprise, particulièrement consommateurs de médias pendant le confinement, nettement plus que les lecteurs de livres imprimés », souligne en outre le baromètre « Sofia » (2).
A noter que le SNE a les plus grandes difficultés à obtenir auprès de ses 720 éditeurs adhérents des chiffres sur les ventes de livres dématérialisés. C’est regrettable. Pire : l’an dernier, le syndicat n’a reçu les réponses que d’une douzaine d’éditeurs pour le segment en pleine croissance des livres audio. D’autant que « le taux d’équipement des Français en appareils numériques et enceintes connectées est en augmentation ; le format dématérialisé (MP3) permet une écoute en situation de mobilité ou de pluriactivité ; la clientèle la plus jeune est de plus en plus attirée par des contenus audios (podcasts, vidéos) », relève d’ailleurs le SNE dans le bilan 2019 du marché français de l’édition publié en octobre dernier (3). Ce syndicat fait remarquer que « de plus en plus d’acteurs proposent des offres d’accès aux livres audios dématérialisés, qu’il s’agisse des librairies numériques spécialisées en livres lus ou des plateformes mises en place par les GAFAM et les grandes enseignes culturelles, d’applications de lecture en streaming, de partenariats noués avec des opérateurs de téléphonie ou de synergies activées au sein de groupes de médias ». La dématérialisation du livre est inéluctable et les confinements accélèrent donc la tendance. L’année 2020 marquera un tournant dans la pratique de la lecture, où les yeux ne sont plus les seuls sollicités : les oreilles font leur entrée dans l’industrie de l’édition numérique. Le sacro-saint livre imprimé, broché, n’est plus roi.

Vers une loi « Economie du livre »
L’année 2021, elle, marquera par ailleurs les dix ans de la loi du 26 mai 2011 instaurant le prix du livre numérique. Ce sera aussi les quarante ans de la loi « Lang » du 10 août 1981 instaurant quant à elle le prix unique du livre. Pour à nouveau légiférer dans un secteur mis à mal par le coronavirus, une proposition de loi aux allures d’« anti-Amazon », mais pas que, a été déposée le 21 décembre dernier au Sénat (4). « La vente à distance de livres est en croissance depuis plus d’une décennie, notamment en raison de l’essor d’Amazon, qui capte environ 11 % du marché du livre, et d’autres entreprises telles que la Fnac », constate la sénatrice (LR) Laure Darcos, auteure de cette proposition de loi destinée « à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs ». Elle suggère notamment que les ministres de la Culture et de l’Economie puissent fixer par arrêté conjoint – sur proposition de l’Arcep – « un montant minimum de tarification des frais de livraison [et non plus à 0,1 centime d’euros comme le pratique Amazon, ndlr], que tous les détaillants devront respecter ». Près de dix ans après la loi instaurant le prix du livre numérique, ce texte législatif ne dit mot sur les ebooks. @

Charles de Laubier

Internet des oreilles : le marché des podcasts se structure en France et les droits d’auteur aussi

Cet été 2020 – au-delà de « L’Eté du podcast » qui s’est achevé le 2 septembre au Ground Control à Paris – marque une étape décisive pour le marché français de l’Internet des oreilles : structuration, mesure d’audience et droit d’auteur viennent professionnaliser un segment de l’audio digital en plein boom.

Quand le New York Times, qui édite en podcast depuis 2017 un programme quotidien baptisé « The Daily », annonce le 22 juillet qu’il va acquérir la société Serial Productions, à l’origine du premier blockbuster audio « Serial » (1), c’est que la vague des podcasts s’amplifie. Selon des sources proches du dossier, « The Times » aurait déboursé 25 millions de dollars pour se renforcer dans l’audio journalism (2).

Consolidation en cours
Mais la plus grosse acquisition de cet été dans le podcast a eu lieu là encore aux Etats-Unis : le 13 juillet, le groupe de radio en ligne SiriusXM a annoncé qu’il rachetait la plateforme de podcast Stitcher pour 325 millions de dollars. Du jamais vu sur ce marché en pleine croissance de l’audio digital. L’opération doit être finalisée ce trimestre : le groupe de médias E.W. Scripps revend ainsi Stitcher le double du montant qu’il avait déboursé pour s’en emparer en 2016. SiriusXM s’impose dans le podcast face à iHeartMedia, Apple Podcast ou encore Spotify. Ce dernier, numéro un mondial du streaming musical se diversifiant dans le podcast pour être moins dépendant des majors du disque, avait racheté Gimlet début 2019 pour 230 millions de dollars, puis The Ringer début février 2020 pour plus de 140 millions de dollars, ainsi que l’exclusivité du podcast « The Joe Rogan Experience » fin mai 2020 pour plus de 100 millions de dollars. Fin 2017, Spotify avait fait l’acquisition de Soundtrap. De son côté, Apple a annoncé le 15 juillet le lancement de ses propres podcasts originaux dont un quotidien d’actualité baptisé « Apple News Today » (dans le prolongement de son application Apple News). La marque à la pomme n’est plus seulement diffuseur avec Apple Podcast, mais aussi désormais producteur audio.
En France, le marché du podcast a entamé à pas comptés sa consolidation. Fin 2018, le groupe Les Echos-Le Parisien (groupe LVMH) avait acquis 33,3 % de la société éditrice et diffuseuse de podcasts Binge Audio (3), cofondée en 2016 par Joël Ronez (photo), ancien directeur des nouveaux médias de Radio France et ex-responsable web d’Arte. Selon le premier classement de podcasts publié le 21 juillet (4) par l’ACPM (ex-OJD), Binge Audio est en tête des audiences en France avec plus de 1,5 million de téléchargement de fichiers audios sur le mois de juin mesuré. Suit de très loin le groupe de presse Prisma Media (groupe Bertelsmann) avec les podcasts de ses marques Gentside, Capital, Ça m’intéresse, Management, Télé Loisirs et Géo. Tandis que la major Warner Music termine ce « Top 8 des marques de podcasts » (5) avec Novio. Mais les acteurs du podcast en France adhérents à la mesure d’audience de l’ACPM (6) sont peu nombreux par rapport au foisonnement de ce marché naissant. Majelan (fondé par l’ancien président de Radio France, Mathieu Gallet), Sybel, Tootak, Bababam, Paradiso Podcast (partenaire depuis mai d’Universal Music France), MadmoiZelle, Louie Media, Nouvelles Ecoutes, ou encore Taleming sont autant de plateformes et de titres qui donnent de la voix. La plateforme vidéo TV5MondePlus, lancée le 9 septembre, qui propose aussi des podcasts. Et Prisma Media vient de lancer le 10 septembre, avec sa filiale soeur M6, Audio Now.
Créé en 2016, Binge Audio se présente comme un « réseau de podcasts nouvelle génération », propose gratuitement (7) des programmes audio originaux (podcasts natifs), distribués sur Binge.audio et sur toutes les plateformes – à savoir « toutes les apps de podcasts sur iOS et Android (Apple Podcasts, Podcast Addict, Castbox, Google Podcasts, PocketCasts, …), Spotify, Deezer, YouTube, SoundCloud, Sybel, Amazon Alexa, Google Home, … ». La société présidée par Joël Ronez, dont les deux tiers du chiffre d’affaires sont générés par des podcasts de marques, vient en outre de signer un accord avec la Société civile des auteurs multimédias (Scam), afin de rémunérer « les auteurs et autrices des œuvres sonores à la demande » au titre des droits de diffusion de leurs créations sur Internet. Les négociations pour parvenir à un partage de la valeur se sont déroulées sous les auspices du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). Il y a dix ans, la Scam avait conclu un accord comparable avec Arte Radio et compte bien signer avec d’autres plateformes de podcasts.

Droit d’auteur et publicité
Des négociations devraient aussi aboutir avec la Sacem (8), la SACD (9) et d’autres sociétés de gestion collective des droits d’auteur. La vitalité de l’audio digital en France suppose que les producteurs de podcasts, les éditeurs, les plateformes, les régies publicitaires et les agences se retrouvent ensemble autour d’un écosystème rentable. L’ACPM y contribue en certifiant les audiences monétisables auprès des annonceurs et en organisant Innov’Audio Paris, dont la 3e édition se tiendra le 9 décembre. @

Charles de Laubier

Boosté par deux mois de confinement, le live streaming commence à faire de l’ombre à la télé

Le direct prend de l’ampleur sur Internet, au point d’éclipser la petite lucarne qui perd son monopole des retransmissions en live et même des mondovisions. Apparu il y a à peine dix ans avec YouTube et Twitch, le live streaming s’impose comme un redoutable concurrent pour la télévision.

« Le direct live des réseaux sociaux pourrait faire de l’ombre aux chaînes de télévision », titrait Edition Multimédi@ dans un article paru dans son n°139 en 2016. Plus de quatre ans après, dont deux mois de confinement touchant 4,5 milliards de personnes dans 110 pays ou territoires (1), soit près de 58 % de la population mondiale, la question n’est plus de savoir si le live streaming marche sur les plates-bandes de la télévision traditionnelle, mais dans quelles proportions.

Le live du Net a supplanté le direct de la TV
Le confinement a fait exploser les diffusions en direct sur Internet. Les réseaux sociaux, très majoritairement consultés sur les smartphones, ont été plus que jamais des plateformes vidéo pour des live de concerts, de DJ sets, de conférences, de colloques, de théâtres, de sketches ou encore de retransmission d’e-sport et de gaming. Caracolant en tête des plateformes mondiales de live streaming en 2019, d’après mesurées par StreamElements et Arsenal.gg, Twitch, la plateforme de jeux en streaming qu’Amazon a rachetée en août 2014 près de 1 milliard de dollars (2), affiche au compteur sur l’an dernier près de 10 milliards d’heures vue en direct (+ 20% de croissance annuelle). La filiale de Google, YouTube Gaming, arrive encore loin dernière avec un peu plus de 2,6 milliards d’heures vues (+ 16 %).
Si Facebook Gaming (alias Facebook Live pour la diffusion) et Mixer (lancé par Microsoft en 2017 pour concurrencer Twitch) ne totalisent respectivement que 356,2 millions et 353,7 millions d’heures streamées, leur croissance exponentielle en 2019 (+ 210 % et + 149 %) montrent que les jeux sont encore loin d’être faits. Ce marché du live streaming est en plein boom grâce avant tout aux jeux vidéo et, au-delà du quarté de tête, les challengers se bousculent au portillon : LiveStream (ex-Mogulus et aujourd’hui appartenant à Vimeo), UStream (devenu IBM Cloud Video), Dacast (orienté entreprises), StreamShark, Periscope (acquis par Twitter en 2015), Funny or Die, Dailymotion Games (devenu filiale de Vivendi), mais aussi Tencent, Instagib ou encore Azubu. L’année 2020 restera celle de l’explosion du direct sur Internet pour compenser la distanciation sociale. Parallèlement au live sur les médias sociaux, les applications de vidéoconférence ont fait l’objet d’un engouement sans précédent : Zoom (grande révélation de ce début d’année), Messenger Rooms (lancée en avril dernier par Facebook, en plus de WhatsApp et de Instagram Live), Hangouts (Google), Teams (lancée par Microsoft fin 2016 au côté de Skype), Snap Live (Snap), Webex (Cisco), ou encore les françaises Livestorm, Tixeo et Rainbow. Le confinement a affolé les compteurs du direct sur Internet. D’autant que la télévision traditionnelle s’est retrouvée fort dépourvue en raison de l’annulation des événements sportifs ou culturels pour cause de coronavirus. Le live a supplanté la télé. Les audiences en ligne peuvent être massives et ces diffusions très prisées de la jeune génération rivée sur son smartphone. Apprécié des fans, des followers, des amis et des gamers (3), le ton du live streaming est souvent plus libre, spontané et sincère qu’à l’antenne où les propos sont plus convenus et politiquement corrects. Exemple de succès d’audience : le 7 avril, l’éditeur de jeux vidéo Riot Games (dont « League of Legends ») a fait un carton sur Twitch en lançant son jeu de tir à la première personne « Valorant » qui a attiré un pic de plus de 1,7 million de spectateurs simultanés (4).
Les stars du foot (5) et d’autres sports (6) ont streamé en direct à la grande joie de leurs supporters. Côté musique, les diffusions ont aussi battu des records d’audience comme le live sur Instagram du rappeur newyorkais Tekashi 6ix9ine après sa sortie de prison : 2 millions d’internautes, du jamais vu sur ce réseau social ! Sur YouTube, la star PewDiePie (alias Felix Kjellberg) caracole en tête avec ses directs au potentiel de plus de 100 millions d’abonnés à sa chaîne. Les politiques s’y mettent : Jean-Luc Mélenchon, le président de La France insoumise, a lancé le 28 mai « Twitchons », sa chaîne Twitch. Le showbizz aussi : Jean- Marie Bigard se produira en live le 20 juin sur Internet.

Monétisation tous azimuts du live streaming
Avec le direct sur Internet se développe un écosystème prometteur. « La monétisation peut prendre plusieurs formes : libre participation, partenariat payant, publicités, système de pourboire (ou tips), entrées payantes pour accéder au contenu live, abonnement à une plateforme pour accéder au contenu, accès au live en échange d’un achat de merchandising, voire plusieurs de ces paramètres à l’instar de ce que propose la plateforme Veeps », indique le centre musical Irma (7). Sur France Info, le 17 mai dernier, le musicien Jean-Michel Jarre, ex-président de la Cisac (8), a prôné l’organisation de concerts payants en direct sur Internet. @

Charles de Laubier

L’obsolète chronologie des médias est rattrapée par le confinement imposé par le coronavirus

Avec la promulgation de la « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 », datée du 23 mars, le président du CNC peut permettre aux films qui étaient « au 14mars » projetés en salles de cinéma (fermées depuis) d’être disponibles tout de suite en VOD et en DVD/Blu-ray. Une mini-révolution…

Le président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Dominique Boutonnat (photo), a les mains libres – depuis la publication le 24 mars au Journal Officiel de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie du covid-19 – pour permettre aux nouveaux films confrontés à la fermeture des salles de cinéma d’être proposés en VOD ou en DVD/Blu-ray, sans attendre les quatre mois habituels imposés par la controversée chronologie des médias (1).

CNC : la réunion décisive du 1er avril
Motif : décidé le 14 mars par le Premier ministre, Edouard Philippe, le passage au stade 3 de l’épidémie a entraîné la fermeture de tous les lieux accueillant du public qui sont « non indispensables à la vie du pays ». Les près de 6.000 salles de cinémas (écrans) exploités par plus de 2.000 établissements en France en font partie. Diffuser de nouveaux films sans passer par les salles obscures relève d’une petite révolution, certes temporaire, dans le 7e Art français. « A période exceptionnelle, il nous faut apporter des réponses exceptionnelles et faire preuve d’innovation autant que de responsabilité », avait indiqué le 20 mars Dominique Boutonnat, en prévision de la loi « Covid-19 » qui fut finalement adoptée en commission mixte paritaire (députés et sénateurs) le 22 mars.
Son article 17 (anciennement 11) prévoit qu’« à titre exceptionnel, le délai d’exploitation prévu à l’article L. 231-1 du code du cinéma et de l’image animée ainsi que les délais fixés par accord professionnel [autrement dit la chronologie des médias, ndlr] peuvent être réduits par décision du président du Centre national du cinéma et de l’image animée [à savoir actuellement Dominique Boutonnat, président du CNC depuis le 25 juillet 2019, ndlr (2)] en ce qui concerne les œuvres cinématographiques qui faisaient encore l’objet d’une exploitation en salles de spectacles cinématographiques au 14 mars 2020 » (3). L’actuelle chronologie des médias, qui interdit durant quatre mois aux nouveaux films destinés aux salles de cinéma d’être proposés en VOD à l’acte et sur DVD/Blu-ray, relève d’un accord interprofessionnel signé le 6 septembre 2018 et entériné le 21 décembre suivant (4). Il avait modifié à la marge le précédent accord daté, lui, de juillet 2009. Autrement dit, la chronologie des médias actuelle et « obsolète » reprend pour l’essentiel un accord d’il y a plus de dix ans (5). Mais le covid-19 ne sonne pas le glas de la sacro-sainte chronologie des médias pour autant. Car il ne s’agit-là que d’« un régime exceptionnel, strictement borné dans le temps, applicable jusqu’à la fin de l’épidémie », avait prévenu le président du CNC. De plus, cette « dérogation exceptionnelle » au délai de quatre mois – soit 120 jours pendant lesquels un nouveau film qui sort dans les salles de cinéma de l’Hexagone ne peut pas faire l’objet d’une exploitation sous forme de VOD à l’acte ou de DVD/Blu-ray – est examinée par le CNC « au cas par cas, film par film ». Les œuvres cinémato-graphiques telles que « De Gaulle », « Un Fils » ou encore « La Bonne Épouse » sont parmi les premières à reprendre leurs « projections », mais en ligne ou sur disque optique. La première réunion du CNC s’est tenue (à distance oblige) le 1er avril pour lister les films concernés, tout en examinant aussi les nouveaux films qui devaient sortir en salles après la date fatidique du 14 mars et qui veulent eux-aussi aller directement sur la VOD.
Or, en France, un film qui ne sort pas dans les salles obscures n’a pas l’obligation de respecter la chronologie des médias et son monopole exclusif réservé aux salles durant les quatre premiers mois. Cependant, il existe le risque juridique que les producteurs de ces films perdent les financements du CNC et l’éligibilité au fonds de soutien, dont dépend l’attribution d’un visa d’exploitation accordé lors d’une sortie en salle (même s’ils décidaient de revenir dans les salles obscures après l’épidémie). Mais, lors sa réunion du 1er avril, le CNC a décidé qu’ils n’auront pas à rembourser les aides déjà obtenues. Au total, ce sont déjà 31 films qui bénéficient de la dérogation (6).

Streaming et day-and-date à la rescousse
Aux Etats-Unis, moins contraints par une chronologie des médias, les plateformes de VOD peuvent palier – sans besoin de légiférer – à la fermeture des salles de cinéma : Paramount Pictures (ViacomCBS) a annoncé que son film « The Lovebirds » sortira directement sur Netflix. Mais c’est une première pour une major d’Hollywood. Autres majors américaines : NBCUniversal (Comcast) sortira « Trolls World Tour » en day-and-date (D&D), c’est-à-dire en salles et surtout en VOD, mais reporte à 2021 « Fast and Furious 9 » ; Disney proposera « La Reine des Neiges 2 » en streaming sur Disney+ et reporte la sortie de son remake « Mulan » ; DC Films (WarnerMedia/AT&T) décale à août « Wonder Woman 1984 ». @

Charles de Laubier