La publicité en ligne est menacée par les règles anti-cookies et la fiscalité numérique

Alors que le marché français de la publicité en ligne enregistre un ralentissement de sa croissance au 1er semestre 2012 et que ses prévisions pour l’ensemble de l’année sont revues à la baisse, son avenir s’assombrit avec la protection des données personnelles et la fiscalité numérique.

Par Charles de Laubier

Selon les prévisions du Syndicat
des régies Internet (SRI), le marché français de la publicité en ligne n’atteindra pas en 2012 les 8 %
de croissance qu’il espérait il y a
six mois. Cela devrait être finalement 6 %, pour atteindre 2,726 milliards d’euros d’investissements publicitaires sur Internet. Ce taux
de croissance est presque la moitié des 11 % de croissance entre 2010 et 2011 (voir tableau ci-contre). La conjoncture économique (1) y est pour beaucoup. « Le digital n’échappe pas au tassement voire au gel des budgets chez certains annonceurs », constate le SRI (2) pour le 1er semestre.

Internet+ et MPME donnent naissance à « Internet+ Box » et « Internet+ Mobile »

Les FAI et les opérateurs mobile français fusionnent leurs kiosques de micro-paiement sur facture – respectivement Internet+ et MPME – pour donner
naissance à « Internet+ Box » et à « Internet+ Mobile ». Objectif : simplifier
en « 2 clics » les transactions et résister face à iTunes et Paypal.

Des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les trois opérateurs mobile français
– en l’occurrence Free, Alice, SFR, Bouygues Telecom et Orange – ont décidé de fusionner leurs solutions de paiement sur facture sous une seule marque : Internet+,
qui se décline désormais en « Internet+ Box » pour les premiers et « Internet+ Mobile » pour les seconds.

Micro-paiements sur factures opérateurs
C’est ainsi que le signe abscons de MPME – pour Micro Paiement Mobile & Enablers – est abandonné à peine plus d’un an après avoir été lancé, durant le premier trimestre 2010. Internet+, lui, est plus ancien puisqu’il a été lancé en juin 2005 par l’Association
pour le commerce et les services en ligne (Acsel) et les FAI. Ces kiosques de paiement en ligne permettent de faire payer l’internaute ou le mobinaute directement en débitant la somme de la transaction sur la facture fixe ou mobile de son (ou ses) opérateur(s). Cette facturation peut porter sur des achats à l’acte allant jusqu’à 30 euros ou des abonnements plafonnés à 5 euros par semaine, voire 30 euros par mois ou par trimestre. Lorsque l’utilisateur choisit Internet+ Box ou Internet+ Mobile, son FAI ou son opérateur mobile est automatiquement identifié. Ces derniers reversent ensuite jusqu’à 90 % du montant des transactions aux fournisseurs de services ou aux éditeurs de contenus. Et ça marche ! En dehors des achats effectués sur des App Stores, ces solutions de paiement sur facture sont encore largement utilisées par les consommateurs français : selon l’Association française du multimédia mobile (AFMM (1)), 58,2 % des mobinautes et
62,1 % des internautes les préfèrent aux autres paiements en ligne (cartes bancaires ou comptes Paypal, iTunes, Amazon Payments, Google Checkout, …). Et selon une étude de l’Acsel réalisée avec le Geste (2) par PriceWaterhouseCoopers en début d’année,
« les moyens de paiement les plus proposés sont les paiements sur facture opérateurs
et la carte bancaire. La césure entre les deux se situe à environ 3 euros ». Résultat : le paiement en ligne sur facture d’opérateur est le premier mode de paiement sur l’Internet mobile et le second sur l’Internet fixe. Les micros montants se situent en moyenne autour de 4 euros, les petits montants autour de 10 euros et les montants moyens autour de
30 euros. Les petits montants représentent en moyenne 58 % des transactions.
En 2010, le paiement sur facture en France a franchi la barre des 500 millions d’euros
de chiffre d’affaires – à 540 millions précisément – grâce à une croissance sur un an
de 15,3 % (3). Mais le paiement par SMS+, ces textos mobiles surtaxés pour payer notamment services ou contenus, occupe à lui seul un peu de plus de 70 % de ces revenus. Les 30 % restants se partagent entre MPME/Gallery (4) (94 millions d’euros)
et Internet+ historique (66 millions d’euros). Internet+ Box et Internet+ Mobile fonctionnent de la même manière en « 2 clics », à ceci près que sur les téléphones portables une étape supplémentaire par SMS (comprenant un « code web » à indiquer lors du paiement) est nécessaire lorsque la transaction se fait hors connexion 3G (via WiFi ou sur ordinateur connecté à une box).
Avec l’explosion des smartphones, Internet+ Mobile devrait continuer à progresser et même à rogner sur l’usage des SMS+ encore largement dominant dans les transactions sur téléphones portables. Cette solution de m-paiement remplace MPME qui était en
fait issu de la plateforme Gallery lancée en juillet 2003 par les trois opérateurs mobiles. Cette galerie marchande, qui référence aujourd’hui plus de 2.000 sites mobiles édités
par 400 entreprises, a donc été scindée en deux début 2010 : d’un côté le moteur de référencement Gallery, de l’autre la partie micro-paiement sans ne plus avoir forcément
à être référencé sous Gallery. Les éditeurs de services réunis au sein du Geste avaient en effet exigé « moins de contraintes éditoriales ». Avec MPME, les niveaux tarifaires
sont plus élevés que le kiosque SMS+ lancé au printemps 2002 et complété au printemps 2006 par les MMS+ (messages courts surtaxés pour les images et les vidéos). Internet+ Mobile.

Mobile versus carte bancaire
Mais les trois opérateurs mobile ne veulent pas se cantonner au micro-paiement. Ils lancent ensemble le 8 septembre Buyster, une nouvelle solution pouvant aller jusqu’aux macro-paiements après avoir associé son numéro de mobile à sa carte bancaire.
La société commune créée au début de l’année avec la SSII Atos Origin a même été agréée en avril dernier par l’Autorité du contrôle prudentiel de la Banque de France en qualité d’établissement de paiement. Est-ce le début de la fin de la carte bancaire ? @

Charles de Laubier

Comment le Cloud computing va décloisonner les droits d’auteurs et la copie privée

Le nuage informatique qui se forme sur les médias et les industries culturelles, pourrait tourner à l’orage et provoquer la foudre sur la gestion restrictive des droits d’auteurs et la « taxe » pour copie privée déjà bien contestée. Débats houleux en perspective au CSPLA.

Consulter tous ses contenus culturels ou ses médias – musiques, films, journaux, radios, chaînes, livres, vidéos, photos, réseaux sociaux, etc. – sans qu’ils soient localisés sur le disque dur ou la mémoire flash de n’importe lequel de ces terminaux
y ayant accès : voilà ce que le « cloud » offre maintenant au grand public. Cette possibilité de dématérialiser le stockage de ce que l’on pourrait appeler sa
« multi-médiathèque » et d’y accéder à distance, quels que soient le terminal, le lieu
et le pays où l’on se trouve, voire en partageant des contenus sur les réseaux sociaux, relève de la boîte de Pandore pour les ayants droits.

Le CSPLA réactivé après deux ans
Les enjeux sont tels que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui s’est réuni le 16 juin, après trois ans d’interruption, a mis le nuage informatique à l’ordre du jour de sa prochaine réunion fixée le 6 octobre. Y participent notamment des représentants de l’Association des services Internet communautaires (Asic) avec Giuseppe de Martino et Benoît Tabaka, ainsi que de la Fédération française des télécoms (FFT) avec Dahlia Kownator (1). C’est d’ailleurs la seule instance parapublique qui réunit ayants droits, producteurs, éditeurs, radiodiffuseurs, télédiffuseurs, plates-formes web, fournisseurs d’accès à Internet, opérateurs télécoms et consommateurs. Une commission sera même créée sur la question du nuage, même
si « cela reste très brumeux (nuageux ?) à ce stade ! », comme l’indique un de ses membres à Edition Multimédi@… Il y a pourtant urgence. Le nuage informatique accélère la mondialisation de la diffusion des œuvres et abolit un peu plus encore les frontières numériques que le Web tentait, tant bien que mal, de préserver au regard des droits de diffusion nationaux (2), la gestion des droits d’auteur se faisant encore pays par pays, par terminaux ou encore par plates-formes. Pour limiter l’accès à des sites web, en raison des restrictions de droits de propriété intellectuelle et des accords de diffusion (3), les éditeurs de services en ligne sont tenus – par les ayants droits – d’identifier tout internaute d’où qu’il vienne de par le monde. Et ce, à l’aide de son adresse IP – pourtant considérée comme une donnée personnelle par la Cnil (4). Le cloud computing à portée de clic pourrait remettre en question ces barrières virtuelles : qu’advient-il lorsque l’on stocke à distance un contenu dans une « ferme » informatique située dans un pays donné où, justement, il n’y a pas de droits de diffusion, ni d’autorisation d’exploitation des œuvres en question ? « Le nuage informatique pose problème sur la chaîne des droits. Il y a un risque », estime Mathieu Gallet (5), président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Une appréhension que partage Maxime Saada, directeur général adjoint du groupe Canal+ : « Des acteurs américains, comme Netflix, ont la capacité d’acquérir des contenus, mais quelles conséquences
sur le partage de la valeur et la chronologie des médias ? ». En tant que représentant d’ayants droits, Pascal Rogard, DG de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) affirme que, au-delà de cette expression « tellement poétique »,
« le nuage informatique pose des problèmes en termes de sécurisation et de création ». Selon lui, « les systèmes de financement de la création vont devoir être adaptés aux technologies et aux usages, mais cela n’est pas nouveau ». Les recettes
du financement des films et des programmes audiovisuels, par exemple, sont gérées
par le CNC (6) et son Cosip (7). Une piste est de « regrouper les sociétés d’auteurs de l’audiovisuel pour pouvoir traiter au niveau de YouTube, par exemple, des licences générales sur l’ensemble des territoires ». Pascal Rogard s’interroge, en outre, sur les limites du nuage au regard de la copie privée : « Pour délocaliser dans le cloud, est-ce que je passe dans le régime des droits exclusifs ? ». La copie privée, cette exception aux droits d’auteur, permet en effet à tout un chacun de reproduire des œuvres dans
le cadre déjà assez flou du « cercle familial », que la jurisprudence a déjà élargi aux
« personnes ayant des relations habituelles » avec la famille. Avec les centres de stockage informatique délocalisés à l’étranger, la copie privée entre dans une troisième dimension. La commission « Hadas-Lebel » pour la rémunération de la copie ira-t-elle jusqu’à taxer le « cloud familial » que Netgem propose aux FAI d’installer dans les foyers ?

Copie privée : taxer le nuage ?
« Le droit ou la fiscalité applicable devrait être celui du pays où s’exerce la prestation et où sont consommés les contenus », estime le DG de la SACD. Pour Microsoft, « c’est au législateur d’être suffisamment agile pour taxer au bon endroit et faire respecter les droits de chacun », lance Jean Ferré, son directeur de la division Plateforme et Ecosystème pour la France. Et pour Frédéric Sitterlé, président de MySkreen, « il faut, avec le cloud, rester sur terre et rémunérer les créateurs ». @

Charles de Laubier

La TV connectée menace les chaînes de télévision et les opérateurs Internet

Le salon est le théâtre d’une bataille inédite pour prendre le contrôle des abonnés équipés d’un téléviseur connecté à Internet. Cet écran interactif bouscule déjà la chaîne de valeur où s’étaient confortablement installés les éditeurs de télévision
et les fournisseurs d’accès à Internet.

Haro sur les téléviseurs connectés. Philips, Samsung, Sony, LG, Sharp, Toshiba, Panasonic ou encore Technicolor : depuis que les fabricants de postes de télévisions commercialisent des modèles connectables et nouent des partenariats éditoriaux
avec des fournisseurs de contenus interactifs (Yahoo, Google, Amazon, Dailymotion, Apple, …), rien ne va plus dans le nouveau paysage audiovisuel français. D’autant qu’il
se sera vendu en France – Noël aidant – quelque 2 millions de téléviseurs connectés cette année, selon les estimations du Syndicat des industries de matériels audiovisuels (Simavelec). Tandis que le cabinet d’études DisplaySearch table sur la vente de
40 millions d’unités dans le monde, toujours cette année.

Les industries culturelles font appel aux internautes pour cofinancer leurs oeuvres

La musique, le cinéma, le livre ou encore la presse auraient-ils trouvé, à travers
les internautes, un nouveau filon pour cofinancer leurs productions ? MyMajorCompany, EditionduPublic, WeareProducteurs, Jaimelinfo, …
Les sites web participatifs se multiplient.

Chaque industrie culturelle a sa propre logique de financement, dans un univers économique et réglementaire qui lui est propre, son mode de production, d’investissement et de subventions : la musique avec sa licence légale et ses minimums garantis, le cinéma avec sa chronologie des médias et ses taxes « Cosip », le livre avec sa loi dédiée et son prix unique, ou encore la presse avec ses aides
d’Etat et sa publicité. C’est dans ce contexte bien établi qu’émerge un nouvel investisseur : l’internaute, celui-là même que les ayants droits soupçonnent d’être
pirate à ses heures ! Si faire appel aux dons du public – financement appelée crowdfunding – reste encore marginal, ce recours est prometteur.

Des œuvres à petits et gros budgets
Le financement collectif a commencé dans la musique avec notamment MyMajorCompany, qui a lancé le chanteur Grégoire devenu l’un des mieux payé en France avec 1,3 million d’euros perçus en 2009. Le 18 octobre, MyMajorCompany a par ailleurs annoncé un concours avec Virgin Radio pour faire émerger de jeunes artistes, dont le gagnant – révélé le 17 décembre prochain – se verra financé par les internautes. Fort de son succès depuis 2007, MyMajorCompany se diversifie dans le cofinancement de livres avec la création en mai dernier de MyMajorCompany Books (1). Les internautes sont appelés à miser jusqu’à 500 euros, le livre étant édité s’il réunit 20.000 euros, puis les coéditeurs se partagent 25 % des recettes.Le site EditionsduPublic.com est, lui, dédié à l’édition participative. Lancé lors du dernier Salon du Livre de Paris, il a dépassé fin juin ses premiers objectifs « avec 60 manuscrits reçus et 15 pitches et extraits de manuscrits en ligne, soumis aux souscriptions ».
Le co-éditeur en ligne peut « miser » à partir de 11 euros par livre qu’il recevra édité chez lui. Pour qu’un livre paraisse, il faut rassembler 22.000 euros, sinon l’internaute est remboursé (2).
Les médias commencent eux aussi à être concernés, à l’instar du site américain
« Spot.us » créé en 2008. En France, le site Jaimelinfo.fr – dont la version bêta est lancée courant novembre à l’initiative de Rue89 – propose aux internautes de soutenir des sites de presse en ligne par des dons « déductibles fiscalement » de 5 à 50 euros ou plus.
Un autre projet du même type vient de voir le jour : Glifpix.fr. Quant au cinéma, il n’est
pas en reste. Il y avait MyMajorCompany, Touscoprod, PeopleforCinema, Indiegogo, MotionSponsor, KisskissBankbank et, depuis juin, YourMajorStudio. Il faut désormais compter avec un poids lourd : WeareProducteurs. Lancé en mai dernier avec EuropaCorp, la société cotée en Bourse de Luc Besson (3), Orange y a investi 3 millions d’euros et misera autant dans l’achat du film ainsi coproduit avec des internautes (4). Dans ce projet, les cinéphiles du Web sont invités à contribuer à hauteur de 10 euros chacun, dans la limite des 5.000 euros (5).
Le premier scénario – dans sa version synopsis – a été « élu » le 12 juillet, pour une sortie du film à l’automne 2011. Il s’agit d’un thriller intitulé « A l’aveugle » (6). Cette nouvelle vague de coproducteurs cinéphiles a de quoi interpeller les ayants droits du Septième art et les pouvoirs publics quant à la prise en compte de cette nouvelle manne venue du Net. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a indiqué à Edition Multimédi@ que « en l’état actuel des choses aujourd’hui, il ne s’est pas saisi réellement du sujet », tout en constatant que cette pratique « reste encore relativement marginale ». De son côté, l’Association des producteurs de cinéma (APC) constate que « le financement maximum à en attendre aujourd’hui (30 à 70.000 euros) est intéressant, surtout pour le développement des films, c’est aussi un petit appoint pour la fabrication ». Mais son délégué général, Frédéric Goldsmith, met en garde :
« Il ne faut surtout pas, en revanche, que les sites promettent monts et merveilles
en termes de retour sur investissement. Il ne faudrait pas que des gens se sentent floués ».

Crowdfunding : boîte de Pandore ?
Reste à savoir ce qu’induira ce crowdfunding dans les industries culturelles. Si les internautes cofinancent des films, ne seraient-ils pas en droit de pouvoir les voir plus rapidement en vidéo à la demande plutôt que d’attendre les quatre mois réglementaires après la sortie en salle ? Luc Besson n’a-t-il pas suggéré de proposer des films sur Internet « juste après » leur sortie (7) ? Dans la production de musiques ou l’édition de livres, l’arrivée des internautes dans la chaîne de valeur pourrait aussi bousculer les habitudes de financement, de retour sur investissement, de propriété intellectuelle, de gestion collective, de responsabilité éditoriale ou encore de consommation des œuvres
en ligne. A suivre… @

Charles de Laubier