E-commerce en Europe : après le règlement « Antigéoblocage », la directive « Contrats numériques »

Le marché unique numérique devient de plus en plus concret pour les Européens. Après le règlement contre les blocages géographiques et celui
sur la portabilité transfrontalière des services de contenus en ligne (« roaming audiovisuel »), les eurodéputés harmonisent les contrats numériques.

« En conjonction avec le règlement visant à mettre fin au blocage géographique injustifié (1) qui est entré en vigueur en décembre 2018, le nouvel accord sur les règles régissant les contrats numériques est la dernière mesure en date de la stratégie pour un marché unique numérique, apportant des avantages concrets aux citoyens et aux entreprises », se sont félicités le 29 janvier à Bruxelles Véra Jourová (photo de gauche), commissaire européenne pour la justice, les consommateurs et l’égalité des genres, et Andrus Ansip (photo de droite), vice-président de la Commission européenne pour le marché unique numérique.

Commerce électronique transfrontalier
Ce jour-là, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne (UE) sont en effet parvenus à « un accord provisoire concernant les ventes en ligne de biens et la fourniture de contenus et de services numériques ». Il s’agit en fait d’un package législatif de deux directives : l’une sur la vente de contenus numériques (directive
« Contenus numériques ») et l’autre sur la vente de biens y compris en ligne (directive
« Ventes de biens »). Ces deux textes doivent encore être adoptés officiellement, puis publiés au Journal Officiel de l’UE. Le but final de ce package « Contrats numériques » est de protéger les consommateurs européens lorsqu’ils achètent des contenus et des biens en faisant du e-commerce, et, à plus forte raison, lors d’achats transfrontaliers au sein des Vingt-huit.
L’objectif est d’harmoniser sur toute l’Europe les contrats numériques entre vendeurs
et acheteurs pour instaurer une confiance mutuelle, quel que soit le pays européen. Ces dispositions s’appliqueront sur le marché européen du commerce en ligne qui,
en pleine croissance, pèse pour plus de 500 milliards d’euros chaque année (2).
« Un accroissement de l’offre de contenus et de biens numériques à travers l’Europe permettra davantage de choix à des prix compétitifs pour les consommateurs, et c’est
là tout l’enjeu du marché unique numérique. En ce qui concerne les entreprises, elles bénéficieront d’une plus grande sécurité juridique et de conditions de concurrence équitables », assurent les deux commissaires. Et de prendre l’hypothèse de contenus numériques défectueux achetés en ligne, tels que de la musique ou un logiciel : les consommateurs pourront désormais être indemnisés ; ils auront également plus de temps pour prouver qu’un article acheté était défectueux au moment de l’achat. Les mêmes possibilités d’indemnisation (3) s’appliqueront dans l’ensemble de l’UE. La directive « Contenus numériques » concerne le commerce électronique vers les consommateur final (B2C) et couvre : les biens dématérialisés vendus sous forme digitale tels que la musique en ligne et la vidéo à la demande ; les services numériques permettant la création, l’exécution et le stockage de données jusque dans le cloud ;
les plateformes numériques permettant le partage de données telles que Facebook, YouTube ou encore Leboncoin ; les supports durables utilisés exclusivement pour le transport de contenus numériques tels que les DVD; les services de communication interpersonnelles en mode OTT (Over-the-Top) comme WhatsApp, Messenger ou Skype ; les contrats de bundle ; les contrats d’exploitation des données personnelles. Bref, tous les contrats numériques sont concernés. Rappelons que, par ailleurs,
un règlement de 2017 sur « la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne » – ce que nous avons appelé « roaming audiovisuel », mais à portée temporaire comme l’exigeaient les industries culturelles (4) – est, lui, entré en vigueur le 1er avril 2018.
Pour justifier les nouvelles mesures adoptées, la Commission européenne regrette
que « le plein potentiel du commerce électronique (…) reste inexploité tant pour les entreprises que pour les consommateurs en Europe ». Bruxelles pointe en outre du doigt « les obstacles importants » transfrontaliers et « la fragmentation juridique »
dans le droit des contrats de consommation, le tout « au détriment du marché unique numérique » (5). Dans son enquête sectorielle de 2017 sur le commerce électronique (6), la Commission européenne a fait état de « certaines restrictions verticales auxquelles sont confrontés les détaillants en ligne ».

Haro sur les restrictions contractuelles
Ces restrictions contractuelles portent d’abord sur les recommandations tarifaires
du fournisseur au détaillant (42 %), suivies des limitations de vendre sur les places
de marché (18 %), les interdictions totales ou partielles de faire des ventes transfrontalières (11 %), les empêchements de vendre tout ou partie sur le site web du revendeur (11 %), la non autorisation totale ou non d’utiliser des comparateurs de prix (9 %), les limitations à la publicité en ligne (8 %) et autres restrictions (4 %). @

Charles de Laubier

Comment gagner de l’argent sur YouTube, qui va atteindre 2 milliards d’utilisateurs dans le monde

YouTube a reversé plus de 3 milliards de dollars – cumulés depuis 2007 – aux ayants droits qui y ont monétisé l’utilisation de leur contenu, dont plus de 800 millions d’euros en Europe où l’on compte 35 millions de chaînes YouTube. Mais les conditions pour gagner de l’argent ont été renforcées.

Alors que YouTube a atteint en 2018 les 1,9 milliard d’utilisateurs par mois, le cap des 2 milliards sera dépassé en 2019. Mais très peu nombreux sont les Youtubers, ceux qui sont reconnus comme tels par la communauté et qui peuvent espérer gagner de l’argent. Wikipedia en recense plus de 400 parmi les plus connus. Mais tous les utilisateurs qui postent des vidéos sur YouTube ne pourront pas être en mesure de les monétiser, surtout que les conditions et les exigences ont été durcies il y a un an maintenant.

YouTube est devenu plus exigent
Dans son livre « YouTubeur » publié le 3 janvier aux éditions Eyrolles (1), Jean-Baptiste Viet (photo) liste les prérequis de la plateforme vidéo pour pouvoir afficher des publicités sur les vidéos qui y sont mises en ligne. Il faut, une fois après avoir activé
la monétisation de sa chaîne YouTube et avoir créé un compte AdSense (la régie publicitaire de Google), « remplir les seuils d’éligibilité à la monétisation », à savoir : cumuler plus de 4.000 heures de visionnage de vidéos au cours des douze derniers mois (soit l’équivalent de 100.000 vues avec une durée moyenne de visionnage de
2 minutes 30) ; revendiquer au moins 1.000 abonnés sur sa chaîne YouTube. « Ces conditions nous permettent d’évaluer correctement les nouvelles chaînes et contribuent à la protection de la communauté des créateurs », justifie de son côté YouTube qui,
plus exigent, a renforcé ses règles de monétisation publicitaire le 16 janvier 2018. Auparavant, il n’y avait quasiment aucun critère préalable pour activer la publicité sur les vidéos postées sur sa chaîne YouTube, à part d’être majeur, d’avoir un compte AdSense et d’atteindre 10.000 vues. « YouTube a eu quelques problèmes avec les annonceurs qui ont exigé des garanties pour avoir des chaînes un petit peu qualitative. C’était très facile d’obtenir 10.000 vues et beaucoup de gens se sont retrouvés en liste d’attente et n’ont pas eu l’opportunité de monétiser leur chaîne », explique Jean-Baptiste Viet dans une vidéo référencée dans la deuxième édition de son livre. En mettant la barre bien plus haute, à au moins 1.000 abonnés, le Youtuber doit être dans une logique de programme avec des rendez-vous réguliers avec les internautes au moins chaque semaine. « Pour atteindre 100.000 vues en un an, il faut avoir du contenu qualitatif. C’est atteignable mais cela demande beaucoup plus d’effort. On dit que
c’est inadmissible car on pénalise les petits créateurs. Oui, c’est vrai, mais ce seuil des 100.000 vues ne va leur coûter que 70 euros », précise l’auteur qui est par ailleurs responsable marketing digital des annuaires en ligne d’Orange. Une fois que la chaîne YouTube candidate à la monétisation publicitaire aura atteint les seuils requis, elle sera « automatiquement examinée » (automatiquement dans le sens systématiquement). Autrement dit, la plateforme vidéo vérifiera que le contenu respecte les « conditions d’utilisation du programme partenaire YouTube » ainsi que le « règlement de la communauté ». Concrètement, relève Jean-Baptiste Viet, « une fois que vous aurez rempli les seuils d’éligibilité à la monétisation, un modérateur chez YouTube viendra vérifier manuellement la conformité du contenu de votre chaîne aux attentes des annonceurs ». Etre ainsi passé au crible par la firme de San Bruno (Californie) peut prendre plusieurs semaines, voire des mois.
Une fois que la chaîne a reçu la bénédiction des modérateurs de la plateforme pour que soient monétisées ses vidéos, YouTube indique alors qu’il versera à l’éditeur « 55 % des revenus nets reconnus par YouTube à partir de publicités affichées ou diffusées par YouTube ou par un tiers autorisé sur les pages de visualisation de votre contenu ou sur le lecteur vidéo YouTube en rapport avec la diffusion de votre contenu ». Jean-Baptiste Viet donne l’exemple de ce que rapporte chaque 1.000 vues où « vous avez à chaque fois 10 % de publicités instream [vidéos publicitaires qui se jouent dans le player avant votre vidéo, pendant votre vidéo ou en fin de vidéo, ndlr] vendues à 190 euros les 1.000 vues, et 25 % de publicités de type bannière vendues à 1 euro les 1.000 vues ». Selon les calculs de l’auteur, cela fait en moyenne 1,25 euros bruts que YouTube va récupérer de l’annonceur : « Vous allez donc toucher 55 % de l’audience monétisée. Soit ici environ 0,70 euros les 1.000 vues. Si votre vidéo tourne à 1 million de vues et est “pubée”, vous toucherez donc 700 euros de revenus publicitaires ».

1 million de vues = 525 euros de revenu net
Mais attention, prévient Jean-Baptiste Viet, ces 700 euros ne sont pas vos revenus définitifs car il reste encore des impôts et des cotisations à payer (environ 25 % de frais supplémentaires à prévoir). Résultat : 1 million de vues peuvent donc vous rapporter
à la fin du mois 525 euros de revenus nets sur votre compte bancaire (4). YouTube insiste sur le fait que ne sont monétisables uniquement « les vidéo, musiques et images dont vous possédez les droits » (5). @

Charles de Laubier

L’Europe aide peu de communes avec Wifi4EU ; la France veut des Wifi territoriaux publics et gratuits

Elles sont 224 premières communes en France à bénéficier de l’aide de la Commission européenne pour déployer des hotspots Wifi publics et gratuits. Mais avec plus de 35.000 communes, l’Etat envisage de favoriser partout des
« Wifi territoriaux » afin d’assurer la cohésion des territoires.

« Grâce au premier appel Wifi4EU, 2.800 communes vont pouvoir offrir à des milliers d’Européens et de visiteurs, dans toute l’UE, un accès gratuit à Internet dans les espaces publics, améliorant ainsi la connectivité des citoyens dans leur vie quotidienne », s’est félicitée Mariya Gabriel (photo), commissaire pour l’Economie et la Société numériques, le 7 décembre dernier. En France, seulement 224 communes sont retenues par Wifi4EU. Mais un deuxième appel à candidatures européen va être lancé « début 2019 ».

L’Europe fait dans le « happy few »
Les communes sélectionnées signent actuellement leur « convention de subvention », avant de pouvoir conclure un contrat avec des entreprises d’installation de Wifi, lesquelles mettront en place les points d’accès «Wifi4EU » dans les espaces publics – « puis obtiendront le paiement du coupon ». Ces points d’accès devront être gratuits et fonctionner pendant au moins trois ans. Ces hotspots seront installés dans les espaces publics tels que les mairies, les bibliothèques, les musées, les parcs, les squares et les autres lieux d’intérêt public (1). « Ces réseaux seront exempts de publicité et ne collecteront pas les données personnelles. Les réseaux faisant double emploi avec des services gratuits privés ou publics existants, garantissant un niveau de qualité similaire, ne pourront pas bénéficier d’un financement », a tenu à préciser la Commission européenne.
Pour autant, le programme Wifi4EU piloté par l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux (INEA) sera limité à 8.000 communes au maximum d’ici à 2020 dans les Vingthuit Etats membres – pour un total de quatre appels à candidatures et une enveloppe globale de 120 millions d’euros. C’est très peu au regard des quelque 89.000 communes que compte l’Europe tout entière. Pour l’heure, les 2.800 premières communes retenues sur le Vieux Continent ont été sélectionnées parmi 13.000 candidatures. C’est dire l’engouement que suscite Wifi4EU, mais aussi la déception
que cela engendre chez les recalés. Et les 224 premières communes françaises à bénéficier du soutien européen – comme Abbeville, Aix-en-Provence, Boulogne-sur-Mer, Cahors, La Roche-sur-Yon ou encore Volvic (2) – ne sont que des happy few par rapport à l’ensemble des 35.000 communes du territoire national. On est encore très loin d’une « connectivité universelle » pourtant promise par la Commission européenne sur le marché unique numérique. En France, le programme Wifi4EU pourrait faire des jaloux entre les quelques communes privilégiées et la plupart des autres qui n’en bénéficieront pas. Alors que le gouvernement fait la chasse aux zones blanches persistantes avec un «New Deal Mobile » signé il y a un an (3) avec les opérateurs mobile (aux engagements de déploiement qui leur sont opposables), tout en visant le très haut débit fixe dans tout le pays d’ici à 2022, voilà que la cohésion numérique des territoires est aussi en souffrance en matière cette fois de Wifi public. Un député, Jean-Luc Lagleize (Modem), avait d’ailleurs interpellé en 2017 Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du Numérique à ce sujet : « Il semble crucial d’accélérer la mise à disposition d’accès publics de haute qualité au Wifi pour tous les citoyens, comme pour les visiteurs. [J’]attire donc son attention sur la nécessité de renforcer et de généraliser les réseaux Wifi et la connectivité dans les espaces publics de toutes les communes françaises ». C’est en 2018 que le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales a pris le relais pour répondre. C’est aussi
la première fois que le gouvernement détaille le projet de « Wifi territoriaux » : « Plus
de 1.600 communes ou groupements de communes ont déjà manifesté leur intérêt
en s’inscrivant sur le portail de Wifi4EU ou en prenant contact avec le commissariat général à l’égalité des territoires, qui assure la coordination de l’ensemble des dispositifs d’appui au développement du Wifi territorial. Nombre de ces communes
ont été sélectionnées dans le cadre du programme “Action cœur de ville”, et un projet de Wifi territorial pourra y soutenir le développement du commerce, du tourisme et l’accessibilité des services », explique le ministère de Jacqueline Gourault dans sa réponse publiée au J.O. du 19 juin dernier (4).

Financer partout des « Wifi territoriaux » ?
Et comme les projets Wifi4EU sont limités en nombre, le gouvernement précise de ce fait que « des financements complémentaires ont été identifiés dans le cadre de la loi de Finances 2018 au titre de la dotation de soutien à l’investissement local et de la dotation d’équipement des territoires ruraux ». Reste à savoir si cela se vérifiera aussi dans le projet de loi de Finances 2019. @

Charles de Laubier

Cinéma, audiovisuelle, jeu vidéo : la réalité virtuelle subventionnée par le CNC cherche son écosystème

Selon nos informations, le CNC a apporté depuis 2015 son soutien financier à
365 projets dits d’« expériences numériques » (réalité virtuelle, réalité augmentée, créations immersives, …) à hauteur de quelque 6,7 millions d’euros. Depuis octobre, un nouveau fonds « XN » leur est dédié.

Si la réalité virtuelle – présente depuis les années 1990 dans des applications plutôt professionnelles – a commencé à s’imposer en France à partir de fin 2014 comme perspective technologique immersive et créative numérique, l’année 2018 est sans doute celle où la VR (Virtual Reality) devient une réalité de marché grand public et un écosystème prometteur, rejoignant ainsi le cinéma, l’audiovisuel et le jeu vidéo. Cette nouvelle industrie culturelle qui émerge concrétise une convergence entre les autres mondes créatifs, arts graphiques et industries de l’image animée déjà existants, en lui apportant une nouvelle dimension.

Du Fonds nouveaux médias au Fonds XN
Depuis près de deux ans, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) soutient financièrement la réalité virtuelle en injectant dès 2015 et 2016 dans une soixantaine de projets 3 millions d’euros via son Fonds nouveaux médias. Depuis, les subventions dans la VR de la part de cet établissement public administratif – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’ont cessé de croître. « Les œuvres immersives, utilisant les technologies de la réalité virtuelle et augmentée, se sont imposées comme le format dominant, en représentant 59 % des investissements : 60 projets, 2,2 millions d’euros investis », indique le CNC dans son rapport d’activité 2017 publié en septembre dernier. Ainsi, l’an dernier, la VR a absorbé 60 % des aides sur une enveloppe totale
de 3,7 millions du Fonds nouveaux médias (1). Ce fonds est doté d’un budget en croissance de plus de 27 % en un an, tandis le nombre de dossiers de candidatures déposés a fait un bond de 26 %.
C’est dans le prolongement de l’ancien Fonds nouveaux médias que le CNC a créé en octobre 2018 le Fonds d’aide aux expériences numériques. D’emblée, ce nouveau fonds est doté de 3 millions d’euros. Surnommé « Fonds XN », il est placé sous la responsabilité de Pauline Augrain (photo de gauche), cheffe du service de la création numérique, lequel regroupe le Fonds d’aide au jeu vidéo, le Fonds nouveaux médias, le Dispositif pour la création artistique multimédia et numérique (Dicréam), et maintenant le Fonds d’aide aux expériences numériques (XN). « Le Fonds XN soutient des œuvres audiovisuelles innovantes fondées sur une démarche de création interactive et/ou immersive », explique le CNC. Ces œuvres immersives et interactives sont définies comme des projets de création audiovisuelle développant une proposition narrative
et destinés à un ou plusieurs supports, lesquels permettent « une expérience de visionnage dynamique fondée sur l’activation de contenus ou par simple déplacement du regard ». Et le CNC de préciser : « Ce champ d’intervention recouvre notamment les œuvres destinées aux technologies immersives (réalité virtuelle et augmentée) et les narrations interactives conçues pour le Web ou les écrans mobiles. Naturellement hybrides et transdisciplinaires, ces œuvres se situent principalement au point de rencontre du cinéma et du jeu vidéo » (2). Le 6 novembre dernier, ont été nommés pour deux ans les membres de la commission du nouveau Fonds XN, dont la présidente, Zabou Breitmann (photo de droite), comédienne, réalisatrice, metteur en scène de métier. Cette commission est en fait dénommée, dans le règlement général des aides financières du CNC, « commission des aides aux œuvres immersives ou interactives » (3). Son vice-président est Nicolas Peufaillit, scénariste. Y siègent également douze membres titulaires, parmi lesquels Anne Careil, responsable marketing stratégique de Sony Pictures (4), Holta Hoxha- Carron, directrice de 1000 Visages Production (5), ou encore James Sénade, directeur des effets visuels (VFX) chez Saint George Studio.
« Intervenant dans le champ du film (Fonds nouveaux médias), du jeu vidéo (Fonds d’aide au jeu vidéo), de l’art contemporain et du spectacle vivant (Dicréam), ces aides offrent un point de vue panoramique et démontrent que la réalité virtuelle traverse bien tous les univers créatifs », relève le CNC qui constate que les projets de films –
d’« inspiration cinématographique » – sont les plus nombreux. Ainsi, 75 % des projets soutenus proposent des narrations immersives fondées sur une démarche documentaire ou une écriture de fiction.

Des habitués : Atlas V, Bachibouzouk, …
La première date limite de dépôt des projets qu’examinera en 2019 cette commission
« XN » nouvellement constituée était fixée au 16 novembre dernier. Prochaine échéance des candidatures : 15 février 2019. Mais les premiers projets aidés par le CNC de réalité virtuelle et/ou de réalité augmentée ne datent pas d’hier car, selon nos calculs, ce ne sont pas moins de 369 projets « XN » qui ont été aidés financièrement par le CNC depuis juillet 2015 – soit sous la forme d’aide à l’écriture et aux auteurs,
soit d’aide au développement et aux producteurs, soit d’aide à la production et aux producteurs.
Parmi les sociétés de production subventionnées (6), l’on retrouve souvent Atlas V (40.000 euros pour « Gloomy eyes », 60.000 euros pour « Vestige » , 35.000 euros pour « Destin », 50.000 euros pour « Evolve Revolve », 180.000 euros pour
« Battlescar », 55.000 euros pour « Le Refuge », 200.000 euros pour « Lights Prodrome », etc.), ainsi que la société Bachibouzouk (25.000 euros pour
« Architectvre », 60.000 euros pour « La Barricade », 65.000 pour « Panama Al Brown, L’énigme de la force », etc.).

Interdisciplinarité, convergence, mixité
Les sociétés de production Cinétévé, Red Corner ou encore Narrative ont aussi été subventionnées (7). « Ces projets, qui se caractérisent par leur diversité (prises de vue réelles ou images de synthèse, différents niveaux d’interactivité…), confirment que la VR est un point de rencontre inédit, particulièrement prolifique, entre des créateurs de culture audiovisuelle et de culture numérique », souligne le CNC. Réalité virtuelle rime avec interdisciplinarité : « Cette mixité va bien au-delà de la convergence entre le film
et le jeu vidéo. Des connexions s’établissent immédiatement avec le spectacle vivant, capable de spatialiser et de chorégraphier la mise en scène, l’architecture qui pense en volume, le son qui joue un rôle clé dans le processus immersif en permettant de guider le regard du spectateur dans une direction ou dans une autre ».
Certaines productions dites « filmiques » en réalité virtuelle se sont même vu octroyer un complément de financement – 590 000 euros en plus investis dans 10 projets en 2017 – par les « aides à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son » (CVS), anciennement « aides aux nouvelles technologies en production » (NTP). A cela s’ajoute le fait que les entreprises qui développent des solutions technologiques innovantes pour les productions en réalité virtuelle peuvent être soutenues – au titre de leur activité de R&D – à travers le Réseau recherche et innovation en audiovisuel et multimédia (Riam), partenariat entre le CNC et Bpifrance. Les société Be Contents, Théoriz, ou encore Reviatech ont ainsi pu en bénéficier entre 2014 et 2016. En 2017, indique le CNC, « une dizaine de projets liés aux technologies immersives et interactives ont ainsi été accompagnés ». Les applications sont variées : il s’agit, par exemple, de concevoir des outils de captation 360° ou des outils de production et post production adaptés aux contenus en réalité virtuelle et aux contraintes inhérentes à ce nouveau format. Le Fonds XN complète en outre les autres dispositifs de soutien à la création audiovisuelle pour le Web que sont le Fonds de soutien audiovisuel des œuvres linéaires (séries digitales notamment) destinées aux SMAd (services de médias audiovisuels à demande) et le Fonds « CNC Talent » destiné aux créateurs vidéos sur Internet (YouTube, Dailymotion, et autres plateformes gratuites).
Au travers de son nouveau Fonds XN, l’établissement public du boulevard Raspail poursuit des objectifs artistiques mais entend aussi favoriser la structuration de cette industrie culturelle émergente : « Les entreprises de productions ont la possibilité d’explorer tous les modèles de financement et de distribution qui permettent de dessiner les contours de ce nouveau marché ». Le marché de la VR et des expériences immersives se structure et devient réalité économique. La deuxième édition du Venice Virtual Reality, section « réalité virtuelle » de la Mostra de Venise, a donné fin août-début septembre un coup de projecteur sur une trentaine d’œuvres en VR, dont huit françaises (« The Horrifically Real Virtuality » par, « Umami », « Spheres : Chorus of the Cosmos », « L’Ile des morts », « Battlescar », « The Roaming – Wetlands », etc.). La France est aux avant-postes de la VR ; le Laval Virtual, grand salon professionnel dédié aux technologies immersives, a fêté ses 20 ans. Aux Etats-Unis, le Sundance Film Festival, le plus grand rendez-vous du film indépendant outre-Atlantique créé il y
a 40 ans, s’est ouvert le premier à la VR il y a près de cinq ans.
La réalité virtuelle n’est pas seulement réservée au cinéma, à l’audiovisuel et aux jeux vidéo ; elle donne une dimension 3D aux musées (Muséum national d’histoire naturelle, par exemple), aux salles de cinéma (Pathé Gaumont Beaugrenelle/La Villette, …), aux édifices du patrimoine (Théâtre antique d’Orange, Rome Reborn, …), aux événements culturels, aux parcs zoologiques (Wild Immersion …), aux reconstitutions historiques, aux complexes sportifs (projet vidéoludique Stadium 2.0 (8), …), ou encore aux parcs d’aventures (Illucity ouvert fin novembre à Paris (9)). L’arrivée de la 5G entre 2020 et 2021 devrait apporter le très haut débit et les faibles temps de latence dont la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont besoin pour fluidifier leurs œuvres immersibles.

Europe Creative, MEDIA et VR
La Commission européenne, par la voie de Mariya Gabriel, commissaire en charge de l’Economie et de la Société numérique, a prévenu en mai dernier que « l’Europe devra se montrer innovante dans ses procédés de narration pour prendre en compte les évolutions récentes (…) comme dans le cas de la réalité virtuelle ». Les aides communautaires sont apportées via le volet MEDIA du programme Europe Creative (10). En lançant « Rift », le premier casque de VR, la société Oculus – rachetée en 2014 par Facebook – n’a pas démocratisé la réalité virtuelle auprès de 1 milliard d’individus (comme le promettait Mark Zuckerberg) mais elle a montré la voie. Sony, Samsung, Microsoft, ou encore HTC s’y sont mis aussi. @

Charles de Laubier

Radio en DAB+ : les grandes radios privées RTL, Europe 1, NRJ et RMC virent leur cuti sur la RNT

Après avoir tiré à boulets rouges sur la radio numérique terrestre (RNT) qu’ils estimaient trop coûteuse et non rentable, les grands groupes de radios privées (Lagardère/Europe 1, M6/RTL, Altice-NextRadioTV/RMC et NRJ) se portent candidats aux DAB+ national. Il était temps.

Pourquoi un tel revirement en faveur de la radio numérique terrestre (RNT) de la part de Lagardère Active (maison mère d’Europe 1), RTL (maintenant aux mains de M6), NextRadioTV (aujourd’hui propriété du groupe Altice) et NRJ Group (toujours détenu par la famille Baudecroux) ? Alors que ces grands groupes privés de radios avaient jusqu’alors voué aux gémonies cette innovation radiophonique, via notamment leur feu Le Bureau de la Radio qui les représentait.

Ce qu’en dit Nicolas Curien (CSA)
« Il y a une raison assez simple à cela : le CSA (sous mon impulsion) a enfin mis en appel les deux multiplex nationaux du DAB+, les seuls susceptibles d’intéresser les grandes radios nationales », a répondu Nicolas Curien (photo) à Edition Multimédi@. L’ancien président par intérim du CSA (février-mai 2018), membre du collège (depuis janvier 2015), poursuit : « Sachant qu’il n’y aurait pas de “session de rattrapage”, que toute la ressource hertzienne numérique nationale était ainsi d’un coup mise au concours, tous les grands groupes ont candidaté car aucun ne pouvait prendre le risque de perdre à terme la composante broadcastde la distribution de la radio, dans un monde tout numérique : avec le DAB+, contrairement à l’IP ou à la 5G, les radios ne sont pas dépendantes des acteurs d’Internet ».
Les éditeurs de services de radio avaient jusqu’au 21 novembre pour déposer au CSA leur dossier dans le cadre de l’appel à candidature pour des fréquences dans la bande dite « III » (1) utilisables sur l’ensemble du territoire métropolitain en technologie DAB+ (voire en T-DMB) pour la diffusion de la RNT. Résultat, les grands groupes privés ont tous viré leur cuti, que cela soit Lagardère Active pour Europe 1, RFM et Virgin Radio, le groupe M6 pour RTL, RTL2 et Fun Radio, le groupe NextRadioTV/Altice pour RMC et BFM Business et BFM Radio (reprise de la chaîne BFMTV) et le groupe NRJ pour NRJ, Chérie, Nostalgie et Rire & Chansons. Ce changement de pied de ces groupes radiophoniques, actuellement dirigés par respectivement Denis Olivennes, Christopher Baldelli, Alain Weill et Jean- Paul Baudecroux, donne finalement raison aux nombreuses radios indépendantes qui ont parié dès le départ sur la RNT (2) qui garantit un son numérique de qualité, d’une grande clarté et sans interférences. L’écoute est largement améliorée par rapport à la FM. « Pour la première fois l’appel à candidature est national avec des coûts de diffusion réduits (1,5 million d’euros). Nous avons considéré que les conditions étaient réunies pour se porter candidat », confie Alain Weill à EM@. Jusqu’alors, son groupe NextRadioTV n’avait eu de cesse avec ceux d’Europe 1, de RTL et de NRJ de discréditer depuis dix ans la RNT pour tenter
de la tuer dans l’oeuf. Leur syndicat professionnel, baptisé « Le Bureau de la Radio », avait tout fait auprès des pouvoirs publics et du CSA pour dire tout le mal qu’ils pensaient de cette diffusion hertzienne de la radio numérique – lui préférant la radio sur le protocole Internet (radio sur IP). Le Bureau de la Radio n’existe plus depuis sa dissolution cette année (3).
La voie est désormais libre pour le DAB+ qui – après Paris, Marseille, Nice, Lille et, à partir de ce mois de décembre, Lyon et Strasbourg – devrait enfin franchir le seuil décisif des 20 % de couverture de la population française. Ce taux de 20 % est, par la loi (4), déclencheur de l’obligation pour les fabricants de postes de radios et autoradios d’intégrer dans les dix-huit mois des puces DAB+. Malgré le retard chronique qui a caractérisé la France et le lancement tardif en juin 2014 des premières émissions en RNT à Paris, Marseille et Nice où on la promettait pour… fin 2009 (5), l’année 2019 marquera enfin la consécration de la RNT sur l’Hexagone. Et ce, pour la plus grande satisfaction des radios indépendantes – dont les membres des Indés Radios (131 radios (6)) et ceux du Sirti (169 radios). A noter que cet appel à candidatures pour le DAB+ métropolitain ne concerne pas les Dom-Tom ni le groupe public Radio France, lequel avance au rythme de l’Etat (7). Ce dernier a déjà préempté en 2016 des fréquences RNT pour Fip à Lille et Lyon (en plus de Paris) et Mouv’ à Strasbourg.
Par exemple, Fip émettre en DAB+ à Lille depuis juin dernier. Mais la réforme de l’audiovisuel public pourrait perturber la poursuite du programme.

Groupe 1981, Radio classique (LVMH), …
Une vingtaine de dossiers « DAB+ métropolitain » ont été déposés auprès du CSA. Parmi les candidats, il y a notamment deux radios du Groupe 1981 (Latina et la création de Yin) ou encore la radio du groupe Les Echos-Le Parisien/LVMH (Radio Classique). Les éditeurs retenus devront couvrir au démarrage au moins 20 % des autoroutes et
20 % de la population, puis augmenter au bout de deux ans leur couverture nationale. @

Charles de Laubier