Le géant français du logiciel Dassault Systèmes a manqué l’occasion de se mesurer aux Gafam

Alors qu’un changement de gouvernance approche pour sa maison mère Dassault, la filiale Dassault Systèmes – numéro un français du logiciel de conception 3D – reste méconnue. « 3DS » (son surnom) est un rare géant européen qui aurait pu rivaliser avec les Gafam en s’adressant aussi au grand public.

Au 23 février 2024, la capitalisation boursière de l’éditeur français de logiciels Dassault Systèmes dépasse à peine les 57,8 milliards d’euros. La pépite du CAC40 est très loin des 1.000 à 3.000 milliards de dollars de capitalisation boursière de chacun des Gafam (Alphabet/Google, Meta/Facebook, Amazon, Apple et Microsoft). Quant aux cours de son action à la Bourse de Paris, elle a chuté de plus de 13 % à la suite de l’annonce, le 1er février, de prévisions décevantes du chiffre d’affaires attendu pour cette année 2024 : entre 6,35 et 6,42 milliards d’euros, en hausse de 8 % à 10 % par rapport à l’an dernier.

Une Big Tech méconnue des Français
Les analystes financiers s’attendaient à mieux. Depuis cette déconvenue, le cours de Bourse de Dassault Système a repris un peu du poil de la bête, mais a rechuté à partir du 9 février (1). Le fleuron français du numérique semble avoir du mal à convaincre les investisseurs, alors qu’il s’agit pourtant d’une entreprise en forte croissance et très rentable : près de 1 milliard d’euros de bénéfice net en 2022 (931,5 millions d’euros précisément), pour un chiffre d’affaires celle année-là de 5,66 milliards d’euros.
Dassault Systèmes est dirigé par Pascal Daloz depuis le 1er janvier, date à laquelle Bernard Charlès (photo)lui a confié la direction générale qu’il occupait depuis 2002 pour s’en tenir à la fonction de président du conseil d’administration après en avoir été PDG – DG de 1995 à 2023 et président du conseil d’administration depuis qu’il a remplacé en 2022 Charles Edelstenne (86 ans). Celui-ci est le fondateur de Dassault Systèmes en 1981, dont il est encore aujourd’hui le président d’honneur, tout en étant par ailleurs président de la holding de la famille Dassault GIMD (2) – sixième plus grande fortune de France, selon Challenges (3) – et président d’honneur et administrateur de Dassault Aviation, dont il fut le PDG (2000- 2013). En quatre décennies, Dassault Systèmes – surnommé « 3DS » – est devenu un géant du numérique en étant pionnier de la conception en trois dimensions (3D) avec son logiciel Catia conçu à la fin des années 1970 chez Dassault Aviation pour la conception assistée par ordinateur d’aéronefs. Depuis, 3DS a déployé dans de nombreux secteurs industriels (aéronautique, défense, automobile, construction, énergie, biens de consommation, architecture, santé, …) ses logiciels de maquette numérique et de modélisation 3D, de gestion 3D du cycle de vie des produits (4), de prototypage virtuel et de « jumeaux numériques », appelés aussi « jumeaux virtuels ». Mais avec ses plus de 22.500 employés répartis dans plus de 130 pays, au service de plus de 300.000 clients dans une douzaine d’industries, force est de constater que la doyenne de la French Tech est méconnue du grand public. Autant les géants américains du Net ont acquis une notoriété auprès de tous les publics, autant Dassault Systèmes reste inconnu pour les particuliers. Avec l’ouverture de la réalité virtuelle au plus grand nombre, bien avant l’avènement des métavers que Meta Platforms (Facebook) tente de populariser depuis l’automne 2021, 3DS n’a pas saisi l’occasion d’adresser directement l’utilisateur final (5). Il y a bien de rares incursions auprès du public comme avec HomeByMe, une application d’aménagement intérieur en 3D pour particuliers – gratuite sur iOS (6) – et architectes (par abonnement, également utilisée par Ikea) pour créer des jumeaux virtuels associant vision à 360° et réalité augmentée. « La version web supporte un mode immersif basé sur webXR qui permet de concevoir l’aménagement en VR avec un casque », indique à Edition Multimédi@ David Nahon, le responsable de l’expérience immersive chez 3DS.
En plein engouement pour la réalité mixte (réalité virtuelle et réalité augmentée), que démocratisent Meta, HTC ou plus récemment Apple avec leurs casques respectifs Quest, Vive et Vision Pro, Dassault Systèmes reste éloigné de ces innovations grand public. Certes, le groupe fournit des briques logiciels 3D aux acteurs de la réalité virtuelle. Mais cela ne se voit pas. De plus, comme « les jumeaux virtuels sont une représentation du monde qui combine modélisation, simulation, données du monde réel et intelligence artificielle » (dixit 3DS), pourquoi ne verrait-on pas Dassault Systèmes s’emparer de l’IA générative pour développer un grand modèle de langage de type LLM (7) pour tous, comme les ChatGPT, Midjourney et autres Gemini ?

La réforme de l’audiovisuel public est devenue le « marronnier » de la macronie, … et l’arlésienne ?

Rachida Dati, la cinquième ministre de la Culture de l’hyperprésident Macron, s’est emparée du marronnier de la macronie : la réforme de l’audiovisuel public. « Un audiovisuel public fort, je vous le dis, c’est un audiovisuel public qui rassemble ses forces », a-t-elle lancé lors de ses vœux 2024.

Delphine Ernotte (présidente de France Télévisions), Sibyle Veil (présidente de Radio France), Marie-Christine Saragosse (présidente de France Médias Monde) et Laurent Vallet (président de l’Institut national de l’audiovisuel) sont sur le qui-vive, depuis que Rachida Dati est ministre de la Culture. Car le plus gros dossier de la locataire de la rue de Valois est la réforme de l’audiovisuel public qu’Emmanuel Macron (photo) promet depuis début 2017 : « Nous rapprocherons les sociétés audiovisuelles publiques pour une plus grande efficacité », avait assuré le candidat d’alors, devenu le 8e président de la République française (1).

Holding « France Médias », le retour ?
Rachida Dati, cinquième (2) ministre de la Culture de l’hyperprésident, a repris le flambeau de cette réforme de l’audiovisuel devenue le « marronnier » de la macronie. « Je partage avec le président de la République la conviction que nous avons besoin d’un audiovisuel public puissant […]. Un audiovisuel public fort, je vous le dis, c’est un audiovisuel public qui rassemble ses forces. C’est pourquoi je souhaite encourager et même accélérer les coopérations entre sociétés […]. C’est aussi à cette condition que nous pourrons obtenir un financement pérenne dédié », a-t-elle prévenu le 29 janvier lors de ses vœux aux acteurs culturels. Car c’est une affaire de gros sous : la redevance audiovisuelle a été payée pour la dernière fois en 2021 par les Français (3,2 milliards d’euros collectés) ; elle a été remplacée par une fraction de la TVA fléchée vers l’audiovisuel public (4 milliards d’euros en 2024).
Mais ce dispositif fiscal ne peut aller au-delà de 2025, ce qui nécessite de voter une loi organique dès cette année, alors que les contrats d’objectifs et de moyens (COM) se terminent cette année et que les nouveaux en phase de négociation prévoient plus de synergies entre les groupes audiovisuels publics. Avant la fin de son second et dernier quinquennat, qui se terminera le 13 mai 2027, Emmanuel Macron va-t-il remettre sur les rails la création de la holding « France Médias » ? Attaché à son « en même temps », le chef de l’Etat – lequel Etat français est actionnaire unique de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde et de l’INA – a changé d’avis entre son premier quinquennat et son second. Le locataire de l’Elysée avait fait sienne ((3) l’idée d’une holding France Médias proposée pour la première fois, en septembre 2015, par les sénateurs Jean-Pierre Leleux et André Gattolin dans leur rapport parlementaire « sur le financement de l’audiovisuel public » (4). Mais la crise sanitaire a fait changer d’avis le président de la République, « la grande réforme » de l’audiovisuel étant sacrifiée en juin 2020 sur l’autel du plan de relance face à « l’urgence économique » (5). Depuis, le Sénat, lui, n’a pas abandonné son idée de holding : en avril 2023, le sénateur centriste Laurent Lafon remettait au goût du jour France Médias. « Cette structure légère et stratégique constituera une étape avant une fusion des différentes entités », précisait le sénateur (LR) JeanRaymond Hugonet, le rapporteur (6) de sa proposition de loi de « réforme de l’audiovisuel public et souveraineté audiovisuelle » (7). Celle-ci fut adoptée par le Sénat en juin (première lecture), est toujours en stand-by à l’Assemblée nationale (en commission des affaires culturelles), et n’attend plus qu’un débat avec… Rachida Dati. Autant sa prédécesseure Rima Abdul-Malak s’était alignée sur Emmanuel Macron pour dire non à France Médias, « une usine à gaz » (8), autant la transfuge de la droite pourrait convaincre le chef de l’Etat de franchir le Rubicon.
Sur France Inter le 31 janvier, la nouvelle ministre de la Culture a dit vouloir « faire cette réforme et vite », en la justifiant : « Si vous voulez le préserver [l’audiovisuel public], dans un monde qui est en bouleversement technologique immense, il faut rassembler les forces. [Une BBC à la française], lorsque je n’étais pas ministre de la Culture, c’était mon idée, c’était ma conviction. Il faut rassembler les forces. Il faut un pôle [audiovisuel public] puissant. Il peut y avoir des fusions, des coopérations, des synergies positives, c’est ça auquel il faut penser » (9).

Du PJL de 2019 à la PPL de 2023
De son côté, Roch-Olivier Maistre, invité de l’Association des journalistes médias (AJM) le 1er février, a rappelé que le CSA qu’il présidait (avant de présider l’Arcom) avait rendu en novembre 2019 au gouvernement « un avis plutôt favorable » sur le projet de loi (PJL) « Communication audiovisuelle et souveraineté culturelle » (abandonné ensuite). A la page 20 de cet avis (10), le CSA « considère que cette société [France Médias] doit assurer un rôle de pilotage stratégique sans interférer avec la gestion opérationnelle quotidienne des filiales ». C’est dans cet esprit qu’est faite la proposition de loi (PPL) « Lafon » de « réforme de l’audiovisuel public et souveraineté audiovisuelle ». @

Charles de Laubier

Fermé et accusé de monopole, Apple consolide son walled garden aux commissions abusives

Apple a délogé Samsung en 2023 de la première place mondiale des fabricants de smartphones. De quoi conforter la marque à la pomme dans son modèle économique verrouillé et contesté. En plus des taxes de 30 % (ou 15 %), une nouvelle à 27 % (ou 12 %) va se retrouver devant la justice. Aux Etats-Unis, bientôt en Europe ?

« La dernière fois qu’une entreprise qui n’était pas Samsung s’est retrouvée au sommet du marché mondial des smartphones, c’était en 2010 [avec Nokia en tête à l’époque, ndlr]. Et pour 2023, il y a maintenant Apple », a indiqué le cabinet d’études international IDC le 15 janvier dernier. « Le succès et la résilience continus d’Apple sont en grande partie imputables à la tendance croissante des smartphones haut de gamme, qui représentent maintenant plus de 20 % du marché mondial, alimentée par des offres de remplacement agressives et des plans de financement sans intérêts d’emprunt », souligne Nabila Popal, directrice de recherche chez IDC.

N°1 mondial pour la toute première fois
Ainsi, le « malheur » de Samsung fait le « bonheur » d’Apple qui a crû sur un marché mondial des smartphones pourtant en déclin de – 3,2 % en 2023 par rapport à l’année précédente. Il s’agit même, constate IDC (1), du volume annuel le plus bas en une décennie, avec 1,17 milliard d’unités vendues l’an dernier. « Apple est le seul acteur dans le “Top 3” à afficher une croissance positive chaque année, […] malgré les défis réglementaires croissants et la concurrence renouvelée de Huawei en Chine, son plus grand marché », ajoute Nabila Popal. Cela dit, pas sûr que la firme de Cupertino (Californie) – pour la toute première fois numéro un mondial des smartphones depuis le lancement de l’iPhone en 2007 – se maintienne longtemps en haut du podium mondial, en raison de l’offensive du fabricant sud-coréen avec la commercialisation, à partir du 31 janvier, de ses nouveaux Galaxy S24 boostés à l’IA (S24, S24 + et S24 Ultra) annoncés des Etats-Unis le 17 janvier dernier (2).
Le monde iOS fermé et verrouillé d’Apple – que Edition Multimédi@ avait surnommé en 2010 l’«”iPrison” dorée » (3) – devra aussi composer avec l’ex-numéro deux mondial des smartphones, le chinois Huawei (4), lequel regagne du terrain malgré son ostracisation par l’administration américaine. Sans oublier l’avancée de quatre autres chinois : Xiaomi (3e position en 2023), Oppo (4e), Transsion (5e) et OnePlus (en embuscade), ainsi que l’espagnol Vivo, ou encore l’américain Google avec ses Pixel (5) – en plus d’être à l’origine d’Android, le rival d’iOS. Pour cette année 2024, le marché mondial des smartphones devrait repartir à la hausse : + 3,5 %, selon les prévisions d’IDC. Apple est dépendant de ses iPhone qui pèsent encore pour 52,3 % de son chiffre d’affaires annuel, soit – sur le dernier exercice clos le 30 septembre 2023 – 200,5 milliards de dollars (sans compter les 28,3 milliards de dollars des iPad ni même les 28,3 milliards de dollars des Mac) sur un total de 383,2 milliards de dollars. Et le modèle économique de l’iOS, basé sur l’App Store lancé il y a plus de quinze ans, est une cash machine qui prélève à chaque transaction les fameux 30 % de commission, lorsque ce n’est pas 15 % dans certains cas – voire maintenant 27 % ou 12 % comme annoncé par la Pomme aux développeurs le 17 janvier (6). Sur ce terrain-là, le groupe dirigé par Tim Cook (photo) – depuis la démission en août 2011 de Steve Jobs (décédé le 5 octobre 2011) – a été sommé par la justice américaine de ne pas empêcher les éditeurs d’applications « iOS » de l’App Store d’orienter leurs utilisateurs vers leur site web et leur propre moyen de paiement. Ces transactions effectuées sur des liens externes pour poursuivre ses achats sur le web sont censées échapper à Apple, alors qu’elles sont tout de même taxées par le fabricant d’iPhone.
Cette commission de 30 % prélevée au passage sur chacune de ces transactions externes lui a valu un procès qui a duré près de quatre ans et qui fut initié par le persévérant éditeur de jeux vidéo Epic Games (« Fortnite »). L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême des Etats-Unis, laquelle avait statué en avril 2023 en faveur d’Apple en ne reconnaissant pas son « monopole » que dénonçait Epic Games. Et le 16 janvier dernier, cette même Cour suprême a rejeté les recours en appel formés par Epic Games et Apple (7). Pour autant, la Pomme devra s’en tenir à l’injonction de deuxième instance (District Court) qui l’oblige à laisser des transactions se faire sur des liens externes.

Epic Games et Spotify comptent sur le DMA
Mais le ver peut être dans le fruit : la firme de Cupertino a trouvé une parade en instaurant une nouvelle taxe de 27 % (ou 12 % pour les TPE) applicables à ces transactions externes, au lieu des 30 % (ou 15 %) qui posaient problème aux éditeurs tiers et à la justice. Aussitôt, le PDG fondateur d’Epic Games, Tim Sweeney, a annoncé le 17 janvier sur X (ex-Twitter) avoir déposé une plainte contre la « mauvaise foi » d’Apple à se conformer au jugement (8). La marque à la pomme voit déjà se profiler un autre front qui remettra en cause son walled garden : le Digital Markets Act (DMA) européen (9), qui entrera en vigueur le 6 mars prochain. Spotify a déjà annoncé le 24 janvier (10) que l’on pourra faire des achats in-app sur iPhone avec son propre moyen de paiement. @

Charles de Laubier

La société américaine Verisign, cotée depuis 25 ans, est la face privée de l’Internet mondial

Internet s’achemine vers les 400 millions de noms de domaine enregistrés dans le monde, ce qui fait les affaires de Verisign. Cette société privée américaine, basée à Reston (Etat de Virginie) et cotée au Nasdaq depuis 25 ans, gère discrètement des pans entiers du Net – dont les « .com » et « .net ».

Cela fait près de 30 ans que la société américaine Verisign tire les ficelles de l’Internet mondial, à l’ombre du gouvernement des Etats-Unis et en coulisse, aux côtés de sa compatriote Icann (1), laquelle – « à but non lucratif et reconnue d’utilité publique » – attribue et administre les adresses et noms de domaine grâce à seulement treize serveurs informatiques dits « racines » (2) répartis sur la planète. Verisign, elle, en opère deux et non des moindres. James Bidzos (photo), dit Jim, qui aura 68 ans le 1er février, en est le PDG fondateur. C’est l’homme invisible de l’Internet depuis près de trois décennies.

Société US privée en coulisses du Net
La société est cotée depuis un quart de siècle au Nasdaq à New-York où sa capitalisation boursière (3) atteint 20,8 milliards de dollars (au 12-01-24). Verisign est à l’origine commerciale de 173,9 millions de noms de domaine en « .com » (160,8 millions) et en « .net » (13,2 millions), dont cette société américaine a le monopole. Ces deux extensions sont très prisées par les sites web et les plateformes du commerce électronique partout dans le monde. Cette exclusivité, sur près de la moitié (48,4 %) des 359,3 millions de noms de domaines enregistrés dans le monde au 30 septembre dernier (4), est confortée par le taux de renouvellement d’environ 75 % de ces noms de domaine cruciaux de l’Internet. Verisign a aussi la mainmise sur d’autres extensions telles que « .edu », « .name » ou encore « .jobs ».
A chaque enregistrement ou renouvellement, Verisign encaissent quelques dollars. A cette rente de situation s’ajoute un rôle déterminant pour la gestion de bases de données de domaines (data centers sur le sol américain) et le bon fonctionnement de l’Internet mondial (200 points de présence dans le monde) : la firme basée à Reston, dans Etat américain de Virginie, opère à elle seule deux des treize serveurs dits « racines » répartis sur la planète pour permettre au « réseau des réseaux » de fonctionner. Rien de moins. Les onze autres serveurs racines du Net sont gérés par la société-sœur Icann, basée, elle, à Playa Vista, dans la banlieue de Los Angeles (Californie) et censée être émancipée de la tutelle étatsunienne à la suite de l’expiration, le 1er octobre 2016, du contrat qui la liait depuis 1998 au département américain du commerce (DoC) via son agence gouvernementale NTIA (5). Cette double emprise des Etats-Unis sur la gouvernance technique de l’Internet n’est pas du goût de nombreux Etats dans le monde, qui demandent une nouvelle gouvernance mondiale de cette infrastructure partagée (6). D’autant que Verisign revendique « le rôle essentiel mais surtout invisible » vis-à-vis du réseau des réseaux. Son périmètre d’intervention dans les coulisses du Net à travers le monde est plus large qu’il n’y paraît. C’est elle qui « aide à maintenir la sécurité, la stabilité et la résilience du système de noms de domaine (DNS) et d’Internet ». C’est elle encore qui veille à éviter les cyberpannes, les cybercollisions et les cyberattaques pourtant en augmentation constante, notamment via le protocole de sécurité DNSSEC pour protéger les données envoyées par les DNS et déployer les clés de sécurité cryptographiques.
Si l’Icann a coupé son cordon ombilical d’avec le DoC/NTIA, il n’en va pas de même pour Verisign qui garde depuis 1998 un lien avec l’administration américaine (7). « En vertu de notre accord de coopération avec le département du commerce des Etats-Unis, le registre “.com” doit demeurer neutre sur le plan du contenu et garantir l’égalité d’accès […]. L’accord de coopération souligne également les spécifications élevées de l’Icann en matière de performances opérationnelles, telles qu’elles sont définies dans l’accord de registre “.com”. Aucun autre registre n’a de telles obligations envers la communauté Internet mondiale », assure Verisign (8). La firme de Reston assure en outre le back-office de plus de 2.000 bureaux d’enregistrement agréés dans le monde par l’Icann, lesquels registrars (9), à leur tour, vendent des noms de domaine aux utilisateurs, individuels ou professionnels. L’empire américain de James Bidzos s’est en outre étoffé par croissance externe, dont la méga-acquisition en 2000 de Network Solutions (« .com », « .net » et « .org ») pour 21 milliards de dollars. En 1999, Verisign avait acquis Thawte Consulting pour 575 millions de dollars, revendu en 2010 à Symantec.

Une cash machine exceptionnelle
Au total, le but lucratif de Verisign porte ses fruits à la grande satisfaction de ses actionnaires. Le groupe aux 900 employés et diversifié dans les services numériques prospère à l’ombre du Net et visait jusqu’à 1,5 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2023, avec un bénéfice net qui pourrait être supérieur aux 673,8 millions d’euros de l’exercice 2022 où le chiffre d’affaires avait été de 1,4 milliard de dollars. La présentation de ses résultats annuels, sur l’an dernier au 31 décembre 2023, est prévue le 8 février prochain. @

Charles de Laubier

OpenSea, l’ex-1ère plateforme d’échanges de NFT, dévalorisée, licencie mais prépare sa version 2.0

Son cofondateur Devin Finzer l’a confirmé : la société Ozone Networks (alias OpenSea), valorisée début 2022 plus de 13 milliards de dollars, licencie. Mais la première plateforme d’échange de NFT va tenter rebondir, sur un marché baissier et face à son nouveau rival Blur, grâce à « OpenSea 2.0 ». « Nous avons pris du recul et repensé notre culture opérationnelle, notre produit et notre technologie, à partir de zéro. Et aujourd’hui, nous réorientons l’équipe autour d’OpenSea 2.0, une grande mise à niveau de notre plateforme – y compris la technologie sous-jacente, la fiabilité, la vitesse, la qualité et l’expérience. Nous aurons bientôt des expériences à partager avec vous. Aujourd’hui, nous disons au revoir à un certain nombre de coéquipiers d’OpenSea. C’est la partie la plus difficile de ce changement », a annoncé le 3 novembre Devin Finzer (photo), cofondateur et directeur général d’Ozone Networks, opérant la place de marché OpenSea (1). Son actionnaire Coatue se désengage Les premières plateformes d’échanges de NFT ont eu leur heure de gloire : OpenSea, Rarible ou encore Objkt. Mais plus encore pour OpenSea, dont la société éponyme a été créée par Devin Finzer et Alex Atallah à New York en décembre 2017. Elle deviendra rapidement la principale place de marché pour les jetons non-fongibles (NFT), assurant à elle seule près de 90 % des transactions au meilleur de sa forme en janvier 2022 – d’après Dune Analytics et Binance Research. A cette date, il y a près de deux ans maintenant, la valorisation d’OpenSea en tant que licorne atteignait son pic, à 13,3 milliards de dollars, après avoir levé 300 millions de dollars pour son financement lors d’un tour de table mené par les capital-risqueurs Paradigm Capital et Coatue Management auprès de plusieurs investisseurs (parmi lesquels Animaco Brands, A16z Crypto/ Andreessen Horowitz, …). Mais sous l’effet conjugué de l’effondrement du marché mondial des NFT l’an dernier (2) et de la remise en cause de sa position dominante par le challenger Blur lancé avec succès il y a un an, OpenSea a perdu de sa superbe. La société newyorkaise Ozone Networks a confirmé le 3 novembre au site spécialisé Decrypt qu’il supprimait la moitié de ses effectifs, passant de 200 à 100 employés (3). De plus, le 7 novembre, le site The Information a révélé que Coatue Management a réduit de près de 90 % sa participation dans le capital d’OpenSea (4). La valorisation de cette ex-« crypto-trésor » (5) ne dépasserait pas 1,4 milliard de dollars, soit environ neuf fois moins qu’en janvier 2022. Le fonds newyorkais Coatue s’est aussi massivement désengagé de la société MoonPay, une fintech dédiée à la crypto et partenaire d’OpenSea. Le marché baissier – bear market, disent les investisseurs – l’est depuis l’éclatement des bulles « NFT » et « Crypto » fin 2021. Au premier trimestre 2022, le tracker canadien NonFungible constatait alors les dégâts sur un an : le nombre des ventes de NFT sur l’ensemble de la blockchain Ethereum – sur laquelle s’appuient de nombreuses plateformes (OpenSea, Rarible, Sorare, Polygon, The Sandbox, Cryptokitties, Audius, Shiba Inu, …) – avait chuté de presque moitié (47 %) à 7,4 millions et le nombre de d’acquéreurs de près d’un tiers (31 %) à un peu plus 1,1 million (6). L’année 2021 restera l’année de tous les records pour les NFT : 27,4 millions de ventes pour 17,7 milliards de dollars, impliquant plus de 2,3 millions d’acquéreurs. Les collections Bored Apes et Cryptopunks ont défrayé la chronique, sans parler de l’œuvre numérique « Everydays: the First 5.000 Days », adjugée aux enchères chez Christie’s le 11 mars 2021 plus de 69,3 millions de dollars (7). Il faut dire que le « krach » du marché des jetons non fongibles (8) s’inscrivait dans un contexte d’inflation, de remontée des taux d’intérêt obligataires et de guerre, impactant aussi le Nasdaq (la Bourse newyorkaise de valeur technologique à forte croissance) et les cryptomonnaies (au premier rang desquelles le bitcoin). En valeur, le record journalier avait été atteint le 24 septembre 2021 avec 224.768 ventes ce jour-là pour une valorisation totale de 78,3 millions de dollars. Quant au nombre de vendeurs ou d’acquéreurs actifs de ces tokens de propriété, c’està-dire les utilisateurs détenteurs de portefeuilles actifs (active wallets), il s’était réduit à beau de chagrin : 12.000 au 26 mai 2022 comparés aux quelque 120.000 de l’automne 2021. Aujourd’hui, le marché mondial des NFT est toujours loin d’être au mieux de sa forme. Son rival Blur prend la tête du marché Cela n’a pas empêché une nouvelle place de marché, Blur, apparue en octobre 2022, de déloger OpenSea de la première place en s’arrogeant – d’après Dune à début novembre (9) – près de 70 % des transactions de jetons non-fongibles. OpenSea a été relégué à moins de 20 % de parts de marché en volume. Parmi les atouts de Blur : une faible commission de 0,5 % prélevée sur les opérations, contre 2,5 % pour OpenSea. Et – d’après The Block – la cryptomonnaie Blur, elle, a bondi après l’annonce des licenciements d’OpenSea pour atteindre une capitalisation de 402,5 millions de dollars (10). En attendant que le marché des NFT rebondisse. @

Charles de Laubier