Taxe pour copie privée : 100 millions d’euros de retard dus par les industriels high-tech !

Le « manque à gagner » pour les ayants droits en France (musique, cinéma, presse, …), au titre de la rémunération pour copie privée, s’élève à 100 millions d’euros. En tête des « mauvais payeurs » : Apple, Sony et Nokia mais aussi Carrefour en tant qu’importateur de produits high-tech.

100 millions d’euros. Ce montant avancé par Pascal Nègre (photo), président d’Universal Music France et
de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), correspond au non reversement – par les industriels et importateurs d’appareils électroniques – de la taxe pour copie privée. Celle-ci est prélevée, à hauteur de 8 % en moyenne du prix TTC, sur les produits high-tech dotés de capacité d’enregistrement et de stockage numérique lors de l’achat : clés USB, smartphones, tablettes, disques durs externes, cartes mémoire, etc (1).

Apple commence enfin à payer
A ces 100 millions, il faut déjà retrancher 12 millions d’euros que vient de payer Apple – le premier « mauvais payeur » de la copie privée en France – à la suite d’une décision du Conseil d’Etat. A part le sud-coréen Samsung qui a toujours reversé sans broncher redevance pour copie privée, de nombreux industriels et importateurs d’électronique grand public refusent ou tardent à payer leur écot. C’est d’abord Apple qui a encore
une ardoise de 40 millions d’euros, sur lesquels la marque à la pomme va encore payer 18 millions d’euros d’ici le mois de mars prochain. En effet, Apple contestait les barèmes appliqués aux tablettes en ne payant pas mais a été attaqué par les ayants droits devant le TGI de Paris, lequel a mis sous séquestre ces 18 millions d’euros au titre des sommes dues pour 2012. Ensuite, il y a Sony Mobile qui serait redevable de près de 10 millions d’euros, suivi de Nokia pour quelques millions encore, et d’autres. S’ajoutent à la liste des récalcitrants Carrefour, en tant qu’importateur de produits high-tech lui aussi. « Nous avons un certain nombre de fabricants et importateurs qui, prétextant des décisions antérieures du Conseil d’Etat [annulant certains barèmes de taxes, ndlr], refusent de payer la redevance pour copie privée. Cela représente 100 millions d’euros environ de retards pour l’ensemble des ayants droits, dont 10 % devrait revenir à la SCPP », précise Pascal Nègre. Mais maintenant que le Conseil d’Etat a rejeté – le 19 novembre dernier (2) – deux requêtes en annulation dirigées contre les décisions n°14 (tablettes) et n°15 (décodeurs-enregistreurs) de la commission pour la rémunération de la copie privée, le monde de la culture compte sur le recouvrement entre 2015 et 2017 des quelque 88 millions d’euros restants encore à régler. « On peut espérer que les juges accéléreront et que cet argent va rentrer », ajoute Pascal Nègre. Et de déplorer : « Les consommateurs, eux, ont payé. Ces 100 millions d’euros pris dans la poche des consommateurs sont maintenant dans celle des fabricants. C’est honteux ! ». En 2013 déjà, SFR et Free avaient réglé ensemble un total de 60 millions d’euros au titre de la copie privée. Cette régularisation exceptionnelle avait permis à la SCPP d’afficher, pour sa part, une recette « copie privée » en forte en hausse l’an dernier. En conséquences, faute du même effet sur 2014, la rémunération pour copie privée accuse à la SCPP une baisse de 13,7 % sur un an. Cela n’empêche pas les recette globales de la taxe « copie privée » de progresser de 4 % sur 2014, à plus de 215 millions d’euros – somme que collecte la société Copie France (3) auprès des fabricants ou importateurs avant de la répartir entre les différents ayants droits : auteurs, artistes-interprètes, créateurs, éditeurs ou encore producteurs. La France,
où la taxe pour copie privée fête ses 30 ans (4), représente même 60 % de l’ensemble des sommes récoltées dans l’Union européenne, selon l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. « Il y a un lobby et des procès contre la copie privée partout en Europe. Il y a une volonté des fabricants de détruire le concept de (taxe pour) copie privée », souligne Pascal Nègre. En France, la Commission pour la rémunération de la copie privée (5) n’en finit pas d’être contestée par les industriels de l’électronique grand public. Depuis sa création en 1985, elle est le théâtre de crises internes récurrentes et ses décisions ont été longtemps annulées par le Conseil d’Etat (6). Et depuis décembre 2012, où cinq membres industriels ont démissionné collectivement, elle ne s’est pas réunie.

Mais que fait donc Bercy ?
« Il appartient au gouvernement de procéder sans délais aux nominations
nécessaires », exige la SCPP. Or depuis un décret de 2009, cette Commission « copie privée » est placée non seulement sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication, mais aussi depuis sous celle du ministère chargé de l’Industrie.
« La difficulté qu’a la ministre de la Culture et de la Communication au niveau de la copie se trouve à Bercy qui freinerait », soupçonne Marc Guez, directeur général de la SCPP. Bercy serait ainsi plus à l’écoute des industriels que ne l’est la rue de Valois… @

Derrière le bras de fer Amazon-Hachette, le livre numérique remet en cause le prix unique

Amazon bouscule le monde de l’édition et la politique du prix unique du livre en voulant vendre moins chers les ebooks par rapport à leurs équivalents imprimés. Des éditeurs et des auteurs se rebiffent. La France monte au créneau. Pourtant, les lecteurs veulent des ebooks plus abordables.

Après la musique et le cinéma, le livre est confronté à la concurrence – voire à la cannibalisation – de ses versions physiques par leurs équivalents dématérialisées.
Le livre imprimé ne sortira à son tour pas indemne de cette révolution numérique, à l’instar des CD ou des DVD pour la musique et la vidéo. C’est inéluctable : les ventes de livres « papier » vont être appelées à décliner au profit des ebooks. Cette dématérialisation induit une désintermédiation qui, là aussi, immanquablement, aura
un effet sur la baisse des prix au profit des consommateurs, étant donné que les coûts d’édition papier, de stockage et de distribution n’existent plus.

Casser les prix des ebooks
C’est sur ces bases qu’Amazon milite en faveur de la baisse des prix des livres numériques, pour les vendre pas plus de 9,99 dollars contre par exemple 12,99 à
19,99 dollars exigés par la filiale américaine Hachette Book Group (HBG) de Lagardère – avec laquelle il est en conflit sur cette question depuis le printemps dernier.
La Commission européenne a annoncé début juin qu’elle examinait ce contentieux, tandis que la France – pays de la « loi Lang » du 10 août 1981 instaurant le « prix du livre » – tire à boulet rouge sur le géant américain du e-commerce.
Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, avait dénoncé – dans un entretien au Monde publiée le 12 août dernier – les « pratiques inqualifiables et anticoncurrentielles » du groupe Amazon. « C’est un abus de position dominante et
une atteinte inacceptable contre l’accès aux livres. Amazon porte atteinte à la diversité littéraire et éditoriale », a-t-elle insisté. C’était deux jours après qu’aux Etats-Unis, dans une tribune publicitaire publié en pleine page dans le New-York Times daté du 10 août, près d’un millier d’auteurs réunis au sein de l’organisation Authors United (1), aient dénoncé les pratiques d’Amazon envers Hachette. Sous la forme d’une « lettre à nos lecteurs », ils s’insurgent contre les discriminations dont ferait l’objet la filiale américaine de Lagardère : « Boycott des auteurs d’Hachette, refus de tarifs réduits, livraisons ralenties, incitation à préférer d’autres auteurs que ceux d’Hachette » (2). Ce fut la réponse du berger à la bergère, Amazon ayant la veille lancé Readers United (3).
Le 18 août, ce fut au tour de plus d’un millier d’auteurs en Allemagne de lancer une pétition contre Amazon (4). Aurélie Filippetti s’était défendue de venir spécifiquement au secours du français Lagardère contre l’américain Amazon. « Les auteurs qui ont signé la tribune [dans le New York Times] ne sont pas tous publiés par Hachette, ils ont simplement conscience de l’intérêt général. Pour ma part, je défends l’écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier », avait-elle précisé.
Ce n’était pas la première fois que l’ex-ministre de la Culture et de la Communication s’en prennait au géant du e-commerce. Dans un entretien au Républicain Lorrain daté du 30 juin 2013, elle avait déclaré : « Je ne cesserai jamais de m’insurger contre ces pratiques [il est alors question de dumping fiscal, ndlr] parce qu’elles sont destructrices d’emploi, destructrices de culture, destructrices de lien social, parce que faire mourir les petites librairies dans les centres-villes, c’est une catastrophe ».

Reste que la question de prix réduits pour les livres numériques par rapport à leurs équivalents papier va continuer de se poser. Pourquoi acheter un ebook à prix unique élevé, alors que son prix de revient est bien moindre que pour l’édition imprimée ?
« Le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 % ou 50 % »,
a expliqué le Centre d’analyse stratégique (5) du Premier ministre, dans une étude publiée en mars 2012 (6). En France, les éditeurs ont obtenu la TVA réduite pour les livres numériques (7) et prétendent appliquer des rabais suffisants sur ces ebooks de l’ordre de 20 %. En toile de fond, c’est la loi de 1981 – il y a 33 ans ! – qui pose problème. Yves Michaud, philosophe, déclarait dans Marianne le 20 décembre dernier : « Le prix unique du livre est un archaïsme (…) à l’époque d’Internet et des tablettes ». Interdire tout discount de plus de 5 % sur les livres, y compris numérique depuis la loi du 26 mai 2011, a-t-il encore un sens aujourd’hui, à l’heure des Internet Natives ? Les pratiques émergentes de streaming, d’abonnement en ligne et d’offres illimitées à des ebooks (Kindle Unlimited lancé en juillet, Izneo, Youboox, …) ne remettent-elles pas ces rigidités tarifaires ? Sans doute.

Combat d’arrière-garde Pour l’heure, la France semble s’être installée dans un combat d’arrière-garde. Le gouvernement a fait voter au Sénat le 26 juin dernier une loi dite
« anti-Amazon » (8) qui interdit à ce dernier de cumuler la réduction de 5 % sur les
prix uniques des livres papier avec la gratuité des frais de port. Du coup, Amazon facture 1 ct d’euro l’envoi ! @

Charles de Laubier

La radio numérique terrestre (RNT) est lancée malgré le tir de barrage des grandes radios privées nationales

Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour discréditer – voire annuler avec le recours
de NRJ devant le Conseil d’Etat – la RNT lancée le 20 juin. Le Sirti, syndicat
des radios indépendantes, en appelle aux pouvoirs publics.

L’Arcep ne comprend pas du tout le coup de blues des opérateurs télécoms européens

A grand renfort d’études (ADL, Greenwich, Roland Berger, Idate, …), les opérateurs télécoms ne cessent de se plaindre sur leur sort en Europe : déclin des revenus, moindre marge, sur-fiscalité, surréglementation face aux géants du Net ou sur-concurrence. Mais nouveauté : l’Arcep les contredit.

Par Charles de Laubier

JLSLa Fédération française des télécoms (FFTélécoms), qui représente la plupart des opérateurs de l’Hexagone hormis Free et Numericable, a de nouveau dénoncé le 28 novembre dernier « de très fortes pressions » auxquelles sont soumis ses membres – Orange, SFR et Bouygues Telecom en tête – en s’appuyant sur une troisième étude d’Arthur D. Little (ADL) sur l’économie
du secteur. Leur message est amplifié auprès de la Commission européenne en pleine révision du « Paquet télécom » (1).

Investissement record et historique
Mais lors du DigiWorld Summit à Montpellier, en réponse à Yves Gassot, directeur général de l’Idate sur « les difficultés que rencontrent les opérateurs télécoms en Europe », le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani (photo), avait déjà pris le contre-pied de ce discours dominant : « Je vais peut-être vous étonner mais le secteur des télécoms en Europe, en tout cas en France, est en très forte croissance de 6 % par an en volume. C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ».
C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ». En valeur cette fois, le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms baisse effectivement dans toute l’Europe (2), mais le régulateur estime que c’est parce que les prix baissent plus vite que les volumes ne s’accroissent. « Mais ce n’est pas une récession car il n’y a pas de baisse de volume. (…) Si les marges ont aussi baissé, elles demeurent quand même importantes. Il y a beaucoup de secteurs dans l’économie qui seraient heureux d’avoir autour de 30 % de marge brut comme pour le secteur des télécoms », a relativisé Jean- Ludovic Silicani,
en rappelant que l’Arcep s’assure que le niveau de marge des opérateurs télécoms leur permettent d’investir pour moderniser les réseaux existants et pour déployer le très haut débit fixe et mobile. « Or, contrairement à ce l’on peut entendre ou lire, le niveau de l’investissement n’a pas baissé en France, mais augmenté pour atteindre un niveau historique record en 2012 de 8 milliards d’euros d’investissements physiques (3). C’est le niveau le plus élevé jamais atteint depuis toujours. C’est historique ! Et au 1er semestre 2013, l’investissement se maintient à un niveau record (4)», a-t-il souligné comme pour tordre le cou aux idées reçues. Face à la sinistrose et aux lamentos des opérateurs télécoms, l’Arcep appelle au contraire à se réjouir de leurs investissements. « Cela veut dire qu’ils ont confiance dans l’avenir. Car ils n’investissent pas pour faire plaisir au gouvernement ou au régulateur ! », a ironisé Jean-Ludovic Silicani.

Amené par Yves Gassot sur « le gap relativement significatif entre le taux d’investissement des grands opérateurs mobile nord-américains et celui constaté en Europe », là aussi le président de l’Arcep a contredit son interlocuteur : « Si l’on fait
la comparaison entre les Etats-Unis et l’Europe, il faut la faire mais bien. Il y avait aux Etats-Unis un retard dans la 3G, qui n’a pas eu le succès qu’elle a eu en Europe, et dans les réseaux haut débit fixe aussi. La situation des Etats-Unis a été de rattraper pour finalement sauter en quelque sorte l’étape de la 3G pour passer de la 2G à la 4G. Cette étape de rattrapage a forcément impliqué un investissement extrêmement important.
Mais si l’on regarde non pas sur deux ou trois ans mais sur dix ans, le niveau global des investissements aux Etats-Unis est strictement identique en France et aux Etats-Unis », at- il nuancé. L’Arcep s’est félicité au passage d’avoir « lâché un lièvre » (dixit) dans la 4G – à savoir Bouygues Telecom (5). Et pour le haut débit fixe d’ajouter : « Est-ce que l’on a envie en Europe d’avoir une offre triple play non plus à 35 euros mais à 70 ou 80 euros ? Est-ce que nous avons envie d’avoir des offres mobile une fois et demie ou deux fois plus chères à qualité égale, faute d’une concurrence suffisante ? Je ne suis pas sûr que cela soit le vœu ni des utilisateurs ni des pouvoirs publics… ». Aux Etats-Unis, la forte concentration du marché télécoms a conduit à détruire plus de 600.000 emplois en dix ans. En Europe, l’Arcep estime qu’il peut y avoir un juste milieu en matière de concurrence des opérateurs télécoms mais en réfutant l’idée qu’il puisse y avoir « un nombre d’or ».

Télécoms : l’Europe a déjà ses « champions »
« Et quand on dit et on répète que l’on aurait des opérateurs nains en Europe et des opérateurs géants aux Etats-Unis, les faits sont faux. A l’heure où nous parlons, les quatre principaux opérateurs européens – Vodafone, Orange, Telefonica et Deutsche Telekom – ont à eux quatre 65 % du marché en Europe. C’est seulement 10 % de moins que les quatre principaux opérateurs télécoms américains. Et Vodafone et Orange ont plus d’abonnés que AT&T et Verizon ! », a-t-il conclu. L’Europe des télécoms a déjà ses
« champions ». @

Charles de Laubier

Entre visibilité et financement, la presse française joue un double jeu avec Google

Google et l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) ont lancé le 19 septembre le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), doté pour trois ans de 60 millions d’euros. Le double jeu de la presse française
avec le géant du Net est à son comble.