Guéguerre entre TF1 et Canal+ : la diffusion en ligne des chaînes gratuites devant la justice

C’est une manie de Maxime Saada, président du groupe Canal+ (Vivendi/Vincent Bolloré) : arrêter la distribution des chaînes du groupe TF1 lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial de diffusion avec ce dernier. C’était arrivé en 2018 ; c’est à nouveau le cas depuis début septembre.

Le groupe Canal+, non seulement éditeur de la chaîne cryptée éponyme mais aussi diffuseur de 150 autres chaînes en France via son service en ligne MyCanal (par ADSL, fibre, câble, …) ou via son TNT Sat (par satellite), n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial avec les éditeurs de chaînes qu’il distribue : il les coupe. En somme, ce sont les téléspectateurs de ces chaînes-là – TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI en l’occurrence – et qui plus est abonnés aux plateformes MyCanal et TNT Sat, qui sont pris en otage. C’est en tout cas un moyen de pression de Canal+ sur TF1 pour acculer à ce dernier à négocier un accord raisonnable.

« Les chaînes gratuites doivent le rester » (Saada)
Maxime Saada (photo de gauche), le président du directoire du groupe Canal+, a justifié dans le JDD du 3 septembre dernier la décision annoncée la veille de « renoncer à la diffusion » des chaînes du groupe TF1 en France. « En 2018, nous avions été contraints de trouver un accord et de rémunérer les chaînes gratuites et les services du groupe TF1. Ce n’est pas faute d’avoir alerté alors sur le risque de voir augmenter sensiblement les demandes à l’échéance suivante, une fois acté le principe de paiement de ces chaînes. C’est exactement ce qui se passe : TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50 % de sa rémunération. Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août [2022], nous n’avions d’autre choix que de couper », at- il expliqué. Ce que reproche aussi Maxime Saada à la filiale audiovisuelle de Bouygues dirigée par Gilles Pelisson (photo de droite), c’est d’exiger que les contenus de TF1 soient visualisés dans sa propre application et non pas dans celle de Canal+. « Or nos abonnés ne souhaitent pas être contraints de multiplier les applications pour visionner leurs contenus », assure Maxime Saada.
Le groupe TF1 ne l’entend pas de cette oreille et a annoncé vouloir porter plainte. « Nous réfléchissons sérieusement aux suites à donner compte tenu du préjudice subi », avait indiqué le 5 septembre à Edition Multimédi@ une porteparole du groupe TF1. Deux jours après, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues confirmait avoir assigné en référé Canal+ devant le tribunal de commerce de Paris. Dans cette procédure d’urgence, la « Une » demande que soit rétablie sans tarder la diffusion de ses chaînes sur le service satellitaire TNT Sat de Canal+. Tandis que de son côté, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, assure une médiation entre les deux parties pour que les chaînes de TF1 soient à nouveau disponibles auprès de millions d’abonnés de Canal+, dont ceux de MyCanal.
Qu’est-ce qui bloque ? Le 2 septembre, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues avait pris acte, tout en le « déplor[ant] fortement », de la décision du groupe Canal+ de « cesser la diffusion de ses chaînes et services ». Et de fustiger : « Canal + n’a pas souhaité conclure un nouvel accord de distribution des chaînes et services du groupe TF1 malgré des semaines de discussions et de négociations, faisant le choix de priver ses abonnés des chaînes et des services qu’ils payent dans leur abonnement » (1). Ce sont donc des millions de téléspectateurs qui reçoivent les chaînes du groupe TF1 via les plateformes de diffusion de Canal+. Cela représenterait pour la filiale télé de Bouygues jusqu’à 15% d’audience en moins. «Nos abonnés ont l’impression d’être pris en otage. Nous les comprenons », compatit Maxime Saada. Les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI sont cependant diffusées – en plus de la TNT (numérique hertzien) – sur les « box » par Bouygues Telecom (la société sœur de TF1 au sein de Bouygues), SFR (Altice), Free (Iliad), Orange, mais aussi par les plateformes Molotov et Salto. Elles sont également accessibles, avec leur service de télévision de rattrapage (replay), sur le site web MyTF1.fr et via l’application MyTF1 pour smartphones et tablettes. Autre argument utilisé par le patron du groupe Canal+ pour justifier le fait d’avoir coupé le signal des chaînes du groupe TF1 : le risque d’être attaqué devant la justice pour diffusion sans autorisation des chaînes de ce dernier. « Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août, nous n’avions d’autre choix que de couper. Nous avons vu ce qui s’est passé avec Molotov, attaqué en contrefaçon par TF1, et nous ne souhaitions pas nous retrouver dans cette situation », a expliqué Maxime Saada.

La jurisprudence « Molotov » (contrefaçon)
La plateforme numérique de télévision Molotov, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, avait en effet perdu deux procès contre respectivement TF1 et M6 pour avoir poursuivi la diffusion de leurs chaînes alors que les accords avec les deux éditeurs de télévision étaient arrivés à échéance – le 1er juillet 2019 pour TF1 et le 31 mars 2018 pour M6. Molotov n’avait conclu en 2015 que des contrats de distribution expérimentaux avec M6 et avec TF1. Faute d’accord pour renouveler ces accords, la plateforme de télévision avait continué à diffuser les chaînes en question, en estimant qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry » dont bénéficient déjà l’hertzien, le câble et satellite (2) – alors pourquoi pas Internet. TF1 et M6 avaient chacun saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Les juges ont rejeté l’argument de Molotov en rappelant qu’en dehors de la diffusion par voie hertzienne – via la TNT depuis 2011 –, il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou par Internet.

Play Media : pas de « must carry » en ligne
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (3) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (4), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 et du groupe TF1. De plus, la même société Molotov a été condamnée à payer à 7millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1 (5) (*) (**).
Auparavant, en 2014, ce fut la plateforme Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, qui avait essuyé les plâtres de la diffusion de chaînes gratuite sur Internet, en l’occurrence celles de France Télévisions qui avait porté l’affaire devant la justice. Le groupe public, qui offrait à l’époque ses chaînes sur son propre service en ligne, Pluzz, avait assigné en concurrence déloyale Play Media pour avoir proposé un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage de ses chaînes sur la plateforme Playtv.fr. Et ce, sans son autorisation. France Télévisions avait obtenu, dans un jugement du 9 octobre 2014, 1 million d’euros de réparation de la part de Play Media pour avoir repris ses chaînes sans son accord. Cette première affaire s’était soldée par le rejet du « must carry » en ligne, après cinq années de procédure et de nombreuses décisions – jusqu’en cassation en juillet 2019 (6). La plateforme Myskreen.com, pourtant épaulée le groupe Figaro et Habert Dassault Finance via la société The Skreenhouse Factory créée par Frédéric Sitterlé (7), avait aussi eu maille à partir avec les chaînes de télévision, qui l’on amené à cesser ses activités et à être liquidée en 2015.
C’est face à cette jurisprudence générée par les France Télévisions, TF1 et autres M6 que le groupe Canal+ n’a pas pris le risque de reprendre les chaînes de TF1 sans autorisation. Pas plus qu’il ne l’avait fait en 2018. Cette année-là, la filiale télé de Vivendi avait coupé le signal de TF1 et porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris sur le différend commercial qui les opposait sur la diffusion des chaînes sur MyCanal et sur CanalSat. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’époque, devenu l’Arcom, ndlr] car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous avait répondu une porte-parole de Canal+ (8). Pour compenser en partie la baisse de ses recettes publicitaires dans un contexte de concurrence grandissante des services de SVOD Comme Netflix, TF1 veut faire payer la diffusion de ses chaînes assorties de services associés, ou premium, tels que replay, vidéo à la demande (VOD) ou encore programmes en avant-première. En 2019, le groupe Altice s’était lui aussi engouffré dans la brèche en demandant à Free de le rémunérer pour la diffusion de ses chaînes. Ce que l’opérateur de la Freebox s’était refusé à faire. Le TGI de Paris a estimé le 26 juillet de la même année que « Free n’a[vait] pas le droit de diffuser sans autorisation BFMTV, RMC Découverte et RMC Story sur ses réseaux » et lui a ordonné « de cesser cette diffusion, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et par chaîne ». Ce jour-là, Free a cessé de diffuser les chaînes gratuites d’Altice, mais en prévoyant de les proposer en option payante. Saisi, le CSA avait considéré que Free n’avait aucune obligation de diffuser les chaînes pour lesquelles Altice est néanmoins en droit de se faire rémunérer (9) (*) (**).
Tout comme TF1 aujourd’hui. A condition que la filiale TV de Bouygues n’abuse pas de sa position dominante – qui serait renforcée si la fusion TF1-M6 en cours d’examen à l’ADLC obtenait un feu vert. « Le groupe TF1 a un sentiment de toute-puissance du fait de sa position dominante, et ce avant même une possible fusion », a dénoncé Maxime Saada dans le JDD. A défaut de pouvoir étendre le « must carry » des chaînes gratuites de la TNT à tous les moyens de diffusion – alors que l’on aurait pu penser le contraire au regard de la neutralité technologique –, TF1 et Canal+ sont condamnés à s’entendre. Soit dans le cadre d’une médiation organisée par l’Arcom, soit devant le tribunal de commerce. A moins que l’ADLC ne se saisisse de cette problématique des chaînes gratuite. N’étant ni la justice ni le régulateur, le gouvernement semble démuni face à ces bras de fer qui se font sur le dos des téléspectateurs.

Contrat privé versus pouvoir public
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak (RAM), a fait parvenir le 2 septembre un courrier au patron de Canal+ qu’elle exhorte : « J’en appelle à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l’intégralité des chaînes de la TNT ». De plus, ajoute RAM, « cette situation n’est pas conforme à l’intention du législateur qui était de garantir une couverture intégrale du territoire par la TNT en obligeant les chaînes de la TNT à mettre leur signal gratuitement à disposition d’un distributeur satellite qui en fait la demande ». La missive n’a pas produit l’effet escompté. @

Charles de Laubier

FTTH : deux propositions de loi « coercitives » envers les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants

Juillet fut dense sur le front du déploiement de la fibre en France, entaché de malfaçons, dégradations, négligences, déconnexions, mises en danger et/ou imprévoyances. Les Assises du Très haut débit et deux propositions de loi mettent les opérateurs télécoms devant leurs responsabilités.

« J’ai du mal, et je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises, à affirmer qu’il [le déploiement de la fibre sur tout le territoire] soit une vraie réussite. Parce que tous ces efforts sont entachés par des problèmes de qualité de réseau fibre, liés d’une part à un manque de contrôle des opérateurs (télécoms) sur les processus de raccordement, et à un déficit de formation et d’équipements des agents intervenant sur le terrain en sous-traitance des opérateurs, et d’autre part – sur certains réseaux bien spécifiques et maintenant bien identifiés – à des dégradations, des malfaçons des équipements rendant les raccordements très délicats », a déclaré le 7 juillet la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière (photo), lors des 16èmes Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates.

Depuis le scandale des « plats de nouilles »
Laure de La Raudière (LDLR) a assuré que le gendarme des télécoms « travaille activement pour mettre les opérateurs devant leurs responsabilités afin qu’ils conduisent les évolutions nécessaires ». Et de mettre en garde Orange, SFR (Altice), Bouygues Telecom, Free (Iliad), Altitude, Axione et les autres opérateurs télécoms intervenant dans le déploiement en France du FTTH (Fiber-To-The-Home) : « Mon attention sur ce sujet ne faiblira pas tant que la situation ne s’améliorera pas. C’est important d’avoir un réseau FTTH partout et de qualité, dans la perspective notamment de la fermeture du réseau cuivre – dont le plan d’Orange nous a été notifié fin janvier de cette année pour se dérouler progressivement jusqu’en 2030 » (1).
En marge de ces 16èmes Assises du Très haut débit, à la Maison de la Chimie à Paris, Edition Multimédi@ a demandé à LDLR pourquoi l’Arcep n’avait toujours pas mis en demeure les opérateurs télécoms dont les manquements sont avérés et connus depuis au moins 2020 – notamment depuis le scandale des « plats de nouilles » (comprenez des sacs de nœuds dans le raccordement des fibres optiques et leurs branchements anarchiques dans les locaux techniques ou les armoires de mutualisation du réseau). La présidente du régulateur des télécoms nous a répondu que « le pouvoir de l’Arcep de mise en demeure et de sanction prévu par la loi vis-à-vis des opérateurs télécoms ne couvre que leurs obligations inscrites à leur cahier des charge respectif », à savoir la qualité des réseaux seulement mais pas la qualité de couverture. Les problèmes de déploiement des réseaux par des sous-traitant n’entrent donc pas dans son champ de compétence. « Il faut faire évoluer la loi pour que l’Arcep puisse intervenir », a ajouté Laure de La Raudière, en présence de Luc Lamirault, député d’Eure-et-Loir, qui l’a remplacée depuis le 22 janvier 2021, quand cette dernière a été officiellement nommée présidente de l’Arcep. A Edition Multimédi@, Luc Lamirault a indiqué que la députée de l’Essonne Marie-Pierre Rixain déposait à l’Assemblée nationale le 8 juillet – soit le lendemain des Assises du Très haut débit – une proposition de loi « visant à responsabiliser les opérateurs en charge du déploiement de la fibre optique » (2). Il fait écho à la même proposition de loi qui avait déjà été déposée à la virgule près par la même Marie- Pierre Rixain le 5 avril dernier (3). Son premier article vise à mieux contrôler l’activité des intervenants dans le déploiement et le raccordement de la fibre optique, en « encadr[ant] leur formation par l’établissement d’une certification obligatoire pour toute personne intervenant sur les réseaux à même de garantir leurs compétences, notamment de raccordement ». Il vise aussi à éviter la sous-traitance en cascade, qui peut atteindre actuellement jusqu’à huit niveaux de sous-traitance, en définissant « des modalités par décret » et en limitant « les rangs de sous-traitance des opérateurs à un niveau défini par décret ».
Son deuxième article ajoute des indicateurs sur la qualité des réseaux déployés au sein du relevé géographique établi par l’Arcep « afin que soit connue la couverture du territoire comme la qualité de la couverture ». En clair, il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’Arcep envers les opérateurs télécoms et de leurs sous-traitants dans de tels affaires de dysfonctionnements dans les déploiements et les raccordements. En cause en effet : les opérateurs télécoms qui ne veillent suffisamment pas à ce que leurs sous-traitants respectent leurs obligations dans le déploiement de la fibre et le raccordement des abonnés.

Les opérateurs « devant leurs responsabilités »
« Malfaçons », « dégradations », « négligence », « déconnexions », «mises en danger d’autrui », « imprévoyances », … La pléthore de griefs envers les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants – digne d’un véritable fibre-gate (4) – perdurent malgré un nouveau contrat national dits « Stoc » (sous-traitance opérateur commercial) qui a été signé par les opérateurs début 2021 dans l’objectif de mieux encadrer ces pratiques. Depuis, la situation ne s’est pas vraiment améliorée sur le front de la fibre optique. « Les opérations techniques sont intégralement sous-traitées sans contrôle, mal rémunérées et, pour certaines, réalisées en dépit des règles de l’art et de la sécurité des personnes », avaient dénoncé dès le 4 avril dernier une trentaine de collectivités locales – membres de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), en lançant un avertissement aux opérateurs télécoms et à leurs sous-traitants. Cette fois, cette organisation présidée par le sénateur (de l’Ain) Patrick Chaize – et fédérant 15 villes, 72 intercommunalités et syndicats de communes, 112 structures départementales et 22 régionales, représentant 67.000.000 d’habitants – est remonté au créneau et y va aussi de sa proposition législative, déposée, celle-ci, au Sénat par Patrick Chaize le 19 juillet dernier (5).

Contestation : l’Avicca aux avant-postes
« Alerte sur les raccordements des Français à la fibre via les réseaux publics », a lancé l’Avicca lors d’une « conférence de presse exceptionnelle » organisée le 7 juillet dans ses locaux à Paris trois heures après la clôture des 16èmes Assises du Très haut débit et à l’issue de son conseil d’administration. « Avec l’Etat, l’Arcep et les collectivités, a déploré Patrick Chaize,nous faisons le triste constat que la situation nationale des réseaux publics fibre optique ne s’améliore pas, malgré nos alertes et demandes réitérées. Pire encore, elle s’est dégradée dans certains territoires qui, régulièrement, appellent à l’aide l’Avicca. Il est intolérable de constater que les investissements réalisés avec de l’argent public se dégradent au fil du temps ». Le plan de bataille de l’Avicca présenté comme « inédit » et « à double détente » consiste en une proposition de loi « visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » et en une enquête parlementaire « éventuelle ». La proposition de loi « à visée coercitive » entend « obliger la filière à changer radicalement ses pratiques ».
Il s’agit de contraindre les opérateurs et leurs sous-traitants à « réaliser les raccordements à la fibre optique dans les règles de l’art et de sécurité, et garantir aux consommateurs leur droit à une connexion Internet de qualité ». Cela consiste aussi à entretenir les équipements nécessaires (armoires techniques, câbles, poteaux, …) pour que les abonnés ne subissent plus de pannes ni de connexions intempestives. « En cas de manquement de leurs obligations de qualité, des sanctions seront prises à leur encontre », prévient le président de l’Avicca. La proposition de loi du sénateur Patrick Chaize (Les Républicains), vice-président de la commission des affaires économiques du Sénat, est ainsi distincte de celle déposée par la députée Marie-Pierre Rixain (Renaissance) et le député Luc Lamirault (Horizons), ces derniers étant membres de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Le but de ces deux textes législatifs est de sanctionner les acteurs de la filière (les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants) en cas de « manquement à leurs obligations de qualité ».
La proposition de loi initiée par l’Avicca et déposée au Sénat prévoit que :
L’opérateur d’infrastructures FTTH peut confier la réalisation du raccordement permettant de desservir l’utilisateur final à un opérateur qui en demande l’accès dans des conditions non discriminatoires. Seront précisés le nombre maximum de rangs de sous-traitance, les règles de prévenance pour les interventions, les exigences relatives à la qualification des intervenants et aux comptes rendus d’intervention, etc (article 1er).
Le titulaire d’un contrat de la commande publique s’assure de la bonne réalisation des raccordements au réseau en fibre optique qui lui est confiée et propose à cet effet qu’au titre de l’exécution d’un marché public, d’une concession et d’un marché ou contrat de partenariat, le versement du prix ou d’une subvention pour compensation d’obligation de service public relatif à la réalisation d’un tel raccordement soit conditionné à la vérification par l’acheteur public ou le concédant, du certificat de conformité (article 2).
Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep – sur tous les opérateurs intervenant sur le réseau – sont renforcés, par plusieurs moyens : pouvoir de police spéciale des communications électroniques, pouvoirs de contrôle technique, pouvoirs d’astreinte, pouvoirs spécifiques sur la qualité des raccordements des utilisateurs finals aux réseaux en fibre optique (article 4).
Reste que pour la première fois en France, le nombre d’abonnés à la fibre jusqu’au domicile ou au local correspond à plus de la moitié (50,2 %) des prises FTTH « raccordables ». Car si les prises FTTH ont été déployées en France à coup de milliards d’investissement pour atteindre au 31 mars 2022 (dernier chiffre en date de l’Arcep) les 30,8 millions de prises, moins de la moitié d’entre elles faisaient jusqu’alors l’objet d’un abonnement (6).

Le FTTH peut devenir un cauchemar
A la fin du premier trimestre 2022, plus de 15,4 millions de prises de fibre optique jusqu’à domicile ont trouvé preneur. Pour autant, le scénario catastrophe peut faire de la fibre optique un cauchemar. Alors que l’extinction progressive du réseau de cuivre « à partir de 2023 » va forcer les 11,6 millions d’abonnés ADSL/VDSL2, à ce jour, à basculer vers la fibre optique. Et c’est depuis fin 2021 que pour la première fois en France le nombre d’abonnements à la fibre optique de bout en bout (FTTH/FTTx) dépasse (7) le nombre d’accès Internet à haut débit et très haut débit sur réseaux cuivre (ADSL/xDSL). @

Charles de Laubier

Transfert des données UE-US : Google et Facebook veulent un accord entre Etats-Unis et Europe

Les deux affaires « Google Analytics jugé illégal » et « Meta menace de quitter l’Europe » ont fait réagir les deux géants du Net concernés par le même problème : le transfert de données « UEUS ». Ils pressent l’Union européenne et les Etats-Unis à se mettre d’accord. Car il y a urgence.

En janvier, la « Cnil » autrichienne (DSB) a jugé que Google Analytics, le service gratuit d’analyse d’audience de sites web ou d’applications mobiles – utilisé par des millions d’éditeurs en Europe – est illégal (1) en raison du transfert vers les Etats-Unis des données des internautes européens et en violation du RGPD (2). En février, la Cnil en France juge à son tour ces transferts de données « UE-US » de Google Analytics illégaux (3).

Près de 20 mois d’incertitude « UE-US »
Tandis qu’au même moment a circulé une rumeur selon laquelle Facebook menace de quitter l’Europe en raison de l’incertitude sur le transfert de données entre l’UE et les Etats-Unis. Entre la précipitation des « Cnil » européennes (du moins en Autriche et en France) envers la filiale d’Alphabet, en jugeant illégal son outil Google Analytics, et la rumeur sur la supposée menace de Meta Platforms (maison mère de Facebook, d’Instagram et de WhatsApp) de fermer ses services en Europe, jamais la situation n’aura été aussi absurde depuis l’invalidation en juillet 2020 du « Privacy Shield » (4) par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Car, depuis, aucun autre accord entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis n’est venu combler le vide juridique sur la question du transfert des données entre la première et les seconds.
Jusqu’à il y a près de vingt mois, les Etats-Unis étaient considérés par la Commission européenne comme un pays ayant un niveau de « protection adéquate » pour les transferts de données à caractère personnel vers des organisations américaines auto certifiées. Mais depuis que la CJUE a annulé le Privacy Shield pour éviter que les services de renseignement américains n’accèdent aux données personnelles des Européens transférées aux Etats-Unis, c’est l’incertitude totale. Et Joe Biden (Washington) et Ursula von der Leyen (Bruxelles) tardent à accorder leurs violons, alors que les enjeux et les conséquences de cette inaction sont considérables pour tout l’écosystème du Web et des mobiles. Dès août 2020, la « Cnil » irlandaise (DPC) avait épinglé Facebook sur les transferts de ses données vers les Etats-Unis au regard du RGPD et préconisait que ces transferts soient « suspendus » en attendant un accord transatlantique : depuis que son recours en justice a été rejeté en mai 2021 en Irlande, le groupe Meta s’attend à une décision finale « dès le premier semestre de 2022 ». Or il faudrait un accord d’urgence entre l’Europe et les Etats-Unis, afin d’éviter que des centaines voire potentiellement des milliers de sites web en Europe ne soient mis en demeure par les « Cnil », comme l’ont été les services en ligne français d’Auchan, Decathlon, Leroy Merlin, Free Mobile, Sephora ou encore Le Huffington Post (5). Il y a aussi urgence pour ne pas pousser la firme de Mark Zuckerberg à mettre à exécution son avertissement mentionné dans son dernier rapport annuel publié le 3 février où la phrase suivante n’est pas passée inaperçue : « Si un nouveau cadre transatlantique de transfert des données n’est pas adopté (…), nous serons sûrement dans l’incapacité d’offrir une partie de nos produits et services les plus significatifs, parmi lesquels Facebook et Instagram, en Europe, ce qui affectera matériellement et négativement notre activité commerciale, notre condition financière et nos résultats opérationnels » (6).
C’est de ce risque évoqué que la rumeur d’une « menace de quitter l’Europe » est partie. Markus Reinisch (photo de gauche), vice-président de la politique publique en Europe chez Meta Plateforms, s’est inscrit en faux le 8 février en démentant cette rumeur : « La presse a rapporté que nous “menacions” de quitter l’Europe en raison de l’incertitude entourant les mécanismes de transfert de données entre l’UE et les États-Unis. Ce n’est pas vrai. (…) Nous ne voulons absolument pas nous retirer de l’Europe, bien sûr que non » (7). Après que son rival Google ait été épinglé par les « Cnil » autrichienne et française sur son Google Analytics, Facebook pourrait être le prochain à être mis en demeure sur son Facebook Connect qui est un outil similaire. « Des mesures correctrices à ce sujet pourraient être adoptées prochainement », a déjà prévenu le gendarme français de la protection des données personnelles.

Rassurer les utilisateurs en Europe
Alphabet et Google, dont le président des affaires publiques et juridiques au niveau mondial, Kent Walker (photo de droite), appelle à un nouveau cadre pour le transfert des données UE-US (8), tente de rassurer ses utilisateurs en Europe et de leur fournir des outils (9) pour identifier les données collectées et leur utilisation : « Nous allons ainsi ajouter des paramètres permettant aux clients de personnaliser davantage les données analytiques qu’ils recueillent. Nous comptons vous donner plus d’informations à ce sujet dans les semaines à venir » (10). A suivre. @

Charles de Laubier

Projet de fusion TF1-M6 : Xavier Niel appelle à la rescousse la Commission européenne

Le président du conseil d’administration du groupe Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), Xavier Niel, estime que la Commission européenne serait bien mieux à même d’instruire le projet de fusion entre TF1 et M6, au lieu de laisser faire l’Autorité de la concurrence.

A défaut d’avoir pu racheter le groupe M6, pour lequel il s’était porté candidat parmi d’autres au printemps dernier auprès du principal actionnaire vendeur, l’allemand Bertelsmann, Xavier Niel (photo) est décidé à mettre des bâtons dans les roues du projet de fusion entre TF1 – filiale du groupe Bouygues qui a été retenue comme l’acquéreur – et M6. L’Autorité de la concurrence, qui n’a pas attendu d’avoir la notification de cette opération pour lancer dès le mois d’octobre (1) les « tests de marché » (2) avec envoi de questionnaires aux professionnels concernés, compte rendre sa décision d’ici à l’été 2022.

Applis mobiles : le duopole d’Apple et de Google est pris en tenaille entre justice et parlement

Les abus de position dominante d’Apple et de Google sont dans le collimateur des Etats-Unis. Un projet de loi « Open App Markets Act » est sur les rails, tandis que le procès engagé par Epic Games contre Google – dans la foulée de celui d’Apple – fustigent de graves pratiques anticoncurrentielles.

D’un côté, la justice. De l’autre, le parlement. Aux Etats-Unis, le duopole de fait constitué au fil des années par Apple et Google n’est plus en odeur de sainteté – si tant est qu’il ne l’ait jamais été. Dans la torpeur du mois d’août, deux dates sont à retenir dans la mise en cause des deux grands magasins d’applications mobiles App Store et Google Play : le 11 août, deux sénateurs démocrates (Richard Blumenthal et Amy Klobuchar) rejoints par un de leurs homologues républicains (Marsha Blackburn), ont déposé un projet de loi intitulé « Open App Markets Act » ; le 19 août, l’éditeur de jeux vidéo Epic Games a déposé une nouvelle plainte contre Google à qui il reproche comme à Apple de verrouiller le marché mondial des applis mobiles.