La blockchain taraude plus que jamais les industries culturelles, les médias et la publicité

Les blocs de chaînes, réseaux de tiers de confiances décentralisés fonctionnant en mode peer-to-peer, pourraient révolutionner la musique, le cinéma, le livre, les médias, la publicité ou encore les jeux vidéo. En France, la réflexion s’intensifie. Miroir aux alouettes ou véritable nouvel écosystème ?

Blockchain rime désormais avec brainstorming. Il ne se passe plus une semaine sans que des colloques, des conférences, des salons ou des annonces ne convoquent la blockchain dans les sujets d’actualité. Par exemple, le 27 novembre prochain, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) – qui compte 119 membres issus des médias et des acteurs du Net, parmi lesquels Edition Multimédia@ – se penche sur des cas d’utilisation de la blockchain.

L’exemple du Groupe Sud Ouest (GSO)
Le Geste, présidé depuis juin 2017 par Bertrand Gié (directeur des nouveaux médias du groupe Le Figaro, où il a été promu il y a plus de six mois directeur délégué du pôle News (1)), réunira ce jour-là les participants professionnels, venus de divers horizons, dans les locaux de Deezer France. Ils vont tenter d’y voir plus clair dans les usages
qui peuvent être faits des chaînes de blocs et sur l’impact possible sur… la chaîne de valeur des secteurs concernés. Et ce, après une présentation en avant-première d’une étude intitulée « La blockchain : solution miracle pour les industries culturelles ? », que NPA Conseil prévoit de commercialiser à partir de décembre. « Tous les métiers sont concernés : créateurs de contenus, médias, sociétés de gestion de droits, régies publicitaires, annonceurs, agences média, pouvoirs publics… Des créateurs aux annonceurs, se fait entendre un besoin de simplification et de confiance restaurée.
La blockchain est-elle le moyen idéal de répondre à ces attentes des industries culturelles ? », s’interroge le cabinet de conseil dirigé par Philippe Bailly.
Autrement dit, les blocs de chaîne peuvent-ils être une solution technologique et économique aux bouleversements numériques qui « ont complexifié les process, les chaînes de valeur et engendré un émiettement des revenus issus de la gestion des droits, de propriété intellectuelle et d’exploitation des œuvres d’une part, de monétisation publicitaire des contenus de l’autre » ? En attendant cette étude, qui analysera aussi les développements internationaux (Amérique du Nord et Europe),
la table-ronde du Geste fera état de cas concrets. Un des use cases sera celui de l’intégration de la blockchain dans les médias avec l’exemple du Groupe Sud Ouest (GSO). Le deuxième plus grand éditeur français de quotidiens régionaux (derrière Ouest-France), présidé par Olivier Gerolami (photo), s’est lancé au printemps dernier dans la blockchain avec une start-up, Inblocks, qu’il finance via son fonds d’accélération Théophraste. Créée en 2017, cette société bordelaise se revendique comme étant
« la première plateforme française de ‘preuve d’existence d’actif’ dans la blockchain » et édite une plateforme en mode SaaS (Software as a Service) permettant la création
et mise en place de blockchains dédiées pour le compte de ses clients. Avec son aide, l’éditeur de Sud-Ouest, de Charente Libre ou encore de Dordogne Libre a mis en oeuvre une première application qui pourrait intéresser non seulement les médias mais aussi toutes les industries culturelles en ligne tenues d’apporter la preuve du consentement de leurs utilisateurs à accepter des cookies, conformément au règlement européen sur la protection des données (RGPD) en vigueur depuis le 25 mai 2018. Avant de déposer dans les terminaux (ordinateurs, smartphones, téléviseurs, …) de tels petits fichiers que d’aucuns considèrent comme des mouchards électroniques, tous les éditeurs de médias et de sites web doivent obligatoirement demander le consentement préalable des internautes et/ou des mobinautes, lesquels peuvent refuser d’être ainsi tracés et géolocalisés à des fins d’usages ou de publicités (lire p. 8 et 9). « Engagé dans une politique de transparence vis-à-vis de ses lecteurs et de ses annonceurs,
le groupe Sud Ouest va stocker les consentements de ses utilisateurs dans une blockchain privée développée par Inblocks dans laquelle il sera le seul à pouvoir
écrire », explique l’éditeur de presse régionale qui considère cette démarche comme un gage de confiance qu’il se devait de donner à ses clients lecteurs et ses annonceurs.

Blockchain versus « opacité » de la pub
« Cela s’appelle le Proof of Consent dans le langage “blockchain”. Immutable, infalsifiable, la preuve de l’historique du consentement pourra être consultée par l’utilisateur. Elle aura une empreinte publique, gage de sa véracité. Elle pourra également servir de preuve auprès du régulateur ». GSA a déjà investi dans une plateforme dite DMP (Data Management Platform), en partenariat avec Google (Analytics), tout en étant actionnaire de l’alliance publicitaire Gravity (2). De la blockchain dans les médias et la publicité, il en a aussi été question lors du colloque NPA-Le Figaro, organisé par le cabinet de conseil le 11 octobre dernier. Jean Luc Chetrit, directeur général de l’Union des annonceurs (UDA) depuis un an, a dit tout
le bien qu’il pensait des chaînes de blocs, après avoir dénoncé « le niveau d’opacité maximal de l’univers de la publicité digitalé » qu’engendrent notamment les nombreux intermédiaires. Celui qui fut auparavant président de l’Union des entreprises de conseil et d’achat média (Udecam), et ancien président de Carat France, fonde beaucoup d’espoirs sur la blockchain en tant qu’outil permettant « la traçabilité, la transparence,
le contrôle et le paiement » des impressions effectivement vues.

Les « AdTech » : AdEx, Varanida, Brave, …
Est sur la même longueur d’onde Benjamin Grange, président de Dentsu Consulting (groupe publicitaire japonais Dentsu Aegis Network) et porte-parole de l’association Crypto Asset qu’il a cofondé cette année dans le but de promouvoir la blockchain et les actifs crypto ainsi que leurs écosystèmes. Selon lui, les chaînes de blocs sont un des moyens de « restaurer la confiance » dans la publicité digitale. « La blockchain est une base de données décentralisée qui n’appartient à personne et dont la principale vertu est d’être un juge de paix totalement neutre et indépendant », explique Benjamin Grange qui voit là « un potentiel de disruption fort pour tous les secteurs » et « la possibilité de création de valeur additionnelle ». Pour le président de Dentsu Consulting, « la blockchain est l’Internet de la valeur car elle permet de recréer de
la rareté » et elle a en outre le potentiel de remettre en cause l’hégémonie des géants du Web qui fonctionnent de manière fortement centralisée et donc inadaptée à la blockchain.
De plus en plus de start-up spécialisées apportent des solutions. Parmi ces « AdTech », entre autres : Varanida qui oeuvre pour « un écosystème digital équitable et
transparent » et « un Internet meilleur grâce une technologie publicitaire décentralisée » (3) ; AdEx qui s’engage à « réduire la fraude et à protéger les données des
internautes » avec sa plateforme de place de marché basée sur la blockchain destinée à « améliorer la connexion entre les éditeurs et les annonceurs » ; Brave qui permet aux utilisateurs de récupérer les tokens générés en utilisant le navigateur éponyme et d’obtenir ainsi une rémunération pour les publicités dont ils autorisent l’affichage ; Papyrus qui est un écosystème publicitaire décentralisé avec lequel les utilisateurs contrôlent les publicités qu’ils voient et les données qu’ils partagent (tout en bloquant les publicités inappropriées et/ou malveillantes), les utilisateurs étant rémunérés pour le partage de leurs données et le fait de répondre aux annonces ; Moonify qui monétise le trafic et l’audience. La blockchain serait devenue « la nouvelle écologie digitale », selon Benjamin Eymere, directeur général depuis dix ans des Editions Jalou, le groupe de presse familial qui publie les L’Officiel, Jalouse, L’Optimum ou encore La Revue des Montres. Au colloque de NPA, il s’est présenté comme ayant « la foi d’un converti » dans ce qu’il voit devenir le standard de « la nouvelle normalité » du marché publicitaire au profit de tous les acteurs, annonceurs, communautés d’utilisateurs et médias – alors qu’il avait auparavant une vision très négative avec le bitcoin. « La blockchain est le moyen de redonner le pouvoir aux communautés, aux utilisateurs, car il me semble anormal que ceuxci ne soient pas rémunérés pour leur data, leur temps, leurs goûts » , a-t-il expliqué en substance. Concrètement, les Editions Jalou ont lancé un système de jetons numériques, les « TasteTokens », qui permettent à ses lecteurs de réaliser des achats auprès de ses annonceurs. Sur 1 euro, 10 centimes sont redonnés aux utilisateurs, afin de « créer un cercle vertueux décentralisé entre marque, lecteurs et monétisation des contenus, car la confiance est dans le code ». Les campagnes de branding et les rémunérations en tokens permettent de récompenser les actions de conversion (4).
En matière de droits d’auteur cette fois, la blockchain permet d’enregistrer différents types de preuves liées à la propriété intellectuelle (5) et de remplacer à terme les bases de données centralisées (ISBN, EAN, ISRC, CNC, …). La Sacem teste la blockchain pour la rémunération des ayants droit. Sony déploie une plateforme de DRM (Digital Rights Management) basée sur la blockchain. Tron, spécialiste de la blockchain, a racheté la société BitTorrent réputée dans le peer-to-peer (6). La start-up Bandnamevault propose aux artistes de protéger la paternité d’un nom de groupe dans une chaîne de blocs. Les photos peuvent aussi être protégées (Binded, Monegraph, Verisart, …).

Des droits d’auteur et de la désintermédiation
Au-delà, c’est la désintermédiation des industries culturelles qui se profile (Bittunes, Vevue, Streamium, …), où les auteurs, artistes et réalisateurs pourraient distribuer et monétiser eux-mêmes leurs œuvres. Sans parler de la lutte contre le piratage grâce
à la blockchain, que promeuvent la Commission européenne et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EU IPO) avec le notamment le
« Blockathon » (7) qu’elles ont organisé à Bruxelles en juin dernier. @

Charles de Laubier

Après l’Internet ouvert dans les télécoms, l’Arcep prône un « audiovisuel ouvert » dans le numérique

Vous avez aimé la neutralité de l’Internet dans les réseaux ? Vous adorerez la neutralité des terminaux dans l’audiovisuel. C’est en substance ce qu’explique
le gendarme des télécoms dans un avis rendu début octobre. Si la régulation ne suit pas, les chaînes et les OTT pure players pourraient être pénalisés.

L’avis que le président de l’Arcep, Sébastien Soriano (photo), a signé le 2 octobre dernier et remis à l’Autorité de la concurrence,
à la demande de cette dernière, est une mise en garde sur la tournure prise par le marché de l’audiovisuel en pleine révolution numérique. S’il n’est question, dans cet avis d’une vingtaine de pages, qu’une seule fois de « neutralité d’Internet », il mentionne
en revanche à plusieurs reprises la notion d’« Internet ouvert » telle qu’elle avait été retenue par le Parlement européen dans le règlement « Open Internet access » du 25 novembre 2015 (1).

De l’Internet ouvert à l’audiovisuel « ouvert »
Partant du constat que les OTT pure players – tels que YouTube, Netflix, Amazon Prime Video, Facebook Watch ou encore, toutes proportions gardées, Molotov – prennent une importance grandissante dans le paysage audiovisuel désormais transnational, l’Arcep rappelle que « l’acheminement du signal est par ailleurs régi
par le règlement pour un Internet ouvert, qui (…) garanti[t] une forme d’universalité dans l’accès et la mise à disposition d’informations en ligne ». Chargé de veiller à l’application de ce règlement « Internet ouvert » en France, le régulateur des télécoms souligne qu’il s’agit d’imposer « un principe de non-discrimination dans l’acheminement du trafic, sous réserve d’un cadre précis d’exceptions définies pour la gestion de trafic et les services spécialisés ». En clair, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne peuvent pas mettre en place de traitement particulier au signal ainsi transmis. Autrement dit, ils n’ont pas le droit d’empêcher ou de brider l’accès des utilisateurs aux services OTT.
Pour autant, l’Arcep ajoute (dans une note de bas de page) qu’également « [les FAI] ne peuvent prévoir de garantie spécifique en termes de qualité de service pour [ces OTT], à l’inverse des offres télévisuelles des FAI ». Mais l’Internet ouvert réglementé depuis trois ans maintenant ne concerne pas seulement les OTT pure players, mais aussi les chaînes de télévision traditionnelles qui ne sont plus seulement diffusées par voie hertzienne, par câble ou par satellite, mais elles aussi sur les réseaux IP pour être visionnées sur un terminal. C’est là que le bât blesse, selon l’Arcep qui a fait de la neutralité des terminaux son cheval de bataille depuis… 2010 (voir encadré page suivante) : « Si le règlement pour un Internet ouvert garantit un transport neutre du signal par les FAI (sauf cas précis) et donc une totale liberté de choix du contenu,
il n’en est pas de même pour les terminaux qui ne sont pas soumis à ce principe d’ouverture ». Depuis l’an dernier, le gendarme des télécoms pointe du doigt Google (Android) et Apple (iOS) pour défaut de neutralité de leurs terminaux (2).
Les utilisateurs se retrouvent non seulement captifs d’un écosystème malgré eux,
mais en plus ils ne peuvent avoir accès à tous les contenus qu’ils souhaiteraient.
« Smartphones, tablettes, assistants vocaux, … : les terminaux, maillon faible de l’Internet ouvert », tel est le titre explicite du rapport que l’Arcep a publié mi-février
2018 en renvoyant le problème à la Commission européenne (3). Cinq mois après, mais sans qu’il y ait quelconque lien de cause à effet, cette dernière a infligé à Google une amende de 4,34 milliards d’euros pour violation des règles de concurrence de l’UE avec son écosystème Android jugé coupage de restrictions protégeant illégalement la position dominante du géant du Net dans la recherche sur Internet. L’exécutif européen a notamment jugé illégal le fait que Google Search et Google Chrome soient préinstallés « en exclusivité » sur les smartphones utilisant Android (4).
Cette fois, c’est dans l’audiovisuel que l’Arcep fait part de sa préoccupation et en particulier vis-à-vis des TF1, M6 et autres France Télévisions. « Les chaînes de télévision n’ont ainsi pas la garantie de voir leurs contenus OTT être disponibles sur
ces appareils, notamment si une politique éditoriale contraignante est appliquée par le fabricant de terminal », prévient le régulateur des réseaux.

Terminal, assistant vocal, enceinte connectée, …
Les fabricants de terminaux aux écosystèmes englobant matériel et logiciel – parmi lesquels Samsung, numéro un mondial des smartphones (qui plus est fonctionnant sous Android de Google), Apple (avec iOS, iTunes et son App Store) ou d’autres comme Huawei (système d’exploitation Emui, basé lui aussi sur Android), voire Google lui-même avec ses smartphones Pixel, sont dans le collimateur. « Ces acteurs pourraient, selon l’Arcep, devenir des interlocuteurs incontournables pour les chaînes de télévision dans les années à venir » en raison de « l’amélioration de la qualité de service des réseaux et le développement d’outils permettant de diffuser les flux multimédias de l’Internet général sur les écrans de télévision (ou d’autres supports) ». Et le gendarme des télécoms de prévenir : « Les assistants vocaux et les enceintes connectées, en plein essor, emportent les mêmes problématiques. Le référencement
et la visibilité seront alors des enjeux majeurs »
.

Inquiétude pour les chaînes de télé
Le risque est que les terminaux ou les périphériques connectés puissent bloquer ou avantager l’accès à certains contenus et/ou services, surtout s’ils sont préinstallés dans les appareils en question. A cela s’ajoute le fait que les fabricants de terminaux ne sont pas très nombreux sur le marché (Samsung, Huawei, Apple, Google , … ) , avec une force de frappe mondiale (5) : l’Arcep estime qu’ils sont susceptibles à terme de disposer d’un pouvoir de marché important, et qu’ils peuvent également être verticalement intégrés avec des services audiovisuels en concurrence directe ou indirecte avec les chaînes de télévision. « A terme, c’est le risque de restrictions dans la liberté de choix des utilisateurs en contenus audiovisuels qui pourrait se manifester. (…) Une action de régulation doit être portée dès à présent sur ces nouveaux acteurs dont l’essor pourrait conduire à un futur goulet d’étranglement pour les services audiovisuels. Une régulation horizontale (et donc non fragmentée) de l’ensemble des terminaux serait ainsi souhaitable, dans l’esprit de l’application du principe d’internet ouvert aux réseaux de télécommunication », considère le président de l’Arcep, signataire de l’avis rendu à l’Autorité de la concurrence.
Cette notion de « liberté de choix » des utilisateurs en contenus audiovisuels pourrait notamment être mise à mal par les assistants vocaux tels que Alexa d’Amazon, Assistant de Google ou encore Siri d’Apple, popularisés par ces mêmes acteurs avec leurs enceintes connectées respectives – Echo d’Amazon, Home de Google ou encore HomePod d’Apple (6). « Le type de contenus vers lesquels ces outils [véritables télécommandes, avec, notamment, l’arrivée des enceintes connectées] choisiront de rediriger les utilisateurs suite à une commande vocale pourrait s’avérer crucial pour
les acteurs audiovisuels. La place prépondérante des propositions renvoyées par les assistants virtuels, notamment via des partenariats commerciaux, pourrait soulever des enjeux concurrentiels et impacter la liberté de choix des utilisateurs. Certains acteurs
de l’audiovisuel se sont d’ailleurs rapidement positionnés pour offrir directement leurs services par le biais des enceintes connectées », explique le régulateur des télécoms. Pour lui, ces évolutions pourraient être contraires à la liberté de choix des utilisateurs dans leur consommation de contenus et empêcher les chaînes de continuer à être accessibles au plus grand nombre. Ainsi, dans l’annexe 2 de son avis (7), l’Arcep propose de clarifier le champ de l’Internet ouvert en posant un principe de liberté de choix des contenus et applications, quel que soit le terminal.

Lever les restrictions imposées
Cela pourrait passer notamment par « lever plus directement certaines restrictions imposées par les acteurs-clefs des terminaux » : permettre aux utilisateurs de supprimer des applications préinstallées ; rendre possible une hiérarchisation alternative des contenus et services en ligne disponibles dans les magasins d’applications ; permettre aux utilisateurs d’accéder sereinement aux applications proposées par des magasins d’applications alternatifs, dès lors qu’ils sont jugés fiables ; permettre à tous les développeurs de contenus et services d’accéder aux mêmes fonctionnalités des équipements ; surveiller l’évolution des offres exclusives de contenus et services par des terminaux. @

Charles de Laubier

Gouvernance : l’Internet est à la croisée des chemins

En fait. Du 12 au 14 novembre, se tiendra le 13e Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI), au siège de l’Unesco à Paris, organisé sous la tutelle de l’ONU. Cette année, le thème est « The Internet of Trust » (l’Internet de confiance). Mais ironie étymologique, « trust » veut aussi dire monopole…

Radio France : Sibyle Veil n’abandonne pas le projet de « radio sur mesure » initié par Mathieu Gallet

Mathieu Gallet en avait rêvée pour 2018 ; Sibyle Veil va la faire d’ici 2022 : la radio sur mesure va transformer à l’avenir de Radio France. Cette « radio personnalisée » s’appuiera sur les sept stations du groupe, les comptes-utilisateurs des internautes et l’exploitation de leurs données. Mais il reste à financer le projet.

Il y a un an maintenant, l’ancien président de Radio France, Mathieu Gallet, lançait la plateforme « Un monde de Radio France » offrant une sélection d’émissions de radio en replay issues des programmes de Franceinfo, France Inter, France Bleu, France Culture, France Musique, Fip et Mouv. Et ce, avec la promesse faite aux auditeurs et internautes de pouvoir « se composer leur radio sur mesure dès 2018 » – dixit Mathieu Gallet (1). Cette radio sur mesure devait être lancée par Radio France au premier trimestre de cette année, avec la possibilité pour chaque internaute de créer son compte et sa propre grille de programmes à partir des émissions des sept stations du groupe public. Mais la révocation de Mathieu Gallet en janvier (2) par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lequel a ensuite nommé en avril sa successeuse Sibyle Veil (photo), n’a pas permis de mener à bien ce projet ambitieux de radio personnalisée. Il y a aussi la complexité du projet et le montant de l’investissement en technologies et infrastructure qui ont renvoyé à plus tard le lancement d’une telle plateforme radiophonique interactive. D’autant que la Maison Ronde est dans une période de restriction budgétaire exigée par l’Etat actionnaire, avec un retour à l’équilibre espéré cette année dans le cadre de la « trajectoire du COM 2015-2019 ».

Comptes-utilisateurs, personnalisation, data, publicités ciblées, …
« Pour l’instant, la personnalisation n’a pas été faite car cela nécessite des équipements très importants. On y travaille avec des start-up [telles que Les Croissants, Radio France étant par ailleurs partenaire de l’incubateur Creatis Media et présent à Station F, ndlr] afin de pouvoir créer des comptes-utilisateur qui permettent de collecter les données d’usage des internautes pour personnaliser les contenus. Cela nécessite techniquement de l’investissement », a expliqué Sibyle Veil devant l’Association des journalistes médias (AFM) le 5 juillet dernier, pour justifier le retard mais en restant vague sur le calendrier de lancement. « C’est un travail sur les trois prochaines années », a-t-elle indiqué. « La radio personnalisée est complexe à faire techniquement. C’est une vraie priorité pour les prochaines années », a-t-elle cependant assuré.

Radio France fait alliance avec la Chine
La présidente de Radio France observe de près ce qui se fait à l’étranger.
« J’étais en Chine récemment où j’ai été voir des radios qui commencent à le faire. On en est aux prémices parce qu’il faut un lien plus direct avec l’internaute et une interaction. Cela suppose un investissement technique et une infrastructure, ainsi qu’une collecte et une analyse de données issues de ces comptes-utilisateur ». Selon nos informations, Sibyle Veil s’est rendue du 22 au 24 juin en Chine – avec une délégation du Premier ministre – où elle est restée une matinée entière à la radio de Shanghaï, SMG Radio, du groupe audiovisuel public Shanghai Media Group (réunissant télés et radios publiques), afin de constater leurs avancées dans ce domaine. A noter que Radio France a intégré en juin le Comité France Chine (CFC).
Mais la radio personnalisée va coûter de l’argent. C’est aussi le message que Sibyle Veil a fait passer auprès des députés et des sénateurs lors de ses auditions respectives des 13 et 6 juin derniers. En creux, le projet de radio sur mesure est suspendu au futur cadrage budgétaire de l’audiovisuel public et surtout à la dotation qui sera votée dans le projet de loi de Finances pour 2019 à l’automne. Celle qui fut auparavant directrice déléguée en charge des opérations et des finances de Radio France table sur « un chiffrage pluriannuel » pour mettre en oeuvre sa stratégie dans le temps et avec une visibilité d’ici à 2022. La nouvelle PDG de la radio publique veut s’inscrire dans la durée – y compris dans le numérique en faisant référence à « la stratégie de long terme de Jeff Bezos sur Amazon ». Et ce, malgré la vaste réforme immédiate de l’audiovisuel public qu’a initiée le président de la République, Emmanuel Macron. Elle a d’ailleurs confié devant l’AJM avoir gardé « une relation d’amitié d’école qui ne va pas au-delà en termes professionnel » – depuis l’ENA d’où ils sont sortis de la même promotion Senghor (2002-2004). Quoi qu’il en soit, son mandat de présidente de Radio France est d’une durée de cinq ans et le projet ambitieux de radio personnalisée est en bonne place dans son projet stratégique 2018-2023 qu’elle a présenté en avril au CSA juste avant d’être retenue (3). A l’heure du Net, le secteur de la radio va être amené à basculer dans le monde de la data et des algorithmes de recommandation. « La personnalisation de la relation avec l’internaute va reposer sur l’exploitation des données d’usage produites à chaque interaction et agrégées au profil de chaque utilisateur.
Pour pouvoir offrir un espace de personnalisation, Radio France devra accentuer ses efforts de recherche et de développement sur l’exploitation de ces données. L’objectif est (…) que l’auditeur/internaute qui entre par un type de programme ou par une marque se voit offrir l’accès à l’univers plus large des contenus de la radio publique », avait-elle expliqué au régulateur de l’audiovisuel, en mentionnant la plateforme « Un monde de Radio
France » mise en place par son prédécesseur pour y parvenir. Cela suppose pour la Maison Ronde de se lancer dans l’analyse des données d’usage nécessaires pour faire des recommandations susceptibles d’enrichir l’écoute, et ce dans un esprit de « prescription culturelle » et de « média de service public ».
« Cela implique de travailler sur un algorithme intelligent ou sur un outil de recommandation ouvert (comme la radio américaine Pandora) paramétré pour ne pas polariser l’usager sur ses seuls centres d’intérêt (4) », avait-elle précisé.
Mathieu Gallet, lui, prenait volontiers en exemple ni la plateforme audio américaine Pandora ni la radio chinoise SMG, mais l’application de radio personnalisée NPR One lancée en 2014 par la radio publique américaine National Public Radio. La personnalisation interactive de ce média revient en quelque sorte à faire en streaming un « Spotify gratuit de la radio » et pourrait sonner à terme le glas des podcasts à télécharger (lire aussi p. 4). Sibyle Veil, elle, va chercher son inspiration ailleurs. « Je suis allé en Chine, en Allemagne ; nous avons des relations avec la RTBF en Belgique et nous allons voir prochainement nos homologues suédois (Sveriges Radio). Toutes les questions sur les évolutions de nos médias, on les partage très fortement avec les autres. Dans les enjeux de transformation, il faut que l’on passe du monde ancien – où l’on parlait marques et audiences – à un monde nouveau du numérique – où l’on parle individu et expérience client. Il faut que l’on arrive à avoir une relation personnalisée avec ceux qui s’intéressent à nos programmes et que, par innovations successives, nous les gardions et les fidélisions », a-t-elle insisté devant l’AJM.

« Ma radio demain » sera ciblée
A cet égard, la prochaine concertation avec le public – qui sera lancée à la rentrée sur une plateforme participative « Ma radio demain » et dont les résultats seront communiqués à l’automne – permettra d’engager une première réflexion en ligne avec le public auditeur-internautes pour cerner avec lui les enjeux radiophoniques futures (audio, texte, image et vidéo) des prochaines années où la radio sur mesure donnera le la. Pour l’heure, la radio linéaire hertzienne de la FM reste comme ailleurs dominante à Radio France (88 % de l’écoute) par rapport au numérique (12 %). Pour l’instant… @

Netflix, Amazon et Apple ne seront pas les sauveurs du cinéma français ni de l’exception culturelle

L’ombre des plateformes de SVOD – Netflix, Amazon et Apple – planait sur la 10e Assemblée des médias et du 7e Art, dont c’était le 10e anniversaire le 11 juin. A l’heure où le cinéma français cherche de nouveaux modes de financement, la prochaine directive européenne
« SMA » ne sera pas suffisante.