Le débat sur le possible démantèlement de Facebook, de Google et d’Amazon fait rage aux Etats-Unis

La question du démantèlement de certains GAFA – Facebook, Google et Amazon – se pose avec plus d’acuité. Plusieurs Etats américains s’apprêteraient à monter au créneau contre leurs pratiques monopolistiques et anticoncurrentielles. La FTC, elle, n’exclut pas le démantèlement en « défusionnant ».

« Un groupe d’Etats [américains, dont le Texas, la Caroline du Nord et le Mississippi, ndlr] se préparent à se joindre à l’enquête antitrust engagée contre les grandes entreprises de technologies. On s’attend à ce que l’initiative à laquelle participent les procureurs généraux de ces Etats (1) soit officiellement lancée dès le mois prochain [en septembre, ndlr] », a révélé le 19 août dernier le Wall Street Journal.

« Nous avons fait une erreur » (patron de la FTC)
L’enquête menée parallèlement par la division antitrust du département américain de la Justice (DoJ) et la commission fédérale américaine du commerce (FTC) va s’accélérer. Sont notamment dans le collimateur : Facebook, Google et Amazon, sur les marchés respectifs du réseau social, du moteur de recherche et du e-commerce, ainsi que sur la publicité en ligne et les applications mobiles. Le président de la FTC, Joseph Simons (photo), a même indiqué dans une interview accordée le 13 août dernier à l’agence de presse Bloomberg qu’il n’était pas opposé à un démantèlement des géants du numérique (2). « S’il le faut, il faut le faire, a-t-il dit. Ce n’est pas idéal parce que c’est très compliqué. Mais s’il le faut, il faut le faire ». Cette sorte de DGCCRF (3) américaine a déjà ouvert une vaste enquête sur Facebook, tant sur ses pratiques commerciales que sur ses acquisitions passées. Le numéro un mondial des réseaux sociaux, créé il y a 15 ans maintenant, avait racheté le service de partage de photos Instagram en 2012 pour 1 milliard de dollars et la messagerie instantanée WhatsApp en 2014 pour 19 milliards de dollars (4). Ces deux acquisitions avaient été approuvées à l’époque par la FTC. Aujourd’hui, Joseph Simons pense que cette dernière pourrait dire : « Nous avons fait une erreur ». Si l’enquête devait constater que ces acquisitions se sont avérées anticoncurrentielles, il explique que ces fusions pourraient être dénouées après le feu vert d’un tribunal. Les GAFA ont pu acquérir des start-up pour prendre le contrôle de concurrents ou pour les éliminer, au point d’atteindre une position dominante. Google s’est emparé en 2013 de l’application de navigation Waze pour près de 1milliard de dollars. La régie publicitaire DoubleClick était tombé dans son escarcelle en 2007 pour 3,1 milliards de dollars, précédés par YouTube en 2006 pour 1,65 milliard de dollars. De son côté, le DoJ mène depuis juillet des investigations sur les Big Tech pour savoir si ces géants du numérique mettent à mal la concurrence. Les deux autorités antitrust coopèrent mais continuent d’examiner les mêmes groupes. « Il est possible que nous puissions enquêter sur la même entreprise en même temps, mais seulement pour une conduite différente », a indiqué Joseph Simons à Bloomberg, en donnant cet exemple :
en raison de son expertise dans le secteur des supermarchés, la FTC pourrait examiner Amazon pour l’achat d’un magasin, tandis que le DoJ pourrait se pencher sur l’achat éventuel par Amazon d’un site de musique en streaming.
Des élus américains, comme Elizabeth Warren (5), appellent depuis mars dernier au démantèlement des Big Tech par la vente d’activités. Le cofondateur de Facebook, Chris Hughes (qui n’est plus dans l’entreprise), a aussi appelé en mai à s’attaquer à la position monopolistique du groupe de Mark Zuckerberg, en forçant le réseau social à se séparer d’Instagram et de WhatsApp. Quant au président américain Donald Trump, qui a une dent contre à la fois les grands groupes de médias et les géants du numérique qui lui auraient été hostiles durant sa campagne présidentielle de l’automne 2016, il a encore accusé le 6 août Google de le défavoriser à l’approche des élections de 2020. « Tout cela est très illégal. Nous surveillons Google de près », a prévenu le locataire de la Maison-Blanche.
Un sondage publié le 29 juillet par l’institut Pew Research Center fait par ailleurs état d’un désamour grandissant des Américains envers les GAFA accusés par 33 % d’entre eux d’avoir « un effet négatif sur la façon dont vont les choses aux Etats-Unis ». L’affaire Cambridge Analytica (6) éclaboussant Facebook (5 milliards de dollars d’amende infligés en juillet par la FTC) et plusieurs scandales sur l’utilisation abusives des données personnelles des internautes, ont terni l’image des géants de la Silicon Valley.

Vraies enquêtes ou coups de bluff ?
Reste à savoir si ces enquêtes antitrust aboutiront. Cité par l’AFP le 25 juillet, Christopher Sagers, professeur de droit à l’université Cleveland-Marshall, pense qu’« il est possible que tout ça ne soit qu’une parade politique sans intention sérieuse de faire quoi que ce soit ». D’autant qu’il faudra obtenir l’aval des tribunaux fédéraux quelque peu sceptiques. Le lobby des GAFA, via notamment l’Information Technology Industry Council (ITI), reste puissant. Apple et son App Store pourrait aussi se retrouver dans le collimateur. @

Charles de Laubier

Franck Riester veut relancer l’idée de taxe « Google Images », déjà prévue par la loi depuis… 2016

Le ministère de la Culture veut « la mise en oeuvre effective » d’une taxe sur les
« services automatisés de référencement d’images » sur Internet – autrement dit une taxe « Google Images ». La loi « Création » de 2016 en a rêvée, Franck Riester va la faire. Une mission du CSPLA vient d’être lancée.

Le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), Olivier Japiot, a signé le 25 juin une lettre de mission confiée au professeur de droit des universités Pierre Sirinelli (photo de gauche) et mise en ligne le 4 juillet dernier sur le site web du ministère de tutelle (1). « Le ministre de la Culture [Franck Riester] a exprimé sa volonté de modifier le dispositif relatif aux services automatisés de référencement d’images adopté dans le cadre de la loi
[« Création »] du 7 juillet 2016 afin d’en assurer la mise en oeuvre », est-il spécifié.

Vers une gestion collective obligatoire
Le fameux « dispositif » prévu par la loi « Création », promulguée il y a maintenant trois
ans (2), n’est autre qu’une taxe « Google Images ». Dans son article 30 intitulé « services automatisés de référencement d’images » (3), il est en effet institué une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des œuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. Et ce, via une société de gestion collective des droits – seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les « services automatisés de référencement d’images » (dont les photos) comme Google Images (Google, Bing, Qwant, Wikipedia, MSN, etc.). Encore aurait-il fallu que le décret d’application soit publié, ce qui n’a jamais
été fait – malgré le fait que le projet de décret ait été notifié le 5 septembre 2016 à la Commission européenne (4). Car, comme Edition Multimédi@ l’avait révélé l’an dernier,
le Conseil d’Etat avait mis son holà dans un avis de février 2017 jamais rendu public (5).
Les risques juridiques, au regard du droit constitutionnel garantissant la protection du droit de propriété et du droit européen protégeant le droit exclusif de l’auteur, ont eu raison de ce décret mort-né (6). Selon Next Inpact, « c’est avant tout la jurisprudence ReLire de la CJUE, sur les livres indisponibles (7), qui a suscité le feu rouge du Conseil d’Etat » (8).
Mais depuis cette déconvenue, le vent a tourné avec l’adoption le 26 mars 2019 de la directive européenne sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique », publiée au JOUE le 17 mai (9). « Depuis lors, [cette directive « Copyright »] est venue conforter l’objectif poursuivi par le législateur français à travers divers dispositifs visant à renforcer la capacité des créateurs à être rémunérés par les plateformes numériques qui exploitent leurs œuvres », justifie le CSPLA pour relancer l’idée de cette taxe « Google Images ». Certes, un article 13 ter du projet de directive prévoyait explicitement l’« utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Mais cette disposition spécifique, non prévue par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, a été supprimé lors du trilogue pour s’en tenir au principe général de rémunération des créateurs par les plateformes. Il est donc demandé au professeur Sirinelli missionné d’« évaluer les conditions dans lesquelles le dispositif de gestion collective obligatoire pourrait être mise en place » et de faire « état des éventuels dispositifs alternatifs qui pourraient également permettre d’assurer la juste rémunération aux photographes et plasticiens ». Pour mener à bien cette mission d’ici au 31 octobre prochain, une rapporteure a été désignée : Sarah Dormont (photo de droite), maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil Val de Marne (Upec), docteure en droit privé. Le rapport Sirinelli-Dormont devra être présenté lors de la séance plénière du CSPLA « de cet automne ».
La taxe « Google Images » pourrait être collectée dès 2020 par une société de perception
et de répartition des droits (SPRD), que l’on appelle désormais à la Cour des comptes qui les contrôle des « organismes de gestion indépendants » (OGI). Dans la foulée de la loi
« Création », la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) s’étaient déclarées candidates pour assurer cette gestion collective. Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur un barème.

Négocier un barème de rémunération
La loi « Création » donnait aux sociétés de gestion collective et aux acteurs du Net concernés « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [OGI] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». A moins que les parties prenantes soient sages comme des images… @

Charles de Laubier

Ce que va changer le règlement européen « P2B » pour les plateformes numériques et leurs clients

Il ne lui reste plus qu’à être publié au Journal Officiel européen. Le règlement
« Plateformes », appelé aussi P2B (Platform-to-Business), a été signé le 20 juin 2019 par le Conseil de l’Union européenne pour apporter « équité et transparence » pour les utilisateurs professionnels de ces intermédiaires en ligne.

Les professionnels et les entreprises, qui recourent aux services d’intermédiation en ligne et aux places de marché des plateformes numériques telles qu’Amazon, Google, Apple, Alibaba ou encore Leboncoin, pourront s’appuyer sur ce règlement européen « P2B » lorsqu’ils éprouveront des difficultés ou des désaccords avec ces acteurs du Net dans leurs relations commerciales et/ou dans la vente sur ces plateformes de leurs produits et services. Cette régulation est une première en Europe – et dans le monde.

Transparence, équitabilité et prévisibilité
Le phénomène du Platform-to-Business (P2B) a pris une telle ampleur avec le e-commerce mondialisé (1) qu’il devenait urgent de réguler ces relations qui peuvent tourner au conflit. Rien qu’en Europe, plus de 1 million d’entreprises européennes commercent via des plateformes tierces pour atteindre leurs clients. Selon une étude Copenhagen Economics (2) citée par la Commission européenne et reprise par le Parlement européen, environ 60 % de la consommation privée et 30 % de la consommation publique de biens et services liés à l’économie numérique dans sa totalité transitent par des intermédiaires en ligne.
« Les entreprises européennes ne peuvent pleinement exploiter le potentiel de l’économie des plateformes en ligne et de l’accès aux marchés transfrontaliers, déplorent les eurodéputés et leurs Etats membres, en raison d’un certain nombre de pratiques commerciales potentiellement préjudiciables et de l’absence de mécanismes de recours efficaces dans l’Union européenne. Dans le même temps, les prestataires de services en ligne rencontrent des difficultés sur l’ensemble du marché unique en raison de la fragmentation grandissante ». C’est pour y remédier que le 17 avril dernier que le Parlement européen avait adopté définitivement ce règlement « promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne ». Il ne lui restait plus qu’à être adopté puis signé par le Conseil de l’Union européenne. C’est chose faite, depuis respectivement les 14 et 20 juin. Selon l’état des votes consulté par Edition Multimédi@, aucun des vingt-huit Etats membres n’a voté contre ou ne s’est abstenu. C’est donc à l’unanimité que ce texte (3) a été entériné par tous les ministres européens sans exception, la France ayant été représentée par Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. Le texte va entrer en vigueur le vingtième jour suivant sa publication et s’appliquera douze mois à compter de la date de publication au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE). Ce règlement P2B prévoit pour les entreprises utilisatrices de ces plateformes numérique « un environnement plus transparent, équitable et prévisible pour leurs opérations commerciales en ligne », ainsi qu’« un système efficace de voies de recours ». Ces relations entre les plateformes en ligne et les entreprises (P2B) devraient se faire désormais dans un climat de confiance, grâce à «un cadre juridique propre à garantir la transparence des modalités et conditions générales pour les entreprises utilisatrices de plateformes en ligne », et à des voies de recours possibles lorsque ces modalités et conditions générales ne sont pas respectées. C’est l’un des derniers actes législatif de la Roumanie qui présidait pour six mois (de janvier à juin) le Conseil de l’Union européenne, avant de passer la main (de juillet à décembre) à la Finlande. « La prévisibilité est essentielle pour les entreprises qui font des affaires au moyen de plateformes en ligne. Les entreprises devraient être pleinement conscientes des conditions de cette relation et, au besoin, être en mesure de demander une réparation rapide et efficace. La nouvelle réglementation, la première du genre au monde, permettra aux entreprises de l’UE de profiter pleinement des avantages de l’économie numérique », s’est félicité Niculae Badalau (photo), ministre roumain de l’Economie.
Les plateformes numériques concernées par cette nouvelle réglementation sont aussi bien les places de marché en ligne (Amazon, Apple, Alibaba/Aliexpress, Leboncoin, Booking, …), les magasins d’applications logicielles (Google Store, App Store, …) et/ou encore les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Twitter, …), les comparateurs de prix (Kelkoo, Idealo, Liligo, …), ainsi que les moteurs de recherche (Google, Firefox, Bing, Qwant, …).
Et ce, quel que soit leur lieu d’établissement (Etats-Unis, Chine, Europe, etc.).

Termes et conditions d’utilisation en question
Sont assujettis les intermédiaires qui servent des utilisateurs commerciaux établis en Europe et qui offrent des biens et services à des consommateurs situés dans les Vingt-huit. Toutes les plateformes concernées devront donc faire preuve de transparence et assurer des voies de recours efficaces.
• Pour améliorer la transparence, les Amazon, Apple et autres Alibaba devront faire en sorte que leurs termes et conditions d’utilisation soient simples et intelligibles pour la prestation de leurs services d’intermédiation en ligne. Dans son considérant 15, le règlement P2B prévoit que « ne devraient pas être considérées comme étant rédigées de façon claire et compréhensible (…) les conditions générales comportant des passages vagues ou généraux ou qui sont insuffisamment détaillées sur des questions commerciales importantes, et n’assurent donc pas pour les entreprises utilisatrices un degré de prévisibilité raisonnable sur les aspects les plus importants de la relation contractuelle ». Le but est aussi de faire la chasse aux formulations trompeuses ou induisant en erreur.

Droit de vie ou de mort… mais justifié et motivé
De plus, les plateformes d’intermédiation doivent « notifier aux entreprises utilisatrices concernées, sur un support durable, tout changement proposé de leurs conditions générales » et prévoir « un délai de préavis raisonnable et proportionné [qui] ne doit pas être inférieur à quinze jours à compter de la date [de notification] ». L’entreprise utilisatrice concernée a « le droit de résilier le contrat conclu avec le fournisseur de services d’intermédiation en ligne avant l’expiration du délai de préavis ».
Les plateformes en ligne doivent aussi fournir un exposé des motifs chaque fois qu’ils décident de restreindre, de suspendre ou de mettre fin à l’utilisation de leurs services par un utilisateur professionnel. Dans le considérant 22, ce même règlement précise :
« L’exposé des motifs de la décision de restreindre, de suspendre ou de résilier la fourniture de services d’intermédiation en ligne devrait permettre aux entreprises utilisatrices de déterminer si la décision peut être contestée, ce qui améliorerait les possibilités, pour les entreprises utilisatrices, d’exercer un droit de recours effectif le cas échéant ». Les fournisseurs de services d’intermédiation voient au passage conforté leur pouvoir de restreindre, de suspendre ou de résilier la fourniture de leurs services en ligne à une entreprise utilisatrice donnée – pourvoir qui peut aller jusqu’à déréférencer certains biens ou services d’une entreprise utilisatrice donnée ou en supprimant des résultats de recherche. Cela peut être, par exemple, de restreindre les références individuelles proposées par l’entreprise utilisatrice, voire de rétrograder dans le classement cette entreprise ou en portant atteinte à l’apparition (dimming) de l’entreprise utilisatrice en question.
Autrement dit, les plateformes – dont celles des GAFA qui sont déjà en position dominante – peuvent presque tout se permettre à conditions d’avoir clairement averti l’entreprise cliente préalablement et en lui ayant donné les moyens simples d’un droit de recours. En outre, les plateformes doivent rendre publics « les principaux paramètres » déterminant le classement des utilisateurs commerciaux dans les résultats de recherche, comme pour les comparateurs de prix de produits, d’hôtels ou encore de restaurants. Les principaux paramètres doivent aussi être divulgués lors de tout traitement différencié qu’ils accordent aux biens et/ou services offerts directement ou par l’intermédiaire de toute entreprise relevant de leur compétence. En revanche, ce règlement P2B n’imposera pas la communication de l’algorithme lui-même, protégé par la directive européenne du 8 juin 2016 sur le secret des affaires (4).
En France, cette directive « Secret des affaires » a été transposée par la loi du 30 juillet 2018. Pour autant, la Cnil (5) recommande de mettre en place une plateforme nationale d’audit des algorithmes (6). Le règlement P2B impose également aux plateformes de divulguer la description des principales considérations économiques, commerciales ou juridiques les amenant à restreindre la capacité des utilisateurs commerciaux d’offrir des conditions différentes aux consommateurs en dehors de la plateforme.
Pour assurer des voies de recours efficaces (« redress » en anglais, littéralement
« réparation »), il devient obligatoire pour les plateformes – mises à part les plus petites d’entre elles relevant de PME ou de TPE (7) en raison du coût que cela engendre– de
« mettre en place un système interne efficace et rapide de traitement des plaintes et à rendre compte annuellement de son efficacité ».
Il est également exigé que les plateformes du Net énumèrent dans leurs conditions d’utilisation au moins deux médiateurs pour les cas où le système interne de traitement des plaintes ne serait pas en mesure de résoudre un différend avec les utilisateurs commerciaux. « La médiation peut constituer pour les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices un moyen de résoudre des litiges de manière satisfaisante sans devoir passer par des procédures judiciaires qui peuvent être longues et coûteuses », souligne le considérant 40 du règlement P2B, lequel donne tout de même le droit aux organisations représentatives, aux associations ou à des organismes publics d’engager des poursuites judiciaires contre les plateformes qui ne respecteraient pas ce nouveau règlement. De plus, les Etats membres ont le pouvoir de fixer des sanctions en cas d’infraction au règlement.

Un Observatoire des plateformes en ligne
Quant à la Commission européenne, qui est à l’origine du projet de texte P2B depuis sa proposition d’avril 2018 (8) et de la création dans la foulée d’un Observatoire des plateformes en ligne (9) présidé par Bruno Liebhaberg, elle est invitée à encourager les plateformes à mettre en place des « organes de médiation spécialisés indépendants », à élaborer des « codes de conduite » et à « évaluer régulièrement » le fonctionnement des nouvelles règles. @

Charles de Laubier

Appliquer en 2020 une taxe « copie privée » sur les ordinateurs personnels est-il politiquement correct ?

La Cour des comptes a publié le 9 juin le rapport 2019 sur le contrôle des sociétés de gestion des droits d’auteur, qui suggère d’étendre la taxe « copie privée » aux disques durs internes d’ordinateurs. La commission « Musitelli » prépare le terrain avec Copie France. Mais il faudra l’aval du gouvernement.

La commission « copie privée », chargée par le code de la propriété intellectuelle (article L.311-5) de fixer les redevances perçues au titre de « la rémunération pour copie privée » lors de la vente au grand public de supports de stockage numérique, souhaite maintenant taxer les disques durs internes des ordinateurs personnels. Cette commission, présidée par Jean Musitelli (photo de gauche), vient d’engager les discussions avec ses membres – ayants droit de la culture et industriels de la high-tech.

Réunion le 25 juin et études en vue
« Afin de définir avec précision le périmètre auquel pourrait s’appliquer une décision d’assujettissement de ce type de support, il a été décidé de procéder à l’audition le 19 avril de la société GFK. Les discussions se sont poursuivies en groupe de travail les 10 et 28 mai », indique Jean Musitelli à Edition Multimédi@. Prochaine réunion : le 25 juin. GFK a présenté la segmentation des supports concernés, qu’il s’agisse des ordinateurs personnels que des disques durs vendus nus pour y être intégrés. « Les éléments apportés par GFK devront certainement être complétés par des analyses relatives à l’état du marché de ces différents produits. La commission devra alors définir sur quels segments devront porter les études d’usage afin notamment d’exclure de l’enquête les produits à usage strictement professionnel. Le souci de la commission est d’avancer rapidement avec l’objectif de lancer les études d’usage à l’horizon de la rentrée 2019. », poursuit son président.
Copie France, seul organisme en France chargé de collecter les redevances pour la rémunération de la copie privée (1), estime pour sa part qu’il est grand temps de se pencher sur les disques durs internes des ordinateurs. « Il existe aujourd’hui une urgence au regard des ordinateurs. En effet, cette famille de supports avait été laissée de côté, car la priorité était de réactualiser les autres familles de supports. La commission doit, tout d’abord, mener une réflexion sur la définition de la famille des ordinateurs (y compris les disques durs d’ordinateurs vendus nus) avant d’envisager
de lancer une étude. La meilleure façon d’amorcer le débat et d’avoir un panorama complet de ce que recouvrent les disques durs d’ordinateurs est d’inviter un institut comme GFK à venir faire une présentation sur les caractéristiques techniques », avait justifié le 22 février dernier Idzard Van der Puyl, représentant de Copie France et par ailleurs directeur général de la Société civile des producteurs de cinéma et de télévision (Procirep) et l’Agence nationale de gestion des œuvres audiovisuelles (Angoa). Maintenant que la commission « Musitelli » dispose de ce panorama complet sur les disques durs internes d’ordinateurs et les disques durs vendus nus pour être intégrés dans l’ordinateur – par opposition aux disques durs externes qui, eux, sont déjà taxés –, les discussions entre les ayants droits des industries culturelles et les représentants des fabricants et importateurs de produits high-tech peuvent commencer. Mais avant d’aller plus loin dans les négociations en vue de fixer les barèmes de rémunération, la loi exige que la commission « copie privée » fasse réaliser – auprès de TNS-Sofres ou de l’institut CSA, par exemple – une étude sur les usages que font les utilisateurs de ces ordinateurs et disques durs internes. Car il s’agit d’avoir un aperçu des impacts potentiels sur le marché, ce que la commission « copie privée » est censée prendre en compte avant de fixer ses tarifs. Quoi qu’il en soit, les échanges entre les deux mondes – culture et numérique – risquent d’être tendus comme ce fut le cas il y a une dizaine d’années pour les disques durs externes (2007), les smartphones (2008) et les tablettes (2010).
Politiquement, d’abord, la question de la taxation des ordinateurs au nom de la rémunération de la copie privée est délicate. Jusqu’à maintenant, aucun gouvernement ne s’était risqué à étendre cette redevance « copie privée » aux ordinateurs des Français. D’une part, cela n’aurait pas été populaire au regard des échéances électorales. D’autre part, cela aurait été malvenu au moment où l’on incite la population à s’équiper d’un ordinateur pour faire ses démarches administratives et pour éviter la fracture numérique.

Déjà en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas
De plus, un troisième risque est apparu au cours de ces dernières années : la pression fiscale sur les foyers est devenue intenable pour les Français les plus modestes, comme le rappellent les Gilets jaunes depuis trente et un samedis. Idzard Van der Puyl (Copie France) a beau affirmer que « la rémunération pour copie privée (RCP) n’est pas une taxe », en prenant appui sur la jurisprudence du Conseil d’Etat certifiant « la nature non fiscale de la RCP », le prélèvement d’un montant non négligeable sur le prix de vente lors de l’achat par les consommateurs s’apparente pour ces derniers à une taxe qui entame leur pouvoir d’achat. Et encore, contrairement à l’écotaxe par exemple, cette « copietaxe » n’apparaît pas sur les étiquettes des produits de stockage concernés par ce prélèvement. La commission « Musitelli » et Copie France font
valoir que la France ne sera pas la première à prendre en compte les disques durs d’ordinateurs, puisque, comme l’a encore affirmé Idzard Van der Puyl le 22 février,
« les ordinateurs sont assujettis à la RCP en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas ».

France : 4,5 milliards d’euros depuis 1986 !
Autant dire que le marché unique numérique ne brille pas par son harmonisation
dans ce domaine, alors que la Commission européenne avait promis de réformer les systèmes de redevances pour copie privée (private copy levy/levies) sur le Vieux Continent. Edition Multimédi@ a tenté de contacter Mariya Gabriel, commissaire en charge de l’Economie et de la Société numériques, sur ce point, mais n’a pas eu de réponse. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms) reste réservée, car elle subit déjà la taxation des « box » répercutée par les FAI (2) sur leurs abonnés depuis 2012 et dont le barème est plus élevé sur l’entrée de gamme depuis le 1er juin dernier (3). Sa représentante, Alexandra Laffitte, chargée des affaires réglementaires et européennes, a demandé que GfK puisse fournir « des éléments de droit comparé
afin d’apprécier l’impact de l’assujettissement des ordinateurs à la RCP dans d’autres états », tout en soulignant que le dernier rapport de l’organisme néerlandais Stichting Thuiskopie (4) sur la redevance pour la copie privée remontre à 2014. Mais l’organisation la plus directement concernée par ces taxes est l’Alliance française des industries du numérique (Afnum), qui est issue du rapprochement en 2015 du Gitep Tics (télécoms), du Simavelec (audiovisuel) et de l’Uspii- Siped-SNSII (photographie).
Mathieu Gasquy, qui est directeur des ventes en Europe pour le numéro un mondial des fabricants de disques durs Western Digital, représente justement l’Afnum au sein de la commission « copie privée » aux côtés de la nouvelle déléguée générale de l’Afnum (depuis avril dernier), Stella Morabito que nous avons pu contacter. Ensemble, ils ne voient pas d’un très bon oeil la perspective de cette taxe sur les ventes d’ordinateurs. Avec, selon nos informations, plus de 300 millions d’euros en 2018 grâce au versement d’impayés (Canal+, Apple, …), contre 268 millions en 2017, la France
est le pays qui contribue le plus aux recettes de la copie privée en Europe et dans le monde. En dix ans (2009-2018), cette taxe lui a rapporté plus de 2 milliards d’euros et même, selon les calculs de Edition Multimédi@, plus de 4,5 milliards d’euros depuis 1986 que cette taxe « copie privée » existe ! Placée sous tutelles des ministères de la Culture, de l’Industrie et de la Consommation, la commission « copie privée » fixe les barèmes de tarifs que Copie France collectera sur le prix de vente des appareils ou supports permettant d’enregistrer des contenus numériques (DVD, clés USB, disques durs externes, smartphones, tablettes, box, magnétoscopes numériques dits nPVR, services de Cloud TV de type Molotov (5), etc.). Et cela ne va donc pas s’arrêter là, si la volonté politique décidait d’assujettir les ordinateurs à la taxe.
En publiant le 9 juin dernier le rapport 2019 de sa commission de contrôle des sociétés de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins (6), la Cour des comptes indique que la commission de la copie privée a inscrit à son programme de travail 2019-2021 quatre création ou révision de barèmes : révision des barèmes applicables aux clés USB et cartes mémoires amovibles ; révision des barèmes applicable aux supports « historiques » (CD data, DVD data, Baladeurs MP3 et MP4 ; extension de l’assiette par l’assujettissement des disques durs internes des ordinateurs personnels (PC). Copie France, dont le gérant et secrétaire général est Charles-Henri Lonjon (photo de droite) depuis 22 ans (7) (*) (**), a estimé auprès de la commission de la Cour des comptes que cette dernière mesure « serait la seule mesure qui pourrait avoir un impact significatif sur les collectes (près de 20-25 millions d’euros si l’on applique au parc français actuel les barèmes pratiqués en Allemagne), étant entendu toutefois que les flottes de PC utilisées en entreprise ou dans un cadre professionnel feront l’objet d’une exonération de RCP assez large ». Copie France avance même un calendrier possible de mise en oeuvre : pas avant le 1er trimestre 2020, « au plus tôt », le temps que la commission « Musitelli » en débatte, fasse faire des études d’usage et d’impact, vote un barème.

La RCP dépend trop des smartphones
La commission de la Cour des comptes fait en outre état d’un problème : « La rémunération pour copie privée connaît une extrême dépendance au marché des téléphones, qui représente fin 2018 presque les deux tiers des collectes, ce mouvement ne faisant que se renforcer au fil du temps ». Les ayants droit et les magistrats de la rue Cambon s’en inquiètent d’autant plus que 25 % du produit des perceptions de la copie privée audiovisuelle et sonore vont, selon l’article L. 321-9 du CPI, subventionner les actions artistiques et culturelles du pays – dont la RCP est censée être la principale source de financement. @

Charles de Laubier

Positions monopolistiques : faut-il démanteler les GAFA comme le fut AT&T il y a… 35 ans ?

Trente-cinq après le démantèlement du monopole téléphonique AT&T, les autorités antitrust américaines ont donné leur feu vert à la fusion entre AT&T et Time Warner (rebaptisé WarnerMedia). Tandis que dans le monde OTT d’en face, la question du démantèlement des GAFA se pose.

Le 26 février, se sont télescopées le même jour deux décisions des autorités antitrust aux Etats-Unis : la première, de la cour d’appel de Washington, a validé en appel l’acquisition du groupe audiovisuel Time Warner – devenu WarnerMedia –
par l’opérateur télécoms AT&T ; la seconde, annoncée par la Federal Trade Commission (FTC), porte sur la création d’un groupe de travail pour enquêter sur la concurrence dans le numérique et les GAFA.

Dans l’ombre de Donald Trump
Si le président américain Donald Trump (photo) suit de très près le contexte concurrentiel auquel se réfèrent ces deux décisions, c’est qu’il a une dent – voire plusieurs – contre à la fois les grands groupes de médias et les géants du numériques qui lui seraient hostiles depuis sa campagne présidentielle de l’automne 2016. Concernant AT&T-Time Warner, le locataire de la Maison Blanche était vent debout contre cette mégafusion à 85 milliards de dollars, qui était, selon lui,« trop de pouvoir concentré dans les mains de trop peu de gens ! », et avec le risque de voir les prix des abonnements Pay-TV flamber (1).
L’administration Trump avait attaqué le projet de fusion devant la justice : après avoir perdu en première instance en juin 2018, elle a de nouveau été déboutée en appel le 26 février dernier – et devrait en rester là. N’en déplaise à Donald Trump, le nouvel ensemble AT&T-WarnerMedia peut voir le jour pour notamment tenter de contrer Netflix et Amazon Prime Video avec sa propre plateforme de SVOD qu’il prévoit de lancer d’ici fin 2019. Pour obtenir le feu vert, AT&T a promis au département de la Justice (DoJ) de ne pas être complètement intégré et de bien séparer ses filiales Turner (éditrice de la chaîne CNN que déteste Trump) et DirecTV en mettant un « firewall » entre les deux. AT&T-WarnerMedia, qui a annoncé le 4 mars une réorganisation et la fusion de HBO avec Turner, rejoint le club des conglomérats audiovisuels américains nés avec la convergence télécoms-médias (2), tels que Comcast/NBCUniversal/Sky (3) ou encore le groupe Disney/Fox (dont le service de SVOD sera aussi lancé cette année). Prochaine opération de fusion à examiner par les autorités antitrust : le rachat de Sprint par T-Mobile pour 26 milliards de dollars (faisant passer le marché mobile américain de quatre à trois opérateurs). Mais pendant que les Etats-Unis entérinent la concentration des groupes audiovisuels, voilà que le régulateur fédéral américain du commerce – la Federal Trade Commission (FTC) – s’interroge cette fois sur le poids monopolistique des géants du numérique. Sans nommer Google, Apple, Facebook ni Amazon, la FTC n’a pas caché qu’elle pourrait remettre en cause des fusions approuvées par le passé ou exiger la cession de certains actifs. Cette démarche de l’administration Trump est perçue par certains comme une représailles de l’actuel président américain qui a maille à partir avec les entreprises de la Silicon Valley très critiques à son égard (hormis son rare soutien Peter Thiel, cofondateur de Paypal et de Palantir). L’an dernier, Donald Trump n’avait pas hésité à attaquer Google en accusant le moteur de recherche de censurer les voix des Républicains (son camp politique) et de favoriser celles des Démocrates (ses opposants). De là à envisager de démanteler Google, il y a un pas
de géant à franchir.
Facebook est aussi dans le collimateur. Lors d’une conférence téléphonique le 16 février, le directeur de la concurrence à la FTC, Bruce Hoffman, s’est bien gardé de dire si le rachat par Facebook d’Instagram en 2012 pour 1 milliard de dollars ou celui de WhatsApp en 2014 pour 19 milliards de dollars faisaient partie des dossiers à rouvrir. La « Technology Task Force », qui fut annoncée ce jour-là (4) en s’inspirant de la
« Merger Litigation Task Force » lancée en 2002 par la FTC, va repasser au peigne
fin les marchés et écosystèmes complexes de la publicité en ligne (où Google (5) et Facebook sont en position dominante), les réseaux sociaux (où la firme de Mark Zuckerberg va intégrer Facebook, WhatsApp, Instagram et Messenger), les systèmes d’exploitation mobile et leurs applications (dominés par Android de Google et iOS d’Apple), ainsi que tous les écosystèmes numériques (Amazon, Uber, AirBnb, …).

Démanteler Google et Facebook ?
La question du démantèlement des GAFA jugés « trop puissants » ne se pose pas qu’aux Etats-Unis, mais aussi dans le reste du monde. En Europe, la Commission européenne a déjà infligé deux amendes à Google pour abus de position dominante : 4,3 milliards d’euros le 18 juillet 2018 pour Android et 2,42 milliards d’euros le 27 juin 2017 pour son moteur de recherche. En France, en 2017, l’Arcep s’est dite favorable à l’idée de démanteler Google (6) (*) (**). Les « Cnil » européennes, elles, s’inquiètent du projet d’intégration de Facebook. @

Charles de Laubier