Après ChatGPT, les robots conversationnels se bousculent sur le marché de l’IA générative

Les chatbots conversationnels se bousculent au portillon, dans le sillage de ChatGPT. La concurrence s’organise sur marché mondial qui annonce des chamboulements colossaux dans les moteurs de recherche sur Internet, encore dominés par Google. Plus pour longtemps.

Après ChatGPT que la start-up américaine OpenAI – dirigée par son cofondateur Sam Altman (photo) – a lancé le 30 novembre 2022 (1) avec un succès médiatique sans précédent, Bard tente de se lancer à sa poursuite après avoir été annoncé le 6 février dernier par Google mais réservé encore quelques semaines à un nombre limité de happy few testeurs (2). Le lendemain, Microsoft – qui a investi des milliards de dollars dans OpenAI – a annoncé la mise en test dans son moteur de recherche Bing (3) du modèle de traitement du langage naturel utilisé par ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer). Et ce n’est pas fini.

La bataille des IA génératrices fait rage
Le 24 février, c’est au tour de Meta de lancer son LLaMA – à des fins de tests également (4). Trois jours après, il est question que Elon Musk – lequel a été un des cofondateurs d’OpenAI – se lance lui aussi dans la course à l’IA générative (5). Au même moment, à savoir le 27 février, Snap y va aussi de son robot conversationnel (chatbot) qui répond au nom de « My AI », également disponible à titre expérimental (6). Toutes ces initiatives ne sont que la face émergée de l’intelligence artificielle conjuguée aux traitements de langage naturel et à l’exploitation de mégabases de données, lorsque que l’IA générative n’est pas aussi connectée au Web (7). Il existe bien d’autres IA créatrices, telles que : Dall.E 2, développée par OpenAI, pour créer des images et des œuvres d’art originales et réalistes à partir d’une description textuelle ; Stable Diffusion, développée par Stability AI, en tant que modèle d’apprentissage automatique (deep learning), permettant de générer des images numériques réalistes à partir de descriptions en langage naturel ; Midjourney, développée par le laboratoire de recherche éponyme, aussi une IA générative conçue pour générer des images à partir de texte ; Cedille, un modèle de génération de texte francophone développé par la société suisse Coteries (8).
Pour conforter son avance, OpenAI a lancé le 1er mars une interface de programmation (API) pour faciliter partout l’intégration de ChatGPT et de Whisper (voix à texte). Textes, photos, vidéos, musiques, … Les IA génératrices s’immiscent dans tous les domaines et cela ne date pas d’hier. Par exemple, la nouvelle musique « des Beatles » baptisée « Daddy’s Car » avait fait sensation en septembre 2016 sur YouTube (9). Or, en réalité, ce titre a été composé par l’équipe « Musique et IA » du laboratoire Sony CSL (10). Il a été créé dans le style des Beatles par le scientifique François Pachet et le musicien Benoît Carré akaSkygge (« ombre » en danois) à l’aide de Flow Machines, une IA « mélomane » (11). Avec elle, ils ont créé en 2018 un album intitulé « Hello World ». François Pachet est aujourd’hui directeur chez Spotify en charge du « développement de la prochaine génération d’outils de composition musicale assistée par IA ».
L’industrie musicale va être bousculée, tout comme l’industrie de l’édition (livre et presse). Le cinéma n’y échappera pas non plus (scénarios et séries). Toutes les industries culturelles et créatives seront impactées, avec les questions de droit d’auteur et de propriété intellectuelle que cela soulève. Par exemple, l’agence photo américaine Getty Images (également banque d’images) a annoncé le 17 janvier porter plainte contre Stability AI (l’éditeur de Stable Diffusion) pour lui avoir « illégalement copié et traité des millions d’images protégées par le droit d’auteur et les métadonnées associées » (12). Plus récemment, le 21 février, le Copyright Office américain a conclu que les images de la bande dessinée « Zarya of the Dawn » créées par l’IA Midjourney, ne peuvent pas être protégées par le droit d’auteur (13). Quant aux « deepfake », ces vidéos hyperréalistes truquées à l’IA, elles commencent pour certaines à poser problème (14). La Chine vient de les interdire (15). La justice commence à faire bouger les lignes (16) et l’Union européenne s’apprête à promulguer son règlement « Artificial Intelligence Act » (17) pour réguler les systèmes d’IA « à haut risque ». Cela irait dans le sens de Brad Smith, président de Microsoft, pour qui « une réglementation efficace en matière d’IA devrait être axée sur les applications les plus à risque ».

Aussi pour des entreprises plus « intelligentes »
Il y a encore peu d’études sur cette vague innovante de création automatique de contenus. Le marché mondial de l’IA générative pourrait être multiplié par dix d’ici la décennie en cours, pour dépasser en 2030 les 100 milliards de dollars. « D’ici 2025, nous nous attendons à ce que plus de 30 % – contre zéro aujourd’hui – de nouveaux médicaments et de nouveaux matériaux soient systématiquement découverts à l’aide de techniques d’IA génératives. Et ce n’est là qu’un des nombreux cas d’utilisation par l’industrie », prévoit Brian Burke, vice-président de la recherche en innovation technologique au sein du cabinet d’études Gartner. @

Charles de Laubier

Le chinois Huawei, qui était en force à Barcelone pour le Mobile World Congress, mise sur la France

Malgré les sanctions et interdictions aux Etats-Unis et en Europe à son encontre, le chinois Huawei Technologies a bien montré durant la grand-messe de la mobilité à Barcelone qu’il était toujours numéro un mondial des réseaux télécoms. Et il s’apprête à construire une usine en France.

« Je vous invite à vous joindre à nous au MWC 2023 à Barcelone, organisé par GSMA [association réunissant plus de 750 opérateurs mobiles dans le monde, ndlr] », écrit Eric Xu, alias Xu Zhijun, président par rotation – jusqu’au 31 mars 2023 – du géant chinois Huawei Technologies, dans un message mis en ligne (1) quelques jours avant la grand-messe internationale de la mobilité qui se tient dans la capitale de la Catalogne en Espagne. La firme de Shenzhen (2) y sera présente en force cette année sous le thème du « monde intelligent ».

Sans attendre la 6G, la « 5,5G » en vue
« Alors que nous progressons vers un monde intelligent, (…) nous aimerions travailler avec vous pour jeter les bases de la prochaine étape – la 5,5G », a esquissé Eric Xu à l’intention notamment des opérateurs mobiles. A partir d’avril, ce dernier cèdera la présidence tournante à Sabrina Meng alias Meng Wanzhou (photo) qui n’est autre que la fille (3) du PDG fondateur de Huawei, Ren Zhengfei (4). Huawei signe ainsi son grand retour en occupant de grands stands répartis dans trois halls (5) de la Fira Gran Via où se tient le Mobile World Congress du 27 février au 2 mars. Sans attendre la 6G, le chinois pourrait prendre de court ses rivaux (Samsung, Ericsson, Nokia, …) en lançant des équipements réseaux « 5,5G ». De quoi relancer la course mondiale dans le très haut débit mobile, sur fond d’intelligence artificielle, de Big Data, de cloud et d’Internet des objets (voitures connectées comprises) – sans oublier la désormais incontournable technologie verte – « Green ICT » (6).
Du côté des terminaux, celui qui fut un temps le numéro un des fabricants mondiaux de smartphones – première place qu’il avait arrachée un temps à Samsung début 2020 après avoir délogé Apple de la seconde début 2018 (7) –, compte bien regagner des parts de marché perdues à cause des mesures « anti-Huawei » prises par Donald Trump et maintenues par Joe Biden (8). La firme de Shenzhen devrait annoncer une nouvelle série de smartphones : les Huawei P60. Tandis que les Mate 60 seraient attendus plus tard dans l’année. Des fuites sur le réseau social chinois Weibo montrent que les « P60 », axés sur la très haute qualité photo avec l’ambition d’être les smartphones-photo les plus puissants au monde, vont être disponibles. Des rumeurs rapportées par le site HC Newsroom (Huawei Central) évoquent aussi la sortie du Mate X3, le smartphone pliant de Huawei (9), alors qu’un autre fabricant chinois – Honor, ex-gamme de mobiles d’entrée de gamme de Huawei avant que Ren Zhengfei ne soit contraint de céder cette activité en novembre 2020 – est attendu au MWC avec un pliable Magic V. Les P60 et Mate X3 sont dotés, depuis que Google ne fournit plus Android à Huawei, du système d’exploitation-maison HarmonyOS dans sa nouvelle version 3.1 déjà installée avec succès sur les Mate 50. Ils fonctionnent en outre sur le micro- processeur « Snapdragon 8 Gen2 » de Qualcomm (10). Bien que le gouvernement américain ait décidé en 2020 – pour des raisons de « sécurité nationale » – d’interdire à Google de fournir des licences Android à Huawei, HarmonyOS est d’ores et déjà le troisième système d’exploitation au monde pour smartphones, bien qu’encore loin d’Android et d’iOS. Huawei finalise la version 4.0, qui pourrait être prête pour la HDC de l’automne prochain (11). De son côté, l’américain Qualcomm a indiqué début février que les nouvelles restrictions de Washington à l’encontre du chinois n’impacteront pas ses livraisons à ce dernier.
En Europe, où Huawei est accueilli à bras ouverts à Barcelone, est aussi le bienvenu en France où la firme de Shenzhen va construire cette année – « courant 2023 », comme prévu (12) – sa première usine hors de Chine de fabrication d’équipe- ments télécoms, notamment pour les réseaux 5G – avec la 5,5G en vue. Elle sera située dans la région Grand-Est. « La France est très importante pour nous sur le marché européen. (…). Il n’y a pas d’autres pays capables d’être dans la même position stratégique pour Huawei que la France, en termes de savoir-faire, valeur ajoutée et écosystème », a expliqué le 15 février à l’AFP le président de la filiale française, Weiliang Shi, formé à Reims et à Shanghai.

Usine Huawei dans le Grand-Est en 2023
Huawei Technologies France fêtera d’ici la fin de l’année ses 20 ans dans l’Hexagone. Là aussi, malgré la loi française « anti-Huawei » du 1er août 2019 prise sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron au nom des « intérêts de la défense et de la sécurité nationale » (13), Huawei revendique en France 20 % de part de marché dans les réseaux télécoms. « La France a pris une décision équilibrée », s’est félicité Weiliang Shi. La firme de Shenzhen prévoit de produire dans son usine française l’équivalent de 1 milliard d’euros par an d’équipements télécoms à destination des marchés européens, avec la création « à terme » de 500 emplois direct. @

Charles de Laubier

23 mars

 

La veille informationnelle (panorama de presse, veille web, agrégateurs de flux, …) se démultiplie

Les contenus des médias sont de plus en plus utilisés par les entreprises et les organisations pour suivre l’actualité les concernant. Grâce au numérique, une multitude de prestataires de « panoramas de presse » leur offrent une veille informationnelle qui génèrent des revenus pour les éditeurs.

En 2022, le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) – seul organisme en France à être mandaté par le ministère de la Culture pour percevoir et répartir les redevances au titre du droit de reproduction de la presse et du livre – a reversé aux auteurs et éditeurs adhérents 54,5 millions d’euros, soit une hausse de 5 %. Environ 40 % de ce montant, soit près de 22 millions d’euros, proviennent des copies numériques professionnelles effectuées sous forme de panoramas de presse, de prestations de veille et de copies numériques ponctuelles.

Veille classique versus veille web
Le CFC, que dirige Laura Boulet (photo) depuis novembre 2021, a signé à ce jour des contrats d’autorisation de veille avec 30 prestataires de veille informationnelle, que cela soit pour de la veille médias traditionnelle, audiovisuelle, documentaire, stratégique ou encore de la veille entièrement sur le Web.
« Ces contrats définissent les cadres de l’autorisation fournie, prévoient le versement de redevances destinées à rémunérer les titres de presse concernés ainsi que l’identification des publications utilisées et de leur volume. Ces autorisations permettent à ces acteurs de la veille de reproduire en toute légalité des contenus des publications de presse dont le CFC gère les droits, dans le cadre de leurs activités de veille et de sélection d’articles de presse à destination de leurs clients », explique l’organisme de gestion collective agréé par le ministère de la Culture depuis 1996.
Reste que les acteurs de cette veille informationnelle sont méconnus du grand public puisque leurs activités sont tournées vers les entreprises, les organisations et les administrations. Cette « veille BtoB » (1) est assurée par de nombreux prestataires, aussi divers que variés (voir graphique page suivante), dont certains sont en concurrence frontale comme les prestataires de veille média traditionnels versus les prestataires de la veille web – ces deux catégories d’acteurs ayant les mêmes clients : les directions de la communication et des relations presse des entreprises ou d’organisations.
• Pour la veille médias classique, les prestataires se nomment Onclusive (ex-Kantar Media), Cision (ex- L’Argus de la presse), Aday (ex-EDD), Explore (Explore Group), ou encore Synthèse & Médias. Ils fournissent à des entreprises clientes des copies d’articles le plus souvent au format PDF (mais aussi par e-mail, par un intranet ou un extranet) et notamment sous la forme de panoramas de presse.
• Pour la veille documentaire, les sociétés Factiva (filiale de l’américain Dow Jones) et LexisNexis (filiale de l’anglo-néerlandais Relx, anciennement Reed Elsevier) sont des acteurs historiques, aux côtés de Cision (Europresse) et Aday (ex-EDD). Ils mettent à disposition de leurs clients professionnels des contenus de presse agrégés dans leurs bases de données constituées le plus souvent sous le format XML (2).
• Pour la veille entièrement en ligne, il y a des acteurs tels que le norvégien Meltwater spécialisé dans la veille sociale (sur les réseaux sociaux), l’intelligence média (veille de la presse en ligne) et l’e-réputation (3), ou le britannique Access Intelligence (Isentia, Pulsar, ResponseSource, Vuelio), le new-yorkais Emplifi (ex- Astute-Socialbakers), ou encore l’indien Press Monitor. Ils fournissent des liens et des analyses pointant vers les articles de presse, notamment pour que les entreprises clientes puissent connaître les retombées médiatiques de leurs communiqués de presse.
• Pour la veille par les agrégateurs de flux RSS que sont ces formats de syndication simplifié (4), les éditeurs d’applications de visualisation de ces flux sont le français Netvibes (racheté par Dassault Systèmes en 2012), le suédois Feeder, le bulgare Inoreader et les américains Flipboard et Feedly. Ils proposent de consulter les flux à partir d’une application, d’un logiciel ou d’un module intégré à une messagerie, qui permettent de n’importe quel terminal connecté d’afficher et de consulter les flux d’actualité.

L’intelligence artificielle à la rescousse
• Pour la veille dite stratégique
, lorsqu’il s’agit de veille marketing et concurrentielle, les principaux fournisseurs de services sont les français Digimind (racheté en juillet 2012 par Onclusive/ex-Kantar Media), KB Crawl, Launchmetrics et Sindup (Netprestation).
Ils collectent toutes les informations tous azimut (presse en ligne, réseaux sociaux, bases de données, …). Ils « crawlent » le Web pour proposer à des directions d’entreprises (marketing, stratégie, R&D, …) du « market intelligence » basés sur l’intelligence artificielle (IA).
• Pour la veille « sociale », sur les réseaux sociaux, les prestataires de « social listening » s’appellent Linkluence (une société française intégrée au groupe Meltwater depuis 2021), Meltwater en tant que tel, et le luxembourgeois Talkwalker. Les réseaux sociaux sont leur principal terrain de jeu, mais ils s’intéressent de plus en plus à la presse en ligne.

592 éditeurs concernés en France
• Pour la veille issue des data brokers
, ces courtiers de données exploitant le Big Data, dont les sources sont à la fois privées et publiques. Le norvégien Opoint et l’israélien Webz.io prospèrent dans ce domaine. Leur clientèle se trouve aussi bien dans les entreprises que chez des prestataires de veille.
• Pour la veille de référencement naturel, ou SEO (Search Engine Optimization), les trois principaux acteurs sont le français Botify, l’américain Semrush et l’allemand Sistrix. Leur spécialité : proposer en général en mode SaaS la recherche de mots-clés et de données d’analyse (classement, volume, coût, …).
Tous ces prestataires présents en France sont tenus de fournir au CFC le nombre d’articles de presse, de programmes audiovisuels et d’émissions radiophoniques, ainsi que des liens diffusées ou stockés pour la veille web). Et ce : par publication, par chaîne, par radio et par client. « Ces déclarations permettent d’établir la facturation. Pour la veille média traditionnelle, elle est également fonction de la redevance par article définie par l’éditeur pour chacune de ses publications sur la grille tarifaire du CFC. Pour les autres types de veille, il s’agit d’une somme forfaitaire, par client et par prestation dans le cas de la veille web », indique le CFC sans dévoiler les grilles tarifaires.
Ils sont 592 éditeurs en France à bénéficier des versements de redevances destinées à rémunérer les titres de presse concernés en fonction de l’identification de leur(s) publication(s) sur un total atteignant aujourd’hui 2.793 titres de presse et programmes audiovisuels. Rien que pour la répartition des droits pour les copies numériques professionnelle, le CFC indique que « 63 % des titres concernés par cette répartition sont des publications françaises » et « ces dernières représentent 98 % du montant total des redevances réparties ». Les sommes sont reversées aux éditeurs et aux auteurs en deux temps chaque année : en avril pour les redevances perçues au cours du second semestre de l’année précédente, et en décembre pour celles collectées au cours du premier semestre de l’année en cours. Ainsi, au premier semestre 2022 par exemple pour lequel plus de 8 millions d’euros ont été distribués par le CFC au titre des copies numériques, 15 éditeurs ont reçu chacun plus de 100.000 euros, 115 éditeurs ont reçu entre 10.000 et 100.000 euros et 342 plus de 1.000 euros. Mais il reste beaucoup à faire pour que tous les contenus de presse utilisés dans la veille soient monétisés au profit des éditeurs. Par exemple, les robots de crawling qui aspirent les contenus se bousculent au portillon des sites web sans forcément payer leur écot.

Du crawling à la rediffusion de podcasts
Aussi, le CFC a commencé à déployer un « outil de régulation des robots de crawling » (ORRC), dont la seconde version a été déployées en 2022 sur une quinzaine de sites de presse en ligne (dont Le Monde, Le Figaro ou encore Challenges). Ce qui permet à 17 « crawlers » en France de respecter le droit d’auteur dans le cadre d’une licence. La veille s’étend en outre aux podcasts qui rencontrent un large succès sur les plateformes Spotify, Deezer, Apple Podcast, Google Podcast, Acast ou encore Auscha. Le CFC propose désormais aux éditeurs de presse un nouveau mandat pour englober les rediffusions de podcasts. @ Charles de Laubier

Les fintech et les Big Tech pourraient aller jusqu’à faire disparaître la banque traditionnelle

Lors des 5èmes Assises des Technologies financières, qui se sont tenues le 23 novembre à l’initiative de l’agence Aromates, le scénario du démantèlement des services bancaires n’est pas un sujet tabou. Mais selon la Fondation Concorde une « coopétition » entre banques et fintech serait préférable.

Les fintech poursuivent plus que jamais leur conquête des services bancaires, au point que « la distinction entre banques et fintech devient ténue », souligne la Fondation Concorde dans son rapport consacré aux banques et aux fintech, dévoilé le 23 novembre par l’économiste Christian de Boissieu (photo) aux Assises des Technologies financières. En plus de services financiers innovants et fluides proposés aux utilisateurs, elles développent des solutions disruptives « appliquées à des maillons de la chaîne de valeur considérées comme cœur de métier des banques ». Exemple : le crédit constitue une des activités historiques des banques ; des fintech y interviennent désormais dans l’acquisition de données, les modèles d’analyse de risque, le processus d’octroi ou encore le paiement fractionné. Résultat : les demandes d’agréments auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour obtenir le statut d’établissement de crédit ont augmenté.

Crise existentielle au Comité de Bâle
« Les fintechs se transforment de plus en plus en établissements bancaires en termes réglementaires », constate la Fondation Concorde, think-tank pluridisciplinaire et indépendant créé il y a 25 ans. Pourtant, il y a un paradoxe français : la Banque de France rappelle que l’Hexagone est considéré comme le premier grand pays européen dans l’usage d’Internet pour les services bancaires. Or les fintech y sont moins nombreuses – 900 selon l’association France FinTech – que dans d’autres pays : en Allemagne ou en Grande-Bretagne, le secteur bancaire traditionnel est plus fragmenté et donc plus favorable aux fintech et néo-banques. Alors qu’en France, le monde bancaire est très concentré (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Caisses d’Epargne, Crédit Mutuel/CIC, La Banque Postale, …). Le Comité de Bâle – dont sont membres l’ACPR et la Banque de France parmi les superviseurs bancaires de 27 pays dans le monde (2) – envisage plusieurs scénarios possibles pour la transformation du paysage bancaire : de la survie de la banque traditionnelle « se modernis[a]nt à l’aide d’une expérience client numérique renforcée », à la fin de la banque traditionnelle avec « disparition de la fonction d’intermédiation bancaire ». Pour l’ACPR, qui a publié en juillet une analyse sur « les acteurs numériques de la finance » (3), le scénario où « les services bancaires sont “démantelés” pour être offerts sur des plateformes numériques » n’est pas à exclure. Ce démantèlement laisserait la place aux opérations et transactions financières directes entre parties prenantes (particuliers, entreprises, …), grâce au peer-to-peer (P2P), à la blockchain et aux cryptomonnaies. Même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît, dans un rapport d’avril 2022 (4), qu’« en portant l’innovation à un niveau inédit, une forme d’intermédiation financière fondée sur des cryptoactifs, dite “finance décentralisée” (DeFi), a connu une croissance extraordinaire ces deux dernières années, et est susceptible d’offrir une efficience accrue et des possibilités d’investissement » (5).
Le président du conseil scientifique de la Fondation Concorde, Christian de Boissieu (6), écrit dans sa préface du rapport présenté aux Assises des Technologies financières : « Grâce à leur taille souvent modeste, grâce à leurs plateformes performantes dans la collecte et le traitement des données – les fameuses data– grâce à des coûts de transaction extrêmement compétitifs, les fintechs sont venues bousculer les banques » (7). Lorsque ce ne sont pas des Big Tech américaines (GAFAM) ou chinoises (BATX) qui, en ayant accès à des gros volumes de données (big data), « détiennent un avantage concurrentiel majeur visà- vis des banques traditionnelles », ce sont les fintech qui interviennent dans différents domaines financiers : services de paiement, compensation et règlement, crédit, assurance, gestion d’actifs, cryptoactifs, … Il y aurait plus de 25.000 fintech en activité dans le monde, d’après Statista. Lorsqu’elles marchent sur tout ou partie des plates-bandes des banques traditionnelles, on les désigne comme des « néobanques ». « L’approche souvent disruptive des fintech leur permet de challenger les services financiers de base traditionnellement proposés par les banques, tant en termes de qualité que de coût », constate la Fondation Concorde.

« Tout est une question d’équilibre »
Mais, selon son rapport, « tout est une question d’équilibre : disposer d’un secteur bancaire fort et solide est un atout pour l’économie d’un pays, pourvu que cela ne bride pas l’innovation ». Et pour Jacques Marceau (photo de droite), organisateur des Assises des Technologies financières (agence Aromates) et administrateur et animateur de la commission « banques et services financiers » de la Fondation Concorde, les fintech sont « à la fois des partenaires stratégiques et un atout pour les banques traditionnelles ». @

Charles de Laubier

Gaia-X, le « cloud de confiance » franco-allemand, est-il pro-souveraineté numérique européenne ?

L’association Gaia-X pour un « cloud de confiance » en Europe, a organisé son 3e sommet, qui s’est tenu cette année les 17 et 18 novembre à Paris. Censée contribuer à la « souveraineté numérique » européenne, elle compte parmi ses membres de nombreux américains et chinois.

Annoncé en juin 2020, le projet franco-allemand de « cloud de confiance » Gaia-X a été officiellement lancé sous forme d’association internationale à but non lucratif en janvier 2021. De 22 entreprises et organisations fondatrices au départ, toutes d’origine européenne, Gaia-X compte aujourd’hui plus de 359 membres venus quasiment des quatre coins du monde, comme le montre le répertoire en ligne des entités adhérentes (1). Beaucoup d’entre eux se sont retrouvés les 17 et 18 novembre à Paris en présentiel ou en distanciel à la troisième édition du Gaia-X Summit.

14 membres américains et 4 chinois
Si les différents intervenants à ces deux journées étaient tous européens (2), il n’en demeure pas moins que la Gaia-X European Association for Data and Cloud (sa dénomination officielle), de droit belge, basée à Bruxelles et dirigée par Francesco Bonfiglio (photo), joue plus sur le registre du « cloud de confiance » que sur celui de « cloud souverain ».
La composition de ses membres le démontre, au-delà des 22 fondateurs européens (dont Atos, Deutsche Telekom, OBS/Orange, EDF, Docaposte/La Poste, Outscale/Dassault Systèmes, OVH, SAP, Siemens, …). Ainsi, sont aussi membres de Gaia-X des entreprises et des organisations extra européennes qui doivent composer avec les objectifs de cloud de confiance et de souveraineté numérique recherchés en Europe. Ces membres « étrangers » au Vieux Continent, qui sont au nombre de vingt-quatre selon le décompte effectué par Edition Multimédi@ sont étatsuniens (quatorze d’entre eux), chinois (cinq), japonais (quatre) ou sud-coréen (un). Ainsi, le consortium Gaia-X qui se veut le garant en Europe du cloud de confiance, voire du cloud souverain, est plus ouvert aux acteurs du reste du monde qu’il n’y paraît.
Y sont présents les américains Amazon (basé au Luxembourg), Google (basé en Irlande), Microsoft (basé en Belgique), Palantir Technologies (proche de la CIA et basé dans le Colorado), Oracle (basé en Californie), Salesforce (également en Californie), AMD (aussi en Californie), mais aussi Cisco (basé en Belgique), Seagate (basé en Irlande), Dell (également en Belgique), Hewlett Packard (basé en Allemagne), IBM (également en Allemagne), Intel (aussi en Allemagne) ou encore Snowflake (basé en Californie). L’Empire du Milieu n’est pas exclu du cloud européen, loin s’en faut puisque sont membres de Gaia-X les chinois Alibaba (basé à Singapour), Huawei Technologies (basé en Allemagne), Haier (basé à Qingdao en Chine), Shenzhen Shuxin Technology (basé à Shenzhen en Chine) ou encore la China Academy of Information and Communications Technology (CAICT basée à Pékin). Le pays du Soleil-Levant n’est pas en reste avec les japonais Fujitsu (basé en Allemagne), Nec (basé au Japon), NTT (également au Japon) et Mitsubishi Electric (basé Allemagne). Quant au Pays du Matin frais, il est lui aussi présent au sein de Gaia-X à travers le sud-coréen Kosmo (basé à Sejong en Corée du Sud). Or, le projet Gaia-X n’était-il pas de construire l’infrastructure de données de nouvelle génération pour favoriser la souveraineté numérique de l’Europe, offrant une alternative européenne aux hyperscalers américains que sont en tête Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud, et même chinois comme Alibaba ?
Il y a un an presque jour pour jour, la sénatrice Catherine Morin- Desailly avait exprimé son incompréhension de voir le chinois Huawei si actif au sein de Gaia-X, qui plus est sponsor du second Gaia-X Summit arborant alors ce message commun: « Gaia-X & Huawei considèrent de la même manière la souveraineté des données et la digitalisation comme des facettes tout aussi importantes de la société et de l’économie d’aujourd’hui » (3). D’où le tweet de sénatrice : « Je croyais que le but de Gaia-X était à l’origine de construire une offre franco-allemande indépendante des géants américains et chinois ! C’est tout le contraire qui s’est produit depuis un an » (4). Pour ce troisième Gaia-X Summit, les français Dawex et Ionos, et les allemands Ionos et De-Cix sont cette fois les sponsors – de quoi redonner des couleurs franco-allemandes à Gaia-X ! La souveraineté numérique et les « infrastructures de données souveraines » ont été au coeur des discussions de ce sommet. Sans que l’on sache vraiment si le cloud souverain doit rester franco-français ou euro-européen.

La position dominante des hyperscalers
Rien qu’en France, le trio de tête Amazon-Microsoft-Google s’arroge plus des deux tiers du marché nuagique en 2021. Ils ont été convoqués par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une consultation publique sur le cloud qui s’est achevée en septembre (5). La bataille du cloud sévit aussi sur toute l’Europe, des plaintes du français OVH et de l’allemand Nextcloud ayant notamment été déposées en 2021 auprès de la Commission européenne (6). Quant aux grandes entreprises françaises, souvent internationales, elles parlent plus de cloud de confiance – référentiel de trusted cloud à la clé (7) – plutôt que de cloud souverain. @

Charles de Laubier