Avec l’arrivée de Carrefour, le marché français de la VOD s’éclate encore un peu plus

Est-ce une bonne nouvelle pour le marché français de la vidéo à la demande (VOD) ? Carrefour a lancé le 27 janvier un service baptisé Nolim Films – sur Nolim.fr, déjà librairie en ligne. La France compte déjà plus de 80 offres VOD
à l’acte ou par abonnement, alors que les ventes ne décollent pas.

Carrefour arrive un peu tard sur un marché français de la VOD déjà saturé d’un trop plein d’offres légales de films et séries en ligne, aux catalogues qui laissent souvent à désirer en termes de qualité et de profondeur – sans parler du manque de fraîcheur liée aux contraintes réglementaires de la chronologie des médias. D’après le site Offrelegale.fr que gère l’Hadopi, il y a pas moins de
81 services de VOD (à l’acte) ou SVOD (par abonnement) en France (1) – sans compter Nolim Films non encore référencé.

En attendant Amazon Prime en France
Apple avec iTunes et les opérateurs télécoms (Orange, SFR, Numericable SFR, BBox VOD, …) dominent le marché, suivis des offres des chaînes de télévision (MyTF1 VOD, CanalPlay, …) et des acteurs indépendants (Videofutur, Filmo TV, Wuaki, MegaVOD, Jool Vidéo, …). Le lancement de l’offre SVOD de Netflix en France il y a à peine cinq mois n’a pas bousculé le marché, malgré une campagne de publicité soutenue et une couverture médiatique sans précédent (2). Ce qui devrait refroidir les ardeurs d’Amazon Prime qui lorgne la France.
Cet éclatement du marché du cinéma à la demande ne facilite pas la tâche des consommateurs qui se perdent dans les méandres des différents catalogues et qui éprouvent de la frustration à force de ne pas trouver les oeuvres recherchées – le nouveau portail http://vod.cnc.fr y remédiera- t-il ? Malgré la pléthore de plateformes, l’offre de films disponibles ne dépasse à peine les 12.000 oeuvres : 12.160 titres précisément à septembre 2014, selon le CNC. Ceci explique sans doute cela : il y a
une quasi stagnation du marché français de la VOD et un succès grandissant des
sites web favorisant le piratage. Selon les cabinets NPA Conseil et GfK, la vidéo à
la demande en France (VOD et SVOD) n’a progressé que de 5 % sur un an, à 225 millions d’euros de janvier à novembre 2014. C’est un peu mieux que l’année 2013
qui affichait pour la première fois un recul du chiffre d’affaires de près de 3 %, à 245 millions d’euros.

L’arrivée du géant de la grande distribution, avec sa force de frappe, donnera-t-il une nouvelle impulsion à la VOD sur l’Hexagone. « Nous voulons devenir le catalogue le plus large de vidéos digitales en France, nous aurons 3.000 références au lancement sur le site Nolim.fr (3), et chaque jour, nous ajouterons des dizaines de films et séries », a promis Emmanuel Rochedix (photo), directeur culture (physique et digital) de Carrefour depuis octobre 2012. Après une première expérience en 2008 avec Glowria (devenu par la suite Videofutur chez Netgem), Carrefour se lance à nouveau dans la VOD – sur Nolim.fr mais pas via les box des fournisseurs d’accès à Internet (FAI)…
A-t-il tardé à se relancer sur le marché de la vidéo dématérialisée pour préserver ses ventes de DVD et Blu-ray, dont il est le troisième distributeur de en France ? Impacté directement par la chute des ventes de vidéos sur supports physiques, un segment de marché en chute de 14 % en valeur cette année (4), l’enseigne de grande distribution se devait de réagir. D’autant que les ventes de vidéo en ligne sont encore loin de compenser la baisse continue de celles de la vidéo physique (divisées par deux en
dix ans).
Nolim Films propose notamment la solution dite UltraViolet. Ce standard développé
par le consortium international Derec (5), lequel réunit des industriels et les majors du cinéma NBC Universal, Paramount, Warner Bros et Sony Pictures (mais pas Disney), permet à Carrefour d’inciter ses clients à continuer à acheter des supports vidéo physiques en leur permettant de récupérer en ligne et sans surcoût la copie numérique du film ou de la série. Un coupon avec un code UltraViolet est placé à cet effet dans le boîtier. Aux Etats-Unis, où ce standard a été lancé en 2011, les grands distributeurs Walmart et Target l’ont adopté. Lancé discrètement en France fin 2013, avec comme partenaires Sony Pictures ou Flixster (jusqu’à l’arrivée de Carrefour), ce standard ne totalise pour l’instant que 120.000 comptes ouverts sur le marché français. Mais UltraViolet compte aujourd’hui quelque 21 millions de comptes ouverts dans le monde (dont 18,7 millions aux Etats-Unis).

Attrait du téléchargement définitif (EST)
En France, il pourrait contribuer à la démocratisation du téléchargement définitif ou EST pour Electronic Sell Through (6). Alors que la VOD à l’acte en France est à la peine et que la SVOD est encore embryonnaire, l’achat définitif de films et séries dématérialisés (achetés une fois pour le stocker chez soi) devrait prendre de l’ampleur en 2015. Selon le cabinet NPA Conseil, l’EST aurait généré l’an dernier 50 millions d’euros de chiffre d’affaire et pourrait atteindre en 2018 de 80 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Pub en ligne : annonceurs et agences ne parlent plus de « médias » mais d’ « audiences »

Le maître-mot publicitaire cette année est « Real Time Bidding », ou RTB. La publicité dite « programmatique », avec ses ventes aux enchères en temps réel, devient la règle. Les publicitaires n’achètent plus de l’espace média mais du volume d’audience. C’est à risque pour les éditeurs de… « marques ».

Par Charles de Laubier

Charles de LaubierLes médias sont morts, vive les audiences ! Les annonceurs publicitaires ne disent plus Le Monde, Libération, TF1, M6, Elle, L’Express, La Tribune, Marianne, etc. Ils ne s’expriment plus désormais qu’en des termes anglo-saxons plus abscons les uns que les autres : Ad Exchange (Ad Ex), Real Time Bidding (RTB), Retargeting, Trading Desk, Demand-Side Platform (DSP), Supply Side Platform (SSP), Data Management Platform (DMP), Ad Network (AN), etc.
Les journaux, chaînes ou radios, que les éditeurs de médias valorisent désormais depuis quelques années comme des « marques » auprès des annonceurs, sont maintenant perçus comme des « audiences » à cibler pour vendre. Ni plus, ni moins.

Accord de libre-échange : l’Europe et les Etats-Unis pourraient faire « diversité culturelle » commune

Les négociations pour un accord de libre-échange transatlantique démarreront
« avant les vacances d’été ». L’audiovisuel et la culture, s’affranchissant des frontières via Internet, pourraient en faire partie, malgré l’hostilité des tenants
de l’« exception culturelle », notamment en France.

Economie numérique aidant, les Etats-Unis veulent inclure l’audiovisuel et les industries culturelles dans le prochain accord commercial bilatéral avec l’Union européenne. Mais certains pays des vingt-sept, France en tête, ne veulent pas que les secteurs qui relèvent pour eux de l’« exception culturelle » – à savoir l’audiovisuel et la culture (cinéma, télévision, musique ou encore édition compris) – en fassent partie.

Quid des quotas et des subventions ?
C’est un sujet hautement sensible, surtout en France près de vingt ans après que les accords du GATS (1) – entrés en vigueur le 1er janvier 1995 – aient exclu l’audiovisuel
du libre-échange sur le commerce et les services. Le futur accord « US-UE » pourrait, selon certains, remettre en cause cet acquis préservé par la convention de l’Unesco (2) de 2005, sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, signée depuis par 125 pays – pas les Etats-Unis. Mais le commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, a tenté de rassurer : « L’accord entre les Etats-Unis et l’Europe ne changera pas de force les pratiques courantes entre les Etats membres [de l’Union], lesquels continueront de pouvoir soutenir leurs industries culturelles et le secteur audiovisuel en particulier, à travers notamment les quotas de diffusion ou les subventions tels que prévus dans les directives européennes actuelles ». Il est ainsi intervenu le 12 mars, jour où la Commission européenne a approuvé le projet de mandat pour qu’il puisse négocier avec les Etats- Unis. Le Conseil européen, auquel va être transmis ce projet de mandat accompagné d’un projet de directives de négociation, doit encore donner son feu vert. La France a encore quelques semaines pour convaincre d’autres pays européens – dont l’Allemagne – d’exclure l’audiovisuel de ces prochaines négociations. Le 15 mars, François Hollande a déclaré : « Je veux que ces domaines [normes sanitaires et services audiovisuels] soient exclus du champ de la négociation ».
Mais Barack Obama, président des Etats-Unis, et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, tiennent à ce partenariat transatlantique « sans entraves » (3) qui pourrait ensuite « contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral ». Et ils le veulent « dans les plus brefs délais » pour gagner rapidement 0,4 % (pour les Etats-Unis) et 0,5 % (pour l’Europe) de hausse du PIB.
Cela suppose d’ouvrir aussi leurs marchés à de « nouveaux secteurs », et pourquoi pas l’audiovisuel et les industries culturelles, dont le cinéma (4), de plus en plus transfrontaliers. En outre, des discussions « US-UE » engagées dès 2005 sur les droits de propriété intellectuelle (5) vont s’intensifier : il s’agit notamment d’« aider l’industrie
dans la légitimation de l’accès d’importants fournisseurs de services Internet au contenu protégé par le droit d’auteur » (6).
Mais, devant cette abolition des frontières culturelles entre le Vieux continent et le Nouveau monde, ses opposants veulent convaincre la commissaire européenne, Androulla Vassiliou, en charge de la Culture, d’exclure expressément l’audiovisuel de la négociation. Les Coalitions européennes pour la diversité culturelle (CEDC) – groupement informel créé en 2005 – craignent, quant à elles, que cette libéralisation ne « rend[e] caduques les politiques mises en place en faveur de la diversité culturelle, notamment
les mesures de quotas et de soutien financier ». Parmi elles, la Coalition française pour
la diversité culturelle – créée en 1997 sous le nom d’association ADRIC (7) et présidée par la SACD (8) – craint que, face à la puissante industrie audiovisuelle américaine,
« l’exception culturelle [ne soit] réduite à peau de chagrin ». Le 18 février dernier, elle affirmait que « les Etats- Unis souhaitent rattacher une partie des services audiovisuels au secteur des nouvelles technologies pour mieux exclure l’application des règles de la diversité culturelle et militent, en effet, pour un détachement de la vidéo à la demande [VOD], TV de rattrapage, etc… du secteur audiovisuel classique ». Ainsi, selon la Coalition française, « par le jeu subtil des définitions, les ‘’nouveaux services audiovisuels’’ pourraient ainsi être libéralisés ».

Internet perçu comme Cheval de Troie
Quant à l’exception culturelle, « elle n’aurait plus vocation qu’à s’appliquer à la distribution des œuvres via les médias traditionnels, mais ne vaudrait plus pour la diffusion des œuvres par Internet, qui représentera à l’avenir l’essentiel de ces services ».
Et d’ajouter : « Cette démarche de libéralisation reviendrait également à rendre difficile toute modernisation du financement de la création en protégeant les acteurs importants
de l’Internet américains (Apple, Facebook, Amazon, Google, etc…) d’une ‘’exception culturelle 2.0’’ ». @

Charles de Laubier

« Préalable » : le mot qui pourrait compromettre la publicité sur Internet

Le gouvernement doit publier d’ici le 25 mai une ordonnance pour transposer la nouvelle directive européenne « Service universel et droits des utilisateurs » sur Internet. Elle impose aux Vingt-sept de prévoir le « consentement préalable » des internautes pour chaque « cookie » déposé dans son ordinateur.

Le marché de la publicité, qui devrait dépasser cette année en France les 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (contre 2,3 milliards en 2010 selon l’Irep) et franchir en Europe la barre des 10 milliards d’euros (contre 8,6 milliards en 2010 selon l’Idate),
est sur le point d’être déstabilisé par un petit mot : « préalable ».

L’opt-in va remplacer l’opt-out
« Préalable » a été rajouté dans la nouvelle directive européenne Service universel et droits des utilisateurs sur les réseaux et services de communications électroniques,
qui a été promulguée le 18 décembre 2009 au JOCE (1) et qui doit être transposée d’ici
le 25 mai 2011 après avoir notifié le texte à la Commission européenne. Ainsi, l’article 6
de ce texte communautaire prévoit désormais que tout éditeur de contenus en ligne ou tout fournisseur de services sur le Web obtiennent le « consentement préalable » de chaque internaute avant de déposer dans l’ordinateur de ce dernier – ou le smartphone
du mobinaute – un cookie. La précédente directive de 2002 prévoyait bien le consentement mais pas de façon préalable. Ce que modifie la nouvelle directive (2).
C’est ce passage de l’opt-out (accord tacite) à l’opt-in (accord exprès) que redoutent
les acteurs de l’Internet. D’autant que toute l’économie de la publicité en ligne est basée sur les fameux « cookies », ces petits fichiers informatiques nés en 1994 chez Netscape sous le nom de « magic cookie » et destinés à suivre à la trace chaque internautes naviguant sur le Web. Une fois installé discrètement dans l’ordinateur au moment de la première visite sur un site web, le cookie fait office de témoin, voire de mouchard ou d’espion, à chaque fois que l’utilisateur se reconnecte. Ils sont déposés par le navigateur complice (Google, Firefox, Opera, Chrome, …), à l’insu de l’internaute, et servent aux éditeurs de services en ligne à collecter toutes sortes
de données utiles à la gestion des connexions (identifiants par exemple), à la personnalisation des sessions (préférences notamment), ou au pistage des visites (statistiques, centres d’intérêt, transactions, etc). C’est sur ce tracking que s’appuie particulièrement l’industrie de la publicité en ligne qui égrène pour ce faire des millions de cookies, dits « tierces parties » car ils relèvent de noms de domaine différent de celui visité par l’internaute. Les annonceurs, leurs agences de publicité et les régies publicitaires en sont friands. Et pour cause : c’est grâce à leurs cookies que les publicitaires vont mesurer l’audience de leurs bannières, pub vidéo et autres liens sponsorisés (3), afin d’en mesurer leur efficacité et de proposer par la suite des publicités ciblées en fonction des préférences de l’internaute recueillis sans qu’il le sache par le cookie. Dans son considérant 25, la directive de 2002 explique que « les dispositifs de ce type, par exemple des témoins de connexion (cookies), peuvent constituer un outil légitime et utile, par exemple pour évaluer l’efficacité de la conception d’un site et de la publicité faite pour ce site, ainsi que pour contrôler l’identité des utilisateurs effectuant des transactions en ligne. (…) L’accès au contenu d’un site spécifique peut être, toutefois, subordonné au fait d’accepter, en pleine connaissance
de cause, l’installation d’un témoin de connexion (…). » (4). Or, les internautes sont suspicieux envers cette intrusion. Selon une étude de ETO et Market Audit publiée
le 10 mars, 70 % des consommateurs refusent que leurs données personnelles – et les cookies en font partie selon la Cnil – soient utilisées par les annonceurs. De plus, selon Benoît Cassaigne, directeur exécutif de Médiamétrie, jusqu’à 50 % des cookies sont effacés par les internautes dans le mois à partir de leur navigateur (5). Le consentement préalable pourrait anéantir les cookies. Le gouvernement français ne pourra faire l’impasse sur l’opt-in malgré les pressions des premiers concernés – tels que l’Interactive Advertising Bureau France (IAB) – pour assouplir le texte. Depuis un an, une première version de l’ordonnance prévue dans le cadre de la transposition du Paquet télécom prévoit bien le consentement préalable des internautes vis-à-vis des cookies et, toujours conformément à la directive de 2009, « la possibilité de retirer à tout moment leur consentement pour le traitement des données relatives au trafic ».

Pas de débat, grande inquiétude
Les professionnels n’ont eu de cesse d’alerter le gouvernement sur les risques que
ces dispositions faisaient peser sur le marché de la publicité en ligne. Maintenant que
le gouvernement est habilité à transposer par ordonnance, donc dans l’urgence et
sans débat parlementaire (6), l’inquiétude monde. S’il y a méfiance et désaffection
des annonceurs vis-à-vis de l’e-pub, qui financera les contenus gratuits du Web ? @

Charles de Laubier