Turbulences : s’achemine-t-on vers l’éclatement de la bulle « Apple » ?

Malgré une dévalorisation de 20 % depuis le début de l’année, la marque à la pomme demeure la première capitalisation boursière mondiale. Après l’accueil mitigé de l’Apple Watch, il lui faut trouver un autre produit – la TV en ligne ? – pour compenser la saturation du marché des smartphones.

La rentrée d’Apple s’annonce décisive. Timothy Cook, qui
a pris la succession de Steve Jobs il y a maintenant quatre ans (le 24 août 2011), doit encore convaincre sur sa capacité à maintenir Apple dans la course à l’innovation et à la croissance. Deux rendez-vous l’attendent en tant que keynote speaker : la traditionnelle conférence de rentrée prévue le 9 septembre à San Francisco, où seront présentés de nouveaux iPhone, un décodeur Apple TV plus puissant, et un nouvel iPad ; la conférence annuelle BoxWorks le 29 septembre, organisée par la société américaine Box à San Francisco également, où Apple tentera de séduire les entreprises.

Débâcle boursière évitée de peu
Mais avant de faire état de ses nouveaux produits, la marque à la pomme a dû affronter durant l’été des turbulences boursières. Le 24 août dernier, l’action d’Apple en Bourse a bu la tasse : elle est passée un temps sous la barre des 100 dollars, avant de remonter au-dessus pour demeurer la première capitalisation boursière au monde. Ce yoyo est intervenu à la suite des craintes des investisseurs à propos de l’impact du ralentissement de la croissance en Chine sur les ventes du fabricant des iPhone et des iPad. Apple, qui réalise maintenant près de 30 % de son chiffre d’affaires dans l’Empire du Milieu grâce à un doublement de ses ventes trimestrielles, s’est voulu rassurant :
« Je continue de penser que la Chine offre des opportunités sans égales sur le long terme », a souligné Tim Cook (photo), le PDG d’Apple, dans un email envoyé à la chaîne de télévision financière CNBC. A ce propos, le magazine américain Fortune estime que ce message pourrait violer la règlementation boursière de la SEC (1) qui interdit aux entreprises cotées de partager des informations (fair discosure) avec des personnes susceptibles d’en tirer profit. Or Jim Cramer, le chroniqueur de CNBC destinataire de l’e-mail de Tim Cook, cogère un fonds qui a Apple parmi ses investissements… Délit d’initié ?

Il n’en reste pas moins que le retournement de tendance de l’économie en Chine a plus que jamais un impact direct sur les perspectives de croissance de la firme de Cupertino (Californie), qui y réalise désormais un chiffre d’affaires plus important qu’en Europe.
Le marché chinois pourrait devenir à terme le premier d’Apple dans le monde. Ce jour-là, l’action d’Apple a reculé jusqu’à 13 % à 92 dollars, avant de reprendre du poil de la bête dans la journée à un peu plus de 103 dollars. Tim Cook, avec son e-mail, aurait sauvé Apple d’une débâcle boursière de 70 milliards de dollars ! Mais on est loin des 133 dollars atteints en février dernier, ce qui correspond à une baisse de la valorisation de plus de 20 % depuis le début de l’année. Cependant, Apple n’est pas un cas isolé dans cette tendance baissière : Google, Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix ou encore Twitter ont eux aussi subi une certaine décote boursière, tout comme les
valeurs chinoises telles Alibaba, Baidu et Weido.

Doit-on s’attendre pour autant à une explosion de la bulle « Apple » ? Les analystes financiers ne l’envisagent pas, pour l’instant. L’action vedette du Nasdaq résiste donc. Mais jusqu’à quand ? Apple va-t-il terminer son année fiscale, le 30 septembre prochain, sur des ventes de l’iPhone aussi « décevantes » qu’au cours du troisième trimestre ? La marque à la pomme, dont l’action en Bourse avait déjà reculé de 6 %
en juillet, est très dépendante de son smartphone vedette qui pèse plus de 60 % dans ses revenus globaux. Malgré une croissance des ventes d’iPhone de 35 % au cours
du troisième trimestre (47,5 millions d’unités sur ces trois mois), c’est en deçà de ce qu’attendaient les analystes et plus de 20 % de moins qu’au trimestre précédent. Quant aux ventes des iPad, elles continuent de reculer. Pour enrayer la chute, Apple prévoit la sortie d’une tablette à large écran susceptible de séduire les détenteurs d’ordinateurs portables (notamment dans les entreprises).

Apple Watch : succès incertain
C’est aussi à l’aune de ses résultats annuels, lesquels seront dévoilés en octobre, que seront données pour la première fois les ventes de l’Apple Watch, la montre connectée qui est censée compenser le déclin des ventes des baladeurs musicaux iPod. Aucun chiffre n’a pour l’instant été indiqué, mais Tim Cook a assuré que « l’Apple Watch a représenté plus que 100 % de la croissance de la catégorie “autres produits” » et
que les retours des clients sont « incroyablement positifs ». La société d’études Slice Intelligence a estimé que les ventes de l’iWatch – déjà considérées comme modestes au regard du battage médiatique lors du lancement (2) – avaient chuté après les premières semaines de commercialisation. Selon l’agence de presse Bloomberg, Apple aurait vendu quelque 2 millions de montres connectées depuis le mois d’avril, loin des
3 à 5 millions unités espérés par des analystes. Quoi qu’il en soit, le patron d’Apple table sur les fêtes de fin d’année pour remettre les pendules à l’heure.

Musique et télé : planches de salut ?
C’est encore dans la catégorie « autres produits » que Tim Cook est attendu au tournant, avec cette fois la musique en ligne par abonnement. Depuis son lancement fin juin, Apple Music aurait fidélisé 79 % de ses utilisateurs. C’est du moins ce qu’affirmait le 19 août à l’AFP un porte-parole de la marque à la pomme, alors que la société d’études MusicWatch était plus pessimiste : seulement 52 % de fidélisés, les autres utilisateurs ayant renoncé à utiliser ce nouveau service de streaming par abonnement (9,99 dollars par mois) après une période d’essai gratuit de trois mois. Dans une interview au quotidien USA Today le 6 août, Eddy Cue – vice-président d’Apple en charge des logiciels et services Internet (reportant directement à Tim Cook) – avait indiqué qu’Apple Music comptait alors 11 millions d’utilisateurs (3). C’est encore très loin des 75 millions d’utilisateurs (dont 20 millions payants) du concurrent suédois Spotify (4). En 2013, Apple avait lancé iTunes Radio sans grand succès. En 2010, réseau de partage musical Ping avait été lancé puis arrêté deux ans plus tard.

Numéro un mondial du téléchargement de musiques, l’opérateur de la boutique iTunes n’est pas assuré de gagner son pari de devenir leader sur le marché de la musique
en streaming. A moins que la version Android attendue pour cet automne attire plus d’abonnés. A cette incertitude s’ajoute le fait que, selon l’agence de presse Reuters
le 13 juillet dernier, le gendarme américain de la concurrence (la Federal Trade Commission) examine les pratiques d’Apple sur son App Store vis-à-vis des applications des services de streaming musical concurrents (Spotify, Deezer, Rhapsody, Jango, …). De son côté, la Commission européenne continue d’observer ce marché des applications musicales où Apple prélève 30 % de commission (voir encadré). Au-delà de l’Apple Watch et d’Apple Music, la marque à la pomme compte sur un autre service qui viendra là aussi enrichir sa catégorie « autres produits » : la TV en ligne. Selon l’agence Bloomberg le 14 août, l’annonce de ce bouquet de télévision sur Internet devait être faite le 9 septembre mais elle a été reportée à 2016 en raison des négociations plus longues que prévu avec les groupes de télévision américains (CBS, Fox, ABC, …) et du manque de capacités sur les réseaux. Il y a un an, Apple avait discuté en vain avec le câblo-opérateur Comcast. En revanche, une version plus puissante de son set-top-box Apple TV devrait être annoncé ce jour-là. Ce décodeur, dont la première version fut lancée fin mars 2007, devrait proposer l’an prochain le futur bouquet TV qui sera aussi disponible sur les smartphones et tablettes fonctionnant sous iOS. La chaîne HBO du groupe Time Warner est déjà proposée par Apple, qui envisage par ailleurs de se lancer dans la production originale (selon Variety du 1er septembre). La firme de Cupertino doit aussi apaiser les craintes des chaînes de télévision et des câbloopérateurs américains de voir leur clients renoncer à leurs abonnements mensuels « cable TV » au profit de services TV sur Internet (Over-The-Top) moins coûteux et délinéarisés avec les programmes à la demande (5). Mais comme le succès n’est pas garanti, même quand on s’appelle Apple, il reste encore la possibilité de faire des acquisitions telles que celle au prix fort – 3 milliards de dollars – de Beats Electronics en mai 2014. La firme de Cupertino en a largement les moyens : son trésor de guerre a dépassé pour la première fois, fin juin, la barre des 200 milliards de dollars (à 202,8 milliards précisément). Que va faire la firme de Cupertino de cette masse d’argent disponible ? Jusqu’alors, elle a préféré s’endetter pour verser des dividendes à ses actionnaires plutôt que de puiser dans ses réserves. Une nouvelle acquisition n’est pas à exclure. @

Charles de Laubier

ZOOM

30 % : Apple pourrait revoir sa commission à la baisse
La règle des 70/30 pour le partage de la valeur entre l’éditeur (recevant 70 % du prix de vente) et le diffuseur (prélevant 30 % de commission) pourrait être remise en question. Pratiquée par la plupart des App Store dans le sillage de la marque à la pomme et de sa boutique iTunes, cette répartition des revenus provenant des applications, des contenus ou des services en ligne est-elle encore justifiée aujourd’hui ? A l’heure où les services de streaming se multiplient (musique en ligne, télévision à la demande, presse numérique, …) et remportent l’adhésion d’un plus grand nombre, Apple s’interroge sur cette clé de répartition commerciale. Selon le Financial Times daté du 5 juin dernier, la firme de Cupertino pourrait baisser ses prétentions et descendre en dessous des 30 % pour reverser plus aux éditeurs audiovisuels et groupes de médias confrontés à une grave crise des recettes traditionnelles.
Les autres applis mobiles ne seraient pas concernées par cette réflexion. @

Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Incertitude fiscale jusqu’à fin 2016
La CJUE a en effet décidé le 5 mars dernier que l’application par la France (1) d’un taux réduit de TVA aux livres numériques téléchargeables était illégal. Depuis janvier 2012, la France applique l’alignement du taux de TVA pour les livres numériques sur celui du livre papier : 5,5 %. Or, selon la Commission européenne, le livre numérique est un service de téléchargement qui doit donc être assujetti au taux normal de 20 %. La France s’attendait à être condamnée pour infraction au droit communautaire et sera
a priori contrainte de revenir l’an prochain au taux normal de TVA pour les ebooks.
Mais l’exécutif européen a tout de même reconnu qu’il lui fallait, dans le cadre d’une réforme générale de la TVA qu’il dévoilera fin 2016, aligner le taux de TVA des livres numériques. Car, pour l’heure, la directive européenne « TVA » ne permet d’appliquer le taux de TVA réduit qu’aux biens et services cités dans son annexe III, laquelle ne
cite que les livres sur support physique. De plus, la CJUE constate que la législation communautaire exclut explicitement la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA
aux « services fournis par voie électronique » (2). Ce qui est le cas de la vente de livres numériques.

Selon le monde de l’édition française, le retour à une TVA à 20 % au lieu de 5,5 % donnera un sérieux coup de frein au marché du livre numérique dont le démarrage reste déjà lent. « La transition vers le numérique est en cours pour les éditeurs et les incertitudes qui pèsent sur le taux de TVA à appliquer pour les livres numériques téléchargeables mettent tous les acteurs de la filière du livre dans une situation compliquée. (…) L’équilibre financier reste délicat à atteindre pour les éditeurs et la lecture sur support numérique a besoin de conditions favorables pour se développer », a expliqué Gabriel Zafrani. En 2014, le marché de l’édition numérique – tous supports et catégories éditoriales confondus – a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3 % sur un an. Cela représente, toujours en valeur, 6,4% des ventes de livres des éditeurs. Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64 % des ventes en numérique (contre 58 % l’an dernier). Quant à l’édition numérique grand public, elle atteint désormais 2,9 % des ventes de livres (contre 2,3 % l’an dernier). Mais les maisons d’édition françaises peuvent s’estimer épargnées pour l’instant par le verdict de la CJUE : la Commission européenne – qui est souveraine sur ce sujet – a décidé de ne pas poursuivre la France où un changement de TVA pour les livres numériques n’interviendra pas avant le 1er janvier 2016 (loi de Finances 2016). Tandis que la réforme de la TVA sera présentée
fin 2016 par la Commission européenne. « Il est possible que le passage au taux plein de TVA soit suspendu d’ici là », espère le SNE. Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, actuel commissaire européen à la Fiscalité (3), que dépendra l’issue politique de cette épineuse affaire.
La décision doit être prise à l’unanimité par les Etats-membres. Ce n’est pas gagné :
les ministres de la Culture croient plutôt à cet alignement de TVA, alors que les ministres des Finances sont plus réservés.

Les Vingt-huit sont très divisés
« Une dizaine d’Etats demeurent encore opposés à cette réforme : le Royaume-Uni
en particulier, qui craint une remise en cause de son taux zéro sur le livre papier, le Danemark et la Bulgarie qui pratiquent des taux normaux sur le livre papier, mais
aussi l’Estonie, l’Irlande, Malte, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et l’Autriche. D’un autre côté, l’Italie a adopté une loi sur le taux réduit de TVA pour les livres physiques et numériques, y compris en ligne (4 % au lieu de 22 %), en vigueur depuis le 1er janvier 2015 », détaille le SNE dans son rapport d’activité 2014-2015 dévoilé lors de son AG. Le syndicat avait lancé en mars dernier une vaste campagne virale baptisée #ThatIsNotABook, afin d’interpeller les instances communautaires et sensibiliser les lecteurs français et européens à la nécessité de préserver un taux de TVA réduit sur le livre numérique. @

Charles de Laubier

Comment Apple se jette dans la bataille du streaming, en lançant un défi à Spotify et Deezer

Beats fut il y a un an la plus grosse acquisition d’Apple (3 milliards de dollars) ; Apple Music sera son plus grand défi depuis le lancement d’iTunes Music Store en 2003. La marque à la pomme, qui devrait annoncer le 8 juin son entrée sur le marché mondial du streaming, bouscule les pionniers.

C’est lors de la grand-messe de ses développeurs, la Worldwide Developers Conference (WWDC), que Tim Cook (photo), directeur général d’Apple, devrait lancer son service de streaming baptisé « Apple Music ». Jusqu’alors numéro un mondial du téléchargement de musique sur Internet, iTunes proposera désormais du streaming par abonnement – soit plus de dix ans après le lancement d’iTunes Music Store et du téléchargement
de musiques.

Après Ping et iTunes Radio
Cette offensive mondiale d’Apple dans le streaming est la troisième après le lancement il y a deux ans – également lors de la WWDC – d’iTunes Radio qui permet d’écouter des radio en streaming sur le modèle de Pandora, et après l’échec du réseau de partage musical Ping lancé en 2010 puis arrêté deux ans plus tard. Mais cette fois, il s’agit de s’attaquer au marché mondial du flux musical et vidéo où Google/YouTube, Spotify ou encore Deezer règnent en maître depuis des années. Apple jour gros dans cette diversification vers le streaming musical par abonnement, qui a vocation à devenir rapidement un relais de croissance pour le groupe cofondé par Steve Jobs, alors que
le téléchargement est en perte de vitesse. Selon l’IFPI, le streaming par abonnement tire la croissance des revenus provenant du numérique (+ 39 % sur un an), alors que
le téléchargement recule (- 8 %). Et le nombre d’abonnés à des services de streaming payant progresse de 46,4 % pour atteindre 41 millions d’utilisateurs dans le monde.

En France, pour la première fois, les revenus du streaming en 2014 (72,5 millions d’euros) ont dépassé ceux du téléchargement (53,8 millions d’euros). Le téléchargement disparaît même de certaines plateformes : après la fermeture en toute discrétion du service de téléchargement chez Spotify début 2013, ce fut au tour d’Orange d’y mettre un terme – entraînant dans la foulée la fin du téléchargement chez le français Deezer. D’autres services ont aussi arrêté le téléchargement de musiques : Rhapsody, Nokia, Rdio ou encore Mog. Lorsque ce ne fut pas la fermeture du service lui-même : We7, VirginMega ou encore Beatport.
La contre-attaque d’Apple sur le marché du streaming musical devenu hyper-concurrentiel intervient tardivement et fait suite à l’acquisition au prix fort – 3 milliards de dollars – de Beats Electronics, avec le recrutement de ses deux cofondateurs Jimmy Iovine et le rapper Dr. Dre (1). Apple n’a pas su voir dans l’écoute sans téléchargement une nouvelle pratique de consommation de la musique en ligne, s’endormant sur ses lauriers du téléchargement dépassé et sa rente de situation. Aujourd’hui, ce manque de vision coûte très cher à la firme de Cuppertino. Le service de streaming iTunes Radio fut lancé trop tardivement (2). En croquant Beats Music, lancé pas plus tard que janvier 2014 par le fabricant des casques « b » du Dr. Dre, la marque à la pomme espère rattraper son retard grâce à sa force de frappe dans la musique en ligne (iTunes, iPhone, iPod, iPad, …). Le catalogue de millions de titres sera accessible en streaming via Apple Music, avec possibilité de constituer des playlists personnalisées, de sauvegarde pour écouter la musique hors connexion, ou encore de partager ses musiques et ses artistes préférés sur les réseaux sociaux. Issu de la fusion entre iTunes Music Store et de Beats Music, Apple Music misera – à l’instar de Netflix dans la VOD par abonnement – sur la recommandation algorithmique.

Fin de la piètre qualité MP3
En prenant le train de flux musical en marche, la marque à la pomme proposera d’emblée de la qualité sonore haute définition qu’offrent déjà bon nombre de plateformes musicales comme le français Qobuz. Sur ce point, Apple Music devrait sonner le glas du format MP3 dont la qualité audio laissait à désirer. Comme pour le téléchargement en qualité HD, le streaming HD devrait entraîner une hausse sensible des tarifs musicaux, y compris bien entendu sur iTunes. Contrairement à Spotify, Deezer ou encore Radio, Apple Music ne devrait pas proposer de musiques gratuites. L’abonnement sera proposé à 9,99 dollars par mois – après trois mois d’essai gratuit. Les montants en dollars devraient être les mêmes en euros, selon la pratique habituelle de la marque à la pomme.
Les majors de la musique – Universal Music en tête – auraient fait pression sur le groupe californien pour qu’il ne propose pas d’accès gratuit ni un abonnement à 4,99 dollars par mois comme il l’aurait envisagé. Début mai, Rdio, un concurrent créé en 2010 par les cofondateurs de Skype (Niklas Zennström et Janus Friis), a annoncé un abonnement à 4 dollars par mois (sans publicité), afin de se démarquer des 9,99 dollars de Spotify. La Commission européenne surveille Pour tenter de ne pas être trop concurrencé, Apple demanderait aux producteurs de musique indépendants de ne pas proposer leurs titres sur les autres plateformes musicales gratuites et financées par la publicité. Selon le Financial Times du 2 avril dernier, la Commission européenne demande aux labels musicaux de lui fournir des informations sur leurs accords passés avec Apple pour voir s’il n’y pas abus de position dominante (comme « inciter les labels musicaux à abandonner des concurrents comme Spotify »).
Les utilisateurs ayant déjà un compte iTunes n’auront pas à en recréer un et pourront accéder directement au nouveau service. C’est là l’atout principal de la firme de Cupertino : plus de 800 millions de détenteurs de produits Apple (smartphone, ordinateur, tablette, …) ont déjà un compte iTunes ! Parmi eux, ils seraient 500 millions de par le monde à consommer de la musique en ligne. De quoi donner des sueurs froides au suédois Spotify qui, à ce jour, compte « seulement » 60 millions d’utilisateurs dans moins d’une soixantaine de pays, dont un quart d’entre eux sont des abonnés payants. Qui plus est, il n’a encore jamais dégagé de bénéfice net depuis sa création en 2008 (lire ci-dessous). Quant au français Deezer, dont Orange est actionnaire minoritaire (11 %), il affichait l’an dernier 6 millions d’abonnés payants sur 16 millions d’utilisateurs uniques par mois.
Signe que le groupe dirigé par Tim Cook souhaite s’imposer rapidement dans le streaming : Apple Music sera compatible non seulement avec les systèmes d’exploitation maison (iOS, OS X), mais aussi avec Android de Google. Selon le
cabinet d’études Strategy Analytics, Android détient près de 70 % de part de marché des systèmes d’exploitation sur mobile dans le monde, loin devant l’iOS et ses près
de 25 %, suivis de Windows avec 6,6 %.
Selon plusieurs médias, dont Business Insider, James Foley a été débauché du français Deezer (où il était responsable éditorial) pour rejoindre Apple Music. Et quatre producteurs de la station Radio 1 du groupe britannique BBC ont aussi rejoints l’équipe à Los Angeles. Suffisant ? Selon des rumeurs, Apple serait tenté de racheter Spotify… @

Charles de Laubier

ZOOM

Streaming : la concurrence fait rage
Créé en 2008, le suédois Spotify – pionnier du streaming musical – n’est toujours
pas rentable : il accuse une perte de 162,3 millions d’euros en 2014, pour un chiffre d’affaires qui dépasse le milliard d’euros – 1,082 milliard précisément. Pourtant,
son catalogue est fourni : plus de 30 millions de titres musicaux. Et ses clients sont nombreux dans le monde (58 pays) : 60 millions d’utilisateurs à la fin de l’an dernier, dont un quart sont des abonnés.
Le plus dur est à venir pour Spotify qui s’est résolu à se diversifier dans la vidéo et
les podcasts (3) pour essayer mieux tendre vers la rentabilité. Le lancement d’Apple Music va donner à Spotify du fil à retordre sur le marché du streaming musical déjà
bien encombré. D’autant que plus de la moitié des utilisateurs de Spotify sont avec
des terminaux sous iOS (iPhone, iPad, iPod) : selon un sondage réalisé par Midia Research, 62 % des abonnés américains actuellement abonnés à une plateforme musicale disent qu’ils changerait pour Apple Music une fois lancé. Inquiétant pour le pionnier. Préoccupant aussi pour les challengers tels que le rappeur Jay-Z qui a lancé récemment sa plateforme de streaming Tidal Hifi après voir racheté en février dernier un autre suédois, Aspiro, pour 56 millions de dollars. Tidal se présente comme la plateforme des artistes pour les artistes, avec la volonté d’être une alternative aux
offres musicales – de type Spotify ou Deezer – contrôlées par les majors du « disque ». Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droit (soit plus de 2 milliards de dollars depuis sa création il y a sept ans), a déjà été critiqué – voire boycotté – par des artistes tels que Thom Yorke (Radiohead) et Taylor Swift (star de la pop américaine) qui lui ont reproché de ne pas assez les rémunérer.

Les jeux en ligne deviennent le premier usage sur Internet et bousculent l’industrie du jeu vidéo

La 8e génération de consoles (PS4, Xbox One, Wii U, Steam, …), de plus en plus multimédias et au succès grandissant, est en train de faire basculer l’industrie culturelle des jeux vidéo vers le tout-online. Malgré ce changement de paradigme, le marché français devrait croître de 4 % cette année. Quid de la 9e génération ?

Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell), qui fête
ses 20 ans en 2015 et qui affirme représenter avec vingt-quatre membres 95 % du marché français, est en pleine euphorie : selon l’institut d’études GfK, le chiffre d’affaires des jeux vidéo en France (consoles, logiciels, accessoires, jeux en ligne, jeux sur mobiles) devrait progresser cette année de 4% à 2,8 milliards d’euros, après l’an dernier déjà florissant avec ses 3 % de hausse. Ce qui n’était pas arrivé depuis 2008.

La seule industrie culturelle en croissance
Les consoles de 8e génération lancées entre fin 2012 et fin 2013 – Wii U de Nintendo, PlayStation 4 (PS4) de Sony et Xbox One de Microsoft en tête – ont déclenché avec succès le début d’un nouveau cycle très prometteur pour cette industrie culturelle.
« Fort d’un dynamisme rythmé par les consoles, les logiciels mais aussi les accessoires, notre marché est la seule industrie culturelle à croître en 2014 », s’est félicité Jean- Claude Ghinozzi (photo), président du Sell depuis plus de trois mois. Directeur de division chez Microsoft France, il a en effet succédé à David Neichel, directeur général d’Activision France (1). Le marché du jeu vidéo fonctionne par cycles d’environ sept ans et chaque génération de consoles a permis jusqu’à maintenant de doubler le chiffre d’affaires de cette industrie (voir graphique ci-dessous). Cela voudrait dire qu’à l’issue de cette 8e génération, qui devrait prendre fin dans moins de cinq ans, la France du jeu vidéo aura franchi la barre des 5 milliards d’euros. Mais cette 8e génération de console pourrait être la dernière, tant les jeux en ligne et le Cloud Gaming auront tendance – prédisent certains – à les rendre progressivement obsolètes à partir de 2017. Au point que, face à cette dématérialisation galopante des jeux vidéo, certains fabricants de consoles et éditeurs de jeux vidéo (Electronic Arts, Activision Blizzard, Ubisoft Entertainment, …) se préparent à l’idée d’abandonner le support physique (DVD) lors du passage à la 9e génération. Car les ventes de jeux vidéo sont en train de basculer en ligne grâce aux performances des terminaux (ordinateurs, smartphones, téléviseurs connectés, etc.), aux accès (très) haut débit, au Cloud Gaming (2). Et cette dématérialisation se fera en haute définition, voire en ultra-HD
ou 4K (les nouvelles compressions d’images H.265, HEVC, VP9 aidant), et avec possibilité de casques de réalité virtuelle en 3D garantissant l’immersion vidéoludique tels que Morpheus de Sony, Gear VR de Samsung ou celui d’Oculus (société rachetée en mars 2014 par Facebook). En France, le basculement vers le tout-online est à l’oeuvre : si 55 % de la valeur du marché français a encore été générée par le jeu vidéo physique en 2014 (contre 64 % en 2013), il y a fort à parier que cette part physique deviendra pour la première fois minoritaire d’ici la fin de cette année 2015. Les jeux
en ligne explosent d’autant plus qu’ils représentent même le premier temps passé sur Internet depuis l’an dernier, selon Médiamétrie qui a comptabilisé plus de 8 heures
dans le mois (3) – contre seulement 3 heures 30 un an plus tôt. C’est bien plus que
les quelque 5 heures 30 passées sur les sites communautaires, les réseaux sociaux et les blogs, et même beaucoup plus que les 3 heures passées sur les e-mails. La moitié des 43,8 millions d’internautes en France jouent à des jeux gratuits sur ordinateur, smartphone ou tablette – et 39 % d’entre eux sur les réseaux sociaux. Et ils sont près de 18 millions de mobinautes à jouer en ligne. Comparé au nombre de consoles qui
se trouvent dans les foyers français – soit 5,9 millions à fin 2014 –, il n’y a pas photo.

Les trois sites web de jeux en ligne les plus consultés du moment sont : Jeuxvideo.com (plateforme française rachetée en juin 2014 par Webedia/Fimalac pour 90 millions d’euros), Twitch (plateforme américaine rachetée fin août 2014 par Amazon pour 970 millions de dollars), et League Legends (jeu vidéo en ligne développé par l’éditeur américain Riot Games). Aussi très prisé en France, Minecraft, jeu multijoueurs édité
par la société suédoise Mojang, a été racheté à prix d’or (2,5 milliards de dollars) par Microsoft en septembre dernier. C’est que le potentiel est considérable pour ces jeux multijoueurs, voire «massivement multijoueurs » ou MMOG (4), dont le modèle économique est souvent du free-to-play, ou free2play, sur le principe du « Jouez gratuitement, ne payez que les options ». @

Charles de Laubier

Gestion collective des droits d’auteur : la Cisac s’impatiente sur les remontées d’Internet

La Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), présidée par le musicien Jean-Michel Jarre, s’impatiente sur les recettes du numérique qui « ne représentent que 5 % du montant total ». Membre, la Sacem prône toujours une taxe sur les hébergeurs.

« Nous sommes souvent à la merci des entreprises qui contrôlent les canaux de distribution de nos œuvres. L’environnement numérique actuel, dont les créateurs sont les acteurs les plus fragiles, nous le fait cruellement sentir », déplore le pionnier de la musique électronique Jean-Michel Jarre (photo), président depuis juin 2013 de la Cisac, laquelle représente au total dans le monde plus de 3 millions d’ayants droits, créateurs de musiques et de chansons pour l’essentiel (87,2 % des recettes), mais aussi de films, de livres, de peintures, de poèmes ou encore d’illustrations.
Jean-Michel Jarre peste contre Internet
Au global, les 230 sociétés de gestion collective membres de la Cisac – laquelle fut créée en 1926 et est installée en France à Neuilly-sur-Seine, à côté de la Sacem qui
en est membre – ont collecté toutes ensemble plus de 7,7 milliards d’euros sur l’année 2013 (le bilan global avec un an de décalage).
Mais cette année, l’impatience de la Cisac est perceptible quant aux montants perçus du monde digital. « Les droits liés au numérique ont augmenté de 25 % mais ne représentent toujours que 5 % du montant total des perceptions mondiales », souligne
le directeur général de la confédération, Gadi Oron. Le « numérique & multimédia » (dixit la terminologie de la Cisac) a rapporté sur l’année 380 millions d’euros – soit 4,9 % en réalité. Et ce montant émane à 99 % du secteur de la musique. « Le solde provient
des autres répertoires (arts visuels en fait). Ce qui ne signifie pas que le digital ne représente rien dans les autres répertoires (audiovisuel, littéraire, dramatique) où
les droits issus du numérique ne sont pas distinctement identifiés dans les données
de ces répertoires que nous remontent les sociétés membres de la Cisac. La part des perceptions issues du numérique peut dès lors à ce titre être considérée comme sous-estimée dans notre rapport », nous indique Frédéric Patissier, consultant pour la confédération. Bien que sous-estimé, le digital a augmenté de près de 25% sur un an (voir graphique ci-dessous). Il y a même une accélération significative car, l’année précédente, la croissance du digital n’était que de 7 %. Plus de la moitié de ces recettes numériques proviennent de l’Europe, où la croissance sur un an atteint même 40,8 %,
à 207 millions d’euros.
Parmi les autres régions du monde qui contribuent aussi aux recettes digitales musicales, il y a notamment l’Amérique du Nord (44 millions d’euros) et l’Amérique
du Sud-Caraïbes (6 millions). Reste que les retombées du numérique en monnaies sonnantes et trébuchantes restent faibles aux yeux de la Cisac, alors que le marché
de la musique enregistrée est proche du « point de basculement » où les droits perçus proviendront davantage du numérique que des ventes physiques. « Nous ne bénéficions absolument pas d’une juste rémunération pour les utilisations numériques. Certaines entreprises gagnent des milliards grâce à nos œuvres et nous méritons d’en retirer notre juste part », s’était insurgé Jean-Michel Jarre il y a un an, lors du Marché international du disque et de l’édition musicale (Midem).

Une « compensation équitable » ?
Membre de la Cisac, la Sacem prône – dans le cadre de la révision de la directive européenne «DADVSI » sur le droit d’auteur – une « compensation équitable » au profit des titulaires de droit, « laquelle serait supportée par certains intermédiaires techniques de l’Internet » (1). Pour les sociétés de gestion collective, qui en assureraient la gestion, cette taxe prélevée sur les plateformes du Web (YouTube, Dailymotion, Facebook, Yahoo, …), serait justifiée pour compenser « le préjudice subi par les ayants droit » en raison du statut d’hébergeur à responsabilité limité (2) de ces dernières par rapport au piratage sur Internet. @

Charles de Laubier