Publicité TV segmentée : 2021 sera l’année du décollage, si les téléspectateurs le veulent bien

Depuis début janvier, TF1 propose aux annonceurs ses offres de publicité ciblée grâce à un partenariat avec l’opérateur Orange. Ce dernier est aussi allié à France Télévisions, tandis que Bouygues Telecom accompagne Canal+. Reste à savoir si les téléspectateurs donneront leur consentement.

La publicité ciblée sur le petit écran fait son apparition en France, soit près de six mois après la publication du décret « Télévision segmentée » autorisant « la possibilité pour les services de télévision de ne pas proposer sur leur zone de service les mêmes messages publicitaires à l’ensemble des téléspectateurs mais au contraire de diffuser des messages publicitaires mieux adaptés aux zones de diffusion et aux téléspectateurs » (1).

La télé dans le monde de la data et du tracking
Cet assouplissement au régime de publicité télévisée était demandé depuis longtemps par les éditeurs de chaînes, qui y voient notamment le moyen de concurrencer les plateformes numériques – GAFAM en tête – rompues à la publicité ciblée et à l’exploitation de la data plus ou moins personnelle. Cela suppose que le téléspectateur, doté d’une « box » ou d’un téléviseur connecté, donne son consentement préalable avant de recevoir ces publicités dites segmentées ou adressées (addressable TV, en anglais). Cela suppose aussi que les chaînes de télévision et les opérateurs télécoms se soient mis d’accord auparavant pour se partager les recettes publicitaires qui découleront de cette nouvelle monétisation de l’audience. « La publicité segmentée permet de proposer aux téléspectateurs des publicités plus affinitaires sur les chaînes linéaires. Désormais, les annonceurs pourront associer la qualité et la puissance des contenus des chaînes du groupe TF1 à la précision et la granularité du ciblage digital pour adresser aux abonnés de la TV d’Orange des publicités adaptées, dans le respect de la réglementation des données personnelles », explique la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues.
De son côté, la filiale télécoms de ce même groupe, Bouygues Telecom, avait annoncé en novembre dernier avoir passé un accord similaire avec M6 pour la publicité segmentée sur la télévision linaire. Il faisait suite à deux autres accords signés par ce même opérateur télécoms avec Canal+ (octobre) et France Télévisions (juillet). Le groupe audiovisuel public a également noué un partenariat avec Orange (juillet), qui s’est concrétisé en novembre dernier par la diffusion des premières publicités segmentées. Les opérateurs télécoms et les régies de publicité TV se sont mis d’accord sur un « cadre technique de mise en œuvre progressive de la publicité segmentée », avec des restrictions (2) pour la période de janvier à août 2021, afin de tester les capacités des réseaux et le fonctionnement des algorithmes d’adserving en situation réelle. « Les limites actuelles seront levées progressivement, à partir de septembre 2021, pour permettre le développement d’un nouveau marché », nous indique Isabelle Vignon (photo), déléguée générale du Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV). Les huit régies publicitaires audiovisuelles qui le composent (TF1 Pub, M6 Publicité, France TV Publicité, Canal+ Brand Solutions, Next Média Solutions, Amaury Média, BeIn Régie et ViacomCBS) estiment que le potentiel des foyers adressables avec ce type de publicité ciblée est de 63 % des foyers équipés en télévision, dont 59 % de foyers équipés de « box ».
A la différence de la publicité TV dite « broadcast » (3), la publicité TV dite « segmentée » consiste à diffuser des spots différents selon les segments du public présents à cet instant sur le flux de la chaîne. « La publicité TV linéaire devient pleinement digitale, permettant d’exposer exclusivement des segments bien déterminés de téléspectateurs. L’adserving des publicités se fait alors via les “box” TV ou directement sur un téléviseur Smart TV (connecté à Internet) », explique le SNPTV dans son guide publié en octobre dernier (4). Pour ce faire, des marqueurs de type « SCTE-35 » (5) sont insérés dans les flux de programmes des éditeurs de télévision qui signalent aux « box » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) l’arrivée d’un écran publicitaire. Ces derniers ont auparavant récupéré et vérifié techniquement les fichiers numériques sources (audio et vidéo) des spots publicitaires pour permettre leur diffusion lors d’une substitution à l’écran. Cette substitution des spots via les « box » est assurée par le prestataire dit CDN (6) de l’opérateur télécoms, qui se charge d’adresser les spots de remplacement vers les « box » pour diffusion.

Comportements des téléspectateurs géolocalisés
Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free transmettent via leurs « box » à TF1, M6, France Télévisions, Canal+ ou BFM TV les « informations de ciblage », à savoir les caractéristiques de ciblage des foyers connectés sur la chaîne : données socio-démographiques, de géolocalisation, ou comportementales. C’est l’adserver de l’éditeur TV qui décide des substitutions de spots sur les « box » en précisant quels spots devront être substitués. Une fois les spots diffusés, les informations de suivi (tracking) sont remontées à l’adserver de la régie publicitaire de la chaîne. @

Charles de Laubier

L’offre légale laisse toujours à désirer en France, tandis que le piratage prospère faute de mieux

En 2021, cela fera dix ans que l’Hadopi a mis en place un « Baromètre de l’offre légale » des contenus culturels numériques : musique, films, séries, photos, jeux vidéo, logiciels, livres numériques et, depuis 2019, la presse et le sport. Mais un meilleur référencement en ligne limiterait le piratage.

Il y a dix ans, était publié – le 13 novembre 2010 – le décret « Labellisation » de l’offre légale (1), dans le cadre des missions confiées à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Dans la foulée fut créé le label « Pur » avec un site web – www.pur.fr – de référencement des platef

ormes numériques labellisées. Deux ans après, ce « label Pur » est rebaptisé « Offre légale Hadopi » avec un nouveau site web – www.offrelegale.fr (2). Il sera finalement décidé en juillet 2017 de supprimer ce portail pour le fondre dans le site Internet www.hadopi.fr.

Fini la labellisation, place au référencement
Aujourd’hui, selon les constatations de Edition Multimédi@, les deux URL historiques (pur.fr et offrelegale.fr) renvoient chacune à un site web inactif et hors-sujet, www.appelavocat.fr ! Depuis trois ans, la labellisation est tombée en désuétude au profit d’un référencement plus large des offres existantes relevées par l’Hadopi. La raison de cet abandon du label ? « La procédure de labellisation, trop contraignante pour les acteurs de l’offre légale, n’ayant pas trouvé sa fonctionnalité, l’Hadopi a mis en place un système plus souple de recensement des offres apparaissant respectueuses des droits de propriété intellectuelle », justifie l’Hadopi dans le bilan 2019 de son Baromètre de l’offre légale, publié le 3 novembre dernier. A ce jour, le moteur « Rechercher un site ou un service » – qui a été placé dans la rubrique « Outils & usages » (3) – recense 479 plateformes, dont seulement 4 labellisées (4). Et le lien « Qu’est-ce que le “label Offre Légale” ? » ne renvoie à plus rien… C’est dire que la labellisation est bel et bien en train de disparaître au bout de dix ans, alors que le nouveau référencement était censé la compléter, comme en avait délibéré l’Hadopi il y a trois ans (5). Qu’à cela ne tienne, ce moteur a le mérite d’exister et de s’être enrichi d’autres plateformes dans de nouveaux domaines culturels tels que la télévision de rattrapage (59 sites web recensés), les podcasts actuellement en vogue (30 plateformes), mais aussi la photographie (17 sites) et la réalité virtuelle/360° (7 sites). Mais, contre toute attente, c’est le livre numérique qui qui arrive en tête du nombre de référencements (171 plateformes identifiées), suivi de loin par la VOD/SVOD (96 plateformes), la musique (60 offres identifiées) et du jeu vidéo (39). L’on regrettera cependant que ce référencement culturel en ligne n’ait pas sa propre URL pour être bien plus accessible aux internautes, sur le model du moteur de recherche de films VOD.cnc.fr (6) mis en place depuis fin janvier 2015 par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Quitte à renvoyer le cinéphile sur le portail paneuropéen Agorateka.eu (7) proposé par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (Euipo), qui permet de chercher des accès aux offres légales de musique, télévision, films, livres numériques, jeux vidéo et événements sportifs. L’Hadopi pourrait aussi s’inspirer du CNC qui propose en outre aux éditeurs Internet, qui le souhaiteraient, d’intégrer ce moteur de films sur leurs sites web à l’aide d’un widget. Encore faudrait-il que le CNC et a fortiori l’Hadopi fassent mieux connaître leur portail d’offres légales respectifs, que la plupart des internautes ne connaissent pas ! « Je veux regarder tel film mais je ne le trouve pas en VOD »… Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette réflexion, notamment de la part de nos adolescent(e)s qui, à défaut, n’hésitent pas à trouver leur bonheur dans le piratage en ligne ? Car c’est là que le bât blesse, l’offre légale existe mais elle gagnerait à être plus visible.
La campagne de communication « On a tous de bonnes raisons d’arrêter de pirater», lancée le 7 décembre par l’Hadopi avec le CNC (campagne.hadopi.fr), tente d’y remédier. Sur tous ceux qui connaissent et pratiquent « au moins une » offre légale de biens culturels en ligne, 87 % d’entre eux s’en disent satisfaits. C’est ce que relève l’Hadopi avec Médiamétrie dans son Baromètre de l’offre légale paru début novembre. Mais, parmi les internautes, le taux des « consommateurs illicites » (réguliers et occasionnels cumulés) varie de moins de 10 % à plus de 30 % selon les biens culturels dématérialisés obtenus : la presse est la moins piratée, tandis que les contenus audiovisuels sont les plus piratés.

De l’offre légale dépend la baisse du piratage
C’est justement ce que démontre la nouvelle étude de l’Hadopi publiée le 2 décembre dernier sur le piratage audiovisuel et sportif, qui évalue à 1 milliard d’euros en 2019 le manque à gagner en France pour ces deux secteurs. Mais, en creux, c’est l’offre légale qui est critiquée comme étant trop fragmentée et aux prix trop élevés. L’Hadopi met en garde : « La fragmentation en cours des services et plateformes [de SVOD], fondée sur un principe d’exclusivité, pourrait cependant amoindrir la capacité de l’offre légale à juguler la consommation illicite ». @

Charles de Laubier

« Haro sur Google, le quasi-monopole naturel de la recherche sur Internet », saison 2 : moteur !

Aux pays des GAFA, le numéro un mondial des moteurs de recherche est attaqué par onze Etats américains qui l’accusent – à l’instar du département de la Justice (DoJ) – d’abus de position dominante sur trois marchés : moteurs de recherche, liens sponsorisés et publicités sur les résultats.

Pour la première fois, Google et le département américain de la Justice, le DoJ (1), se sont retrouvés le 30 octobre dernier devant un juge. Le gouvernement des Etats-Unis – et le passage de Trump à Biden ne changera rien à l’affaire – accuse la filiale d’Alphabet de monopoliser illégalement la recherche sur Internet. La procédure judiciaire pourrait s’éterniser, tant les avocats des deux parties sont prêts à ferrailler devant les tribunaux pour l’emporter.

Trois marchés abusivement « Googlelisés »
Créé il y a 22 ans, Google n’a jamais été aussi menacé par les autorités antitrust qui l’accusent d’avoir constitué un monopole sur trois marchés : les services de recherche généraux (moteurs de recherche), la publicité de texte de recherche (liens sponsorisés) et la publicité de recherche (conjuguant texte et images publicitaires). Google contrôle environ 90 % de la recherche générale sur le Web, laissant quelques miettes aux moteurs de recherche alternatifs – tels que Bing de Microsoft ou DuckDuckGo aux Etats-Unis. Mais la firme de Menlo Park, que dirige depuis cinq ans Sundar Pichai (photo de gauche), tente de convaincre le juge fédéral que le marché où il est accusé d’être monopolistique doit aussi prendre en compte Amazon dont la plateforme de e-commerce sert aussi à la rechercher, en vue de faire des achats. S’il y parvient, sa part de marché serait alors revue à la baisse et sa position dominante également.
En termes de chiffre d’affaires, selon le cabinet d’études eMarketer (2), Google a généré l’an dernier 73 % des revenus publicitaires liées à la recherche aux Etats-Unis, contre 13% pour Amazon. En outre, il est reproché à Google d’abuser de sa position dominante pour passer – sur au moins l’un des trois marchés analysées – des accords exclusifs qui aboutissent à évincer les moteurs de recherche concurrents. Autre grief : les fabricants de smartphones sous iOS (Apple) ou sous Android (Samsung, Huawei, Sony, …) bénéficient de la part de Google de ristournes sur les tarifs publicitaires du moteur de recherche si celui-ci est proposé par défaut aux mobinautes. La filiale d’Alphabet profite aussi de cette exclusivité pour préinstaller sur les mobiles grand public ses propres applications telles que le navigateur Chrome ou sa plateforme vidéo YouTube. Sans parler de la clause « anti-forking » (3) présente dans les contrats passés avec les fabricants de terminaux Android qui les empêche de développer ou de distribuer des versions d’Android qui ne respectent pas les règles techniques et commerciales de Google. Ironie de cette joute judiciaire : le juge fédéral qui est amené à entendre les deux parties se regardant en chiens de faïence n’est autre que Amit Mehta (photo de droite), lequel est – comme Sundar Pichai, le patron de Google – d’origine indienne. Le premier devra dire si le second a eu des pratiques de concurrence déloyales sur le marché des moteurs de recherche et de la publicité en ligne associée. Le DoJ estime que les concurrents de Google aux Etats-Unis (dont Bing et DuckDuckGo) ne peuvent batailler à armes égales. Les exclusivités que pratique la firme de Menlo Park, notamment avec son OS mobile Android, évincent les rivaux – ce qui ne va pas non plus dans l’intérêt des consommateurs (choix restreint ou absent) et même des annonceurs (tarifs publicitaires plus élevés). La justice antitrust américaine pourrait enjoindre à Google de ne plus nouer d’accords exclusifs avec les fabricants de smartphones « Android », Samsung en tête.
Google s’inscrit bien sûr en faux contre ces allégations, tout en expliquant que son moteur de recherche est supérieur aux autres – ce qui n’est pas faux. La filiale d’Alphabet a expliqué devant le juge fédéral qu’il reverse une partie de ses recettes publicitaires aux fabricants de terminaux tels qu’Apple. D’après le DoJ, les sommes versées par Google à la marque à la pomme – pour être le moteur de la pomme – représentent environ 15 % du chiffre d’affaires du fabricant d’iPhone et d’iPad. Reste à savoir si les avocats du groupe dirigé par Sundar Pichai vont attaquer le DoJ en soupçonnant ce département de l’administration Trump – sortante (lire p. 3) – de faire plus de la politique que de l’antitrust (4). Selon le Financial Times du 28 octobre, Apple se prépare à lancer son propre moteur de recherche.

Europe : injonctions et amendes salées
Comme en Europe, Google pourrait éviter le démantèlement de ses activités en cessant ses pratiques illégales présumées, et se voir infliger des milliards de dollars d’amende pour abus de position dominante et « pratiques concurrentielles illégales » sur le marché américain. Entre juin 2017 et mars 2019, la Commission européenne avait mis trois fois la filiale d’Alphabet à l’amende pour un total de 8,25 milliards d’euros (5). Mais cela n’a pas empêché Google de préserver sa position dominante. @

Charles de Laubier

Les YVOT (russes) montent en puissance face aux GAFA (américains) et aux BATX (chinois)

L’Europe a aimé être colonisée par les Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), et potentiellement par les Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX) : elle adorera l’être par les Yandex, VKontakte, Ozon et Telegram (YVOT), mais aussi Avito et Wildberries. L’Internet russe part à la conquête du monde, concurrencer américains et chinois.

Yandex, « le Google russe »
https://yandex.ru et https://yandex.com
Création : en 1997 par Arkadi Voloj.
Dirigeant : Arkady Volozh (CEO).
Maison mère : Yandex N.V., basée à Moscou.
Bourse : société cotée à Moscou et à New York (valorisée 21,6 milliards de dollars au 15 10-20).
Fréquentation : environ 100 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : 3 milliards de dollars (2019).
International : Yandex, enregistré juridiquement aux Pays-Bas depuis 2011, compte 37 bureaux dans le monde. Développements dans plusieurs pays de Yandex.taxi et de Yandex.panoramas.

Finance numérique : l’Europe veut devenir une référence mondiale, jusque dans les cryptomonnaies

La Commission européenne a présenté le fin septembre son paquet législatif « Digital Finance Strategy » (DFS) qui englobe aussi les cryptomonnaies et les cryptoactifs. Objectifs : réguler les services financiers numériques et éviter la fragmentation du marché unique numérique.

« L’avenir de la finance est numérique » a lancé le 24 septembre Valdis Dombrovskis (photo), vice-président exécutif de la Commission européenne, en charge de l’économie aux services des personnes. « Un marché unique du financement numérique et innovant profitera aux citoyens européens et jouera un rôle clé dans la reprise économique de l’Europe, en offrant de meilleurs produits financiers aux consommateurs et en ouvrant de nouveaux canaux de financement aux entreprises ». En creux, grâce à l’intelligence artificielle (IA) et à la blockchain (chaîne de blocs), le capitalisme financier va se démocratiser.

Fintech européennes face aux GAFA et BATX
Pour l’ensemble des consommateurs européens, le paquet « Digital Finance Strategy » (DFS) vise à leur permettre de payer plus facilement dans les magasins ayant pignon sur rue (comme le paiement sans contact) ou lors de leurs achats en ligne (e-commerce/e-paiement), et en toute sécurité et de manière pratique. Mais le DFS concerne aussi le règlement des factures, le remboursement des prêts, y compris hypothécaires, le transfert d’argent, le paiement des salaires ou encore le versement des pensions de retraite.
Valdis Dombrovskis espère que la finance numérique aidera aussi à relancer l’économique de l’Union européenne (UE) et profitera en plus aux PME. La finance numérique étant par définition sans frontières, cela va permettre de renforcer l’Union économique et monétaire européenne et d’accompagner jusqu’à la fin de mandature en cours (2024) la transformation numérique de l’UE. Il s’agit aussi d’instaurer des conditions de concurrence équitables entre les prestataires de services financiers, « qu’il s’agisse de banques traditionnelles ou d’entreprises technologiques : même activité, mêmes risques, mêmes règles ». Cela devrait contribuer à l’émergence de solutions de paiement nationales et paneuropéennes, à l’heure où les géants du numérique – GAFA américains et BATX chinois – sont en passe d’être parties intégrantes de l’écosystème financier. Concernant spécifiquement la législation proposée sur les cryptoactifs, à savoir toute « représentation numérique de valeurs ou de droits pouvant être stockée et échangée par voie électronique », le projet de règlement sur les marchés de cryptoactifs – ce que la Commission européenne désigne par « Mica » (Regulation on Markets in Crypto Assets) – entend favoriser l’innovation dans un environnement financier stable et garantir une sécurité juridique aux émetteurs et fournisseurs de cryptoactifs. Parallèlement, la proposition de loi sur la résilience opérationnelle numérique – ce que la Commission européenne désigne cette fois par « Dora » (Digital Operational Resilience Act) – consiste à obtenir des acteurs de la finance numérique des garanties pour empêcher les cyberattaques et les autres risques tels que le blanchiment d’argent. La vigilance réglementaire s’étendra aussi aux prestataires de services de cloud, où sont stockées des masses de données financières de plus en plus stratégiques. Dans l’immédiat, un « bac à sable réglementaire » (sandbox) est mis en place au niveau européen pour tester des opérations de cryptoactifs utilisant la technologie des registres distribuées (blockchain), sous la bienveillance des régulateurs – notamment de l’Autorité bancaire européenne (ABE), basée à Paris. Ce « sas réglementaire » devrait permettre aux entreprises, qu’elles soient établissements bancaires et financiers classiques ou fintech, d’« éprouver les règles existantes ». L’Europe entend favoriser l’émergence de startup voire de licornes des technologies financières, des fintech européennes capables de rivaliser avec des Big Tech américaines ou chinoises.
Pour sa « Stratégie en matière de finance numérique pour l’UE » (DFS) telle que présentée le 24 septembre (1), la Commission européenne s’est fixé quatre priorités :
• La première priorité est de « s’attaquer à la fragmentation du marché unique numérique des services financiers, de manière à permettre aux consommateurs européens d’accéder à des services transfrontières et d’aider les entreprises financières européennes à accroître leurs opérations numériques ». C’est une simple question d’économie d’échelle : les entreprises qui atteignent une certaine taille pourraient, par exemple, être en mesure de fournir des services financiers numériques avec une meilleure qualité et à un prix inférieur pour les consommateurs.

Vers un « marché unique des données »
• La deuxième priorité
consiste à faire en sorte que le cadre réglementaire de l’UE facilite l’innovation numérique « dans l’intérêt des consommateurs et de l’efficacité du marché ». Cela concerne notamment les technologies des registres distribués (2) telles que la blockchain, les réseau peer-topeer (pair-à-pair) ou encore les algorithmes de consensus, ainsi que les technologies liées à l’IA. Et comme les cycles d’innovation sont plus rapides dans la finance numérique, la législation européenne sur les services financiers et les pratiques de surveillance devront être réexaminées régulièrement pour faire régulièrement des ajustements.
• La troisième priorité vise à créer « un espace européen des données financières pour promouvoir l’innovation fondée sur les données » et à ouvrir « le partage des données sur les comptes de paiement, dans le respect des règles de protection des données et de concurrence ». Sera ainsi encouragée la création de produits innovants pour les consommateurs et les entreprises, avec un l’objectif plus large de créer « un marché unique des données » tel qu’elle l’avait exposé en février dernier, dans le respect du RGPD (3).

Fintech, Regtech et Suptech
• La quatrième priorité porte sur les risques liés à la finance numérique dus notamment aux «écosystèmes fragmentés » et à des fournisseurs de services numériques interconnectés qui échappent partiellement à la réglementation et la surveillance financières. Pour garantir la stabilité financière, la protection des consommateurs, l’intégrité des marchés, la concurrence loyale et la sécurité, le principe de « même activité, mêmes risques, mêmes règles » sera appliqué, afin qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures entre par exemple banques traditionnelles et fintech.
D’ici 2024, l’Union européenne devrait en outre mettre en place un cadre juridique facilitant « l’utilisation de solutions d’identification numérique interopérables qui permettront à de nouveaux clients d’accéder rapidement et facilement aux services financiers » ainsi que « la réutilisation des données des clients sous réserve du consentement éclairé de ces derniers ». Cela suppose que ce cadre juridique soit aussi fondé sur « des règles plus harmonisées en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » et, après réexamen du règlement dit eIDAS (4) de 2014, sur « l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques ». Aussi, la Commission européenne appelle l’ABE à élaborer d’ici au troisième trimestre 2021 des lignes directrices – « en étroite coordination avec les autres autorités européennes de surveillance ». Et pour mieux lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, un nouveau cadre sera proposé (5). Dans le domaine des paiements de détail, la pratique actuelle de refus des numéros de compte IBAN étrangers – « discrimination à l’IBAN » – sera examinée pour y remédier.
Pour répondre à une demande des fintech européennes qui veulent fournir des services financiers dans leur propre pays mais surtout dans d’autres pays européens que le leur, sans être confrontées à des cadres réglementaires différents d’un pays à l’autre, la Commission européenne a prévu d’établir d’ici 2024 un principe de « passeport » et d’« agrément » octroyé via « un guichet unique » pour les projets de finance numérique (6). Avec l’EFIF (7), un cadre procédural pour le lancement de l’expérimentation transfrontière sera mis en œuvre « d’ici la mi-2021 », y compris pour « d’autres mécanismes destinés à faciliter l’interaction entre les entreprises et les autorités de surveillance de différents Etats membres ». Toujours avec l’EFIF, une plateforme en ligne pour la finance numérique sera ouverte afin d’encourager la coopération entre les parties prenantes privées et publiques et de délivrer des agréments par voie électronique (8). Par ailleurs, pour aider les entreprises à respecter les dispositions réglementaires et les lignes directrices, sera encouragé le secteur de la « regtech » qui est présentée comme « un sous-ensemble de la fintech ». Quant aux outils « suptech », ils permettront l’analyse des données par les autorités.
Les banques centrales ne seront pas en reste, elles qui souhaitent développer des monnaies numériques comme mode de paiement alternatif aux espèces, à l’instar de la Banque centrale européenne (BCE) qui envisage d’émettre sa propre monnaie numérique (MNBC) et de la rendre accessible au grand public. La Commission européenne compte, toujours d’ici 2024, « faciliter les marchés de cryptoactifs et d’instruments financiers tokenisés » dans les Vingt-sept. Les jetons utilitaires (utility tokens) peuvent servir à accéder à des réseaux de chaînes de blocs décentralisés (blockchain) et les jetons de valeur stable (stablecoins) peuvent servir de base aux paiements de machine à machine dans les secteurs de la mobilité, de l’énergie et de l’industrie manufacturière. La directive sur les services de paiement (DSP2), qui a ouvert la voie à l’open finance (partage et utilisation par les banques et prestataires tiers de données clients – avec leur consentement – pour la création de nouveaux services), sera réexaminée en 2021. Plus largement, un texte législatif « finance ouverte » sera aussi proposé d’ici mi-2022. En particulier, il s’agira de « résoudre les problèmes actuels rencontrés par les prestataires de services de paiement lorsqu’ils tentent d’accéder aux antennes de communication NFC (9) utilisées pour des paiements sans contact efficaces ».

Futur « label » de paiement paneuropéen
C’est ce qu’aborde notamment l’autre communication de la Commission européenne, intitulée cette fois « Stratégie en matière de paiements de détail pour l’UE » (SPD), datée aussi du 24 septembre (10). Elle prévoit aussi la généralisation des paiements instantanés dans les Vingt-sept d’ici fin 2021. Il s’agit aussi de normaliser les codes QR de paiement. Et d’ici fin 2023, un label accompagné d’un logo reconnaissable permettra d’identifier les solutions de paiement paneuropéennes, tandis que l’utilisation de l’identité électronique (eID) conforme aux exigences « eIDAS-DSP2 » sera mise en place pour faciliter l’interopérabilité transfrontalière et nationale. @

Charles de Laubier