Affaire « Schrems 2 » : la pérennité des transferts en dehors de l’Union européenne remise en question

Depuis vendredi 16 juillet 2020, les transferts de données à caractère personnel vers les Etats-Unis sur le fondement du « Privacy Shield » sont invalides. Les entreprises souhaitant donc continuer à transférer des données vers les Etats-Unis doivent identifier un autre mécanisme de transfert.

Par Laura Ziegler & Sandra Tubert, avocates associées, BCTG Avocats

Facebook : l’Allemagne rouvre la voie à une régulation des données par le droit de la concurrence

Pour une surprise, c’est une surprise. La plus haute juridiction d’Allemagne a annulé une décision prise en référé par une cour d’appel du pays. Cette affaire pourrait impacter toute l’Europe puisqu’elle concerne Facebook qui se voir enjoint de cesser la fusion de données issues de plusieurs services.

Par Winston Maxwell*, Telecom Paris, Institut polytechnique de Paris

Le saga « Facebook » en Allemagne rencontre un nouveau rebondissement après la décision surprise de la Cour suprême fédérale d’Allemagne du 23 juin 2020. La « Bundesgerichtshof » (BGH) a en effet validé, au moins temporairement, la décision de l’autorité de concurrence allemande ordonnant à Facebook de cesser le traitement de données provenant de sources-tiers telles que Instagram ou de sites web tiers. La décision inédite du 6 février 2019 de l’autorité de la concurrence – la « Bundeskartellamt » – avait fait l’objet d’une suspension par la cour d’appel fédérale de Düsseldorf le 26 août 2019, suspension que la Cour suprême vient d’annuler.

Fusion des données : Facebook doit cesser
Du coup, le droit de la concurrence redevient une arme qui peut accompagner le règlement général européen sur la protection des données (RGPD) – en vigueur depuis le 25 mai 2018 – dans la lutte contre des pratiques excessives en matière de données personnelles. Cette décision pèsera dans le débat européen sur la régulation des plateformes structurantes. Comment en est-on arrivé là ? Remontons au 6 février 2019, date à laquelle l’autorité de la concurrence allemande a émis une décision inédite sur le plan mondiale : elle a jugé que la collecte excessive de données par Facebook, notamment auprès des services Instagram, WhatsApp et sites web tiers, constituait non seulement une violation du RGPD mais également un abus de position dominante au regard du droit de la concurrence.
La Bundeskartellamt – littéralement Office fédéral de lutte contre les cartels – a ordonné à Facebook de cesser cette collecte de ces données, estimant que le consentement donné par les consommateurs n’était pas valable car ceuxci n’avaient pas de véritable choix : soit on accepte de livrer ses données, soit on n’utilise pas le plus grand réseau social du monde. Dans une décision de 300 pages, l’autorité de concurrence a tenté d’argumenter que l’absence de consentement valait violation du RGPD et que cette violation valait « abus » au sens du droit de la concurrence qui interdit tout abus de position dominante. Elle a donc enjoint à Facebook d’arrêter de collecter les données en question. Cette injonction aurait sérieusement perturbé le modèle d’affaires de Facebook, et a pu créer un précédent dangereux dans d’autres pays, où les autorités de concurrence scrutent les moindres faits et gestes du réseau social. Dans une décision du 26 août 2019, la cour d’appel – l’« Oberlandesgericht » – de Düsseldorf a suspendu l’application de la décision de la Bundeskartellamt dans l’attente d’un jugement au fond. Dans sa décision de suspension, la cour d’appel n’a pas caché son désaccord avec le raisonnement de l’autorité de la concurrence. Selon la cour d’appel, le travail de l’autorité de la concurrence n’était pas d’appliquer le RGPD, mais d’appliquer le droit de la concurrence. Cette dernière a fait un amalgame inacceptable entre les principes de protection des données personnelles et les principes de protection de la concurrence, lesquels ne visent pas les mêmes objectifs. Selon la cour d’appel, l’autorité de la concurrence n’avait pas démontré en quoi la collecte excessive de données par Facebook, et la violation du RGPD, avaient un impact néfaste sur la concurrence.
Beaucoup d’observateurs estimaient que l’histoire se terminerait là, l’Oberlandesgericht Düsseldorf ayant mis définitivement fin à la folle idée que le droit de la concurrence pourrait venir en aide au RGPD. Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là, l’autorité de la concurrence ayant fait appel. La décision de la Cour suprême du 23 juin 2020 fut une surprise, car la BGH – plus haute juridiction allemande – annule rarement les décisions prises en référé (à savoir dans le cadre d’une procédure d’urgence) au niveau de la cour d’appel. Le résultat de cette nouvelle décision – non-encore publiée – est que l’injonction de l’autorité de la concurrence du 6 février 2019 reprend vie et Facebook doit immédiatement cesser de fusionner des données de différentes sources.

Violer le RGPD serait anticoncurrentiel
Sur le plan de la procédure, le match n’est pas terminé. L’affaire sera maintenant traitée au fond par la cour d’appel de Düsseldorf, et un autre appel est possible devant la Cour suprême, ainsi qu’une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Mais pour l’instant la voie est de nouveau ouverte pour considérer qu’une violation du RGPD peut constituer un abus de position dominante au regard du droit de la concurrence. Le communiqué (1) de la Cour suprême dévoile son raisonnement, qui diffère du raisonnement de l’autorité de la concurrence. Selon la plus haute juridiction allemande, la liberté de choix des acteurs économiques est un principe essentiel de la concurrence et du bon fonctionnement des marchés. Les consommateurs sont des acteurs économiques comme les autres, et le fait – pour une entreprise en position dominante – de mettre le consommateur devant un choix qui n’en est pas un réduit sa liberté, créant ainsi une distorsion de la concurrence.

Liberté de choix des consommateurs : jusqu’où ?
La Cour suprême ne mentionne pas le RGPD, mais fonde son raisonnement uniquement sur l’effet néfaste des pratiques sur la liberté de choix des consommateurs, créant ainsi un lien solide entre les mauvaises pratiques en matière de données personnelles et le droit de la concurrence, un lien que l’autorité de la concurrence n’avait peut-être pas assez développé. La BGH mentionne également le possible impact sur le marché de la publicité en ligne, créant un autre lien possible entre les pratiques de Facebook et les principes de droit de la concurrence.
La Cour suprême allemande ayant mis l’accent sur la liberté de choix des consommateurs, on peut s’interroger sur les limites de cette liberté. Est-ce que les consommateurs peuvent du coup refuser tout traitement lié à la publicité personnalisée, tout en exigeant de bénéficier des services gratuits, ce qui reviendrait à interdire les « cookie walls » ? Les consommateurs peuvent-ils avoir « le beurre et l’argent du beurre » ? Dans le cas Facebook, la BGH semble considérer normal le traitement de données pour la publicité personnalisée dès lors que les données sont générées à l’intérieur du réseau social lui-même.
Lier l’utilisation du service à l’acceptation de ce traitement de données « intra-muros » ne serait pas abusif, car c’est ce qui se passerait probablement dans un environnement concurrentiel. En revanche, lier l’utilisation du service à l’acceptation de la collecte de données provenant d’autres services et sites web « extra-muros » n’est pas une pratique que l’on s’attendrait à voir dans un marché pleinement concurrentiel. En présence d’une concurrence effective sur le marché des réseaux sociaux, il est probable que d’autres acteurs proposeraient un service gratuit sans ce type de collecte de données tiers.
Comme dans toute affaire de droit de la concurrence, l’impact sur la concurrence s’apprécie par un jeu de comparaison : on compare la situation réelle qui existe en présence d’un acteur dominant à une situation fictive, contrefactuelle, où il existerait une concurrence effective sur le marché. C’est en comparant ces deux scénarios que l’on apprécie l’impact sur la concurrence d’une pratique. Souvent, les autorités de la concurrence mettent l’accent sur l’impact d’une pratique sur les autres acteurs du marché : réseaux sociaux concurrents, annonceurs, prestataires de publicité, ainsi que sur les prix pour le consommateur. Une augmentation des prix est un signe d’une concurrence défaillante. Pour un service gratuit tel que Facebook, l’augmentation du prix n’est pas un critère utile, car le prix officiel reste toujours zéro. En revanche, la diminution de la qualité est également un facteur à prendre en compte, et s’apprécie non seulement par rapport à la qualité des services numériques rendus, mais également par l’imposition de conditions d’utilisation pénalisantes, telles que celles imposées par Facebook en matière de données personnelles (livrer ses données, sinon pas de possibilité d’utiliser le réseau social). Comme le souligne le rapport du Stigler Center de septembre 2019, une baisse de qualité à travers l’imposition de conditions pénalisantes en matière de traitement de données personnelles devient l’équivalent d’une augmentation du prix (2).
Par l’utilisation excessive de ses données, le consommateur paie plus cher que ce qu’il paierait dans un marché pleinement concurrentiel. Selon les universitaires auteurs du rapport Stigler, le droit de la concurrence est ainsi équipé pour sanctionner des pratiques abusives dans le traitement des données, à condition de pouvoir démontrer ce type de baisse de qualité pour le consommateur. Ce raisonnement est maintenant repris par la Cour suprême d’Allemagne. Reste le problème du temps. Les affaires en droit de la concurrence prennent généralement des années, et l’affaire Facebook n’est pas une exception. L’autorité de la concurrence allemande a commencé ses enquêtes en 2016, et l’affaire n’est toujours pas réglée. Le gouvernement allemand envisage de modifier sa loi sur la concurrence pour permettre à l’autorité de la concurrence d’aller plus vite à l’égard de plateformes structurantes.

L’Allemagne pourrait inspirer l’Europe
L’initiative allemande pourrait servir de modèle pour la modernisation des règles de concurrence (« New Competition Tool ») actuellement étudiée au niveau de l’Union européenne (3) et soumise à consultation publique jusqu’au 8 septembre prochain (4). En parallèle, la Commission européenne étudie la possibilité de réguler les plateformes structurantes par une approche ex ante (« Digital Services Act »), comme en matière de télécommunications (5). La décision de la Cour suprême allemande ravive un vieux débat sur la meilleure manière de réguler les opérateurs puissants (ceux exerçant une influence significative sur le marché pertinent considéré), soit à travers une régulation ex post fondée sur le droit de la concurrence, soit à travers une régulation sectorielle ex ante, comme en télécommunications. @

* Winston Maxwell, ancien avocat, est depuis juin 2019
directeur d’études Droit et Numérique à Telecom Paris.

Anonymisation des données personnelles : un enjeu de taille, notamment en matière de santé

Alors qu’une deuxième vague de coronavirus menace, le gouvernement croit en l’utilité des données « pseudonymisées » de son application mobile StopCovid malgré le peu d’utilisateurs. Mais le respect de la vie privée ne suppose-t-il pas une « anonymisation » ? Le dilemme se pose dans la santé.

Par Olivia Roche, avocate, et Prudence Cadio, avocate associée, cabinet LPA-CGR avocats

Diffusion TV via des applications OTT : le combat continue entre distributeurs et éditeurs de chaînes

Depuis le différend d’il y a six ans entre Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, et France Télévisions – affaire qui s’est soldée par le rejet du « must carry » –, la question de la distribution des chaînes de télévision par des distributeurs Internet a été reposée par Molotov.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique a modifié les attentes des consommateurs, notamment dans la manière de regarder la télévision. Aux côtés de l’offre disponible sur les réseaux classiques (TNT, satellite, câble et ADSL/VDSL2), la distribution de la télévision connaît une nouvelle étape avec les applications OTT (Over-the-Top) – lesquelles sont par définition indépendantes de tout opérateur télécoms, mais pas forcément des éditeurs de chaînes. Cette offre permet d’accéder, par le biais d’un portail unique, à des contenus issus de différentes chaînes de télévision linéaire sur tous les écrans et appareils connectés.

Affaire « Play Media » : pas de must carry
Molotov.tv figure parmi les applications OTT les plus connues. Son éditeur Molotov (1) propose un modèle freemium, à savoir un service gratuit assorti de services payants améliorés. La plateforme permet d’accéder gratuitement aux services de télévision linéaire ainsi qu’à des fonctionnalités complémentaires, parfois payantes, notamment : de recherche, de rattrapage, de projection sur un écran de télévision ou parfois de reprise de programmes depuis le début, ou d’enregistrement. Côté « consommateurs », Molotov revendique plus de 10 millions d’utilisateurs enregistrés après seulement trois annèes d’existence (2). Côté « contenus », Molotov offre une expérience associant dans une même interface les programmes linéaires et non-linéaires de plus de 170 éditeurs et chaînes de télévision. L’éditeur a notamment conclu des contrats de distribution expérimentaux avec M6 (le 5 juin 2015 pour une durée initiale de deux ans qui s’est poursuivie jusqu’au 31 mars 2018) et avec TF1 (le 23 octobre 2016 pour une durée initiale de 14 mois qui s’est poursuivie jusqu’au 30 juin 2019). A partir de 2017, TF1 puis M6 ont informé Molotov qu’ils allaient restructurer les conditions de distribution de leurs services, en exigeant une rémunération pour le droit de distribuer leurs chaînes de la TNT en clair et services associés. Des négociations distinctes se sont engagées entre les chaînes et Molotov. Faute d’accord, M6 a mis fin à la reprise de ses chaînes à compter du 31 mars 2018 et TF1 à compter du 1er juillet 2019. Molotov a considéré que l’absence d’accord entre les parties ne résultait pas d’un processus contractuel normal. L’échec des négociations serait lié au lancement concomitant d’une plateforme concurrente. En effet, parallèlement aux négociations, M6 et TF1 ont créé avec France Télévisions (FTV) une plateforme dénommée Salto, dont l’activité est, d’une part, la distribution – dans le cadre d’offres payantes – de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande, et d’autre part, l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement. La création de Salto a été autorisée par l’Autorité de la concurrence le 12 août 2019 sous réserve d’exécution d’engagements.
La rivalité entre les chaînes de télévision, lesquels ont des accords de distribution rémunérateurs avec les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), d’une part, et les purs distributeurs de services OTT sur Internet, d’autre part, n’est pas nouvelle. Ce qui différencie principalement les applications des éditeurs de chaînes (comme TF1 ou M6 (3)) des simples distributeurs OTT (comme MyCanal et Molotov), c’est qu’elles ne proposent que leurs propres chaînes, ce qui limite forcément l’attractivité de leurs services. Pour se différencier, les éditeurs de chaînes proposent donc des fonctionnalités spécifiques comme des avant-premières, des programmes exclusifs, des prolongements de leurs émissions-phare et le start-over (4) qu’elles n’autorisent pas toujours chez leurs concurrents OTT. La particularité de l’application Salto est de regrouper plusieurs éditeurs de chaînes.
Cette concurrence entre applications OTT d’un pur distributeur et d’un éditeur de chaînes s’est déjà retrouvée devant les tribunaux. En 2014, FTV, constatant que ses programmes étaient proposés – sans son autorisation – par la société Play Media sur le site Playtv.fr pour un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage, l’a assignée en concurrence déloyale (FTV offrait déjà ce service sur son site Pluzz). Play Media a revendiqué pour les modes de diffusion sur Internet l’obligation de diffusion des chaînes publiques transmises par voie hertzienne, dite « must carry » (5), conçue pour les modes de diffusion historiques (hertzien, câble, satellite). Sur ce motif, Play Media a demandé qu’il soit enjoint à FTV de conclure un contrat l’autorisant à diffuser ses programmes.

Accord contracturel OTT-chaîne nécessaire
Après cinq années de procédure et de nombreuses décisions (6), il a été jugé que le distributeur Play Media ne pouvait pas se prévaloir de l’obligation de must carry dès lors que « l’existence de relations contractuelles nouées avec l’éditeur de services de communication audiovisuelle est une condition de la mise en œuvre de l’article 34-2 ». Il est donc définitivement tranché que la reprise d’une chaîne par un distributeur OTT nécessite un accord contractuel avec l’éditeur de ladite chaîne. Ce type d’accord aboutit souvent, mais encore faut-il qu’il soit recherché de bonne foi. Par exemple, depuis un accord d’une durée de trois années conclu en octobre 2019, Molotov peut intégrer dans ses offres les chaînes du groupe Altice, à savoir BFMTV, RMC Découverte, RMC Story, BFM Business, BFM Paris, BFM Lyon et i24 News (en français, en anglais et en arabe).

La bataille du freemium et du premium
Le distributeur Molotov a considéré que l’échec des négociations avec TF1 et M6 avaient pour cause des pratiques contraires aux règles de concurrence nationales et à celles de l’Union européenne. Selon Molotov, TF1 et M6 auraient rompu de manière brutale et abusive les accords expérimentaux conclus, entre chacun des deux groupes et Molotov. M6 aurait, via l’adoption de nouvelles conditions générales de distribution (CGD), tenté d’imposer à Molotov la distribution de ses chaînes et services aux consommateurs exclusivement dans le cadre d’offres payantes, ce que Molotov juge incompatible avec son modèle d’affaires freemium. De son côté, TF1 aurait tenté d’imposer à Molotov les conditions de son offre « TF1 Premium » qui consiste à apporter des services à valeur ajoutée tels que ceux fournis à des FAI pour leur « box (replay enrichi ou étendu, start-over, cast, 2e écran ou multiécrans, 4K, avant-premières, etc. (7)).
Le comportement de TF1 et M6 serait lié à la création de l’entreprise commune Salto, qui est un futur concurrent de Molotov. Toujours selon la société Molotov, ces faits constituaient une tentative abusive d’éviction de son application et attestaient également de l’existence d’une collusion anticoncurrentielle entre TF1 et M6. Molotov serait en outre dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de TF1 et de M6, situation dont celles-ci auraient abusé par leur comportement. La société Molotov a donc saisi l’Autorité de la concurrence le 12 juillet 2019. Par une décision en date du 30 avril 2020, l’Autorité a débouté intégralement Molotov de ses demandes dès lors que Molotov n’apportait pas d’éléments suffisamment probants à l’appui de ses allégations.
• Premier grief : l’allégation d’abus de position dominante collective. Selon l’Autorité de la concurrence, ni la saisine ni le dossier d’instruction ne comportent d’éléments suffisamment probants susceptibles de démontrer l’existence d’une position dominante détenue collectivement par les groupes FTV, TF1 et M6. En particulier, rien ne permet d’affirmer que les groupes FTV, M6 et TF1, pris collectivement, soient susceptibles de pouvoir « agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs ».
• Deuxième grief : l’allégation d’abus de dépendance économique. Molotov soutenait que les chaînes des trois groupes historiques (M6, TF1 et FTV) représentent collectivement 70 % de l’audience de la télévision linéaire gratuite et sur la part de la durée de visionnage totale des utilisateurs de Molotov attribuable aux chaînes des groupes TF1 et M6. L’Autorité a rappelé que selon la jurisprudence La démonstration d’un tel état de dépendance doit donc être faite au cas par cas pour chacune de ces relations (d’abord Molotov/TF1 puis Molotov/ M6) et non collectivement (Molotov/M6/TF1).
• Troisième grief : l’allégation d’entente horizontale concernant la création de Salto. Molotov soutient que les chaînes ont adopté de concert vis-à-vis de Molotov un comportement visant à restreindre sa capacité à exercer une pression concurrentielle sur leur plateforme future. Selon l’Autorité de la concurrence, le nouveau positionnement de TF1 et de M6 consistant à demander une rémunération s’explique d’abord par l’évolution du paysage audiovisuel. Il s’explique aussi, comme le font valoir TF1 et M6, par l’existence de manquements contractuels répétés de Molotov, dont des factures impayées, l’absence de fourniture mensuelle du nombre d’utilisateurs et d’envoi de données détaillées sur l’utilisation de la fonctionnalité d’enregistrement. L’Autorité de concurrence en conclut que la saisine et les éléments au dossier ne contiennent aucun élément tendant à démontrer l’existence d’un accord de volonté, explicite ou tacite, entre les groupes TF1 et M6 ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, en excluant Molotov du marché.
• Quatrième grief : la restriction verticale alléguée du fait d’une clause dite de « Paywall » (8) contenue dans les CGD du groupe M6 qui aurait été illégale. C’était l’atout de Molotov qui avait eu gain de cause sur ce fondement devant le tribunal de commerce de Paris (9). Or, selon l’Autorité de la concurrence, en l’absence de démonstration de l’existence d’un accord de volonté entre M6 et Molotov, et donc de l’entrée en vigueur de cette clause, toute analyse sous l’angle des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est, par définition même, exclue.

TF1, FTV et M6 sous surveillance
Molotov, dans une précision (10), considère que sa situation de distributeur s’est améliorée dès lors que l’introduction de son action (en juillet 2019) aurait conduit l’Autorité de la concurrence à assortir l’autorisation donnée à Salto en août 2019 d’engagements obligatoires qui doivent dans des « conditions équitables, raisonnables et non-discriminatoires » permettre à tous les distributeurs, dont Molotov, de distribuer les chaînes des groupes mères de Salto, à savoir TF1, FTV et M6. Molotov a déclaré qu’elle veillerait à ce que ces éditeurs ne vident pas de leur portée les engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de l’Autorité et qu’elle n’hésiterait pas à engager toute procédure nécessaire dans le cas contraire… Depuis le 3 juin, Salto a commencé à faire ses premiers pas en version bêta fermée (11). Prévu initialement au printemps, son lancement a été reporté à l’automne. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique :
de la révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Presse : le droit voisin des éditeurs sous la coupe de Google et dans les mains de l’Autorité de la concurrence

La décision rendue par l’Autorité de la concurrence (ADLC) le 9 avril dernier à l’encontre de Google, à la demande de l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et de l’Agence France-Presse (AFP), est très instructive. Explications.

Par Christophe Clarenc, avocat, Cabinet DTMV & Associés