Louis Dreyfus, groupe Le Monde : « Il est vital de basculer notre centre de gravité vers le numérique »

Président du directoire du groupe Le Monde depuis décembre 2010, Louis Dreyfus se dit « confiant » sur la capacité du « quotidien de référence » à séduire la nouvelle génération de lecteurs. Cela passe par une offre digitale accrue, dont un nouveau contenu éditorial chaque matin pour les mobiles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le Monde fête ses 70 ans cette année. Quels événements avez-vous prévus pour célébrer cet anniversaire ? Un journal septuagénaire peut-il encore intéresser la nouvelle génération des lecteurs « Internet Native » qui viennent de participer à la 25e Semaine de la presse et des médias dans l’école ?
Louis Dreyfus :
Les 70 ans du Monde doivent être l’occasion pour Le Monde d’ouvrir une nouvelle page de son histoire, non pas en se tournant vers son passé mais en se projetant vers l’avenir en investissant sur deux relais de croissance : le numérique et l’événementiel.
Le numérique est aujourd’hui à la fois un succès d’audience et un succès économique, avec une marge opérationnelle de 25 %. Mais il aura de nouveaux moyens éditoriaux et marketing pour accélérer son développement. Quant à l’événementiel, il se traduit par la création du Monde Festival qui se déroulera de mai à octobre prochains, et par deux jours de débat prévus les 20 et 21 septembre à l’Opéra Garnier et à l’Opéra Bastille avec des invités prestigieux qui débattront sur « Le Monde de demain ». Le succès qu’a rencontré en mars notre offre d’abonnement réservée aux 18-25 ans, soit 6 mois à l’édition numérique (70 ans d’archives comprises) au prix unique de 1 euro, me rend assez confiant sur notre capacité à renouveler notre audience. En s’abonnant au Monde – ils
ont été 7.000 à le faire –, ces jeunes ne s’abonnent pas à un journal mais à une multiplicité de produits digitaux caractérisés par la qualité et l’indépendance de l’information qu’ils publient.

Jean-Paul Bazin, gérant de la Spedidam : « Il est temps qu’Internet rémunère les artistes interprètes »

La Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam) explique à Edition Multimédi@ pourquoi elle compte sur la loi « création » pour que la gestion collective – qui profite aux artistes interprètes
depuis près de 30 ans en France – devienne obligatoire sur Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Jean-Paul BazinEdition Multimédi@ : L’an dernier, le 11 septembre, la Spedidam a perdu contre des plates-formes de musique
en ligne (dont iTunes) devant la Cour de cassation jugeant
que l’autorisation donnée par les artistes interprètes pour l’exploitation de leurs enregistrements inclut leur mise en ligne. La future loi « création » vous donnera-t-elle raison en instaurant une « rémunération proportionnelle » ?

Jean-Paul Bazin : Mis à part quelques vedettes qui perçoivent
le plus souvent des sommes dérisoires (264 euros environ pour 1 million de streams),
les artistes qui sont à l’origine de l’existence des contenus d’Internet ne perçoivent actuellement aucune rémunération lorsque leurs enregistrements sont exploités en
ligne. Sur les 49,5 millions d’euros des perceptions de la Spedidam sur 2013, Internet représente zéro !
C’est le rôle du législateur de maintenir les grands équilibres et de protéger les plus faibles contre l’appétit et le manque de scrupules de certains. Nous espérons donc vivement que les artistes soient enfin entendus et que la future loi « création » mettra un terme à cette situation inéquitable. Et ce, en instaurant une gestion collective obligatoire des droits des artistes interprètes pour les services à la demande afin de nous permettre de percevoir
au bénéfice de ces derniers des rémunérations, notamment auprès des plateformes numériques de musique en ligne.

Michel Barnier, commissaire européen : « Le droit d’auteur doit s’adapter à Internet »

L’année 2014 sera décisive pour la Commission européenne en matière d’adaptation du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle à l’ère du numérique. Michel Barnier, commissaire en charge du Marché intérieur et des Services, fait le point sur les réformes législatives en cours.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Michel BarnierEdition Multimédi@ : Le Parlement européen a adopté, en séance plénière le 4 février 2014, la nouvelle directive Gestion collective. En quoi va-telle améliorer l’offre de la musique en ligne en Europe ?
Michel Barnier :
Les ventes de musique en ligne en Europe sont passées de 200 millions d’euros en 2004 à 1,2 milliard en 2012.
Ce secteur évolue donc très vite. Notre cadre juridique doit aussi s’adapter pour vivre avec son temps, celui du marché intérieur et d’Internet. Un domaine où il était nécessaire d’agir est la gestion collective que nous avons voulue simplifier et rendre plus transparente.
Il existe plus de 100 sociétés de gestion collective en Europe qui jouent un rôle primordial. Certaines d’entre elles ont eu du mal à s’adapter aux contraintes de la gestion de droits pour l’exploitation en ligne ou transfrontières. La directive européenne prévoit des règles qui faciliteront la concession de licences multi-territoriales et l’agrégation des répertoires de plusieurs sociétés de gestion.
Cela veut dire concrètement que les prestataires de services sur Internet pourront obtenir plus facilement les licences nécessaires à la diffusion de musique en ligne provenant de toute l’Union européenne, et même d’au-delà. Les consommateurs, eux, auront accès à un répertoire plus grand. Ils connaissent aujourd’hui souvent Deezer ou Spotify, mais d’autres entreprises, des PME par exemple, bénéficieront aussi de ces règles pour développer leur offre ou de nouveaux services numériques.

Yves Riesel, président de Qobuz Music Group : « Le clivage streaming versus téléchargement est déjà caduc ! »

Le cofondateur et président du directoire de Qobuz Music Group (ex-Lyra Media Group), qui comprend la plate-forme de musique en ligne Qobuz.com et la maison de disques Abeille Musique, estime qu’il est temps de passer à la qualité Hi-Fi sur Internet. Et il ne cesse de pester contre la gratuité musicale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Yves RieselEdition Multimédi@ : La holding Lyra Media Group est devenue au 1er février Qobuz Music Group, du nom de votre plate-forme de musique en ligne Qobuz créée il y a cinq ans. Est-ce parce que les ventes numériques de musiques deviennent majeures dans vos activités ?
Yves Riesel :
Lyra regroupe la maison de disques Abeille Musique créée en 1997 et Qobuz créée en 2007. Les deux sociétés font du numérique, lequel génère 60 % du chiffre d’affaires de l’ensemble. Mais Abeille Musique, qui est toujours engagée dans la vente de CD, la production et la distribution, fait essentiellement de la vente aux professionnels (B2B). Tandis que Qobuz fait de la vente aux particuliers (B2C). Ce changement de dénomination ne concerne
pas le clivage physique/numérique. Il vise à donner de la force à la marque Qobuz qui maintenant s’ouvre à l’international et à montrer la totale cohérence du métier de distribution de musique des deux sociétés, que ce soit en B2B ou en B2C. Abeille Musique est maintenant devenue une société de distribution de musique numérique,
avec un catalogue important, elle est positionnée en tant que fournisseur de services
de distribution de haute qualité auprès des labels et des artistes – rien à voir avec tant d’agrégateurs dont le soin apporté aux produits est minime. Qobuz et Abeille, qui partagent le même souci de qualité (son, documentation, métadonnées) font un travail cohérent, qui sera réuni sous la même marque en particulier à l’international. Quant à notre filiale Virgule, elle a une activité de publishing [gestion des droits des compositeurs et des chanteurs, ndlr].

Eric Walter, Hadopi : « Je ne crois pas à une régulation d’Internet, à la fois illusoire, inutile et dangereuse »

C’est la première interview que le secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) accorde depuis la rentrée. Il espère que le CSA saura tirer parti de trois ans d’expérience de l’institution et que le gouvernement donnera suite à plusieurs de ses propositions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

EW-HEdition Multimédi@ : Alors qu’Aurélie Filippetti présentera
sa « grande loi sur la création » lors d’un Conseil des ministres en février 2014, craignez-vous le transfert de l’Hadopi vers le CSA ? La régulation de l’audiovisuel est-elle compatible avec une régulation du Net si tant est qu’elle soit souhaitable ?
La séparation du collège et de l’instruction suffira-t-elle ?
Eric Walter :
L’existence d’une institution n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service de missions décidées par le législateur.
Ce qui importe, et Marie-Françoise Marais comme Mireille Imbert-Quaretta l’ont toujours exprimé très clairement, c’est l’acquis de l’expérience et les missions dont est investie à ce jour l’Hadopi.
Au delà des controverses, leur objectif est clair : préserver et renforcer la diversité et
la dynamique de tout ce qui contribue aujourd’hui au financement de la création, dans
le nouveau contexte que crée Internet. Personne ne peut vouloir prendre le risque d’assécher ces moyens grâce auxquels notre pays dispose d’une formidable variété
de création.