Après avoir échoué à remplacer M6, et à racheter Editis et La Provence, Xavier Niel se concentre sur Iliad en Europe

En mars, Xavier Niel voit Vivendi choisir Daniel Kretinsky pour lui vendre Editis. En février, il prend acte du rejet de son projet de chaîne Six. En octobre, La Provence lui échappe au profit de Rodolphe Saadé. Et dans les télécoms, où il poursuit des ambitions européennes, le fondateur de Free se fâche avec l’Arcep.

Xavier Niel, le milliardaire magnat des télécoms et des médias, est tendu ces derniers temps. Cela se voit dans ses coups de gueule sur le marché français des télécoms. Pourtant, à 55 ans, tout semble lui sourire : sa fortune avait dépassé pour la première fois, en 2022, la barre des 10 milliards d’euros (1) ; sa vie privée se passe aux côtés de Delphine Arnault, fille de la plus grand fortune mondiale Bernard Arnault (2), PDG de LVMH (propriétaire du groupe Le Parisien-Les Echos) ; il a eu les honneurs de la République en étant fait le 31 décembre dernier chevalier de la Légion d’honneur par décret d’Emmanuel Macron (3) qu’il fréquente et apprécie depuis 2010 – l’Elysée préfèrerait même Iliad/Free à Orange (pourtant détenu à 22,9 % par l’Etat) pour ses ambitions européennes.
Or, depuis quelques mois, les déconvenues et les échecs se succèdent pour le « trublion » des télécoms et tycoon des médias français. Mise à part la chute de sa fortune de 43 % au 5 avril (4) par rapport à 2022, dernière contrariété en date : la décision de l’Arcep d’augmenter le tarif du dégroupage de la boucle locale d’Orange, autrement dit le prix de location mensuelle payé par Free, Bouygues Telecom ou SFR pour emprunter le réseau de cuivre historique hérité de France Télécom pour les accès ADSL et le triple play Internet-TV-téléphone. « C’est une formidable rente de situation pour Orange », a-t-il dénoncé le 22 mars dernier devant les sénateurs de la commission des affaires économiques qui l’auditionnaient.

Le « trublion » contrarié par l’Arcep et l’Arcom
Mais avant de ruer dans les brancards des télécoms en attaquant les décisions tarifaires du gendarme des télécoms – présidé par l’ex-députée et ex-France Télécom/Orange Laure de La Raudière dont il avait considéré la nomination à tête de l’Arcep il y a plus de deux ans comme « aberrant pour la concurrence » (5) –, Xavier Niel avait enchaîné les déconvenues dans les médias et l’édition.
Le rejet par l’Arcom de son projet de chaîne de télévision « Six ». C’est le 22 février 2023 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) recale son dossier de candidature pour son projet de chaînes « Six » dont l’ambition était de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT (télévision nationale diffusée par voie hertzienne terrestre en clair et en haute définition). Sans grand suspense, ce sont les autres « projets » qui sont « sélectionnés » par le régulateur de l’audiovisuel, à savoir TF1 (Télévision Française 1) et M6 (Métropole Télévision) dont les autorisations de continuer à émettre sur la TNT seront délivrées avant le 5 mai prochain.

TV, édition, presse : des mises en échec
Eliminé, Xavier Niel a noyé sa déception dans un même ironique posté sur Twitter le jour du verdict : « Comment te récupérer putain !? JAMAIS je pourrai la récupérer » (6). Un mois après, devant les sénateurs lors de son audition, le fondateur de Free et président du conseil d’administration de la maison mère Iliad, dont il est l’actionnaire principal, a regretté l’absence d’explication donnée par l’Arcom : « On ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été retenus. On l’a dit publiquement : on avait l’impression d’une procédure perdue d’avance. (…) Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l’on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux » (7).
Son exclusion de la course au rachat d’Editis à Vivendi. Le 14 mars, Vivendi – maison mère du deuxième groupe d’édition en France – a annoncé son entrée en négociation exclusives avec International Media Invest (IMI), filiale de Czech Media Invest (CMI) du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Objectif de Vivendi appartenant à Vincent Bolloré : céder au Tchèque 100 % du capital d’Editis – chiffre d’affaires 2022 en baisse de 8,1 % à 789 millions d’euros avec sa cinquantaine de maisons d’édition, dont La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … – , afin d’obtenir d’ici juin prochain le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer de la totalité du groupe Lagardère, maison mère du premier éditeur français Hachette. Xavier Niel, copropriétaire depuis novembre 2010, du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, L’Obs, …) au côté du même Daniel Kretinsky, lui aussi coactionnaire de la holding Le Monde Libre (8), se serait bien vu en plus à la tête du deuxième éditeur français. Mais le Tchèque, lui aussi magnat des médias via sa holding CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Femme actuelle, Franc-Tireur, …, sans oublier 5 % détenu dans TF1 et un prêt consenti à Libération), lui a coupé l’herbe sous le pied.
La candidature de Xavier Niel au rachat d’Editis avait été révélée le 25 novembre 2022 par La Lettre A, en lice face à deux autres prétendants : Reworld Media (9) et Mondadori. Editis est valorisé entre 500 et 675 millions d’euros, d’après le cabinet Sacafi Alpha. Avec un fonds d’investissement, qui pourrait être le new-yorkais KKR (Kohlberg Kravis Roberts) dont il est un administrateur depuis mars 2018, Xavier Niel aurait proposé un prix d’achat jugé insuffisant par Vivendi. • Son échec dans sa tentative de s’emparer du groupe La Provence. Le 30 septembre 2022, c’est le groupe maritime CMA CGM du nouveau milliardaire Rodolphe Saadé qui est confirmé pour reprendre les 89 % du groupe La Provence, comprenant aussi Corse-Matin. Xavier Niel, détenant les 11 % restant via sa holding personnelle NJJ, était pourtant considéré comme le « repreneur naturel » – y compris par feu son propriétaire Bernard Tapie (10) – du groupe La Provence, premier éditeur de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le patron de Free détient 11 % du capital depuis que le belge Nethys lui a vendu en 2019 sa participation (11). C’est aussi grâce à Nethys que Xavier Niel a pu faire tomber dans son escarcelle fin mars 2020 le groupe Nice-Matin (GNM), éditeur des quotidiens Nice-Matin, VarMatin et Monaco-Matin dans les Alpes-Maritimes et le Var (PACA toujours). Et ce, au détriment du favori – l’homme d’affaires Iskandar Safa (propriétaire de Valeurs Actuelles via Privinvest Médias) – qui a jeté l’éponge. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014) et une reprise par les salariés via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) grâce à un crowdfunding sur Ulule et le soutien de Bernard Tapie, GNM est propriété de Xavier Niel depuis trois ans. Le milliardaire-investisseur est aussi propriétaire de France-Antilles depuis mars 2020, et de Paris-Turf depuis juillet 2020.
Cependant, en août 2020, il échoue avec Bernard Tapie à jeter son dévolu sur le quotidien historique La Marseillaise qui est alors repris par Maritima Médias. Mais c’est surtout l’échec de la tentative de Xavier Niel à prendre le contrôle du groupe La Provence, incluant Corse-Matin que GNM – dont il devenu propriétaire – avait acquis en 2014, qui sera cuisant. Dès le 24 février 2022, son offre de 20 millions d’euros est rejetée par les liquidateurs au profit de celle à 81 millions de Rodolphe Saadé (12). S’en suivra le 3 mars des échanges houleux entre Xavier Niel venu au journal marseillais et des salariés hostiles à sa visite. « Vous m’avez mis dehors », lancera-t-il au PDG du groupe La Provence, Jean-Christophe Serfati. Le tribunal de Bobigny, où est instruite l’affaire, confirmera CMA CGM sept mois après. Entre temps, il a investi dans L’Informé.

Réussir ses télécoms en Europe
Au-delà de ses démêlés en France avec l’Arcep, il reste encore au « trublion » des télécoms à faire d’Iliad un champion européen. La maison mère de Free est présente en Italie depuis 2018 et en Pologne depuis 2020. Après avoir échoué l’an dernier à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, le groupe de Xavier Niel s’est positionné pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (Telecom Italia). En outre, depuis 2014, il contrôle personnellement via NJJ l’opérateur suisse Salt et détient une participation de l’opérateur irlandais Eir aux côtés de son groupe Iliad. En février, via sa holding Atlas Investissement (13), Xavier Niel a porté sa participation au capital de l’opérateur luxembourgeois Millicom à 19,6 %. Cette même holding est entrée en septembre 2022 à 2,5 % dans Vodafone. Déjà confronté à Orange en France, Iliad veut rivaliser avec Orange en Europe. @

Epic Games (« Fortnite ») est à la croisée des chemins, entre univers 3D, Blockchain Gaming et… procès

A la Game Developers Conference (GDC), Epic Games – fondé par Tim Sweeney – a présenté les nouveautés de son écosystème et d’Unreal Engine, son moteur de création 3D. L’éditeur du célèbre jeu de tir « Fortnite », aux 236 millions d’utilisateurs, doit aussi payer à la FTC et aux joueurs 520 millions de dollars.

Du 22 au 24 mars à San Francisco, lors de la Game Developers Conference (GDC), Epic Games – l’éditeur de jeu-phénomène « Fortnite » et du moteur de création de jeux et de mondes virtuels Unreal Engine – a encore une fois mobilisé sa communauté de développeurs et de gamers avec des nouveautés et de nouvelles versions (la « 5.2 » d’Unreal Engine et la « Mega » de Fortnite notamment). Il y en a pour tous les goûts : construire des mondes photoréalistes avec Unreal Engine 5.2 ; créer son premier jeu dans Fortnite avec Unreal Editor for Fortnite (UEFN) ; utiliser MetaHuman pour créer des personnages humains très réalistes de toutes les façons imaginables ; concevoir de nouveaux personnages physiques dans UE5 et pouvoir « caresser le chien », … L’écosystème d’Epic en a vu de toutes les couleurs à la GDC (1). Les conférences et sessions étaient aussi retransmises en live sur Twitch (Amazon) et YouTube (Google). « Il y a maintenant sur ordinateur plus de 230 millions d’utilisateurs d’Epic Games Store [la boutique de distribution de jeux, ndlr], soit 36 millions de plus qu’en 2021, ce qui fait un total de 723 comptes multiplateformes Epic », a indiqué le 9 mars dernier la société de Caroline du Nord fondée il y a plus de trente ans et toujours dirigée et contrôlée (à 51 %) par Timothy Sweeney (photo), dénommé Tim.

820 millions de $ dépensés dans « Epic » en 2022
« Les éditeurs et les développeurs ont apporté 626 nouveaux titres de PC dans Epic Games Store en 2022 [dont 99 gratuits, ndlr], ce qui porte notre total à 1.548 jeux. C’est plus que n’importe quelle année précédente. Les joueurs ont dépensé 355 millions de dollars sur des applications tierces [jeux non édités par Epic, ndlr], en hausse de 18 % sur un an. En incluant nos propres jeux, les joueurs ont dépensé 820 millions de dollars en 2022, en baisse de 2 % par rapport à 2021 », s’est aussi félicité Epic Games. L’éditeur de Cary (où il a son siège social) prélève seulement 12 % sur les revenus des titres, aux lieux des 30 % pratiqués en général par Apple, Google ou Steam de Valve. Le vaisseau-amiral maison est Fortnite, le célèbre jeu de tir en 3D dit « à la troisième personne » (2), le personnage du joueur étant visible à l’écran durant la partie. Fortnite est le numéro un mondial des jeux en ligne sur ordinateur et compte plus de 236 millions d’utilisateurs actifs sur le dernier mois, d’après Active Player (3), et près de 40 millions d’heures en streaming sur Twitch.

Retour de Fortnite sur iOS en 2023
Dans le « Top 15 » mondial de 2022 (4), Fortnite arrive devant « Minecraft » de l’éditeur suédois Mojang Studios, que Microsoft a racheté en 2014, « Roblox » de Roblox Corporation, « League of Legends » de Riot Games (5), ou encore « Counter-Strike » de Valve. « Call of Duty » d’Activision Blizzard (en cours de rachat par Microsoft) n’est, lui, qu’à la 12e place. En une heure de temps, ce sont plus de 1,1 million de joueurs qui se retrouvent sur Fortnite. Et ce, en cumulant la fréquentation des trois modes développés chacun sur le même type de jeu (gameplay) et le même moteur de jeu (Unreal Engine) : « Fortnite: Save the World » (jeu pay-to-play coopératif depuis juillet 2017), « Fortnite Battle Royale » (jeu free-toplay de joueur contre joueur depuis septembre 2017) et « Fortnite Creative » (jeu free-to-play de bac-à-sable depuis décembre 2018).
Les trois modes sont monétisés avec la monnaie virtuelle du jeu, « V-Buck », que les gamers peuvent acheter avec de l’argent du monde réel ou bien gagner en remportant des missions. Ces « V-Bucks » peuvent être dépensés pour acheter des boîtes de butin (loot boxes) dans « Save the World » ou des articles cosmétiques dans « Battle Royale ». Quant au meta-game « Creative », où les joueurs construisent des structures sur des îles privées, il est un rival sérieux de Minecraft. La sortie de la version « Creative 2.0 », développée avec UEFN, est enfin disponible depuis le 22 mars (au lieu de fin 2022). Les fameuses loot boxes, sorte de pochettes surprises numériques ou piñatas digitales en forme de lamas, ou « loot llamas », ont valu à Epic Games d’être condamnés aux Etats-Unis par la Federal Trade Commission (FTC) à payer un total de plus d’un demimilliard de dollars : 520 millions de dollars précisément. L’injonction à rembourser les joueurs lésés pour un total de 245 millions de dollars a été définitivement adoptée le 13 mars dernier (6).
La FTC a ainsi condamné Epic Games pour ses pratiques « obscure » dans Fortnite incitant les utilisateurs à effectuer dans le jeu des achats (in-app purchases) non désirés, et notamment les enfants à dépenser des V-Bucks pour ces loot llamas, mais aussi des cosmétiques ou des missions, sans l’autorisation de leurs parents. Auparavant, dans une ordonnance distincte datée du 19 décembre 2022 (7), Epic Games avait déjà accepté de payer une amende de 275 millions de dollars pour avoir enfreint la loi américaine « Coppa » sur la protection de la vie privée en ligne des enfants (Children’s Online Privacy Protection Act). « Epic a utilisé des paramètres par défaut envahissants et des interfaces trompeuses qui ont dupé les utilisateurs de Fortnite, y compris les adolescents et les enfants », a fustigé la présidente de la FTC, Lina Khan, très redoutée des plateformes numériques (8). La société de Tim Sweeney, dont le chinois Tencent est le second actionnaire (à 40 %), doit non seulement supprimer toutes les informations personnelles précédemment recueillies auprès des utilisateurs de Fortnite, mais aussi obtenir désormais le consentement des parents des utilisateurs de moins de 13 ans ou des adolescents utilisateurs (ou de leurs parents) avant de recueillir des données personnelles. Un consentement préalable sera aussi exigé pour permettre les communications vocales et textuelles.
La monnaie virtuelle « V-Buck » est aussi au cœur des deux différends d’Epic Games avec Apple, d’une part, et Google, d’autre part, lesquels prélèvent jusqu’à 30 % de commission – hors-de-prix selon l’éditeur de Fortnite – sur les transactions effectuées dans les jeux téléchargés sur leur App Store. En raison du refus d’Apple et de Google de mettre fin à leur « comportement anticoncurrentiel et illégal », Epic a donné le choix à ses utilisateurs de payer directement avec des V-Bucks et de partager l’économie réalisée avec les joueurs.
En représailles, Apple et Google ont supprimé Fortnite le 13 août 2020 sur respectivement App Store (iOS) et Play Store (Android) – lesquels forment un quasi-duopole (9). L’éditeur de Fortnite est depuis en procès contre les deux géants du Net pour abus de position dominante sur le marché des applications mobiles, ainsi qu’au RoyaumeUni depuis 2021. Mais grâce au Xbox Cloud de Microsoft, Fortnite peut être joué toujours gratuitement sur iPhone/iPad et terminaux Android depuis le 5 mai 2022 : « Aucun abonnement requis, aucune taxe Apple de 30 % », avant lancé Tim Sweeney (10). Il avait rallié à sa cause Spotify, MatchGroup (Tinder) ou encore Deezer au sein de la Coalition for App Fairness (11). Alors que les verdicts en appel sont attendus cette année, le PDG fondateur s’attend – en 2023 – à un retour de Fortnite sur iOS (12).

Blockchain Gaming et métavers
Le studio de Caroline du Nord va aussi se renforcer en 2023 dans le Blockchain Gaming (ou GameFi) en ajoutant dans son Epic Games Store une vingtaine de jeux basés sur la blockchain, au nombre de cinq actuellement (13) et pouvant utiliser des NFT. Un métavers est en outre en préparation avec deux autres de ses actionnaires : Sony (4,9 %) et Kirkbi (3 %), maison mère du danois Lego (14). En revanche, Tim Sweeney a fait part à The Verge de son scepticisme sur une éventuelle version VR (réalité virtuelle) pour Fortnite (15). @

Charles de Laubier

L’adtech Criteo, toujours 3e éditeur de logiciels français, va réaliser la moitié de son activité sans cookies

Société française de ciblage publicitaire sur Internet, fondée en 2005 (à Paris) et cotée depuis dix ans au Nasdaq (à New-York), Criteo accélère dans le « retail media » (publicité « personnalisée » au plus près des consommateurs), mettant fin aux cookies. L’adtech parisienne pourrait être la cible d’un acquéreur.

(Privacy International, ayant porté plainte en 2018 contre l’adtech, indique que la Cnil a auditionné le 16 mars Criteo qui risque une amende de 60 millions d’euros)

Le « retail media » est la nouvelle planche de salut de Criteo, le spécialiste français de la publicité ciblée et boostée à l’intelligence artificielle. En exploitant les quantités de données transactionnelles et commerciales (1) des internautes, que les marques et annonceurs veulent attirer avec des promotions et fidéliser, Criteo s’affranchit de plus en plus des cookies (2). Et ce, depuis que Google et Apple ont décidé de bannir ces mouchards pour préserver la vie privée de leurs utilisateurs (3). Il s’agit pour l’adtech parisienne devenue internationale de passer du seul re-ciblage publicitaire (retargeting) – nécessitant le dépôt controversé de cookies dans le navigateur du visiteur de sites web ou d’applications mobiles – à des solutions non-reciblées autour de sa plateforme Commerce Media. « Au cours de l’exercice 2022, nos solutions non-retargeting représentaient déjà près de 37 % de l’ensemble de nos activités (…), dont 47 % au quatrième trimestre de 2022. Nous investissons dans la croissance de ces solutions non reciblées et nous nous attendons à ce qu’elles représentent près de 50 % de l’ensemble de nos activités en 2023, y compris l’intégration d’Iponweb », indique la société cotée à la Bourse de New-York depuis 2013, dans son rapport financier 2022 publié le 24 février dernier. Iponweb est une adtech russo-britannique rivale rachetée en août 2022 pour 250 millions de dollars à son fondateur russe Boris Mouzykantskii, devenu architecte en chef de Criteo. Dernière acquisition en date que l’adtech française a annoncée le 7 mars : l’australien Brandcrush, lui aussi spécialiste du retail media.

Le « retail media » sans cookies fait recette
Sorte de marketing-direct en ligne, le retail media consiste à faire de la publicité en ligne personnalisée – voire de l’ultra-personnalisation – au plus près de l’acte d’achat des consommateurs sur les sites ou applis de e-commerce ou en magasins connectés, chez le détaillant ou à proximité. Ce nouveau canal publicitaire en pleine croissance permet aux marques, commerçants et sites web (de e-commerce et de média) de stimuler les ventes de produits, de services ou d’applications auprès du client ciblé – appelé « shopper » – en fonction de ses intérêts, de ses goûts et de ses emplettes. Les plateformes de e-commerce, les boutiques en lignes et les hypermarchés (comme E.Leclerc, Auchan, Boulanger ou Fnac Darty, clients de Criteo en France) deviennent ainsi des « médias commerciaux », qui, grâce à des adtech comme l’icône de la French Tech, peuvent monétiser leur inventaire publicitaire et augmenter leurs revenus.

Transformation de Criteo, avant vente ?
Le groupe Criteo, dirigé depuis trois ans et demi par la Nouvelle-zélandaise Megan Clarken (photo de Une) basée à Paris (4), surfe ainsi sur ce marché prometteur du retail media au sens large, qui devrait atteindre un potentiel mondial de 290 milliards de dollars en dépenses publicitaires d’ici 2025 (5). Rien qu’en France, sur 2022, les recettes publicitaires du retail media ont atteint 887 millions d’euros (6). Avec un bond annuel de 30 %, le milliard devrait être dépassé cette année sur ce segment dynamique du marché français de la publicité en ligne. Criteo, qui revendique plus de 22.000 clients (marques, détaillants, …) dans le monde, dont 37 % venant d’agences (publicitaires, marketing, …), poursuit sa transformation engagée en 2018 (7).
Considéré encore l’an dernier comme le troisième éditeur de logiciels français (8) – derrière Dassault Systèmes et Ubisoft –, la Big Tech française a publié le 8 février ses résultats pour l’exercice 2022 : 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires, en baisse de 11 % sur un an, pour un bénéfice net de 11 millions de dollars, en chute de 92 %. Entre la transformation de son modèle économique et le contexte économique international, Criteo traverse une passe difficile. Non seulement les solutions marketing classiques (notamment basées sur le retargeting et les cookies) ont vu leurs revenus baisser l’an dernier de -12 % à 1,7 milliard de dollars, mais aussi les solutions de retail marketing ont aussi reculé de -18 % à 202,3 millions de dollars. « Les revenus du retail media ont diminué de 21 % (…), en raison de l’incidence de la migration continue des clients vers la plateforme de la société [Commerce Media, ndlr] », explique la direction de Criteo dans son rapport d’activité.
En revanche, « la contribution du retail media [au résultat d’exploitation] a augmenté de 19 %, en raison de la vigueur soutenue du retail media onsite [à savoir les recettes publicitaires générées sur le propre site de e-commerce du commerçant détaillant, par opposition à l’”Internet ouvert” ou offsite, ndlr], de l’intégration de nouveaux clients et des effets de réseau croissants de la plateforme ». Criteo a l’ambition de tripler son activité retail media d’ici 2025. Quant au chiffre d’affaires de l’adtech Iponweb nouvellement intégrée, il n’a été consolidé que sur les trois derniers mois de l’année 2022 pour un montant de 52,1 millions de dollars (avant d’être entièrement consolidée sur 2023). Criteo employait au 31 décembre 2022 un effectif de 3.716 employés (41 % de femmes), dont 1.053 en France. Si le nombre de ces salariés a augmenté ces dernières années, une vague de licenciements ont eu lieu mi-février, selon des informations diffusées sur des réseaux sociaux et relayées par Thelayoff et Digiday. Certaines sources anonymes évoquent la suppression de jusqu’à 8 % des effectifs du groupe – ce qui reviendrait à près de 300 postes en moins – et même la fermeture du bureau dans le centre de Londres. « Nous ne sommes pas habilités à commenter cette actualité », a répondu une porte-parole à Edition Multimédi@. Criteo ne serait pas la première Big Tech à supprimer des emplois, d’autres l’ayant déjà fait depuis le début de l’année (Amazon, Meta/Facebook, Alphabet/Google, Twitter, Snap, Yahoo, …). L’ex-licorne française cofondée par Jean-Baptiste Rudelle, qui en fut le PDG (9) jusqu’au à sa passation de pouvoirs à Megan Clarken en février 2020, ne réduit-elle pas sa masse salariale afin de mieux se vendre ?
Ce n’est pas exclu, d’autant que l’agence Reuters a révélé le 7 février la mission confiée par Criteo à la banque Evercore pour trouver un repreneur (10), information non démentie. Ce n’est pas la première fois que l’adtech française est à vendre, l’agence Bloomberg en avait fait état en 2021. Sa capitalisation boursière est passée ces derniers temps sous la barre de 2 milliards de dollars, à 1,7 milliard (au 10 mars) – loin des 2,6 milliards de fin 2016. Au-delà de fonds d’investissement susceptibles d’être intéressés, des noms de repreneurs potentiels circulent tels que le canadien Shopify, les californiens Adobe et The Trade Desk, ou encore le français Publicis, lequel a déjà fait les acquisitions du texan Epsilon en 2019 et de l’australien CitrusAd en 2021, spécialisés dans le retail media. Criteo a d’ailleurs vu Carrefour le quitter l’an dernier pour rejoindre Publicis pour créer en 2023 « une joint-venture détenue à 51 % par Carrefour ». Mais Publicis n’est pas le plus grand rival de Criteo.

Un ex-Microsoft au conseil d’administration
Les GAFAM lui mènent la vie dure, ce qui a amené l’adtech française à obtenir en juin 2022 des engagements de Meta/Facebook devant l’Autorité de la concurrence, clôturant ainsi une procédure antitrust unique au monde (11). Sont aussi ses rivaux : The Trade Desk, Viant Technology, Magnite, PubMatic, voire Adobe, Oracle ou encore Salesforce. Lors de sa prochaine assemblée annuelle des actionnaires, prévue en juin, Criteo fera entrer dans son conseil d’administration (12) le Néerlandais Rik van der Kooi qui a passé 22 ans chez Microsoft, notamment pour en faire un géant mondial de la publicité en ligne. Il s’agit de faire de « Commerce Media » une plateforme mondiale. @

Charles de Laubier

 

Le nouveau plan stratégique d’Orange vise 2025 ; beaucoup attendaient une vision « humaine » à 2030

Après le plan « Engage 2025 » de l’ancien PDG d’Orange, Stéphane Richard, Orange va devoir se contenter d’un nouveau plan stratégique à horizon… 2025, baptisé « Lead the future », que Christel Heydemann, la DG du groupe, a présenté le 16 février. Au programme : recentrage et économies, sur fond de baisse des effectifs.

Certaines mauvaises langues diront que la feuille de route à horizon 2025, présentée par Christel Heydemann (photo) le 16 février à l’occasion de la publication des résultats annuels d’Orange dont elle directrice générale depuis le 4 avril 2022, est plus un « plan comptable » qu’un « plan stratégique ». Chez les syndicats, c’est la déception à tous les étages. « Les salariés du groupe attendaient beaucoup de cette annonce pour se projeter dans l’avenir. Orange a besoin d’un vrai projet industriel ambitieux et non de la poursuite d’une politique de gestion par l’optimisation des coûts engagée depuis plusieurs années et qui a accéléré la casse des compé- tences clefs », regrette le syndicat CFDT.
Recentrage de l’opérateur télécoms et économies drastiques : telles sont les deux priorités qu’assigne la nouvelle direction d’Orange aux 130.307 salariés du groupe, dont 28 % sont des agents fonctionnaires. Rappelons que l’Etat (1) détient toujours 22,95 % du capital de l’entreprise et 29,25 % des droits de vote, tout en ayant trois administrateurs sur les quatorze membres du conseil d’administration présidé par Jacques Aschenbroich. Et comme un plan peut en cacher un autre : « Lead the future » est doublé de « Scale up », un remède de cheval financier concocté par Stéphane Richard lorsqu’il était PDG et administré à Orange depuis 2019 pour faire 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Nous y sommes.

Atteindre 1,6 milliard d’économies cumulées d’ici à 2025
Mais, alors que le groupe Orange s’est déjà serré la ceinture pour dégager 700 millions d’euros d’économies cumulées de 2019 à fin 2022, Christel Heydemann en remet une couche sans même attendre cette année le 1 milliard. D’ici 2025, son plan « Lead the future » ajoute en plus 600 millions d’euros de réduction de coûts à réaliser « d’ici 2025 ». Si l’inflation devait se calmer, ce nouvel objectif pourrait être atteint avant cette échéance, comme cela aurait pu être le cas pour le 1 milliard. « Hors coûts additionnels liés à l’inflation, le groupe aurait atteint avec un an d’avance l’objectif d’économies nettes de 1 milliard d’euros », a expliqué la direction le 16 février. Et de détailler les baisses de charges déjà réalisées : « Ces économies résultent principalement de l’évolution des effectifs liée à l’attrition naturelle [comprenez les départs en retraite, les licenciements ou les démissions, ndlr] mais aussi aux accords de temps partiel seniors et à la politique salariale stricte du groupe, ainsi qu’à des efforts continus d’optimisation et de rationalisation, principalement dans les activités du siège et les fonctions support ».

En dix ans : 23,5 % d’effectifs en moins
La masse salariale est en première ligne. Selon les données collectées par Edition Multimédi@, les effectifs d’Orange ont diminué de 5.636 salariés entre 2018 et 2022, soit une baisse de plus de 4,1 % pour se situer aux 130.307 personnes évoquées plus haut à la date du 31 décembre 2022 (2). L’année 2023 verra Orange passer pour la première fois sous la barre des 130.000 salariés. En dix ans, Orange s’est délesté de plus de 40.000 em- ployés par rapport aux 170.531 de 2012 (-23,5 %). Mais si l’on regarde sur les vingt dernières années, l’ex-France Télécom a vu fondre ses effectifs de… 107.900 employés (-45,3 %). Et ce, par rapport au pic de 237.900 atteint au 31 décembre 2002 lorsque le PDG du groupe était un certain Thierry Breton (3). Lui succèdera en février 2005 Didier Lombard qui, après la vague de suicides durant son mandat, sera condamné en 2019 pour « harcèlement moral institutionnel » – ce que confirmera définitivement la cour d’appel de Paris le 30 septembre dernier (4).
« La première richesse d’Orange que sont les personnels a été oubliée… Regrettable », pointe le syndicat CFE-CGC. Même ressenti du côté de Force Ouvrière (FO Com) : « Pas de futur pour Orange sans son personnel au cœur ! Il ne peut y avoir de performance économique sans performance sociale, et nous ne voyons aucun élément social dans cette stratégie ». La CGT, elle, « estime que la situation est inquiétante, et le constate tous les jours sur les lieux de travail ; ceci explique probablement le blackout des résultats du baromètre social par la direction ce qui rappelle les heures sombres vécues par les salariés dans les années 2000 ». Elle fait référence à ce qu’Orange appelle aussi le « baromètre salarié », une enquête que la direction s’était engagée à réaliser chaque année pour lui permettre de « mesurer la perception de la qualité de vie au travail et l’adhésion du personnel à la mise en œuvre du plan stratégique » (à l’époque le plan « Engage 2025 » de Stéphane Richard). Or le groupe, qui ne nous a pas répondu sur ce point, précise dans son dernier rapport d’activité qu’« en 2021, l’enquête a cependant été décalée à 2022 ». Nous sommes en 2023, et toujours pas de baromètre salarié en vue depuis celui de 2020 (5). Le thermomètre social montrerait-il une poussée de fièvre inquiétante ? « La sous-traitance à outrance dégrade la fourniture des services d’Orange », dénonce la CFE-CGC. « Nous réaffirmons notre opposition à une politique de filialisation et de sous-traitance à outrance », abonde FO. « Derrière ces annonces se cachent une filialisation à outrance des activités et des infrastructures et encore plus de sous-traitance dans la gestion du réseau », déplore aussi la CGT.
Le rapport annuel d’Orange indique que « le recours à la sous-traitance concerne 32.221 effectifs équivalent temps plein à fin décembre 2021 », soit plus de 30 % de effectifs d’Orange en France, pour un montant total annuel dépassant pour la première fois les 3 milliards d’euros. Outre la sous-traitance, il y a la filialisation comme avec le « projet Libellule », comme l’appelle la direction d’Orange, qui consiste à « accompagner » les salariés des 323 boutiques du réseau physique de distribution – les « agences de distribution » dont Orange est proprié- taire – vers les 220 boutiques de la filiale Générale de Téléphone (GDT) détenue à 100 %. Les syndicats craignent à terme une « filialisation des salariés » de l’ensemble des boutiques d’Orange vers GDT, dont la « convention collective nationale des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager » est bien moins avantageuse que les accords « Orange SA ». La CFDT « s’oppose elle aussi, à la filialisation au sein du groupe dès lors qu’elle se traduit par du dumping social, des conditions de travail dégradées ».
Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’était tenu le 22 septembre 2022, la DG d’Orange avait laissé entendre que son plan stratégique 2030 allait être plus « humain » que comptable (6), sa stratégie à 2025 exposée dans un communiqué (7) et des slides (8) donne l’impression de l’inverse.

Nouveaux métiers et hausse des forfaits
« L’humain, l’agilité organisationnelle et la simplification des processus seront au cœur de cette transformation. Dans un monde fait de ruptures technologiques, le groupe investira dans la formation et (…) facilitera l’évolution des salariés vers les nouveaux métiers de la data, du cloud, de la cybersécurité ou de l’IA », a tout de même assuré Christel Heydemann.
Son plan « concentre Orange sur son cœur de métier » (fibre, 5G, Wifi, réseau d’entreprise avec Orange Business, cybersécurité, satellite avec Eutelsat), après avoir cédé OCS à Canal+. Orange Bank est à vendre. « Augmenter de 1 à 2 euros nos forfaits » (mobile et fixe) fait aussi partie de sa stratégie, même si elle a attendu le 17 février pour l’annoncer sur RTL. @

Charles de Laubier

Le DG de TF1, Rodolphe Belmer, en devient PDG – avec un double défi : baisse d’audience et plateformisation

En prenant les deux rênes de TF1, filiale de Bouygues, Rodolphe Belmer (53 ans) se retrouve depuis le 13 février pleinement à la tête du premier groupe de télévision privé en France. Mais l’audience s’érode. La « plateformisation » de TF1 est une réponse aux défis lancés par la profusion de vidéos et de télés.

La passation de pouvoirs à la tête du groupe TF1 a lieu ce lundi 13 février, entre Gilles Pélisson et Rodolphe Belmer (photo). Le premier rejoint la maison mère – le groupe Bouygues (détenant 43,7 % du capital de la société cotée TF1) – en tant que directeur général adjoint en charge des médias et du développement, tandis que le second devient PDG du premier groupe de télévision privé français.
Gilles Pélisson occupait ce poste à double casquette depuis plus de six ans et demi (1) jusqu’à ce que Rodolphe Belmer n’entre dans le groupe TF1 – « sur proposition » du premier – pour y être nommé le 27 octobre dernier directeur général. Depuis cette date, Gilles Pélisson avait dû se contenter de la fonction de président du conseil d’administration. Si celui-ci n’a pas démérité durant son mandat, ayant réussi à développer la plateforme MyTF1 et le pôle de production audiovisuelle avec Newen Studios, il aura échoué à mener à bien la fusion entre TF1 et M6 qui a été abandonnée mi-septembre 2022 face aux tirs de barrage de l’Autorité de la concurrence (2). Un autre échec de l’ère « Pélisson » réside dans Salto, la plateforme de SVOD commune à TF1, M6 et France Télévisions lancée en octobre 2020 (3). Mais ce qui devait être un « Netflix à la française » est abandonné par ses trois actionnaires qui s’apprêtent à dissoudre leur société commune. Rodolphe Belmer hérite du dossier « Salto » où TF1 a investi à perte 45 millions d’euros (et les deux autres actionnaires autant).

Faire de MyTF1 le « nouveau TF1 »
Rodolphe Belmer connaît bien l’enjeu des plateformes de streaming pour avoir été administrateur de Netflix de 2018 à 2022, ainsi qu’administrateur du média en ligne Brut de 2019 à 2022. Il a même été président du conseil d’administration de Brut où il fut – tout en étant alors directeur général d’Eutelsat, puis directeur général d’Atos – nommé vice-président du comité stratégique. Les difficultés des plateformes de SVOD face aux Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ et autres Paramount+, Rodolphe Belmer a pu les observer de près en ayant à la fois un pied chez le géant Netflix et l’autre chez Brut qui a dû abandonner en octobre dernier sa plateforme de SVOD BrutX faute d’avoir trouvé son public. C’est aussi ce qui arrive à Salto, qui n’a pas atteint son objectif de 1 million d’abonnés.

Claire Basini (ex-Brut et ex-Canal+) en piste
Malgré l’échec « BrutX », Rodolphe Belmer a recruté à TF1 celle qui était en charge du lancement de BrutX justement, en tant que directrice générale adjoint de Brut, à savoir Claire Basini (photo en Une) qui est depuis le 16 janvier dernier directrice générale adjointe en charge d’une nouvelle direction consacrée aux activités BtoC (4) du groupe TF1 – dont elle intègre aussi le comité exécutif. Le nouveau PDG ne devra pas refaire les mêmes erreurs pour MyTF1, la plateforme vidéo du groupe sur laquelle se concentrent maintenant tous les regards. Gilles Pélisson avait préparé le terrain en poussant les feux sur MyTF1 qui était jusqu’à novembre 2021 une plateforme uniquement de télévision de rattrapage (replay) gratuite, dans le prolongement de la chaîne gratuite. C’est en effet il y a plus d’un an que le service payant MyTF1 Max a été lancé à 3,99 euros par mois (après une période de promo à 2,99 euros), pour y proposer non seulement du replay, mais aussi des contenus exclusifs, des diffusions live et des bonus, en plus du flux direct des chaînes. MyTF1 Max est propulsé par de nombreux distributeurs, notamment sur les Smart TV de Samsung depuis le 15 novembre.
Ancien PDG de Canal+ (2012-2015), le nouveau patron de TF1 sait qu’il est impossible de lutter contre les plateformes globales de streaming vidéo ou de télévision en ligne (SVOD, AVOD, FAST, …). « A chaîne gratuite, streaming gratuit » est plus son crédo, mais il pourrait faire monter en charge MyTF1 Max à grand renfort de partenariats pour marcher sur les platebandes cryptées de son ancien employeur Canal+. M6 a suivi TF1 sur ce terrain-là en lançant de son côté en octobre dernier 6Play Max aux mêmes tarifs (5). Cette « plateformisation » est une bascule historique du centre de gravité de TF1 vers la délinéarisation, au moment où la diffusion hertzienne des programmes en linéaire subit une érosion depuis quelques années.
Entre 2021 et 2022, la chaîne TF1 est passée de 19,7 % de part d’audience nationale à 18,7 %, selon l’institut Médiamétrie. Ce point en moins est la poursuite de la perte de téléspectateurs qu’enregistre la chaîne-amirale de la filiale du groupe Bouygues depuis plusieurs années. Cette érosion a commencé bien avant la prise de fonction de Gilles Pélisson comme PDG le 19 février 2016, mais c’est sous l’ère de ce dernier que TF1 a crevé le plancher des 20 %. Des 21,4 % en 2015, l’audience de TF1 passe à 20,4 % durant la première année de l’ère « Pélisson » (puis à 20 % en 2017 et à 20,2 % en 2018), avant de passer depuis 2019 dans les 19 % (19,5 % en 2019, 19,2 % en 2020, 19,7 % en 2021). L’année 2022 fait passer TF1 sous la barre cette fois des 19 %. Et le mois de janvier 2023 n’augure rien de bon puisque TF1 vient de descendre sous la barre des 18 % pour se retrouver à 17,9 %. Qu’il est loin le temps où la première chaîne gratuite du PAF affichait 30,7 % de part d’audience nationale moyenne. C’était en 2007. Et en dix ans, TF1 a perdu plus de 4 points de part d’audience nationale. Et encore faut-il dire que l’évolution de la méthodologie de Médiamétrie a servi d’amortisseur, dans le sens où l’audience TV a cumulé à partir de janvier 2011 la mesure de l’antenne et le différé du jour-même et des 7 jours suivants, puis à partir d’octobre 2014 la télévision de rattrapage (replay) en plus, et, depuis janvier 2016, les audiences cumulent le live, le différé et le replay sur un jour donné (quelle que soit la date de diffusion initiale en live). Sans parler que depuis trois ans, est prise en compte l’audience des programmes regardés à domicile sur le téléviseur et l’audience en dehors du domicile et en mobilité, quel que soit l’écran.
Rodolphe Belmer arrive donc au moment où TF1 est en sérieuse perte de vitesse dans le linéaire. Le rôle de Claire Basini sera crucial dans l’ambition du nouveau PDG de « faire du groupe TF1 un acteur de référence dans l’audiovisuel digital, comme il l’est aujourd’hui dans l’univers du “broadcast” ». L’ex-Brut et ancienne directrice du numérique de Canal+ (2010-2018), où elle a croisé Rodolphe Belmer, a pour mission d’« accélérer l’évolution du modèle du groupe TF1 vers un modèle mixte – linéaire et non linéaire – et de développer une présence élargie sur tous les supports ». C’est elle aussi qui assura « l’animation de la filière digitale au sein de l’ensemble du groupe ». L’avenir de TFI sur la TNT pourrait se poser, comme c’est le cas à Canal+. Pour l’heure, MyTF1 réunit plus de 17,6 millions de visiteurs uniques par mois et se positionne en 33e position des plateformes les plus fréquentées en France (6). Le chiffre d’affaires publicitaire digital devrait être en baisse en 2022 par rapport aux 142,5 millions d’euros de 2021 et malgré la progression de MyTF1.

Activités digitales d’Unify déconsolidées Avant déconsolidation sur le dernier trimestre de l’an dernier des activités d’Unify Publishers (Marmiton, Aufeminin, Doctissimo et Les Numériques), cédées à Reworld Media le 18 octobre 2022, MyTF1 pesait 63 % du chiffre d’affaires publicitaire digital de TF1 (58,7 millions d’euros sur les 92,6 millions réalisés sur les neuf premiers mois de 2022). C’est encore une mince contribution aux plus de 1,5 milliard de recettes publicitaires annuelles du groupe. La première intervention publique de Rodolphe Belmer en tant que nouveau PDG de TF1 interviendra le 14 février au matin, pour la présentation des résultats 2022 de « Télévision Française 1 », la dénomi-nation officielle du groupe. @

Charles de Laubier