Présidentielle : ce que François Hollande promet sur l’économie numérique et Internet

Depuis que Nicolas Sarkozy s’est déclaré, le 15 février dernier, candidat à la présidentielle de 2012, le duel entre les deux favoris bat son plein. A deux mois
des deux tours de cette élection quinquennale, Edition Multimédi@ fait le point
sur les positions de François Hollande sur l’économie numérique.

Dernière prise de position en date pour le premier challenger
de l’actuel président de la République : un appel au « refus de la ratification par le Parlement européen » de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) (1), lequel est contesté en Europe malgré la signature de plusieurs pays intervenue le 26 janvier (2). Par les voix de Fleur Pellerin (3), sa chargée de l’économie numérique, et de la députée socialiste Aurélie Filippetti, en charge de la culture, de l’audiovisuel et des médias, François Hollande a en effet dénoncé clairement ce texte international sur lequel le Parlement européen doit se prononcer d’ici juin prochain. « Originellement destiné à combattre la contrefaçon commerciale, ce texte a été progressivement détourné de son objectif, dans la plus grande discrétion et en dehors de tout processus démocratique », ont expliqué le 10 février dernier ses deux porte-parole sur le site web du candidat socialiste à l’élection présidentielle, lequel se dit « scandalisé par le manque de transparence qui caractérise les négociations, auxquelles les sociétés civiles n’ont nullement été associées ». Quant à la Commission européenne, elle a annoncé le 22 février son intention de saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

ACTA, non. Lutte anti-contrefaçon, oui
L’ACTA vise notamment à promouvoir la coopération entre fournisseurs de services (réseau Internet et contenus Web) et détenteurs de droits (culturels et audiovisuels),
afin de lutter conte le piratage d’œuvres culturelles sur Internet, quitte à instaurer des procédures pénales et des peines, voire une responsabilité pénale au titre de la complicité des intermédiaires du Net. François Hollande a pris rapidement position contre la manière dont le projet de traité international a été négocié. Alors que son adversaire Nicolas Sarkozy n’a encore dit mot (4), ce qui est plutôt fâcheux lorsqu’on est justement le chef de l’Etat qui est l’un des signataires de cet accord anti-contrefaçon. Cependant, François Hollande n’est pas forcément hostile aux objectifs poursuivis. « Cette réflexion doit être ouverte, démocratique et prendre en compte le principe de neutralité du Net auquel nous sommes attachés », expliquent Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti. Le 45e des 60 engagements de son projet présidentiel présenté le 26 janvier est clair : « La lutte contre la contrefaçon commerciale sera accrue en amont, pour faire respecter le droit d’auteur et développer les offres en ligne ».

Loi Hadopi remplacée, et l’autorité ?
Il vient d’ailleurs de répondre à la SACD (5), dans un courrier daté du 13 février :
« De la gestion collective des droits au renforcement de la lutte contre la contrefaçon commerciale, en passant par l’adaptation de la chronologie des médias et de la rémunération pour copie privée à l’arrivée de nouveaux acteurs industriels, je souhaite que nous menions un grand chantier (…) ». François Hollande veut en outre abroger
la réponse graduée, comme il l’a expliqué lors de son meeting au Bourget le 22 janvier :
« Quant à la loi Hadopi, inapplicable, elle sera remplacée (…) par une grande loi signant l’acte 2 de l’exception culturelle, qui défendra à la fois les droits des créateurs (…) et un accès aux oeuvres par Internet », avait lancé François Hollande. En ajoutant : « Nous ne devons pas opposer les créateurs et leurs publics [qui] sont dans le même mouvement pour l’émancipation, pour la découverte, pour la qualité, pour l’exception culturelle française ». Le remplacement de la loi Hadopi se retrouve ainsi consigné dans le 45e de ses 60 engagements. Il veut en tout cas « dépénaliser le téléchargement » (6), alors que l’Hadopi a annoncé le 13 février dernier avoir transmis les tout premiers dossiers d’internautes pirates récidivistes (présumés) à la justice.
« Cette ‘’culture à domicile’’ ne doit pas être considérée comme une menace. (…) La loi Hadopi a voulu pénaliser des pratiques », a-t-il fustigé le 19 janvier à Nantes. Après un malentendu avec la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP) en octobre dernier au sujet de la loi Hadopi (7), François Hollande est désormais déterminé à l’abroger.
Si le favori des sondages était finalement élu le 6 mai 2012, les jours de l’autorité administrative indépendante Hadopi seront alors comptés. Sera-t-elle dissoute ? Serait-elle fusionnée avec l’Arcep ? Sera-t-elle absorbée par la Cnil ? Didier Mathus y est en quelque sorte son cheval de Troie. Le député de Saône-et-Loire a en effet été nommé
en janvier dernier par le président du Sénat – le socialiste Jean-Pierre Bel – membre
de l’autorité Hadopi. « Ayant été l’un des principaux adversaires au Parlement des lois Internet, DADVSI (8) et Hadopi fondées sur une vision purement répressive, (…) il est évident que ce sont les mêmes positions que je défendrai au sein du collège de la Hadopi », a promis Didier Mathus. Au côté de François Hollande, le député socialiste est en charge des « enjeux numérique de la culture », au sein de l’équipe Culture, audiovisuel, média d’Aurélie Filippetti. Didier Mathus peaufine en outre pour François Hollande une réforme de la fiscalité des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), qui se traduirait par des taxes numériques prélevées auprès des acteurs du Web et des fabricants de terminaux (lire à ce propos p. 7), afin de financer la création et les ayants droit. Dans son engagement 45, François Hollande se veut le plus explicite possible :
« Les auteurs seront rémunérés en fonction du nombre d’accès à leurs oeuvres grâce
à un financement reposant [à la fois sur les usagers et sur tous (9)] sur les acteurs économiques qui profitent de la circulation numérique des œuvres ». En décembre dernier, Aurélie Filippetti avait parlé d’une contribution des étudiants de 2 euros prélevés sur les droits d’inscription universitaires pour leur donner le droit de télécharger films et musiques. Une sorte de « licence globale » à laquelle est favorable Martine Aubry, moins François Hollande. Celui qui pourrait être chef de l’Etat en mai est partisan de la gestion collective (obligatoire) des droits d’auteurs, que la mission Hoog n’avait pas réussi à en place en 2010. « Ma proposition repose sur deux idées, deux principes : développer l’offre culturelle légale sur Internet en simplifiant la gestion des droits et imposer à tous les acteurs de l’économie numérique une contribution au financement de la création artistique », a-t-il promis le 19 janvier et dans son livre (10). Toujours à Nantes, soit dix jours avant que Frédéric Mitterrand n’inaugure le 28 janvier au Midem le CNM (11), il déclare : « Je reprendrai le chantier du Centre national de la musique, pour en faire un outil au service de la diversité culturelle et de l’ensemble du spectacle vivant, et pas seulement de la musique enregistrée ». Plus largement, « le candidat du siècle qui vient » – dixit, lors de son discours du 15 février à Rouen – veut au cours des 5 à 10 ans « mettre le numérique, Internet, les réseaux de communication au service de notre vie courante, mais aussi de nos entreprises et de nos emplois ».

Très haut débit partout d’ici à dix ans
C’est justement le 4e de ses 60 engagements : « Je soutiendrai le développement
des nouvelles technologies et de l’économie numérique, levier essentiel d’une nouvelle croissance, et j’organiserai avec les collectivités locales et l’industrie la couverture intégrale de la France en très haut débit d’ici à dix ans ». Edition Multimédi@ constate qu’une coquille s’est glissée dans le discours du 26 janvier : l’objectif de couvrir l’ensemble du territoire en très haut débit a été ramené à… deux ans ! @

Charles de Laubier

Quatre ans après l’accord de l’Elysée, Nicolas Sarkozy s’impatiente sur le filtrage et le streaming

Depuis l’accord dit « de l’Elysée » du 23 novembre 2007, les FAI n’ont toujours
pas expérimenté le filtrage. Tandis que Nicolas Sarkozy menace le streaming
d’une « Hadopi 3 », le cinéma (APC, FNDF) et la vidéo (SEVN) demandent au
juge de bloquer quatre sites de streaming, comme l’a déjà fait Google.

« Il faut aller plus loin parce qu’il y a les sites de streaming (…).
Sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, excusez-moi,
c’est l’idéologie de l’argent : je vole d’un côté et je vends de l’autre. Qu’on ne me demande pas de soutenir ça ; personne ne peut soutenir ça. (…) On m’a présenté comme fanatique d’Hadopi. L’Hadopi… Mais Hadopi c’est un moyen, c’est pas une fin. (…)
Et certains d’entre vous se sont inquiétés lorsque j’ai dit que j’étais prêt à Hadopi 3. Pourquoi, parce que, j’ai bien conscience que la technologie évolue. Ce qui compte dans notre esprit – à Frédéric [Mitterrand] comme à moi –, c’est de protéger les droits d’auteur : si la technologie nous permet une nouvelle évolution,
eh bien on adaptera la législation. Pourquoi en rester là ? A partir du moment où l’on respecte cette question du droit de propriété [intellectuelle] ». Ainsi s’est exprimé le 18 novembre le chef de l’Etat lors du Forum d’Avignon, lequel accueillait également – à sa demande – un sommet élargi (G8/G20) de la culture. Ainsi, quatre ans après l’« accord pour le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux » – accord dit « de l’Elysée » ou « Olivennes », signé par les opérateurs télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les ayants droits de
la musique, du cinéma et de l’audiovisuel –, Nicolas Sarkozy s’est dit prêt à une loi
« Hadopi 3 » pour combattre le streaming illégal.

Orange, Free, SFR, Bouygues Télécom, Numéricable, …
Autrement dit, l’Etat français est prêt à filtrer le streaming. Car, contrairement aux réseaux peer-to-peer d’échange de fichiers téléchargés, le streaming – permettant de visionner un flux audio et/ou vidéo sans téléchargement préalable – nécessite une autre technique que celle mise en oeuvre par la société TMG dans le cadre de la « réponse graduée » de l’Hadopi. Cette fois, le filtrage du Net est nécessaire. Depuis quatre ans, l’accord de l’Elysée le prévoit. Il a bien abouti en 2009 à la promulgation des deux lois Hadopi (1) qui se focalisent sur le peer-to-peer, avec identification des œuvres et des adresses IP des internautes pris en flagrant délit de piratage en ligne. En revanche, cet accord n’a pas du tout été respecté par les FAI et les ayants droits quant à
l’« expérimentation des technologies de filtrage des réseaux disponibles », qui devait être menée avant fin 2009, en vue de bloquer les sites proposant des œuvres piratées.

Livre vert sur le filtrage avant fin décembre
« A ce jour, nous n’avons entamé aucune discussion, ni aucun travaux sur les techniques de filtrage sur Internet au sein de la fédération, sur le streaming illégal comme sur les autres formes d’accès aux contenus illégaux. Je n’ai pas connaissance que certains membres expérimentent ces dispositifs s de filtrage » (2), indique Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT), à Edition Multimédi@. Or, France Télécom (Orange), Iliad (Free qui n’est pas toujours membre de la FFT), SFR (Neuf Cegetel à l’époque) ou encore Numéricâble s’y étaient engagés dans l’accord « Olivennes ».
Même son de cloche du côté de l’Hadopi, à qui le code de la propriété intellectuelle (3) confie le soin d’évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage. « Nous ne sommes pas
au courant d’éventuelles expérimentations de filtrage. Et s’il devait y en avoir, nous devrions être obligatoirement tenus informés. En tout cas, ce n’est pas à l’Hadopi de les mener », nous répond un porte-parole de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Tout juste a-t-elle prévu, toujours selon nos informations, de publier d’ici fin décembre 2011 « une première version stable du livre vert sur le filtrage d’Internet et le blocage des accès », ouvrage qui est actuellement rédigé par le « Lab Réseaux et techniques » et qui sera réactualisé par la suite. Lors d’une réponse la députée Laure de La Raudière le 12 octobre dernier, le gouvernement a affirmé qu’« à ce jour, aucune expérimentation, qu’elle porte sur les technologies de type Deep Packet Inspection (DPI) ou sur toute autre technologie de reconnaissance des contenus et de filtrage, n’a été portée à la connaissance de l’Hadopi ou du ministre de la Culture et de la Communication. Lorsque de telles expérimentations seront menées, la Haute autorité a fait savoir qu’elle devra en être informée au plus tôt pour pouvoir mener à bien sa mission d’évaluation ». Pourtant, Nicolas Sarkozy y tient toujours et s’impatiente. Sa déclaration en faveur d’une loi pour le streaming le montre. Elle est dans le prolongement de ses vœux au monde la culture le 7 janvier 2010 :
« Mieux on pourra “dépolluer“ automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs
de filtrage », avait-il lancé (4). Nicolas Sarkozy rêverait – comme beaucoup d’industries culturelles – de généraliser des radars sur le Net pour flasher les pirates en ligne, comme il a été l’artisan – comme ministre de l’Intérieur, puis chef de l’Etat – de la multiplication des radars routiers et des amendes automatiques associées, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Dès 2004 et le rapport Kahn-Brugidou, les majors du disque via le Snep ont recommandé au gouvernement de placer sur différents points du réseau des réseaux ?
y compris chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ? « plusieurs milliers » de radars – fixes pour les uns, mobiles pour les autres – dans le cadre d’« actions de prévention ou juridiques » (5).
En répondant aux questions lors du Forum d’Avignon, Nicolas Sarkozy a encore insisté : « On est prêt à faire une Hadopi 3, voire une Hadopi 4 », tout en se redisant hostile à l’idée de licence globale. Le 27 avril dernier, lors de son discours d’intronisation du Conseil national du numérique (CNN) à l’Elysée, il lance : « On me dit “est-ce que vous êtes prêts à un Hadopi 3 ?“ Bien sûr que j’y suis prêt. (…) Je prends d’ailleurs ma part de l’erreur [Hadopi 1 et 3] ». Et d’ajouter dans sa lancée : « Je suis même prêt à un Hadopi 4 qui serait la fin d’Hadopi parce qu’on aurait trouvé (…) un système [garantissant] la juste rétribution [des ayants droit] ». Lors d’un déjeuner à l’Elysée – décidément – avec des acteurs de l’Internet le 16 décembre 2010, il a déjà été question d’une « Hadopi 3 ». Deux lois françaises, respectivement de lutte contre les sites illégaux de jeux d’argent en ligne et de sécurité intérieure contre notamment les sites pédopornographiques, permettent déjà le filtrage et le blocage de sites web sur décision du juge. Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? C’est par exemple le raisonnement de la Haute cour de Justice en Grande-Bretagne qui, le 26 octobre,
a ordonné à l’opérateur télécoms BT de bloquer l’accès au site web Newzbin en recourant à une technologie DPI (6). Reste à savoir si Nicolas Sarkozy sera en mesure de mener à bien, au-delà de mai 2012, sont projet « Hadopi 3 ».

Quand Nicolas répond aux attentes de Nicolas
En tout cas Nicolas Seydoux – président du Forum d’Avignon, président de Gaumont et président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuel (Alpa), laquelle a identifié quatre sites de streaming pirates qu’elle souhaite voir bloqués comme l’a fait Google avec notamment Allostreaming – est sur la même longueur d’onde que le chef de l’Etat. « Les textes de loi autorisent d’envisager des systèmes de filtrage. Ce sera à la Hadopi de les mettre en place (…) », a-t-il dit à Edition Multimédi@ (EM@45, p. 1 à 3) dans une interview exclusive avant le Forum d’Avignon. @

Charles de Laubier

Frédéric Mitterrand : un ministre pris dans le tsunami du numérique

En employant le terme tsunami lors du Marché international des Programmes de Télévision (MipTV) à Cannes le 4 avril dernier, pour désigner l’avènement de la télévision connectée, Frédéric Mitterrand aurait pu aussi parler ainsi de l’ensemble
du numérique qui déferle sur la culture et la communication. « C’est un tsunami qui
se prépare », avait en effet lancé le ministre de la rue de Valois en annonçant la mise en place de la mission « Candilis- Manigne-Tessier-Rogard-Lévrier » sur les enjeux
de la télévision connectée. Ses conclusions sont attendues à partir du 1er octobre.

Après le départ du charismatique Steve Jobs, le « jardin clos » d’Apple gagnerait à être déverrouillé

Depuis qu’il a démissionné – le 24 août dernier – de son poste de directeur
général de la société cofondée il y a 35 ans, Steven Paul Jobs a fait l’objet
d’un éloge mondial et médiatique sans précédent. Critiquer ce « visionnaire »
et « révolutionnaire » serait dès lors déplacé, voire blasphématoire. Pourtant…

Passée la vague d’éloges à l’endroit du cofondateur d’Apple (1), digne d’un panégyrique d’homme célèbre disparu, personne ne se risque à critiquer une « icône » vénérée par les « adeptes » de la marque à la pomme. Croquez-la et vous trouverez la voie, votre salut ! Les
« Applemaniaques » ont même couvert de louanges Steve Jobs, comme on adorerait à l’unisson le prophète d’une religion ou le gourou d’une secte. La très sérieuse BBC n’a-t-elle pas démontré en mai dernier que les « fans dévots » d’Apple réagissaient au niveau cérébral comme envers une religion ?
Dans un documentaire diffusé par le groupe audiovisuel public britannique, intitulé
« Secrets of the Superbrands » (secrets des supermarques), des neurologues ont en effet démontré – à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pratiquée sur
le cerveau de certains aficionados des produits de l’« iMarque » – des réactions comparables à celle des adeptes d’une religion. Les zones cérébrales stimulées sont les mêmes ! Il y a ainsi une « frénésie évangélique » à l’égard de ce que produit la
firme de Cupertino, explique en substance Alex Riley, le présentateur de l’émission,
qui a soumis au détecteur « spirituel » l’un des inconditionnels d’Apple : Alex Brooks, rédacteur en chef de Worldofapple.com. Résultat : le « cobaye » fanatique alloue effectivement une zone de sa cervelle à Apple, comme un croyant le fait pour sa foi religieuse.

Apple perçu comme une religion
Comme lors de l’ouverture d’un nouvel Apple Store, où des hordes de fans se ruent
dans la boutique, les plus accros entrent chez Apple comme on entre à l’église. Les
lignes épurées des terminaux, souvent blancs, et les vastes magasins aux sols en
pierre, évoqueraient l’immaculé et la prière. La BBC cite même l’évêque de Buckingham qui reconnaît bien « une similitude entre Apple et une religion ».
De là à croire en Steve Jobs comme l’on croit en Dieu, il y a un pas que l’émission n’a pas (osé ?) franchi – bien que l’ex-PDG du groupe californien soit considéré comme
« le Messie ». Ne dit-on pas qu’il « incarne » sa société ? Si l’étymologie du mot
« religion » vient du latin religare, à savoir ce qui relie, Steve Jobs l’Evangéliste
s’est donné pour mission d’offrir aux hommes les moyens de satisfaire leur besoin fondamental de communiquer entre eux – de communier ensemble, via notamment
les téléphones mobiles, les tablettes (les Tables de la loi ?) et les réseaux sociaux.

50.000 employés contraints au secret
Mais à la manière d’un gourou ayant poussé le personal branding jusqu’à la légende vivante, Steve Jobs a savamment cultivé le culte du secret qui entoure la mise sur
le marché de ses innovations : ses apparitions furent rares mais orchestrées comme
un one-man-show prenant des allures de cérémonie religieuse, au sermon capable
de galvaniser l’auditoire. D’autres y voient, « une sorte d’organisation militaire tendant presque vers la dictature » – pour reprendre le propos de Frédéric Filloux (2). Les 46.600 employés de la firme, auxquels s’ajoutent 2.800 emplois à durée déterminée, sont soumis à un très sourcilleux NDA – Non-Disclosure Agreement – sous peine d’être licencié. Steve Jobs ne voulait voir qu’une seule tête : la sienne ! La discipline interne est à l’image des relations publiques. La communication du groupe mythique, avec les médias notamment, est en effet « verrouillée » depuis le quartier général de Cupertino, contrôlée jusqu’au moindre détail, résolument orientée produits mais très rarement stratégie (3). Cette discrétion presque maladive, voire mystique, contrebalancée par une couverture médiatique quasi frénétique axée la « techno » – avec ou sans Steve Jobs – a indéniablement portée ses fruits (la pomme…) au niveau planétaire : quelque 300 millions d’iPod ont été vendus depuis le lancement il y a dix ans (en 2001), 100 millions d’iPhone commercialisés depuis la mise sur le marché en 2007, ou encore 25 millions d’iPad écoulés depuis le début 2010. Quant aux Mac(intosh), ils se comptent par centaines de millions dans le monde depuis les premiers modèles en 1984. Les applications pour mobiles ou tablettes dépassent, elles, les 425.000, tandis que l’App Store a franchi mi-2011 les 15 milliards de téléchargements depuis son ouverture en juillet 2008 !
La boutique en ligne iTunes Store, lancée en 2003, est en position dominante sur la musique en ligne mais aussi sur la VOD (4). Plus de 225 millions de clients achètent
sur iTunes, où déjà plus de 10 milliards de musiques ont été vendues. Sur les neuf premiers mois de l’exercice en cours, qui s’achèvera fin septembre, Apple a indiqué le chiffre d’affaires combiné d’iTunes Store, App Store et iBookstore avait atteint 3,9 milliards sur 79,979 milliards de revenus globaux sur la même période (5). En Bourse, Apple vaut de l’or : c’est la seconde capitalisation dans le monde à environ 345 milliards de dollars. Mais comme toute religion monothéiste, Apple n’est pas vraiment
« oeucuménique ». L’ouverture n’est pas son fort.
L’environnement « propriétaire » (donc fermé) fait l’objet depuis le printemps 2010 d’enquêtes antitrust menées par le Federal Trade Commission (FTC) et le Department
of Justice (DoJ) américains, conjointement avec l’Union européenne. Plusieurs activités de la marque à la pomme sont soupçonnées d’abus de position dominante : le développement de logiciels sous iOS (excluant notamment Flash d’Adobe), le risque
de position dominante de iTunes Store (musique en ligne en tête), les pratiques publicitaire, les conditions imposées aux éditeurs (grilles/paliers tarifaires et transactions financières notamment), et plus généralement le manque d’interopérabilité plateformes-terminaux- contenus. Sur ce dernier point, la commissaire européenne Neelie Kroes en charge de la Stratégie numérique ne veut pas de verrouillage sur le marché unique numérique des Vingt-sept. En France, l’Autorité de la concurrence auditionne pour y voir plus clair elle aussi sur les pratiques d’Apple. Malgré des assouplissements amorcées à l’automne 2010 sur les outils de développement et
des réponses apportées à la Commission européenne (6), et malgré des allègements des contraintes d’utilisation annoncées le 9 juin dernier aux éditeurs de contenus qui restent insatisfaits (7), le « walled garden » (le jardin clos) d’Apple reste sous surveillance (8). Les médias, dont la presse qui n’a pourtant jamais offert une aussi grande couverture médiatico-publicitaire à la marque à la pomme, contestent les règles commerciales que leur impose la firme depuis le 30 juin. Avec l’introduction en début d’année de l’abonnement sur App Store/iTunes Store (jusqu’àlors à l’acte), Apple a édicté des obligations aux éditeurs qui ne l’ont pas entendu de cette oreille. Le Financial Times vient par exemple de retirer ses « applis » iPhone et iPad d’App Store ! Les éditeurs devaient appliquer le meilleur prix à leurs abonnements vendus dans la boutique en ligne ; ils auront finalement une liberté tarifaire. Il leur était interdit de rediriger les utilisateurs vers leurs sites web (pour éviter le prélèvement de 30 % d’Apple) ; ils pourront finalement vendre ces abonnements soit à travers leurs propres applications, soit en dehors de l’App Store (mais sans toujours pouvoir instaurer de liens entre les deux).

Pas d’une simplicité biblique
Parmi les autres règles contestées par les éditeurs : le refus d’Apple de leur communiquer les coordonnées des acheteurs et/ou des abonnés à leurs contenus via App Store, ou encore la censure qu’exerce le géant américain sur certains contenus jugés – selon sa morale (religieuse ?) – répréhensibles. Maintenant que Steve Jobs est redevenu un homme comme les autres et qu’Apple est devenu bien mûr, c’est à se demander si le ver n’est pas dans le fruit. @

Charles de Laubier

Contenus numériques : risque de cannibalisation des offres traditionnelles

 l’occasion de la 31e édition des journées internationales de l’Idate, « Digiworld Summit » des 18 et 19 novembre à Montpellier, son directeur général adjoint,
Gilles Fontaine, 
explique à Edition Multimédi@ les effets de la migration des contenus vers Internet.