Pokémon Go devrait atteindre 1 milliard de dollars cumulés de chiffre d’affaires dès cet automne !

L’engouement fulgurant et planétaire pour l’application mobile Pokémon Go, créée par l’Américain John Hanke, fondateur et dirigeant de la start-up Niantic, est sans précédent. Il pourrait lui faire gagner beaucoup d’argent, ainsi qu’à ses actionnaires : The Pokemon Company, Alphabet (Google) et Nintendo.

Lancée mondialement en juillet sur App Store et sur Google Play, l’application de jeu sur mobile Pokémon Go – éditée par
la start-up américaine Niantic – a généré en deux mois (juillet et août) plus de 310 millions de dollars de chiffre d’affaires cumulé. C’est ce qu’a indiqué à Edition Multimédi@ Randy Nelson, spécialiste mobile de la société de développement Sensor Tower, qui a révélé les premières estimations.
Pokémon Go a ainsi surpassé les autres jeux mobile du moment : Clash Royale lancé par Supercell en mars, Candy Crunsh Soda Saga édité par King Digital, et Angry Birds 2 de Rovio. A observer la courbe de progression exponentielle des revenus de ce jeu-phénomène de réalité augmentée, il y a fort à parier que le cumule atteigne dès cet automne 1 milliard de dollars de recettes ! « C’est possible », nous répond Randy Nelson. La société d’analyse App Annie prévoit, elle, que ce seuil sera atteint d’ici la fin de l’année. Le démarrage sur les chapeaux de roues du jeu de Niantic est du jamais vu pour un jeu sur mobile, selon le Guinness des Records qui a certifié le record de 130 millions de téléchargement effectués en un mois de par le monde depuis le lancement initial de Pokémon Go le 6 juillet dernier – et le 24 juillet en France – et de 100 millions de dollars collectés en tout juste vingt jours (1). En quelques jours, il est devenu un jeu de référence planétaire et déjà mythique.

Devant WhatsApp, Instagram, Snapchat et Facebook
La société SocialBakers, spécialisée dans le marketing sur réseaux sociaux, constate que l’appli ludique de Niantic s’est rapidement retrouvée plus utilisée que WhatsApp, Instagram, Snapchat ou même Facebook Messenger. Se promener et chasser, plutôt que de s’exhiber et chatter… Les joueurs utilisent la technologie satellitaire GPS pour traquer et capturer Pikachu, Dracolosse, Ronflex, Bulbizare, Carapuce, Rinoferos et autres monstres virtuels situés sur la cartographie fidèle aux lieux, bien réels eux, arpentés par les Pokémonmaniaques. Les créatures imaginaires y sont représentées en réalité augmentée, technologie permettant de faire apparaître des éléments virtuels dans le monde réel.
En se déplacement physiquement, dans la plupart des pays cartographiés pour Google Maps, le mobinaute se déplace dans le jeu à la recherche de Pokémon, de Pokéstops et d’arènes (2).

Du free-to-play au app-to-store
Et cette Pokémonmania, qui fait sortir les gamers et leurs avatars de chez eux, va rapporter gros non seulement à la start-up californienne Niantic – fondée en 2010 au sein de Google par le créateur du jeu, John Hanke (photo de Une), avant de devenir une entreprise indépendante en octobre 2015 – mais aussi à ses trois principaux actionnaires : Alphabet (Google), The Pokémon Company et Nintendo. Le jeu est
free-to-play, mais la gratuité a vocation à générer du chiffre d’affaires selon un modèle économique imparable. Si la plupart des joueurs se contentent de jouer sans rien
payer, une proportion non négligeable consentent à acheter des outils virtuels qui
leur permettent de progresser plus vite dans les niveaux de jeu.
D’après la société d’analyses AppsFlyer, environ 5 % des utilisateurs de ces jeux
free-to-play font des achats dans l’appli (in-app) pour une dépense de près de 10 dollars par mois en moyenne (3). Ainsi, il est par exemple possible d’acheter 100 PokéCoins pour 0,99 dollar, 1.200 PokéCoins pour 9,99 dollars, jusqu’à 14.500 PokéCoins pour 99,99 dollars.
Bien que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières, ces petites dépenses in-app ne suffiront pas seules à Niantic pour franchir la barre du 1 milliard de dollars de recettes. Pour y parvenir, l’entreprise de John Hanke table en outre sur les lieux sponsorisés que des annonceurs et/ou des commerçants proposeront aux chasseurs de Pokémon avec l’espoir que ces derniers deviennent clients. Le potentiel de recettes issues du app-to-store, le pendant du web-to-store destiné à faire venir les mobinautes dans les magasins pour les inciter à dépenser, est sans limite. Au Japon, par exemple, Pokémon Go a noué un partenariat avec la chaîne de fast-food américaine McDonald’s. « Puisque l’on peut attirer les personnes dans des lieux physiques, nous pouvons faire quelque chose que ne peuvent pas faire beaucoup d’autres formes de publicité », s’est félicité John Hanke lors d’une conférence organisée par Venture Beats. Des Pokéstops à ce que nous pourrions appeler des « Pokéshops », il n’y aurait que quelques pas !
De ces lieux sponsorisés, Niantic en attend beaucoup après avoir éprouvé le modèle économique dans son autre jeu, Ingress, à partir duquel Pokémon Go a été développé. « Dans un premier temps, on peut aisément imaginer les marques développer des partenariats drive-to-store avec Pokémon Go afin d’attirer les joueurs vers des points de vente de marque », explique Marie Dollé, directrice des contenus et stratège numérique chez Kantar Media. Par ailleurs professeure en stratégie marketing digital à l’Ecole supérieure de publicité (ESP), elle voit dans ce jeu de gaming mobile de réelles opportunités publicitaires : « Dans une ère du tout connecté, les marques recherchent avant tout à générer de l’engagement avec leurs publics. Ainsi pour les parents gamers qui se plongent dans leurs écrans de 17 à 20 heures, 90 % en font une activité familiale avec les enfants. De quoi offrir de belles perspectives aux annonceurs notamment dans le domaine de la publicité ». Et de citer des marques qui ont déjà investi le créneau de la réalité augmentée, voire virtuelle : Nescafé du groupe Nestlé, les hôtels Marriott ou encore l’équipementier sportif North Face. « Avec la réalité virtuelle, on entre vraiment dans un dispositif virtuel complètement coupé du monde. On est dans une expérience immersive. (…) Dans ce contexte, on comprend aisément que Pokémon Go est bien plus qu’un jeu. Il peut s’envisager comme un puissant outil au service du storytelling des marques », ajoute Marie Dollé.

Ce jeu semble couronner vingt ans de succès d’une franchise créée par le Japonais Satoshi Tajiri avec la sortie en 1996 des tout premiers jeux vidéo Pocket Monsters – dont la contraction Pokémon est devenu mondialement célèbre – sur les Game Boy du fabricant nippon Nintendo. Ce dernier détient aujourd’hui 32 % des droits de vote de The Pokemon Compagny, société créée en 1998 pour gérer la franchise, aux côtés
de Creatures et Game Freak. Nintendo perçoit à ce titre des droits de licence et une rémunération pour sa participation au développement et à la gestion de Pokémon Go, mais la firme a précisé cet été que les ventes auraient un impact limité sur ses résultats. Cela n’a pas empêché la firme japonaise de voir son cours de Bourse plus que doubler à Tokyo depuis la sortie du jeu, jusqu’à l’annonce le 28 juillet dernier de
ses résultats financiers trimestriels jugés décevants.

Pokémon Go Plus en septembre
Nintendo, qui a néanmoins maintenu son objectif de doubler son bénéfice net annuel à 35 milliards de yens (plus de 300 millions d’euros) à fin mars 2017 pour un chiffre d’affaires global de 500 milliards de yens (plus de 4,3 milliards d’euros), va lancer courant septembre un petit bracelet baptisé Pokémon Go Plus (à 40 euros pièce) afin d’attraper plus facilement des Pokémon sans avoir à ouvrir l’application, et monter ainsi plus rapidement dans ce jeu de niveaux. @

Charles de Laubier

Pourquoi Molotov.tv n’est pas (encore) le cocktail révolutionnaire qu’il prétend être pour la télé

Molotov.tv, le bouquet de chaînes en ligne lancé le 11 juillet dernier par Jean-David Blanc et Pierre Lescure, s’est offert une belle couverture médiatique.
Mais il reste à cette « télévision réinventée » à tenir ses promesses – comme
sur l’enregistrement numérique et la disponibilité multi-terminaux.

Bookmarks. Tel est le nom de la fonction d’enregistrement promise par le nouveau service en ligne lancé cet été par Jean-David Blanc (ex-fondateur d’Allociné), Pierre Lescure (ex- PDG de Canal+), Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers
(ex-Allociné). Molotov.tv en avait fait une fonctionnalité-phare, permettant aux internautes d’enregistrer dans un service de
cloud personnel les programmes de télévision de la grille qu’ils
ne pouvaient voir lors de leur passage à l’antenne. Contacté par Edition Multimédi@, Jean-David Blanc (photo) nous a assuré
que Bookmarks sera disponible « dans le courant de l’été ». Pourtant, le nouveau site de télé qui promettait d’« enregistrer en un clic » affirme que « cette fonctionnalité sera opérationnelle dès l’entrée en vigueur de la loi Création votée le 29 juin dernier » : l’indication était toujours affichée en juillet ! Or cette loi (1) a été promulguée au Journal Officiel le 8 juillet et… toujours rien chez Molotov. Les télénautes doivent encore patienter malgré la promesse séduisante : « D’un clic, “Bookmarkez” les programmes que vous aimez, et ils seront enregistrés. Retrouvez-les à chaque fois que vous vous connectez, disponibles pour vous aussi longtemps que vous le voulez. Impossible désormais de rater un épisode de votre série préférée ».

Toutes les chaînes de télévision ne signeront pas de convention avec Molotov
C’est que pour proposer en ligne un stockage audiovisuel à distance et pour un usage privé, la loi Création impose que le distributeur dispose d’« une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision » qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». C’est là que le bât blesse : toutes les chaînes ne sont pas disposées, loin s’en faut, à faire le grand saut dans le Cloud TV. TF1, M6 et Canal+ sont parmi les chaînes les plus méfiantes vis-à-vis de ce nouvel univers délinéarisé par un tiers, en particulier envers non seulement la fonction d’enregistrement numérique, mais aussi la mise à disposition de leurs programmes
en replay (rattrapage). Les dirigeants de Molotov.tv se sont finalement résolus à lancer leur service sans attendre que les négociations aboutissent avec certains éditeurs de chaînes encore hésitants, lesquelles pourront toujours par la suite saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de tout différend – ou casus belli – concernant la conclusion ou l’exécution de la convention en question.

« Amendement Lescure » et copie privée
« Molotov révolutionne la façon dont on accède à la télévision. Avec 35 chaînes dans sa version gratuite, et plus de 70 dans sa version étendue pour moins de 10 euros par mois, vous regarderez la télévision d’une façon radicalement nouvelle, intelligente, et intuitive », est-il expliqué. Mais pas de Canal+, malgré la « caution » Pierre Lescure (2), ni de BeIn Sport. Pas sûr que les négociations estivales aboutissent favorablement pour la rentrée de septembre. Bien avant Molotov, d’autres projets de ce type ont essuyé les plâtres face aux réticences des chaînes : Playtv.fr de Play Media (que France Télévisions a fait lourdement condamné en appel début 2016), Myskreen.com (liquidé en 2015), … Cette fois, s’agit-il d’un passage en force de la part de Molotov ? La fonction enregistrement de Molotov.tv partait pourtant dans de bonnes conditions réglementaires, puisque – grâce à un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes – la loi Création a prévu que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision (ou de radio) d’origine linéaire (3). Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition de l’article 15 de la loi Création permet à l’entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée (dans un cercle restreint ou familial).

Autrement dit : Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme Copie France la redevance, en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans avoir besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de la TNT. La société devra ainsi s’acquitter de la taxe « copie privée » en fonction non seulement du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, mais aussi des capacités de stockage mises à disposition de chacun. « Elle [la taxe “copie privée”] est intégrée dans nos coûts, de même que la bande passante, les serveurs, la clim, l’électricité, le chauffage, etc », nous précise Jean-David Blanc. Exemple : si le télénaute bénéficie de 500 Gigaoctets (Go) avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Mais force est de reconnaître que, pour l’heure, la commission « copie privée » chargée d’établir les barèmes des taxes applicables aux supports de stockages (DVD, clé USB, disque dur externe, smartphone, tablette, etc) n’a pas encore décidé ceux du cloud (la loi Création venant tout juste d’être promulguée). Mais tout incite Molotov à provisionner les sommes qui seront dues le moment venu, sachant que les 45 euros – assimilables actuellement aux « mémoires
et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels) » dans la nomenclature de la commission « copie privée » – pourront être amortis sur plusieurs années si l’abonné reste fidèle au service… De quoi lisser l’impact de la taxe « copie privée » pour ce service freemium. Molotov.tv brassera environ 20.000 programmes télé par mois, en live ou en replay : une sorte de « Netflix de la télévision », avec recommandation et personnalisation s’appuyant dans les coulisses sur des méta-données, des algorithmes, des cookies et des filtres de recherche. De quoi passer du zapping fastidieux à un zapping intelligent. Depuis son lancement le
11 juillet, Molotov.tv est une application téléchargeable à partir d’un ordinateur (PC
ou Mac), de la tablette iPad et de l’Apple TV – en attendant pour « bientôt » l’iPhone, Android de Google (pour smartphones et tablettes), les téléviseurs connectés de LG
et de Samsung. Donc, pas d’appli mobile lors du lancement… En dehors de la France, l’appli TV sera lancée dans six autres pays européens et, avec la bienveillance d’Apple, aux Etats- Unis – sous la responsabilité de Jean-Pierre Paoli, exdirecteur du développement international de TF1, de Canal+ et d’Eurosport.
Cette start-up, créée il y a près de deux ans maintenant (en octobre 2014), compte dans son tour de table – 10 millions d’euros en première levée – le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère) et des business angels (Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, Steve Rosenblum).

Seconde levée de fonds en vue
La seconde levée de fonds devrait porter cette fois sur 100 millions d’euros. « Nous communiquerons à la rentrée », nous indique Jean-David Blanc. Face à cette ambitieuse offre OTT (Over-The-Top), les chaînes ne sont pas les seules à hésiter à
lui confier le live, le replay et la relation client. Les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se demandent en tant que FAI (4) si Molotov n’est pas un cocktail lancé contre leurs « box », lesquelles sont en situation d’oligopole avec l’accès triple play incluant bouquet de chaînes, télévision de rattrapage et VOD. @

Charles de Laubier

Loi « Pour une République numérique » : la consécration d’Axelle Lemaire est-elle pour bientôt ?

La loi ambitieuse de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, a failli
être dénaturée par « une vision protectionniste, (…) une régulation à outrance, très franco-française » (dixit le Syntec Numérique). Finalement, députés et sénateurs ont trouvé un compromis à entériner le 20 juillet et en septembre.

Ouf ! « Pour une République numérique »… Ce ne
sera finalement pas la loi « Contre une République numérique »… Elle ne bridera pas le développement
du numérique en France, comme l’ont craint les professionnels, les entreprises, les associations et les syndicats du numérique au cours des débats et navettes parlementaires. Axelle Lemaire (photo), secrétaire d’Etat au Numérique, peut espérer sortir la tête haute lorsque
« son » ambitieuse loi sera définitivement adoptée le 20 juillet à l’Assemblée nationale, puis en septembre au Sénat. Plus de 2.500 amendements après, ce texte législatif va finalement permettre de favoriser « la circulation des données et du savoir » (tout premier titre de ce texte législatif), protéger les individus dans la société digitale, lutter contre la fracture numérique (sorte de modèle e-social inclusif), développer de nouveaux usages tels que l’e-sport. François Hollande avait rêvé d’un « habeas corpus numérique » ; Axelle Lemaire a tenté de le faire. Mais il s’en est fallu de peu que la Franco-canadienne spécialiste en droit international – entrée dans le gouvernement Valls en avril 2014 – soit décrédibilisée
par des sénateurs qui se sont entêtés un temps à mettre de la « territorialité » là où
le monde numérique n’a pas de frontières. Obliger à ce que le lieu de stockage des données soit situé en Europe revenait ni plus ni moins à mettre une ligne Maginot virtuelle intenable à l’heure du Net.

La libre-circulation des données l’a finalement emporté
La commission mixte paritaire (CMP) a finalement trouvé in extremis le 30 juin un compromis sur un texte de loi plus équilibré. Le Syntec Numérique (1) a fait part le 1er juillet de son soulagement. « L’ambition initiale du texte – entre circulation des données, protection des individus et accès pour tous au numérique – semble retrouvée ». Il se réjouit de la suppression de l’article concernant la localisation des données, estimant que « les notions de territoire et de localisation n’ont pas de sens lorsqu’on parle du numérique, par essence mouvant, innovant et transverse ». Invoquer la protection des citoyens et la sécurité pour justifier cette localisation des données, c’est à ses yeux « se fourvoyer », renvoyant les pouvoirs publics aux négociations en cours sur le Privacy Shield – ce nouveau « bouclier vie privée » (2).

Pas de « détection automatique » de contenus
Un certain article « 26 bis A », finalement supprimé, voulait en effet modifier la loi
« Informatique et Libertés » de 1978 en ajoutant une condition supplémentaire au traitement en France des données à caractère personnel : « Elles sont stockées dans un centre de données situé sur le territoire de l’un des Etats membres de l’Union européenne et (…) ne peuvent faire l’objet d’aucun transfert vers un Etat tiers ». Même si cet article est in extremis passé à la trappe, cela laisse encore perplexe le nouveau président du Syntec Numérique, Godefroy de Bentzmann : « Une vision protectionniste, prônant une régulation à outrance, très franco-française, reste encore très vivace, comme le prouve le défunt article 26 bis A ». La France a donné l’impression d’être réfractaire au développement mondial de l’économie numérique, en tentant d’instaurer des barrières réglementaires à l’encontre des nouveaux usages de l’économie collaborative. Ce feu article « 26 bis A » très controversé avait été introduit par la sénatrice (UDI) Catherine Morin-Desailly, avec le soutien notamment de l’Open Internet Project (OIP) dans le but de «mettre un terme aux abus de position dominante des moteurs de recherche sur Internet » – en l’occurrence Google (3). Il s’agissait de permettre à l’Autorité de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires à l’encontre du géant du Net, le temps que l’enquête de Bruxelles arrive à son terme, et au nom de « la sauvegarde de la souveraineté numérique de notre économie ». L’OIP compte notamment parmi ses membres le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste), le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), ou encore la Fédération française des télécoms (FFTélécoms).
Par ailleurs, les acteurs du Net se sont insurgés contre les atteintes à l’intégrité du statut d’hébergeur. « Demander aux plateformes de contrôler et d’agir de façon excessive sur le contenu des utilisateurs qu’elles hébergent ou référencent, c’est prendre la responsabilité d’un Internet de moins en moins démocratique », s’étaient inquiétées le 21 juin cinq organisations professionnelles du numérique : l’Association des services Internet communautaires (Asic), France Digitale, le Syndicat de l’industrie des technologies de l’information (Sfib), Syntec Numérique et Tech In France (ex-Afdel). « Ne cédez pas à la tentation du repli sur soi ou du protectionnisme », avaient-elles lancé à l’attention du gouvernement et du législateur. Les dispositions de « police
privée » – « détection automatique » et « actions diligentes et proactives » de contenus contrefaisants – ont finalement été supprimées. Quant à la toute première disposition de la loi – « Ouverture de l’accès aux données publiques » –, elle est le résultat d’un compromis trouvé en CMP. De sont côté, l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), qui regroupe la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature,
le Syndicat des avocats de France ou encore La Quadrature du Net, regrette que « le gouvernement n’a[it] pas assez puisé dans le rapport du Conseil national du numérique (CNNum) ».
Les déçus de ce texte estiment que les mesures protectrices dont se targue le duo Macron-Lemaire « ne sont rien d’autre que la transposition des nouvelles réglementations européennes, notamment sur la neutralité du Net et les données personnelles ». Quant aux dispositions sur les « domain commons » (échappant
aux droits d’auteur), qu’avait formulées dès septembre 2015 la secrétaire d’Etat au Numérique en faveur de la création numérique (plébiscitées par les citoyens lors des débats en ligne), elles avaient rapidement disparu du texte « sous la pression des habituels lobbys d’ayants droits craignant pardessus tout la moindre évolution en matière de droits d’auteurs » – en contrepartie d’une « mission » promise par le Premier ministre Manuel Valls (4)… L’OLN a dénoncé à ce propos « l’hypocrisie du processus général utilisé pour l’élaboration de cette loi », puisque, selon lui, « le gouvernement
n’a quasiment rien repris » de la quasi totalité des propositions arrivées en tête des soutiens des internautes : logiciel libre, défense du domaine public, affirmation des communs, neutralité du Net, renforcement de la protection des données personnelles, droit au chiffrement des communications, ou encore open access.

Vers un décret « Données enrichies »
Le CNNum, lui qui avait coordonné la concertation nationale totalisant 26.000 contributeurs (5), s’est « réjouit en particulier de l’introduction d’une exception au droit d’auteur en faveur des pratiques de fouille de textes et de données pour la recherche (text and data mining) ». Il se dit en outre « satisfait de l’équilibre trouvé sur le droit à
la portabilité » des données des consommateurs (disposant aussi du droit à l’oubli),
en attendant un décret pour « encadrer la notion de données “ayant fait l’objet d’un enrichissement significatif par le fournisseur en cause” ». En revanche, au regard
du principe de « loyauté des plateformes » numériques (Google, Facebook, Apple, Amazon, …) qui devra être approfondi au niveau européen, le CNNum « regrette l’abandon [de] l’obligation d’information des plateformes à l’égard de leurs utilisateurs professionnels ». Pleine de bonne volonté, Axelle Lemaire a fait de son mieux pour éviter le pire. @

Charles de Laubier

Göran Marby devra amener l’Icann, dont il est PDG depuis mai, à s’émanciper des Etats-Unis

En mai, le Suédois Göran Marby a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’Icann, l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet. Le 9 juin, Washington a approuvé le plan de sortie – d’ici le 30 septembre prochain – de la tutelle des Etats-Unis.

Il a quitté Stockholm en Suède, où il était directeur général de l’Arcep suédoise, pour s’installer avec sa famille à Los Angeles aux Etats- Unis, où il est depuis mai dernier PDG de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Göran Marby (photo) succède ainsi à Fadi Chehadé, lequel avait commencé à engager le processus d’émancipation de la tutelle américaine pour cette autorité de régulation de l’Internet chargée historiquement de superviser l’attribution les noms de domaine dans le monde. Née en 1998, cette société de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique doit en effet couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir à partir du 30 septembre prochain une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale. Sous la pression internationale, Washington a accepté en 2014 la perspective de passer le flambeau. Göran Marby
a désormais la lourde tâche de mettre en oeuvre ce transfert de fonctions assurées jusqu’alors sous la tutelle du gouvernement fédéral américain, dont l’allocation et le maintien des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (1), alias l’administration américaine.

Vers une gouvernance enfin mondiale de l’Internet
Durant ce basculement administratif du Net, il s’agit ni plus ni moins de préserver la sécurité, la stabilité et l’interopérabilité de l’Internet, son existence même. « L’Icann ne contrôle pas le contenu publié sur Internet. Elle ne peut pas mettre fin au spam et ne gère non plus l’accès à Internet. Mais grâce à son rôle de coordination du système d’attribution de noms sur l’Internet, elle exerce une influence non négligeable sur le développement et l’évolution de l’Internet », tient à préciser cette organisation en pleine transition.

L’année 2016 sera-t-elle l’an I de la gouvernance mondiale de l’Internet ? Jusqu’alors, un contrat liait l’Icann et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (2). Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes aux Etats-Unis pour retarder le processus devant aboutir une organisation non gouvernementale et multipartite. Résultat : l’expiration du contrat avec l’Iana a été repoussé d’un an, au 30 septembre prochain.

Le monopole de l’Icann contesté
Le nouvel Icann devra fonctionner sous une gouvernance partagée entre gouvernements, entreprises, universités et société civile – « la communauté Internet » –, en évitant de passer sous le contrôle des Etats. « Chacun des acteurs de l’Internet peut faire entendre sa voix dans le développement de cette nouvelle structure de supervision », avait assuré Fadi Chehadé, dans une interview à La Tribune (3). Le compte à rebours a commencé : le 9 juin dernier, Lawrence Strickling, secrétaire adjoint du DoC, a écrit une lettre à l’Icann (4) pour lui signifier que sa proposition de plan de transition était acceptée par la NTIA, mais qu’« il y a encore beaucoup à faire avant que la transition des fonctions de l’Iana puisse intervenir ». Göran Marby a donc jusqu’au
12 août prochain pour fournir à l’administration américaine « un rapport sur le planning d’implémentation ». Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign. Cette société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, est chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde (pour que le Web fonctionne) toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le cœur du Net.
Avant de laisser l’Icann s’émanciper, les Etats-Unis maintiennent la pression sur l’organisation qu’ils entendent bien garder sous surveillance pour s’assurer que sa gouvernance se fera bien par la communauté Internet et non par les pays. La fin de
la tutelle américaine a été précipitées après l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial pratiqué illégalement par les États-Unis.
Les près de 3,5 milliards d’internautes dans le monde apprécieront une Icann dont le conseil d’administration de 16 membres représentant les grandes régions du monde
– Europe, Afrique, Asie-Pacifique, Amérique Latine, Amérique du Nord – devra faire preuve d’indépendance et d’intégrité en tant que corégulateur de l’Internet. Reste à savoir si l’Icann changera de nom à l’avenir, ce qui n’est pas envisagé à ce jour, et si le siège social de l’organisation sera déplacé de la Californie vers un pays plus… neutre (la Suisse ?). La communauté Internet impliquée dans la gouvernance de l’Icann devrait être dotée un droit de veto sur les décisions du conseil d’administration de l’Icann. Mais ce pouvoir est contesté par certains membres du conseil. Göran Marby devra réconcilier les deux parties cet été, sinon tout désaccord risque de provoquer l’échec
de la transition historique. Reste que le rôle central que joue l’Icann dans l’ordonnancement du réseau des réseaux est contesté. « Serait-il acceptable que les Etats-Unis gèrent l’annuaire mondial de tous les abonnés au téléphone ? Le monopole de l’Icann est une sorte de racket financier, curieusement toléré par les Etats (sauf la Chine) », s’insurge le Français Louis Pouzin, le cofondateur de l’Internet avec l’Américain Vinton Cerf (5). Il propose une alternative au modèle de location de l’Icann : Open-Root. Ses clients achètent des extensions (« registres ») dont ils deviennent propriétaires ; ils peuvent alors créer gratuitement les domaines de leur choix.

L’entrée en fonction de l’Européen suédois à la tête de l’Icann intervient au moment
où les nouveaux noms de domaine génériques de premier niveau viennent juste de dépasser fin mai le nombre de 1.000 « délégations », désormais en ligne sur Internet, sur un total de près de 1.300 acquis. Dans le jargon de l’Icann, ce sont des « new
gTLD » (new Generic Top Level Domain) lancés par appel à candidature en 2012 et associés à une ville (.paris, …), à un secteur (.music, …), une communauté (.gay, …),
ou encore à une marque (.netflix, …). Ce que l’Icann appelle des « biens immobiliers virtuels ».
Ces nouveaux noms de domaines génériques – appelés aussi les « not-coms » (6) (*) (**) pour les distinguer « dot-com » ou « .com» les plus utilisés sur la Toile – sont bien plus coûteux que les DNS (Domain Name System) historiques de l’Internet que sont les
« .com», « .org » et autres « .fr ». « L’expansion du système des noms de domaine, avec plus de 1000 gTLD, permet aux communautés, aux villes et aux marques de rapprocher leur identité numérique de leur identité réelle », explique l’Icann. Mais le ticket d’entrée de 185.000 dollars reste (trop) élevé. Et cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes de territorialité et de propriété intellectuelle : fin 2014, la France avait par exemple menacé de quitter l’Icann car elle contestait l’attribution des nouvelles extensions de domaine telles que le « .vin » ou « .wine » sujets, selon elle, à abus au détriment des régions viticoles françaises (7).

Des domaines génériques inactifs
En outre, de nombreuses entreprises ont protégé leur nom et/ou leur marque en acquérant leur nouvelle extension générique mais sans jamais l’activer sur Internet (absence de la zone racine). Chaque détenteur d’une nouvelle extension a pourtant douze mois pour l’activer sur Internet, les premières échéances pour 200 d’entre elles intervenant cet été. A défaut, leur contrat sera résilié et ils perdront leur extension. @

Charles de Laubier

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.