Pourquoi le livre numérique ne dépasse pas les 10 % du chiffre d’affaires du marché de l’édition en France

Le Syndicat national de l’édition (SNE), qui réunit 720 membres sous la présidence de Vincent Montagne depuis juin 2012, a tenu son assemblée générale annuelle le 27 juin. Si le livre numérique est encore très loin de compenser le recul du marché français de l’édition, il continue de progresser mais reste en-deçà des 10 % des ventes.

C’est dans l’Hôtel de Massa – hôtel particulier néoclassique du XVIIIe siècle où la Société des gens de lettres (SGL) y fête cette année ses 90 ans de présence au service aujourd’hui de 6.000 auteurs – que le Syndicat national de l’édition (SNE) a une nouvelle fois organisé fin juin son assemblée générale annuelle. Alors que le marché français du livre recule encore, de 4,3 % l’an dernier à un peu plus de 2,6 milliards d’euros, le livre numérique y progresse à lui seul de 5,1 %, mais à seulement 212,6 millions d’euros de chiffre d’affaires. Autrement dit, alors que Edition Multimédi@ envisageait le franchissement du seuil symbolique des 10 % du chiffre d’affaires total des éditeurs en France pour les ebooks sur l’année 2018, cette estimation prévisionnelle ne s’est pas réalisée. A 8,1 %, l’édition numérique joue encore dans la catégorie des poids plumes. Nous nous sommes trompés ! Plus précisément, c’est le marché français de l’édition qui a déjoué nos pronostiques tant il est resté atone – où la morosité se le dispute au déclinisme, voire à la frilosité des maisons d’édition vis-à-vis du digital (1). Le président du SNE, Vincent Montagne (photo), voit dans le recul de l’édition pris globalement non seulement « une baisse conjoncturelle » (pas de réforme de programmes éducatifs au profit des livres scolaires, mouvements sociaux et blocages des Gilets jaunes de fin d’année), mais « plus structurelle aussi, donc plus préoccupante, qui traduit une diminution progressive de notre lectorat ».

Temps de lecture, audience du livre, tout formats
La baisse du lectorat inquiète en fait plus les maisons d’édition que la baisse des ventes de livres, même si les deux phénomènes sont étroitement liés. « Le temps de lecture… Voilà bien là notre sujet essentiel de préoccupation… La concurrence des loisirs est une réalité. Nous perdons progressivement des lecteurs… Nous devons gagner la bataille du temps ! Charge à nous de convaincre le plus grand nombre ! Et de reconquérir notre lectorat ! », a lancé lors de l’AG du 27 juin le patron des éditeurs, qui est aussi PDG du troisième plus grand groupe d’édition en France, Média Participations, derrière Hachette Livre (contrôlé par Lagardère) et Editis (tout juste racheté par Vivendi). « Soutenir le désir de lecture, déployer l’audience du livre, sous toutes ses formes, auprès de tous les publics, y compris les plus éloignés du livre, tels sont les grands enjeux de notre profession », a insisté Vincent Montagne, comme pour tourner la page du tout-papier de l’édition en déclin.

Ebook et streaming pour attirer les Millennials
Les éléments de langage du président du SNE sont passés presque inaperçus ; pourtant ils illustrent une prise de conscience accrue de la part de l’industrie du livre quant à l’évolution irréversible de la manière de lire des livres de plus en plus dématérialisés et au défi de constituer un futur lectorat en allant séduire la génération « Millennials » ou « Génération smartphone ».
Le Centre national du livre (CNL) avait fait état en mars dernier d’un sondage Ipsos montrant que le taux de lecteurs de livres numériques atteint les 47 % lorsqu’il s’agit des 15-24 ans, soit presque le double du taux général en faveur des ebooks tous âges confondus (3). Il y a donc plus que jamais une appétence de la jeune génération à lire,  pour peu que les maisons d’édition mettent et promeuvent leurs catalogues en ligne. Le SNE, qui est aussi le grand ordonnateur du Salon du livre de Paris (« Livre Paris »), dont  ce sera le 40e anniversaire en mars 2020, a indiqué que lors de l’édition de cette année –  « plus encore que les précédentes » – le public de jeunes lecteurs avait augmenté de 10 %. Les maisons d’édition n’ont pas le droit de les décevoir si elles ne veulent pas les perdre au profit d’autres industries culturelles et divertissements (réseaux sociaux de type Snapchat, WhatsApp ou TikTok, jeux vidéo, VOD/SVOD, télévision de rattrapage, etc.).
Parmi les moyens de « déployer l’audience du livre, sous toutes ses formes », il y a non seulement les livres numériques vendus à l’unité en ligne, mais aussi les plateformes d’abonnement en plein décollage telles que Kindle Unlimited d’Amazon ou Scribd aux
Etats-Unis, Youboox ou Youscribe en France. Ces plateformes de lecture en streaming
par abonnement progressent fortement, même si elles sont parties de rien il y a quelques années. Ce sont les « Netflix » ou les « Spotify » du livre de demain que les éditeurs ne peuvent plus ignorer. Et pourtant. Encore trop nombreuses sont les maisons d’édition – dont plus de 90 % des revenus proviennent encore des livres papier – à ne pas voir leur intérêt de mettre leur catalogue en streaming. L’éditeur préfère encore vendre des ebooks à l’unité et en petite quantité, afin de préserver sa marge avec un prix « ebook » moins élevé que la version imprimée mais non négligeable, plutôt que d’entrer dans le nouveau model économique de l’abonnement en streaming : abonnement illimité pour le lecteur et rémunération à la page lue pour l’éditeur. Résultat : « Les ventes (de l’édition numérique française) au grand public poursuivent également leur progression. Elles sont dominées par la vente à l’acte de livres numériques, les modèles d’abonnement et de prêt numérique en bibliothèque restant marginaux dans son chiffre d’affaires », constate le SNE dans son rapport 2018-2019 remis à ses membres. Les abonnements mensuels à 8,99 dollars (Scribd), 8,99 euros (Youscribe), 9,99 euros (Kindle) ou à 11,99 euros (Youboox), donnant accès à un catalogue de plusieurs centaines de milliers de titres (livres et magazines) et de façon illimitée, rebutent encore de nombreux éditeurs qui craignent un risque de destruction de valeur.
Certes, la maison d’édition ne vend pas le livre mais le loue au lecteur – en échange de quoi elle perçoit 50 % (Youboox) ou 60 % (Youscribe) du chiffre d’affaires hors taxe de la plateforme, multiplié par le nombre de pages lues dans le catalogue de l’éditeur et divisé par le nombre total de pages lues sur la plateforme. Ces plateformes de lecture en streaming tablent sur le volume de pages lues pour attirer les éditeurs, quitte à s’allier – comme pour les kiosques numériques de la presse (4) (*) (**) – aux opérateurs télécoms tels que SFR, Free et Vitis/Videofutur (Youboox) ou Orange (Youscribe) qui leur donnent accès à des dizaines de millions d’abonnés « box ». Les plateformes françaises présentent aussi l’opportunité pour les éditeurs d’ouvrages de toucher d’ores et déjà (Youscribe) ou à l’avenir (Youboox) les 300 millions de locuteurs francophones, le français étant la cinquième langue dans le monde après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe.
Cinq ans après la polémique qui avait accompagnée l’arrivée des plateformes françaises de lecture illimitée par abonnement (5) (*) (**), la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique a posé les conditions d’exploitation des œuvres de l’écrit. L’offre des plateformes de streaming est ainsi, comme l’explique Youboox dans ses contrats signés avec les éditeurs, « une offre commerciale mutualisée entre tous les abonnés ».

Un nouvel écosystème à fort potentiel
A ce titre, est-il précisé, « le montant de l’abonnement ou de l’offre prépayée acquitté par l’utilisateur vient abonder un compte commun à l’ensemble des utilisateurs sur lequel est prélevé mensuellement le prix de chaque consultation individuelle, dans la limite des crédits disponibles, en fonction des tarifs établis individuellement et préalablement par chaque éditeur ». C’est un changement de paradigme pour l’édition, à fort potentiel. @

Charles de Laubier

Pourquoi le groupe de médias allemand Axel Springer sort son joker « KKR » face aux GAFAM

C’est le plus grand groupe de médias en Europe. Créé il y a 73 ans par Hinrich Springer et son fils Axel, le groupe Axel Springer réalise aujourd’hui les trois-quarts de son chiffre d’affaires dans le numérique, lequel contribue pour près de 90 % à sa rentabilité. Mais la pression des GAFAM se fait plus forte.

« Le journalisme est l’âme et l’esprit de la société Axel Springer. Notre mission : l’établissement réussi du journalisme indépendant dans le monde numérique. Nous voulons devenir l’éditeur numérique le plus prospère au monde. (…) Environ 16.000 employés travaillent avec passion chez Axel Springer SE : l’éditeur leader du digital en Europe ». Le ton est donné sur le site web Axelspringer.com. Le groupe allemand – encore détenu à 42,6 % par Friede Springer (photo), la veuve du cofondateur Axel Springer (1), et à 9,8 % par les petits-enfants de ce dernier (Axel Sven et Ariane) – est « actif dans plus de 40 pays dans le monde, avec des holdings et des licences sur six continents ». Pourtant, le journalisme – si indépendant soit-il – est passé au second plan sur fond de déclin de la presse papier, derrière les petites annonces. Ce ne sont plus ses quotidiens allemands Die Welt (fondé en 1946) et Bild (lancé en 1952) que le plus grand conglomérat médiatique européen met en avant, mais désormais ses sites web de petites annonces – les fameuses classifieds : SeLoger (numéro un en France de l’immobilier en ligne), Logic- Immo (également leader en France), LaCentrale (là aussi présent en France dans l’automobile), Immowelt (immobilier en Allemagne), Autobazar.eu (en Slovaquie), ou encore StepStone, Jobsite et Totaljobs (dans les annonces d’emplois).

Devenir une méga-plateforme de petites annonces
La presse n’est finalement plus vraiment le leitmotiv du groupe allemand, basé à Berlin, mais bien les petites annonces en ligne. Ces classifieds sont devenues son premier relais de croissance et ont généré à elles seules 41 % du chiffre d’affaires d’Axel Springer en 2018, soit 1,3 milliard d’euros sur le total des revenus du groupe (plus
de 3,1 milliards), et même 61 % de son résultat brut d’exploitation. Les titres de presse de référence Die Welt et Bild devenant marginaux financièrement dans cette stratégie du « total-digital », c’est ce marché des petites annonces que va continuer à exploiter prioritairement le groupe de Friede Springer, avec l’idée de mieux rivaliser avec les GAFAM en devenant une méga-plateforme de petites annonces couvrant les besoins de la vie de tous les jours (logements, emplois, voitures, vacances, etc).

Impacté par la « taxe GAFA » en France
Mais ce marché des classifieds subit néanmoins de plein fouet la crise économique et la baisse du pouvoir d’achat, tandis que les GAFAM sont en embuscades sur fond de consolidation. Google et Facebook investissent déjà le marché en position de force. Le chiffre d’affaires généré par ces petites annonces – via ses filiales StepStone (emplois) et Aviv (immobilier) – devrait rester, selon la firme de Berlin, « au niveau de l’année précédente ou indiquer une augmentation dans la fourchette d’un pourcentage à un chiffre ». Il faut donc réinvestir sans tarder.
C’est là qu’intervient l’aide financière du fonds américain de capital-investissement KKR (2), qui lance – à la suite d’un accord signé le 12 juin avec Friede Springer et le PDG Mathias Döpfner (photo de droite), détenteur, lui, de 2,8 % du capital – une offre de 6,8 milliards d’euros en vue d’acquérir au moins 20 % d’Alex Springer (3). Mais que l’on ne s’y méprenne pas : Friede Springer et Mathias Döpfner, qui contrôlent conjointement le groupe avec les petitsenfants du fondateur, ne comptent pas vendre leur participation
et encore moins céder leur place de dirigeants. Aucune décision ne pourra en tous cas être prise sans l’aval de Friede Springer, qui revendique le titre de « vice chairwoman » en tant que vice-présidente du conseil de surveillance (4). Ce sont les 44,8 % restants des actions, actuellement sur le marché boursier, qui sont à vendre en vue de retirer Axel Springer de la cote à Francfort – où le titre avait fondu d’un quart l’an dernier. Revigoré par l’accord avec KKR, le groupe berlinois est aujourd’hui valorisé plus de
6,7 milliards d’euros.
Face aux GAFAM, le groupe veut surtout prendre le temps de devenir un géant du
Net sans tomber sous la contrainte financière court-termiste. L’autre groupe allemand Bertelsmann, de la famille Mohn, s’est toujours refusé pour cette raison à être côté en Bourse (à part sa filiale RTL Group, maison mère de M6). « Axel Springer vise à devenir le premier fournisseur mondial de contenus numériques et de petites annonces numériques », ambitionne la direction. L’argent frais du fonds KKR, lequel s’est engagé à rester au moins cinq ans, va lui permettre de maintenir les investissements prévus sur l’année 2019, « bien que (…) le développement du chiffre d’affaires [soit] plus faible, en particulier dans les annonces d’emplois ». De plus, prévient le groupe allemand, « avec la taxe numérique [la taxe GAFA (5)] qui a été introduite en France, cela se traduira par un ajustement partiel de l’orientation des revenus et bénéfices pour 2019 ». Axel Springer s’attend donc à ce que son chiffre d’affaires global diminue cette année entre – 1 % et – 5 %. Le nouvel actionnaire financier servira-t-il de levier pour procéder à des acquisitions ? « KKR serait un bon partenaire (…) avec lequel Axel Springer pourrait franchir les prochaines grandes étapes de croissance », veut espérer Friede Springer dans l’une de ses rares prises de parole. KKR a l’expérience des fusions-acquisitions dans le monde numérique (Scout24, GetYourGuide, ByteDance/TikTok, …). Le marché des annonces classées en ligne en Europe entre justement dans une phase de consolidation. Dans une conférence téléphonique du 12 juin, Mathias Döpfner, qui connaît bien le cofondateur de KKR Henry Kravis depuis des années, a été plus explicite en parlant de « faire des acquisitions ». La maison mère du français LeBonCoin (Adevinta, spin-off du norvégien Schibsted) serait dans le viseur. Après l’acquisition en début d’année du spécialiste allemand du paiement en ligne CeleraOne, Axel Springer a annoncé début juin porter à 26,6 % sa participation dans le capital
de l’agence hybride immobilière Purplebricks en Grande-Bretagne. Au même moment, le groupe a vendu les 51 % qu’il détient dans @Leisure (maisons de vacances). Axel Springer a aussi revendu l’an dernier à TF1 le site AuFeminin.
PDG du groupe depuis 2002, Mathias Döpfner – ce journaliste dans l’âme et voisin
de Friede Springer à Potsdam (le « Versailles » de Berlin) – est l’artisan de la transformation du groupe de presse en grand acteur du numérique. Les activités digitales pèsent 74 % du chiffre d’affaires 2018 d’Axel Springer et 87 % de son résultat d’exploitation. Les sites web de presse comptent plus de 500.000 abonnés au total ! Au-delà de Welt.de et de Bild.de, Axel Springer édite Politico.eu en Europe (via une coentreprise créée en 2014 avec l’éditeur américain), Businessinsider.com (racheté en 2015), ou encore eMarketer.com (site newyorkais d’informations marketing acquis en 2016) (6). En Europe, Mathias Döpfner a été un ardent défenseur de la directive sur le droit d’auteur et a même convaincu Mark Zuckerberg de payer pour la presse utilisée sur Facebook (7).

Google et Adblock Plus, ses deux bêtes noires
Google reste la bête noire. Idealo, le comparateur de prix qu’Axel Springer a racheté en 2006, a porté plainte au printemps contre Google à qui il demande 500 millions d’euros de dommages et intérêts. En 2014, Axel Springer avait accusé le moteur de recherche dominant de piller ses titres de presse. La même année, la firme de Berlin entrait à 18,4% dans le capital de Qwant (8) (*) (**). En revanche, Axel Springer n’a eu gain de cause contre la société allemande Eyeo (9), éditrice du fameux logiciel Adblock Plus. @

Charles de Laubier

La loi Hadopi – dont fut rapporteur l’actuel ministre de la Culture, Franck Riester – fête ses dix ans

Cela fait une décennie que la loi Hadopi du 12 juin 2009 a été promulguée – mais sans son volet pénal, censuré par le Conseil constitutionnel, qui sera rectifié et promulgué quatre mois plus tard. Franck Riester en fut le rapporteur à l’Assemblée nationale. Jamais une loi et une autorité n’auront été autant encensées que maudites.

Alors que le conseiller d’Etat Jean-Yves Ollier doit rendre au ministre de la Culture Franck Riester (photo), qui l’a missionné, son rapport de réflexion sur « l’organisation de la régulation » – fusion Hadopi-CSA ? – dans la perspective de la future loi sur l’audiovisuel, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) fête ses dix ans. Car il y a en effet une décennie que la loi du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » a porté cette autorité publique sur les fonts baptismaux. Cette loi, dite « Création et Internet » – ou loi « Hadopi » – a donc modifié le code de la propriété intellectuelle (CPI) pour remplacer l’ARMT (1) par l’actuelle Hadopi. Car, face à la montée du piratage sur Internet boosté par les réseaux de partage décentralisés peer-to-peer, le président de la République de l’époque – Nicolas Sarkozy – rêvait d’instaurer des radars automatiques sur Internet en s’inspirant des radars routiers qu’il avait lui-même décidé lorsqu’il était ministre l’Intérieur. Autant ces derniers, installés au nom de la sécurité routière, n’ont jamais fait l’objet d’aucun débat parlementaire (2), autant le dispositif d’infraction dans la lutte contre le piratage sur Internet a âprement été discuté au Parlement.

La tentation de Sarkozy pour des radars du Net
Comme la loi dite DADVSI (3) de 2006 ne prévoyait pas de sanction en cas de piratage, Nicolas Sarkozy, tout juste élu président de la République en mai 2007, et sa ministre de la Culture et de la Communication de l’époque, Christine Albanel, ont entrepris d’y remédier, poussés par les industries culturelles – au premier rang desquelles la musique. C’est ainsi qu’ils ont confié dès juillet 2007 à Denis Olivennes, alors PDG
de la Fnac, une « mission de lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d’œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques ». Quatre mois et quatre-vingts auditions plus tard, son rapport (4) fut remis à Nicolas Sarkozy et aboutira aux accords dits « Olivennes », « pour le développement et la protection des œuvres et des programmes culturels sur les nouveaux réseaux », appelés aussi
« accords de l’Elysée » car signés justement au Château en présence du chef de l’Etat le 23 novembre 2007.

La censure du Conseil constitutionnel
Les fournisseurs d’accès Internet (FAI) – à savoir France Télécom (devenu Orange), Iliad (maison mère de Free), Neuf Cegetel et Numéricâble (devenus SFR, aujourd’hui groupe Altice), etc. – s’étaient alors engagés auprès des ayants droit et des pouvoirs publics à « expériment[er] des technologies de filtrage des réseaux disponibles (…) et
à les déployer si les résultats s’avèr[ai]ent probants et la généralisation techniquement et financièrement réaliste » (5). Quant aux plateformes d’hébergement et de partage de contenus sur Internet, autrement dit les Google, YouTube et autres Dailymotion, ils ont promis de « généraliser à court terme les techniques efficaces de reconnaissance de contenus et de filtrage » (par empreinte numérique). Très réticents à généraliser le filtrage sur leur réseau, ce qu’exigeaient d’eux les industries culturelles, les FAI feront tout pour ne pas y donner suite. Et les plateformes numériques, elles, rappelleront que le filtrage généralisé contrevient aux directives européennes « E-commerce » de 2000 et « DADVSI » de 2001.
Nicolas Sarkozy, lui, voulait non seulement des « radars » partout sur le Net (6), mais aussi taxer les FAI pour compenser la fin de la publicité sur la télévision publique. Cela faisait beaucoup ! Le spectre du filtrage envenimera les débats au Parlement lors des premiers pas du projet de loi « Olivennes » (encore lui), dont l’arbitre sera in fine le président de la République lui-même. Quant au député (UMP puis LR) Franck Riester, artisan et farouche défenseur de cette future loi controversée « favorisant la diffusion
et la protection de la création sur Internet », il en sera nommé rapporteur à l’Assemblée nationale. Les joutes parlementaires dureront du dépôt du texte le 18 juin 2008 jusqu’à sa version finale du 12 juin 2009, après censure du Conseil constitutionnel.
La loi renvoie les expérimentations de « reconnaissance des contenus et de filtrage »
à leur évaluation par la haute autorité nouvellement instituée par cette loi « Hadopi ». La censure constitutionnelle porta, elle, sur le volet pénal adopté le 13 mai. Le texte prévoyait alors que les sanctions pour piratage – mécanismes d’avertissement et de sanction administrative pouvant aller jusqu’à la suspension de l’accès à Internet pendant une durée d’un mois à trois mois – devaient être prononcées non pas par l’autorité judiciaire (le juge) mais par la seule Hadopi et son bras armé la commission de protection des droits (CPD) – dont Franck Riester sera membre de fin 2009 à fin 2015. Dans leur décision du 10 juin 2019, les sages du Palais-Royal ont reproché au législateur d’enfreindre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, laquelle a gravé dans le marbre « la libre communication des pensées et des opinions » (article 11), et de « confier de tels pouvoirs (de sanctions) à une autorité administrative (qui n’est pas une juridiction) dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins » (7). Résultat : le Parlement a dû non seulement amender sa loi « Hadopi 1 » (8), d’où sa date du 12 juin 2009, mais en plus adopter une loi
« Hadopi 2 » (9) datée du 29 octobre de la même année instaurant « la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ». Franck Riester est là aussi rapporteur de ce nouveau volet pénal. Cette fois, l’Hadopi ne se voit plus confier de pouvoir de sanction mais une « réponse graduée » qui consiste à envoyer aux abonnés soupçonnés de piratage sur Internet jusqu’à trois avertissements pour « négligence caractérisée », à savoir pour manquement à l’obligation faite à tout abonné auprès d’un FAI de « veiller à ce que cet accès [à Internet] ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins [de piratage] ».
L’abonné qui n’aurait pas assuré la « sécurisation de son accès à Internet » est donc condamnés par le juge pénal à des amendes pouvant aller jusqu’à 1.500 euros, voire
à la suspension de son accès à Internet pour une durée maximale d’un mois (au lieu
de deux mois à un an initialement prévu). Cette coupure de l’accès, décriée, sera finalement supprimée par décret du 9 juillet 2013 à l’initiative d’Aurélie Filippetti, farouche opposante à la loi « Hadopi » devenue ministre de la Culture et de la Communication, et de la ministre de la Justice, Christiane Taubira. La fameuse contravention de cinquième classe, dite de « négligence caractérisée », fut officiellement introduite dans le CPI par un décret d’application daté 25 juin 2010.
C’est donc avec retard (10) que l’Hadopi – pourtant installée depuis le début de cette année-là – mettra en route sa « réponse graduée » avec l’aide de la toujours très discrète société nantaise TMG (11) (*) (**).

In fine, 243 condamnations depuis 2010
Les envois d’avertissements ont commencé en septembre 2010. Depuis, l’Hadopi
a expédié plus de 11,1 millions de premiers e-mails (cumul au 31 mars 2019), suivis
de plus de 1 million de deuxième avertissement, et a transmis 3.795 dossiers à
la Justice, dont 1.318 ont donné lieu à une suite pénale – pour 243 condamnations (12). Tout ça pour ça, diront certains. Il faut dire qu’en une décennie, les usages se sont déplacés des réseaux peer-to-peer – où l’Hadopi est compétente – vers le streaming qui échappe encore à ses prérogatives. @

Charles de Laubier

Frédérique Bredin arrive en juin au bout de son mandat de présidente du CNC, mais se projette déjà en 2022

Emmanuel Macron aurait bien voulu la nommer en janvier dernier présidente du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), mais Frédérique Bredin – dont le deuxième mandat à la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) s’achève fin juin – lui aurait signifié qu’elle préférait en briguer un troisième.

La présidence du CNC n’est pas à prendre, bien que très convoitée. Frédérique Bredin (photo) a déjà fait savoir qu’elle comptait rempiler pour un troisième mandat de trois ans – jusqu’en juillet 2022. Alors que le 72e Festival de Cannes s’est achevé le 25 mai au bout de douze jours sous les projecteurs, avec en parallèle le Marché du Film qui a fêté cette année ses 60 ans, l’inspectrice générale des finances ne donne aucun signe de fin de règne.
Sur « la plage du CNC », celle du Gray d’Albion à Cannes où le grand argentier du cinéma français a organisé événements et rencontres durant cette grand-messe du 7e Art sur la Croisette, sa présidente s’est bien gardée d’évoquer son sort. « La reconduction de Frédérique Bredin à la présidence du CNC semble plausible », nous confie un professionnel du cinéma français alors présent à Cannes. Mais il faudra attendre courant juin l’arbitrage du président de la République – lequel nomme les président(e)s de cet établissement public administratif sur proposition du ministre de
la Culture (sa tutelle) – pour que son troisième mandat de trois ans soit confirmé. Nommée en juillet 2013 par François Hollande, qui l’avait renouvelée dans ses fonctions fin juin 2016, Frédérique Bredin (62 ans) devrait être reconduite d’ici fin
juin. Parce que féminine, la quinzième présidence du CNC le vaudrait bien ?

Elle fut pressentie pour le CSA et le Festival de Cannes
Certes, depuis sa création il y a soixante-treize ans, l’établissement du financement
du cinéma français n’a compté que… trois présidences de la gent féminine : Catherine Colonna (2004-2005), Véronique Cayla (2005-2010) et aujourd’hui Frédérique Bredin.
Mais en réalité, n’aimant clairement pas les « femmes alibis », l’actuelle présidente du CNC est demandeuse d’un troisième mandat. Alors que son nom circulait dès l’automne dernier pour succéder à Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), encouragée pour cela par Emmanuel Macron d’après Le Canard enchaîné l’an dernier, elle aurait aussitôt décliné. Le groupe public France Télévisions, dont elle est depuis octobre 2013 administrateur représentant de l’Etat (1) en sa qualité d’actionnaire unique, aurait sûrement apprécié mais pas forcément les chaînes privées qui s’estiment moins bien traitées par le CNC pour les aides à la production audiovisuelle.

« On peut tout à fait augmenter ces taxes » (Bredin)
Plus récemment, en février, son nom avait à nouveau circulé – via Challenges – pour remplacer… Pierre Lescure, l’actuel président du Festival de Cannes ! Fake news, selon L’Express : l’ancien fondateur-PDG de Canal+, actuel président du conseil de surveillance de Mediawan (2) et cofondateur de Molotov, ne serait pas sur le départ – son mandat de président de l’Association française du festival international du film (AFFIF) courant jusqu’en 2020.
Le CNC, dont la nouvelle dénomination de « Centre national du cinéma et de l’image animée » aura dix ans en juillet (3), a sans doute besoin d’un peu de stabilité dans
un monde en pleine mutation. Le « grand débat politique », organisé le 19 mai par l’influente SACD (4) sur cette fameuse « plage du CNC » donnant sur la mer Méditerranée, a une nouvelle fois montré que l’écosystème du cinéma et de l’audiovisuel français tangue plus jamais aux passages des Netflix  et autres Amazon. Le problème : « Quel avenir pour le cinéma dans le monde des plateformes ? ». Frédérique Bredin y intervenait deux jours après une tribune publiée dans Le Monde daté du 17 mai par des cinéastes du monde entier pour appeler la France au « maintien d’une régulation forte » et à une « régulation des plateformes numériques ». Car, selon eux, « toute réforme qui reviendrait à abattre le modèle français d’exception et de diversité culturelles signifierait la mort de notre cinéma, de son financement et de son exposition dans le monde » (5).
En direct de Cannes, sur France Inter ce jour-là (6), Frédérique Bredin a tenté de les rassurer : « Il y a l’arrivée des plateformes (numériques) qui chamboulent forcément l’ensemble du système audiovisuel et cinématographique. Et il y a ce point d’entrée, ce point de référence que représente la France qui se bat pour cette exception culturelle depuis des années ». Mais pas question d’en rester là. La présidente du CNC a donné le cap d’un troisième mandat : « La France et l’Allemagne ont été pionnières en Europe pour mettre une taxe sur Netflix d’abord et sur YouTube ensuite. Demain, il faut aller plus loin. (…) On peut tout à fait augmenter ces taxes pour rééquilibrer davantage entre les acteurs historiques – les chaînes de télévision – et les plateformes ». Les plateformes de VOD basées à l’étranger – payantes comme Netflix ou gratuites comme YouTube – sont assujetties à cette taxe depuis le 1er janvier 2018 et les recettes correspondantes permettent de compenser en partie la baisse de la vidéo physique. Mais elles auraient rapporté au CNC moins de 10 millions d’euros. En France, le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia sont en grande partie aidés par les fonds de soutien du CNC financés à 99,5 % par les taxes sur les services de télévision (500 millions d’euros en 2018), sur les entrées en salles de cinéma (146 millions), ainsi que sur la vidéo physique et la vidéo à la demande (25,7 millions) – soit un total pour l’an dernier de 671,7 millions d’euros (7). Pour autant, malgré son faible rapport, c’est cette dernière taxe sur les DVD/Blu-ray et la VOD qui est en forte hausse (+ 58,7% sur un an), alors que les deux autres taxes historiques sont en recul. Il y a aussi une inquiétude de la filière sur le récent rapport Boutonnat de décembre 2018, mais seulement rendu public juste avant le Festival de Cannes. Intitulé « financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles », ce rapport prépare le 7e Art français à plus de privatisation et de libéralisme dans les investis-sements avec le préalable d’« accroître la rentabilité des actifs (les œuvres) ». Autrement dit : que les films et les séries gagnent de l’argent. Là aussi, Frédérique Bredin a voulu apaiser les craintes : « Le rapport de Dominique Boutonnat [producteur de films] dit qu’à côté du financement des œuvres existant aujourd’hui, il faut aider d’avantage les entreprises à se structurer et à affronter la concurrence mondiale.
C’est plutôt un rapport très positif pour le cinéma français car cela signifie de trouver
les fonds privés. Ces investisseurs privés vont bien évidemment regarder la rentabilité ;
ce n’est pas un gros mot », a-t-elle justifié sur France Inter. Mais la président du CNC s’inquiète tout de même sur les droits d’auteur: « Le souci aujourd’hui des plateformes numériques dans leurs pratiques commerciales, c’est qu’elles essaient de garder tous les droits. Il y a un problème autour (…) des droits des producteurs puisqu’elles veulent capter les droits le plus longtemps possible et sur le plus de territoires (dans le monde) possibles. C’est la fonction même des métiers, leur indépendance – auteurs, réalisateurs, producteurs – qui peut être en cause ». Pour autant, Frédérique Bredin s’est félicitée de la nouvelle directive européenne dite SMA sur les services de médias audiovisuels, promulguée au JOUE du 28 novembre 2018. Bientôt transposée en droit français par la prochaine loi sur l’audiovisuel, elle impose que Netflix, Amazon Prime Video et d’autres SMA « proposent une part d’au moins 30 % d’œuvres européennes dans leurs catalogues et mettent ces œuvres en valeur » (8).

Festival international aux règles hexagonales
Toujours en direct de Cannes, elle a confié : « Ce qui m’a frappée et c’est quand même triste pour l’oeuvre : “Roma” sur Netflix [producteur de ce film en noir et blanc d’Alfonso Cuaron, ndlr] n’a pas été du tout un succès, alors que la Palme d’or de Cannes a permis 800.000 spectateurs pour “Une affaire de famille” [film de Hirokazu Kore-eda, ndlr] ». Il faut dire que le Festival de Cannes, lui, a décidé de ne pas mettre en compétition des films qui ne sortent pas en salles de cinéma dans l’Hexagone. @

Charles de Laubier

Olivier Nusse, président d’Universal Music France : « Il faut démocratiser le streaming par abonnement »

Président d’Universal Music France, filiale du premier producteur mondial
de musique, et depuis neuf mois président du syndicat français représentant notamment les majors (Snep), Olivier Nusse déplore que Spotify, Apple Music ou Deezer ne fassent pas mieux connaître le streaming par abonnement en France.

Le streaming musical a beau représenter en 2018 – et pour la première – plus de la moitié (50,1 %) du chiffre d’affaires de la musique enregistrée en France, soit 300,9 millions d’euros sur
un marché total de 581,3 millions d’euros, et compter 5,5 millions d’abonnés à ce type d’écoute audio, cela ne satisfait pas Olivier Nusse (photo). Président d’Universal Music France depuis plus
de trois ans et, depuis neuf mois, président du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), il estime que les plateformes de streaming – au premier rang desquelles Spotify, Apple Music et Deezer – ne font pas assez en France la pédagogie du streaming par abonnement. « Atteindre 5,5 millions d’abonnés en France en 2018, c’est encourageant : il y en a 1 million de plus en un an. Mais c’est un vrai challenge car c’est à peine 10 % de taux de pénétration [par rapport à la population française et ses 67 millions d’habitants, ndlr]. Certains autres territoires atteignent 20 % à 25 %. Je pose la question : est-ce que l’on a réussi à suffisamment démocratiser cet usage (du streaming musical par abonnement), le faire comprendre, pour qu’il ait une vraie croissance du nombre d’abonnés en France ? », s’est-il demandé lors de la conférence annuelle du Snep, le 14 mars dernier.

Vers une campagne publicitaire pour s’abonner
Le successeur de Pascal Nègre doute que Spotify et Deezer – sociétés dont le capital est détenu de façon minoritaire par Universal Music et d’autres majors (1) – en fassent assez pour promouvoir le streaming payant par abonnement. « Est-ce que les partenaires qui sont les nôtres sur ce nouveau mode de consommation en streaming poussent suffisamment les clients potentiels vers l’abonnement ? », a lancé Olivier Nusse, en tournant son regard vers le directeur général de Deezer France, Louis-Alexis de Gemini, présent dans la salle de conférence. « Mais surtout, a insisté le président
du Snep, avez-vous vu des compagnes publicitaires qui auraient été faites par les plateformes pour expliquer la différence entre l’idée de s’abonner par rapport à la consommation gratuite ? Je ne suis pas sûr que le grand public ait vraiment compris l’intérêt de s’abonner sur le streaming audio, lorsque l’on voit que Netflix dans l’audiovisuel atteint déjà en France quasiment le même nombre d’abonnés – à plus
de 5 millions ».

Le gratuit progresse plus vite que le payant
Car les producteurs de musique et les plateformes musicales ont chacun tout intérêt
à faire croître les abonnements plutôt que de laisser prospérer le streaming gratuit financé par la publicité, bien moins rémunérateur pour eux – et donc pour les artistes. Ce qu’ils appellent le « value gap » est illustré par YouTube qui, selon eux, accapare en France près de la moitié (48 %) des heures consacrées au streaming musical mais ne génère que 11 % des revenus du streaming musical (2). Or, bien que le streaming gratuit ait rapporté l’an dernier encore quatre fois moins (57,8 millions d’euros) que le streaming payant (243 millions d’euros), il progresse cependant plus vite (38,8 % sur
un an) que le second (23,2 %). Et cela frustre quelque peu Olivier Nusse : « Cela va être le challenge de 2019 et des années à venir pour que ce marché puisse continuer
à avoir de la croissance et à bien rémunérer les artistes », a-t-il prévenu.
Interpellé, le patron de Deezer France a reconnu un certain déficit de communication pour mieux inciter les consommateurs à s’abonner à la musique en streaming plutôt que de rester sur le gratuit. « On a du boulot tous ensemble à faire – avec les majors et les indés [producteurs de musique indépendants, ndlr]. C’est vrai que l’on pourrait se donner ensemble une ambition, peutêtre faire une campagne nationale en social média, en télévision, en cinéma, … pour promouvoir cet usage qui est génial. Mais on a énormément de pédagogie à faire sur l’intérêt que représente le streaming par abonnement : 5,5 millions d’abonnés, c’est bien, mais c’est deux fois à trois fois moins que dans nos pays voisins », a répondu Louis-Alexis de Gemini à Olivier Nusse, lequel se demande même pourquoi les plateformes Spotify ou Deezer ne poussent pas suffisamment les clients potentiels vers l’abonnement.
Contrairement à Apple Music qui interrompt son service après trois mois de gratuité, Spotify et Deezer laissent, eux, le client dans le gratuit autant qu’il le souhaite mais avec tout de même une expérience très dégradée puisqu’il ne peut pas streamer à
la demande plus de cinq titres par heure maximum – ce que beaucoup d’utilisateurs
de musique gratuite ne comprennent d’ailleurs pas. Pour Louis-Alexis de Gemini,
« le gratuit est un moyen de faire de la pédagogie » mais les différences de droits de diffusion en streaming gratuit accordés par les producteurs ne simplifient pas l’approche du consommateur. « Spotify a élargi les droits du gratuit ; Deezer a moins de droit, explique son patron. Il n’y a pas les mêmes droits sur l’ordinateur que sur le mobile. D’où la complexité du gratuit pour le client en fonction du magasin où il est… Avec nos amis de la musique, il faut aussi travailler sur le gratuit car on n’a pas trouvé encore la fluidité de conversion idéale pour nous tous ». Surtout, les plateformes musicales – comme Deezer où le gratuit financé par la publicité représente à peine 10 % de ses revenus – estiment perdre beaucoup d’argent sur ce service gratuit qu’elles paient aux producteurs pour chaque stream. Autre préoccupation du président d’Universal Music France et du Snep : les abonnements via les opérateurs télécoms, à l’image de ceux issus de l’accord exclusif qu’Orange poursuit depuis 2010 avec Deezer, dont il est aussi actionnaire minoritaire (3). « Depuis près de deux ans maintenant, la part du nombre d’abonnés qui se fait en direct sur les plateformes (stand-alone) est supérieure à celle faite via les abonnements téléphoniques. Les accords avec certains opérateurs télécoms arrivent à terme. On observe petit à petit un basculement vers le stand-alone ; cela prend un peu de temps pour la transformation. Malgré tout, je pense qu’il y a besoin de démocratiser l’usage et d’expliquer un peu mieux pour cela devienne encore plus populaire », insiste encore Olivier Nusse.
Le streaming étant devenu le moteur de la croissance du marché de la musique enregistré, avec en 2018 un total en France de 57,6 milliards d’écoutes en ligne sur
les services de streaming audio (cinq fois plus qu’en 2014, selon GfK), la notion même de rentabilité d’un album est en outre remise en question. Jusqu’alors, « la production d’albums de nouveautés en France s’opère dans des conditions structurellement déficitaires et seul un album produit sur 10 atteint le seuil de la rentabilité », selon le Snep (4). Mais le streaming et sa « longue traîne » changent tout, comme l’a confirmé Olivier Nusse : « Les catalogues peuvent être disponibles plus longtemps que ne peut l’être une grande majorité de la production en distribution physique, dont les disques ne peuvent plus être achetés si on ne les trouve plus. Alors qu’avec le streaming, il y a des catalogues qui peuvent être consommés longtemps – peu mais longtemps – et qui à terme peuvent quand même devenir rentables ».

Nouvelle rentabilité des catalogues en ligne
Le Snep envisage donc, pour tenir compte de l’évolution des usages et de la plus grande disponibilité des catalogues dans le temps, de faire des études d’audiences
des titres et des albums un peu plus longues que celles qui sont faites actuellement
sur des périodes assez courtes. Pour l’heure, le grand gagnant des genres musicaux sur le streaming est la musique urbaine – pour le plus grand bien de la diversité. @

Charles de Laubier