Dix ans après le rachat de PriceMinister, pionnier français du e-commerce, le japonais Rakuten résiste à la crise

Dix ans après avoir racheté PriceMinister, pionnière des places de marché françaises créée il y a 20 ans, le groupe japonais fondé par Hiroshi Mikitani se retrouve pris entre deux feux : un déficit sans précédent enregistré en 2019 et la crise économique provoquée par le covid-19. Mais l’écosystème « Rakuten » a des atouts.

Fondée il y a maintenant vingt ans par Pierre Kosciusko-Morizet, aujourd’hui business angel, qui l’a ensuite revendue il y a dix ans au groupe japonais Rakuten, la place de marché en ligne PriceMinister, pionnière du e-commerce en France, continue de prospérer depuis deux ans sous l’enseigne « Rakuten » de plus en plus mondiale. Ce terme signifie « optimisme » en japonais. Dans un contexte de crise et de récession économique mondiales, sur fond de pandémie plus ou moins maîtrisée, de l’optimisme, il en faut. Et si l’on y rajouter « ch », cela donne « rakutenchi », ce qui veut dire « paradis »… Avant d’y parvenir, Hiroshi Mikitani (photo), le président fondateur de Rakuten, société qu’il a créée il y a vingt-trois ans sous le nom de MDM, avant d’en changer le nom pour Rakuten en juin 1999, doit poursuivre son expansion internationale en se frayant un chemin entre les GAFA américains et les BATX chinois. En vingt ans, l’enseigne Rakuten s’est développée et diversifiée. Avec ses 70 services en ligne disponibles, elle revendique 1,4 milliard de consommateurs. Mais pour en faire une marque véritablement mondiale, il reste beaucoup à faire. Le Japon pèse encore 80 % de son chiffre d’affaires, du moins sur 2019, année où le groupe de Hiroshi Mikitani – dit « Mickey » – a franchi pour la première fois l’équivalent de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires (1) – 10,5 milliards précisément à la faveur d’une hausse annuelle de 14,7 %.

Japon : lancement de la 5G de Rakuten Mobile retardé
Les « Amériques » (Canada et Etats-Unis) sont arrivées en tête des revenus internationaux à 15,6% du total du chiffre d’affaires de 2019, suivies de l’Asie (Chine) à 2,4 %, l’Europe n’arrivant qu’en dernière des régions contributrices au chiffre d’affaires global, à 2,2 %. Mais le Vieux Continent devrait peser plus lourd à l’avenir, au vu de la croissance à deux chiffres des revenus observée au premier trimestre 2020 en France et en Espagne. Alors que le groupe Rakuten a accusé un fort déficit l’an dernier – avec une perte nette équivalente à 274,7 millions d’euros (2) – après avoir été habitué à des années de rentabilité, Hiroshi Mikitani se retrouve à devoir redresser la barre au moment où l’économie nippone et les marchés internationaux où il est présent vacillent sous les effets dévastateurs de la pandémie covid-19. Pourtant, le 13 mai dernier, « Mickey » a maintenu ses prévisions pour cette année d’« une croissance à deux chiffres » de son résultat d’exploitation par rapport à l’exercice précédent grâce au e-commerce, aux activités de fintech et au mobile. Si les deux premiers pôles de croissance ont pu profiter du confinement, il n’en va pas de même pour Rakuten Mobile qui pourrait dégrader les comptes de la firme tokyoïte.
Devenu en début d’année le quatrième opérateur de réseau mobile de l’archipel nippon, après avoir été MVNO (3), la filiale télécoms coûte cher à la maison mère en infrastructures 4G et 5G (4). Rakuten Mobile a bien lancé ses offres 4G début avril, mais le coronavirus l’a contrainte de retarder de trois mois – à septembre au lieu de juin – le lancement commercial de ses forfaits 5G. Ce qui pénalise ce nouvel entrant par rapport à ses rivaux NTT Docomo, Softbank et KDDI, lesquels sont, eux, opérationnels depuis mars. Et comme un malheur n’arrive jamais seul : les Jeux olympiques de Tokyo, qui devaient se tenir du 24 juillet au 7 août prochains et qui auraient servi de rampe de lancement en grandes pompes à la 5G, ont dû être reportés d’un an à cause de la pandémie. Ces contre-temps devraient peser sur les résultats de l’année 2020.
Cotée depuis vingt ans, où elle est actuellement valorisée à la Bourse de Tokyo l’équivalent de 13 milliards de dollars, l’entreprise de « l’optimisme » est détenue à hauteur de 29,69 % du capital par Hiroshi Mikitani (dont 16,69 % via sa holding Crimson Group). Sa femme Haruko, avec laquelle il a eu deux enfants, en possède 9,78 %. Ainsi, le couple multimilliardaire – lui, né à Kobé il y a 55 ans, étant classé par Forbes 6e fortune du Japon, 33e fortune de la Tech et 383e personne la plus riche du monde (5) – détient ensemble près de 40 % du groupe. Que de chemins parcourus à l’international depuis dix ans. Rakuten a racheté en 2011 le fabricant canadien de liseuses Kobo assorti de sa bibliothèque d’ebooks pour 315 millions de dollars (6). C’est cette filiale qui a porté plainte contre Apple auprès de la Commission européenne (voir pages 6 et 7).
En 2012, le japonais a investi dans Pinterest à hauteur de 100 millions de dollars, avant de multiplier les implantations dans le e-commerce de divers pays, dont la Chine, Taïwan, Hong-Kong, la Corée, la Thaïlande, le Canada, l’Australie, l’Espagne, et la France. C’est dans l’Hexagone que Rakuten va investir dans le site comparateur de prix VoyagerMoinsCher.com que PriceMinister rachètera en 2017, avant que ce dernier ne devienne en 2010 une filiale de Rakuten (7). En juin 2012, c’est au tour de la plateforme de VOD espagnole Wuaki.tv – disponible dans plusieurs pays européens – d’entrer dans le périmètre du groupe japonais pour tenter de défier Netflix et Amazon Prime Video. Wuaki.tv sera rebaptisé Rakuten TV mi-2017.
En septembre 2013, Rakuten rachète aussi Viki, un service de VOD basé à Singapour. Tout en développant ses places de marché en ligne, le groupe de Hiroshi Mikitani se renforce dans « les contenus numériques sans frontières » (8). Puis, affichant alors une bonne santé financière et plus que jamais téméraire, le groupe Rakuten s’empare en 2014 de l’application de téléphonie (VoIP) et messagerie multimédia Viber pour pas moins de 905 millions de dollars ! A l’automne de la même année, il débourse encore 952 millions de dollars pour s’emparer de la société californienne Ebates (devenu Rakuten Rewards début 2019), spécialisée dans le cash-back et les programmes de fidélité et de récompenses commerciales. En 2015, Rakuten jette cette fois son dévolu sur le distributeur américain de livres numériques et de contenus digitaux OverDrive pour 410 millions d’euros. Puis, il injecte 300 millions de dollars dans la startup californienne Lyft, concurrente d’Uber, ainsi que dans un autre concurrent Cabigy basé en Espagne pour plus de 100 millions de dollars. Sans oublier des investissements ou acquisitions de moindre importance tous azimuts : DC Storm (en Grande- Bretagne), Slice, Acorns et Curbside (aux Etats-Unis) ou encore MetroResidences (à Singapour).
Ainsi, « Mickey » a réussi non seulement à faire fortune mais surtout à constituer un vaste écosystème « Rakuten » vertueux, où toutes les applications se complètent (voir schéma cicontre). Lorsqu’il débourse il y a six ans près de 1 milliard de dollars pour Viber, le visionnaire doit expliquer aux analystes financiers dubitatifs que l’opération en vaut la chandelle car e-commerce et réseaux sociaux sont les deux faces d’une même pièce. Les messageries vont permettre de recruter de nouveaux clients en ligne. Depuis, il mise à fond sur les « Rakuten Points » (9) que gagnent les consommateurs lors de leurs achats dans les différents services-maison. Au Pays du Soleil-Levant, cela fait partie de l’hospitalité que les Japonais appellent « omotenashi ». Cela permet surtout de retenir le plus longtemps possible le consommateur dans le même écosystème. Outre le paiement par « R Point », les règlements peuvent aussi se faire via la Rakuten Card, par virement de Rakuten Bank, avec la monnaie virtuelle « R Edy », par code-barre « R Pay » ou bientôt la cryptomonnaie « R Wallet ». Le cross-use, où un client passe d’un service à l’autre au sein de l’écosystème, dépasse les 72 %. Optimisme rime avec fidélité. @

Charles de Laubier

Fini la convergence entre les télécoms et les médias chez Altice, qui se sépare aussi de ses titres de presse

La filiale française du groupe de Patrick Drahi le déclare toujours dans ses communiqués, et ce depuis plus de deux ans que l’intégration de NextRadioTV est effective : « Altice France est le premier acteur de la convergence entre télécoms et médias en France ». Mais dans les faits, cette stratégie a fait long feu.

Cinq ans après avoir initié le rapprochement entre les télécoms et les médias, avec l’acquisition par Altice en juillet 2015 de 49 % à l’époque de NextRadioTV, le groupe de Patrick Drahi (photo) en est aujourd’hui à détricoter cette velléité de stratégie de convergence. Il y a deux ans, en avril 2018, l’intégration de la société d’Alain Weill avait finalement obtenu le feu vert du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lequel avait préalablement validé la prise de contrôle par NextRadioTV de la chaîne Numéro 23 – rebaptisée par la suite RMC Story. Avec NextRadioTV (RMC, BFM TV, BFM Business, BFM Paris, RMC Découverte, …), le pôle médias d’Altice France – maison mère de SFR, deuxième opérateur télécoms français – rajoutait l’audiovisuel à son portefeuille déjà constitué alors de la presse écrite avec Libération et L’Express, rachetés respectivement en juin 2014 et février 2015. Depuis lors, la filiale française ne manque pas d’affirmer dans ses communications : « Altice France est le premier acteur de la convergence entre télécoms et médias en France ». Même la holding – néerlandaise depuis près de cinq ans, après avoir été luxembourgeoise – y va encore aujourd’hui de son couplet sur la convergence : « Altice Europe, cotée sur Euronext Amsterdam (2), est un leader convergent dans les télécommunications, le contenu, les médias, le divertissement et la publicité ». La maison mère chapeaute aussi Altice Portugal (Meo, Fastfiber), Altice Israel (Hot) et Altice Dominicana (République dominicaine).

Altice n’est plus un groupe multimédia convergent
Pourtant, la convergence télécoms-médias – avec laquelle Altice se sentait pousser des ailes – a du plomb dans l’aile justement. Patrick Drahi tourne le dos à son ambition de créer un groupe « convergent » et « multimédia ». Car si les télécoms lui permettent de rembourser progressivement sa lourde dette (31,2 milliards d’euros au 31 mars) avec d’importantes échéances d’ici 2025, il n’en va pas de même des médias qui lui coûtent plus qu’ils ne rapportent à Altice Europe. La convergence télécoms-médias était sérieusement bancale, en plus de ne pas être bankable. Et la récession économique historique provoquée par l’état d’urgence sanitaire a aggravé la situation, au point que certains se demandent si le groupe de Patrick Drahi ne pourrait pas faire faillite (3).

Magnat des télécoms, mais plus de la presse
Le désenchantement de Patrick Drahi vis-à-vis des médias ne date pas d’hier, du moins il remonte bien avant la pandémie. Certes, le coronavirus a précipité la chute des recettes publicitaires dans les médias, presse en tête, et creusé des pertes financières – tous les titres et supports sont touchés de plein fouet. Mais, au sein d’Altice France, les déficits chroniques de certains médias comme L’Express perdurent depuis bien plus longtemps. L’hebdomadaire d’actualité créé en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, n’est plus que l’ombre de lui-même : Patrick Drahi s’est délesté à l’été 2019 de ce titre historique de la presse française en le cédant à son bras droit Alain Weill qui en est devenu le PDG et l’actionnaire majoritaire via sa société News Participations (4), en plus d’être le PDG d’Altice France et le directeur général d’Altice Europe. Les pertes sont abyssales (20 millions d’euros en 2018 et 2019) et le covid- 19 a compromis l’objectif d’atteindre l’équilibre financier et les 200.000 abonnés numériques pour les 70 ans du journal en 2023. Une nouvelle formule a pourtant été lancée par Alain Weill en janvier, assortie de certains articles disponibles aussi en podcasts. Mais les effectifs du journal doivent passer de quelque 170 collaborateurs à 120 (dixit Alain Weill le 28 octobre 2019 sur Franceinfo), dont environ 80 départs de la rédaction.
Depuis cette saignée-express, c’est aujourd’hui au tour de Libération d’être cédé. Le quotidien fondé sous l’impulsion de Jean-Paul Sartre en 1973 fut racheté en 2014 par Patrick Drahi, moyennant 18 millions d’euros pour le renflouer. Ce serait Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, qui lui aurait demandé – de la part de François Hollande – de sauver Libé. Ce que fit le milliardaire franco-israélien, en confiant les rênes du quotidien au banquier franco-libanais Bernard Mourad, lequel deviendra conseiller du candidat à la présidentielle de 2017. Ce qui aurait permis à Altice s’emparer de SFR (5), au nez et à la barbe de Bouygues… Mais depuis ce sauvetage politico-médiatique d’il y a cinq ans, les pertes de Libération se sont accumulées et sa dette a atteint presque 50 millions d’euros. Pour sortir le journal de la faillite, la direction d’Altice France – Alain Weill en tant que PDG et Arthur Dreyfuss comme secrétaire général d’Altice France et, depuis janvier, DG d’Altice Médias France (6) – ont annoncé le 14 mai aux employés, par e-mail en interne, la cession de Libération à un « Fonds de dotation pour une presse indépendante » créé pour l’occasion (avec sa filiale Presse Indépendante). Patrick Drahi, qui « continuera, personnellement, d’accompagner l’avenir de Libération », s’inspire ainsi de ce qu’a fait Mediapart en octobre 2019 avec son « Fonds pour une presse libre » (7), le site web d’information d’Edwy Plenel ayant lui-même pris en exemple le modèle du « Scott Trust Limited » du quotidien britannique The Guardian. Désormais, le magnat des télécoms n’est plus magnat de la presse. « Voilà, une évolution en apparence très positive de la structure de Libération mais un futur tout à fait incertain », a tweeté le jour même de l’annonce surprise Gerald Holubowicz, chef de produit digital de Libération (8). « Nos actionnaires ne veulent pas être propriétaire du tonneau des Danaïdes ! », avait prévenu Laurent Joffrin, le 16 septembre 2014, devant l’AJM (9). Le directeur de la rédaction et de la publication Libération, dont il cessera d’être le cogérant à la fin de l’année, ne croyait pas si bien dire (10).
Cinq jours après l’annonce de la cession de Libé, ce fut au tour de NextRadioTV de faire l’objet de mesure de redressement via un « plan de reconquête post-covid et de transformation ». Là aussi, le coronavirus n’est pas la seule raison du remède de cheval avec suppressions de postes possibles sur un effectif de 1.600 personnes (11). Depuis quelques années, NextRadioTV était déjà aux prises avec « la concurrence des plateformes à la fois inéquitable et d’une ampleur encore sous-estimée, et aux nouveaux modes de consommation des auditeurs et téléspectateurs » (12). Cette fois, le covid-19 a provoqué « l’écroulement des recettes publicitaires » – tant sur BFM TV et BFM Business que sur RMC, malgré des records d’audiences télévisées durant la crise. La chaîne payante d’information sportive RMC Sport News n’a, elle, pas eu droit à des arrêts de jeu : elle est définitivement fermée depuis le 2 juin. Fini aussi les droits sportifs sur un marché « imprévisible et inflationniste ». Les chaînes RMC Découverte, RMC Story et Altice Studio sont, elles, sur la sellette.

Altice Studio déclare forfait
La grande convergence des télécoms et des médias, tant promise il y a cinq ans par Patrick Drahi (13), est réduite à « une stratégie plurimédia » (télé, radio et digitale, replay et podcasts compris) et au recours à SFR pour la publicité adressée et la data. Quant à la filiale de production audiovisuelle Altice Studio, installée en grande pompe (mais sans paillettes) le 3 octobre 2018 – dans l’immeuble d’Altice Campus, « symbole de la convergence réussie entre les médias et les télécoms en France », disait alors Alain Weill (14) –, elle aura fait long feu. @

Charles de Laubier

Œil pour œil, dent pour dent : Apple pourrait être la première victime collatérale du « Huawei bashing »

La marque à la pomme risque d’être la première grande firme américaine – un des GAFA qui plus est – à payer très cher l’ostracisme que les Etats-Unis font subir au géant chinois Huawei. Si la loi du talion est gravée dans la Bible, elle semble aussi être une règle non-écrite de la Constitution chinoise. Représailles en vue.

« Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie », dit la Bible (1), qui n’est finalement pas si pacifique qu’on le dit. La Chine va faire sienne cette loi du talion en prenant des mesures de rétorsion à l’encontre d’entreprises américaines, au premier rang desquelles Apple.
D’après le Global Times, quotidien proche du Parti communiste chinois au pouvoir, Pékin est prêt à prendre « des contre-mesures » ciblant des entreprises américaines. Dans un article publié le 15 mai dernier, complété par deux autres, Apple est cité en premier, suivi de Qualcomm, Cisco et Boeing (2). « La Chine prendra des contremesures, comme inclure certaines entreprises américaines dans sa liste d’‘’entités non fiables’’, imposer des restrictions aux entreprises américaines comme Qualcomm, Cisco et Apple, ou mener des enquêtes à leur sujet, et suspendre les achats d’avions de Boeing ». Le ministère chinois du Commerce – le Mofcom (3) – a confirmé en mai la préparation de cette liste noire où Apple figurera en bonne place. L’Empire du Milieu est donc prêt à rendre coup sur coup, alors que son fleuron technologique Huawei – numéro deux mondial des smartphones en 2019 devant… Apple (4) – fait l’objet depuis près de dix ans maintenant d’une discrimination de la part de l’administration Trump, allant jusqu’à son bannissement des infrastructures 5G aux Etats-Unis il y a un an.

L’Executive Order « anti-Huawei » prolongé d’un an
Fondée en 1987 par Ren Zhengfei, suspect aux yeux des Etats-Unis pour avoir été un technicien de l’Armée chinoise de 1974 à 1982, la firme de Shenzhen est plus que jamais dans le collimateur de Washington. Xi Jinping (photo), président de la République populaire de Chine, semble donc déterminé à rétorquer à Donald Trump, président des Etats-Unis d’Amérique (lequel a prêté serment sur la Bible) dans la bataille économique qui les oppose. Leurs Big Tech respectives sont les premières à être prises en otage, sur fond de guerre commerciale et de protectionnisme économique. Hasard du calendrier, le 15 mai correspondait aussi aux un an du décret – un Executive Order (5) – pris par Donald Trump.

Des années d’accusations sans preuve
Ce fameux décret « 13873 » (6) interdit aux entreprises américaines de se fournir en équipements high-tech et télécoms auprès de fabricants soupçonnés de vouloir porter atteinte à la « sécurité nationale » et à la cyber sécurité des Etats-Unis – avec Huawei et son compatriote ZTE en ligne de mire, mais sans les nommer. Pour monter d’un cran les hostilités, le locataire de la Maison-Blanche a fait savoir le 13 mai qu’il prolongeait ce décret d’une année supplémentaire. « L’acquisition ou l’utilisation sans restriction aux Etats-Unis de technologies de l’information et des communications ou de services conçus, développés, fabriqués ou fournis par des entreprises détenues par, contrôlées par, ou soumises à des juridictions ou directions des adversaires étrangers, donne la capacité à ces derniers de créer et d’exploiter des vulnérabilités dans les services ou technologies de l’information et des communications, avec des effets potentiellement catastrophiques. Cela représente une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des Etats-Unis », justifie Donald Trump (7) pour « prolonger d’un an l’urgence nationale » décrétée par l’Executive Order du 15 mai 2019 – à savoir jusqu’au 15 mai 2021. Plus que jamais, Huawei est montré du doigt et présenté comme une soi-disant cyber menace que la firme de Shenzhen a toujours réfutée. Depuis la première enquête engagée en septembre 2011 par la commission du Renseignement de la Chambre des représentants des Etats-Unis, il y a donc près de dix ans, aucune preuve des allégations américaines de cyber espionnage ou de cyberattaques de la part de Huawei ou de ZTE n’a été apportée. Au pays de l’Oncle Sam, le fantasme technologique se le dispute à la théorie du complot ! Jusqu’à preuve du contraire. A l’autre bout de la planète, on fulmine : « La Chine doit être préparée au pire scénario de découplage complet avec les Etats-Unis dans le secteur de la haute technologie. Bien que la menace de découplage de l’administration Trump avec la Chine fasse partie de sa stratégie électorale [la prochaine élection présidentielle américaine aura lieu le 3 novembre 2020, ndlr], l’approche radicale de suppression de la Chine est devenue une tendance irréversible aux Etats-Unis », déclare le Global Times dans un édito du 15 mai (8). Apple devrait être la première victime collatérale de ce conflit sino-américain, lorsque Pékin mettra ses menaces à exécution en réponse à Washington. La goutte qui a fait déborder le vase chinois, c’est la décision annoncée le 15 mai par l’administration Trump – via son département américain au Commerce (DoC) – de « répond [re] aux efforts de Huawei pour saper la “Entity List” [la liste noire des entreprises bannies des Etats-Unis, ndlr] en restreignant sa possibilité d’utiliser des produits conçus et fabriqués avec des technologies américaines pour concevoir et fabriquer ses semi-conducteurs ». Hisilicon, la filiale de la firme de Shenzhen, fabrique des puces pour smartphones et stations de base 5G. Mais elle se fournit massivement auprès du taïwanais TSMC (9) pour la production. Or ce dernier – numéro un mondial des fabricants de semi-conducteurs (10) – produit aussi ses technologies de microprocesseurs sur le sol américain, et compte Huawei comme gros client à hauteur d’environ 10 % de son chiffre d’affaires. TSMC, qui selon le quotidien économique japonais Nikkei ne prend plus de commandes de Huawei, s’est soumis aux dictats étatsuniens au moment où il a annoncé la construction d’une nouvelle usine dans l’Arizona (11). Le taïwanais fournit aussi les américains Qualcomm et Nvidia. Huawei a dénoncé le 18 mai la décision « arbitraire et pernicieuse » du DoC. Depuis avril, cette fois, ce sont les opérateurs télécoms China Telecom et China Mobile et leurs filiales américaines respectives qui sont dans le collimateur de la justice américaine (DoJ) et le régulateur fédéral des communications (FCC) : leurs licences américaines pourraient être révoquées. Décidément, dans sa croisade « anti-Huawei », tous les coups sont permis de la part de l’administration Trump. Avant même que Pékin ne fasse jouer la loi du talion, Apple – sur le point d’être à son tour sur liste noire – voit déjà le fabricant chinois de ses iPhone – le taïwanais Foxconn, filiale du groupe Hon Hai – confronté à la crise économique déclenchée par la pandémie du covid-19. Hon Hai prévoit une chute de ses revenus d’au moins 15 % par rapport à l’année précédente.

La Chine, près de 15 % des revenus d’Apple
Apple – icône des GAFA – a tout à perdre de ce bras de fer entre Washington et Pékin, d’autant que la marque à la pomme a pris ses quartiers sur le vaste marché chinois : au premier trimestre 2020, la Chine représentait 14,8 % du chiffre d’affaires total d’Apple. Depuis le 11 mai, l’action de la firme de Cupertino au Nasdaq commence à montrer des signes de faiblesse : – 2,3 % (au 18-05-20). Les quatre iPhones compatibles 5G sortiront à l’automne prochain, mais avec plusieurs semaines de retard. Fin avril, lors des résultats de son second trimestre de l’année fiscale décalée, Apple n’a fourni aucune prévision. Et ce, pour la première fois en plus d’une décennie. @

Charles de Laubier

Le géant chinois Tencent accélère sa conquête du monde, notamment en Europe et en Afrique

Le « T » de BATX se déploie plus que jamais hors de Chine. Son président cofondateur, Ma Huateng, veut conquérir le monde. Après avoir pris 10 % dans Universal Music (Vivendi), il étend sa propre plateforme musicale Joox à l’international. Et multiplie les investissements tous azimuts : streaming musical, jeux vidéo, fintech, …

En avril, le cofondateur président de Tencent – Ma Huateng, alias Pony Ma (photo) – est devenu l’homme le plus riche de Chine, devançant son compatriote Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, se hissant ainsi à la vingtième place mondiale des milliardaires. Selon le classement Forbes, la fortune de Ma Huateng (48 ans) approche les 47 milliards de dollars (au 08-05-20).
Il possède encore aujourd’hui 8,58 % du capital du groupe Tencent Holdings Limited, qui est enregistré dans le paradis fiscal des Iles Caïmans, distantes de 15.000 kilomètres de Hong Kong où le géant du Net chinois a été créé en 1998 et où il est coté en Bourse depuis 2004. La valorisation boursière de Tencent est l’une des plus importantes au monde, avec 513,7 milliards de dollars (l’équivalent de 473,9 milliards d’euros au 08-05-20). Au point d’avoir dépassé un temps les capitalisations d’Alibaba et de Facebook ! Ma Huateng est en outre actionnaire, majoritaire cette fois (à 54,29 %), de la société Tencent Computer qu’il avait initialement cofondée il y a vingt-deux ans à Shenzhen, ville située dans le sud de la Chine et en périphérie de Hong Kong, où le groupe dispose de son siège social dans ses propres « twin towers » – les Tencent Seafront Towers – construites de 2015 à 2017.

Le Parti communiste chinois veille sur Tencent
C’est d’ailleurs dans cette ville-monde de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine que se tient le 13 mai 2020 l’assemblée générale annuelle, laquelle validera les résultats 2019 (dévoilés le 18 mars dernier) de ce conglomérat du Net : bénéfice net de 93,3 milliards de yuans (12 milliards d’euros), soit un bond de 19 % sur un an, pour un chiffre d’affaires de 377,2 milliards de yuans (48,6 milliards d’euros), en hausse de 20 % sur la même période. Pour l’instant, seuls les jeux vidéo génèrent un quart de leurs revenus à l’international. La musique en ligne en prend le chemin. « Pony Ma » n’est pas un prince rouge (puisqu’il ne descend pas d’un haut dirigeant du Parti communiste chinois), mais il est vice-président cofondateur de la puissante Fédération chinoise des sociétés Internet (CFIS), aux côtés, entre autres, de Jack Ma (alias Ma Yun) et de Li Yanhong (alias Robin Li), le président fondateur du « Google » chinois Baidu. La CFIS, pour China Federation of Internet Societies (1), est basée à Pékin et fut créée il y a deux ans pour que les patrons des BATX – acronyme des « GAFA » chinois – s’engagent à respecter, y compris dans leurs investissements à l’étranger, les valeurs de la République populaire de Chine.

WeChat/Weixin, QQ, « HoK », Joox, …
Le CFIS revendique son rôle de « promouvoir l’esprit du Parti communiste chinois » auprès de ses 300 membres, comme l’a expliqué Ren Xianliang, l’actuel président de cette fédération parapublique, qui est aussi vice-président du Comité de construction sociale de l’Assemblée nationale populaire de Chine (2) : « Le CFIS fournira des conseils politiques aux organisations membres, (…) les aidera à (…) protéger leurs intérêts, supervisera les opérations des organisations membres et favorisera le développement des organisations du Parti [communiste chinois] dans l’industrie », avait déclaré le 9 mai 2018, lors de l’inauguration de cette fédération (3), celui qui fut chef adjoint de l’Administration du cyberespace de Chine (4), le bras armé de la censure sur Internet.
C’est donc sous la « bienveillance » de Pékin que Tencent, à l’instar des autres BATX, conquiert le monde. Ayant franchi l’an dernier la barre du milliard d’utilisateurs dans le monde (1,165 million au 31 décembre 2019 précisément), sa messagerie instantanée multimédia WeChat – le « WhatsApp » chinois mais aux multiples fonctions (texte, vocal, vidéo, paiement mobile) – se décline aujourd’hui à l’international dans une vingtaine de langues (dont le français). Baptisée Weixin par Ma Huateng lors de son lancement en Chine en 2011, elle a pris l’année suivante ce nom de WeChat pour partir à l’assaut d’autres marchés. Dix ans avant cette application mobile, Tencent avait lancé pour ordinateur la messagerie instantanée et portail web QQ (ex-OICQ), proposant jeux vidéo, musique, films, microblogging et e-commerce. Devenu le sixième site web le plus consulté au monde (5), derrière Google, YouTube, Tmall (Alibaba), Facebook et Baidu, QQ compte 647 millions d’utilisateurs à fin 2019 – soit dix ans après ses débuts à l’international. Mais autant Weixin/WeChat gagne des utilisateurs (+ 6,1 % sur un an), autant QQ en perd (- 7,5 %). Outre les communications interpersonnelles, Tencent s’est démultiplié. Dans la musique, la firme de Shenzhen vient de jouer l’un de ses meilleurs coups hors Chine : depuis fin mars, elle détient – via un consortium qu’elle mène – 10 % du capital d’Universal Music, première major mondiale de la musique (6) et filiale du français Vivendi, avec une option d’achat de 10 % supplémentaires que ce consortium peut lever d’ici le 15 septembre 2021. De plus, Tencent Music Entertainment a la possibilité d’acquérir une participation minoritaire dans les activités d’Universal Music en Chine dans les deux ans. La major de Vivendi/Bolloré, valorisée aujourd’hui 30 milliards d’euros, sera introduite en Bourse « au plus tard début 2023 ». Sans attendre, Ma Huateng renforce à l’international sa propre plateforme musicale freemium Jook, lancée il y a cinq ans et déjà devenue le « Spotify » dans plusieurs pays d’Asie (7). Jook est à QQ Music ce que WeChat est à Weixin, une application à vocation internationale. Ce service de musique en streaming a été lancé en Afrique du Sud, pays de l’actionnaire principal de Tencent : le groupe Internet sud-africain Naspers. Celui-ci détient via sa holding MIH TC (Prosus) 31 % du capital de la firme de Shenzhen. En investissant quelque 25 millions d’euros de capital-risque dans Tencent en 2001, Naspers se retrouve aujourd’hui avec une participation valorisée 145 milliards d’euros ! Il y a deux ans, Naspers avait cédé 2 % de ses parts pour 7,8 milliards d’euros mais s’était engagé (8) à ne pas en vendre à nouveau avant… 2021. Après l’Asie, l’Afrique du Sud et – comme l’a annoncé Poshu Yeung, directeur général de Tencent à l’international – bientôt au Nigeria (9), Joox s’apprête à conquérir le monde.
Le « T » de BATX est aussi à l’offensive sur le marché mondial du jeu vidéo : depuis 2004, des jeux en ligne ont été édités sous la marque QQ jusqu’au lancement en 2015 du jeu mobile multijoueur « Honor of Kings » (HoK). Ce blockbuster, inspiré de « League of Legends » de l’éditeur Riot Games racheté par Tencent en 2011 (10), est aussi proposé hors de Chine sous le nom de « Arena of Valor ». En outre, le groupe chinois contrôle Supercell depuis 2019, détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, 5 % du français Ubisoft (11) et 5 % également du suédois Paradox Interactive (12). Le chinois nourrit aussi de grandes ambitions mondiales dans la productiondistribution de films (Tencent Pictures), la création de bandes dessinés numérique (comics chinois appelés manhuaa), la VOD (v.QQ et Huya Live) ou encore le ecommerce (PaiPai, TenPay, JD.com détenu à 15 %).

WeChat Pay, TenPay et la fintech
Et dans la fintech, Tencent est embuscade hors de l’Empire du Milieu, fort du leadership chinois de son application de paiement mobile WeChat Pay lancée en 2013 et rival d’Alipay (Alibaba), de Baidu Wallet et de Sina Weibo (13). En espérant aller au-delà de ses millions de clients chinois voyageant à l’étranger et de se mesurer à Google Pay, Apple Pay, voire à Visa ou Mastercard, la firme de Shenzhen s’offre des participations dans des fintech occidentales telles que les françaises Lydia et Qonto. Des jalons pour conquérir l’Europe. @

Charles de Laubier

Fort du succès mondial de « League of Legends » depuis plus de dix ans, Riot Games met les bouchées doubles

C’est la consécration pour le Français Nicolas Laurent, alias Nicolo : recruté il y a dix ans par l’un des deux cofondateurs de Riot Games, Brandon Beck, il dirige ce grand éditeur américain de jeux vidéo en ligne depuis deux ans et demi. Jusqu’alors monoproduit avec « LoL », Riot Games se diversifie et fait l’acquisition de Hypixel Studios.

Après avoir fait durant dix ans de « League of Legends » (LoL) son unique jeu vidéo à succès, d’ »arène de bataille en ligne multijoueur » (1), sur ordinateur, l’éditeur américain Riot Games honore enfin le « s » de son nom. Le 30 avril, il a lancé « Legends of Runeterra » (LoR), un jeu en ligne de « cartes à collectionner » (2), qui était en version bêta ouverte (3), depuis fin janvier sous Windows seulement. Cinq autres jeux vidéo en ligne – respectivement de tir (« Valorant »), de stratégie d’équipes (« Teamfight Tactics »), de combat (« Projet L »), de bataille pour mobile et consoles («Wild Rift »), de gestion e-sport (« TBA ») – sortiront au cours de cette année 2020 sur ordinateurs, smartphones et consoles. Chacun d’eux est développé, à l’instar de « LoL », pour durer plus d’une décennie en tant que blockbuster online. De plus, la firme de Los Angeles que dirige depuis plus de deux ans et demi le Français Nicolas Laurent, alias Nicolo (photo), s’est lancée dans le développement d’une série d’animation baptisée « Arcane » et attendue d’ici la fin de l’année. « Riot construit également le monde de Runeterra [celui rendu célèbre par LoL, ndlr] à travers des projets multimédias sur la musique, des bandes dessinées, des jeux de société et la prochaine série animée Arcane », promet l’éditeur américain, filiale du chinois Tencent depuis 2011.

« LoL » a généré 1,5 milliard de dollars en 2019
Selon le cabinet d’études SuperData (groupe Nielsen), « League of Legends » a rapporté l’an dernier à Riot Games pas moins de 1,5 milliard de dollars – soit une hausse supérieure à 6 % sur un an. Ce qui place encore « LoL » – dix ans après son lancement – en quatrième position du marché mondial du free-to-play (à options payantes), derrières le trio de tête : « Fortnite » d’Epic Games (1,8 milliard), « Dungeon Fighter Online » de Nexon (1,6 milliard), « Honour of Kings » de Tencent (1.6 milliard). « Alors que “Fortnite” a moins de joueurs que “League of Legends”, les joueurs de “Fortnite”sur PC sont plus de deux fois plus susceptibles de dépenser de l’argent sur le contenu ingame [achats à l’intérieur du jeu, ndlr] que le public de “League of Legends” », relève SuperData qui chiffre à 87,1 milliards de dollars le total des revenus mondiaux du free-to-play l’an dernier (4), en hausse de 6%. Avec sa puissante maison mère chinoise Tencent (le « T » de BATX détenant aussi 40 % de Epic Games à l’origine de « Fortnite », 84 % du finlandais Supercell, 5 % d’Activision Blizzard ou encore 5 % du français Ubisoft), « Riot » est désormais décidé à chasser… en meute à partir de 2020 sur le marché mondial des jeux vidéo on line en plein boom.

« LoR », « Valorant » et rachat de « Hytale »
Avec son jeu de carte en ligne « LoR », annoncé le 15 octobre 2019 à l’occasion de l’événement du dixième anniversaire de « League of Legends », Riot Games compte séduire les quelque 100 millions de joueurs de « LoL » et rivaliser ainsi avec le pionnier dans cette catégorie, « Hearthstone » d’Activision Blizzard. Plus que jamais au centre de l’arène des géants du gaming, l’éditeur cofondé en 2006 par Brandon Beck (alias Ryze) et Marc Merrill (alias Tryndamere), actuels coprésidents, se sent pousser des ailes. Avec « Valorant », son jeu de tir « à la première personne » (5) dont la version bêta fermée fait depuis le 7 avril un véritable carton sur Twitch (la plateforme de jeux en ligne d’Amazon), Riot Games lance ainsi un autre défi à Activision Blizzard (« Overwatch »), mais aussi à Valve (« Counter Strike »). Avant son lancement prévu l’été prochain pour ordinateurs et consoles, « Valorant » s’annonce comme le prochain blockbuster de Riot Games, tant a été élevée l’audience des chaînes permettant de suivre en live streaming les quelques happy few gamers ayant eu la chance d’obtenir les clés d’accès à la version pré-commerciale – avec un pic de plus de 1,7 million de spectateurs simultanés (6).
Riot Games vient en outre d’ajouter une corde à son arc en annonçant, le 16 avril dernier, l’acquisition de l’éditeur de jeux vidéo Hypixel Studios – un partenaire que l’éditeur de « LoL » conseille depuis près de deux ans. Mais le montant de l’opération n’a pas été dévoilé : 750 millions de dollars, comme l’avait évoqué le poisson d’avril (7) de l’an dernier ? D’origine canadienne et s’implantant aussi en Irlande du Nord à Londonderry (Derry), la société Hypixel Studios est en train de développer « Hytale », un jeu de construction par cubes de type « bac à sable » (8) concurrent de « Minecraft » du studio suédois Mojang – lequel fut racheté en 2014 par Microsoft pour 2,5 milliards de dollars. Les créateurs de « Hytale » (9) se sont inspirés de ce dernier après avoir créé il y a sept ans Hypixel, devenu l’un des plus populaires serveurs de « Minecraft » justement. Le lancement de « Hytale » auprès du grand public est prévu pour 2021, mais la version bêta a déjà enregistré plus de 2,5 millions d’inscriptions et plus de 56 millions de vues pour son trailer sur YouTube (10). Riot Games, qui compte aujourd’hui plus de 2.500 employés surnommés « Rioters » dans plus de vingt bureaux à travers le monde, renforce sa dimension internationale, tout en devenant ainsi éditeur multi-jeux. Nicolas Laurent, CEO de Riot Games, est en fait l’artisan historique du succès planétaire de « League of Legends ». Il a commencé sa carrière professionnelle en 2003 dans une filiale d’Orange, GOA (lancée par France Télécom), qui éditait un portail Internet francophone du même nom dédié aux jeux en réseau, free-to-play et multijoueurs, avant de disparaître il y a dix ans. C’est là qu’il a fait ses premières armes commerciales durant six ans. Nicolo confira plus tard qu’il consacra beaucoup de temps à jouer à « La Quatrième Prophétie » ou T4C (11), un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (dit Mmorpg) – médiéval-fantastique – développé il y a vingt ans par la société canadienne Vircom Interactive (également disparue). Orange/GOA en avait la licence d’exploitation pour la France jusqu’en 2002. Grâce à GOA, et après deux ans et demi à Paris, il a commencé à évoluer à l’international : six mois à Séoul (Corée du Sud) et trois ans à Dublin (Irlande).
Après GOA, Nicolas Laurent devient partenaire marketing et commercial de Riot Games en novembre 2009, tout juste un mois après la sortie de la phase bêta de « League of Legends ». Au bout de deux ans au service de « LoL », c’est Brandon Beck qui a proposé en 2011 à Nicolo d’intégrer Riot Games pour l’aider à diffuser LoL aux gamers du monde entier. Durant sept ans, le « Frenchie » assurera le développement international de l’éditeur de légende en s’installant d’abord à Los Angeles (où se situe son siège social) puis à Hong Kong (où il a installé le premier studio de développement international de Riot Games). « En dehors de nos fantastiques associés dans le Sud-Est asiatique et Taïwan (avec Garena) ainsi qu’en Chine (Tencent), j’avais réalisé que la meilleure façon d’offrir une réelle expérience de Riot Games était d’éditer “League of Legends” directement sur la plupart des marchés. Aussi, j’y suis allé sur un mode de frénésie internationale et j’ai commencé d’installer la présence de l’entreprise partout dans le monde ! Nous y sommes allés avec serveurs dédiés, marketing, e-sports, localisation, communauté, sites web, bureaux, équipes dédiées, etc. », raconte Nicolas Laurent sur son compte LinkedIn. Edition Multimedi@ n’a pas réussi à entrer en contact avec lui.

Nicolo, le « Frenchie » business-gamer
Tombé quand il était petit dans les jeux vidéo des années 1980, sur consoles Nintendo ou Sega puis sur ordinateurs, Nicolo n’a cependant jamais voulu être un artiste, ni même un créateur de jeux vidéo et encore moins un programmeur informatique. Son dada à lui, ce fut le business depuis sa formation à l’Essec mais en se faisant plaisir. C’est réussi. @

Charles de Laubier