Bataille du cloud : la Commission européenne pressée par OVH et Nextcloud d’enquêter sur Microsoft et d’autres

Après l’allemand Nextcloud, membre d’Euclidia, c’est au tour du français OVH, dont un dirigeant préside le Cispe, de faire savoir qu’il a aussi déposé plainte en 2021 auprès de la Commission européenne contre Microsoft accusé de favoriser ses services sur son cloud Azure. Margrethe Vestager va-t-elle lancer une enquête ?

Le groupe français OVH a porté plainte auprès de la direction générale de la concurrence (DG Competition) de la Commission européenne contre l’américain Microsoft pour abus de position dominante avec son service de cloud Azur. C’est ce qu’a révélé le 16 mars le Wall Street Journal (1), information confirmée le même jour, notamment auprès d’Euractiv (2). Le français du cloud n’est pas le seul à accuser la firme de Redmond de favoriser ses propres logiciels, dont la suite Office, dans son infrastructure nuagique Azur et de ne pas les rendre optimaux sur des plateformes de cloud concurrentes.
Selon les constations de Edition Multimédi@, OVH – société fondée en 1999 à Roubaix, dans le Nord de la France, par Octave Klaba (photo de gauche), son actuel président et principal actionnaire – est membre fondateur de l’association des fournisseurs de services d’infrastructure cloud en Europe (Cispe), où l’on retrouve parmi ses vingt-cinq membres le géant Amazon Web Service (AWS), le français Outscale (Dassault Systèmes), le finlandais UpCloud, le néerlandais Altus Host, l’italien Aruba.it ou encore l’espagnol Gigas. Cette coalition Cispe est présidée depuis sa création en octobre 2016 par Alban Schmutz, vice-président d’OVH en charge du développement et des affaires publiques. Elle est aussi par ailleurs membre fondateur de GaiaX, le cloud souverain européen.

Porter plainte présente des risques de représailles
Pour autant, ni le Wall Street Journal ni Euractiv ne mentionnent l’exitence de ce lobby Cispe, basé à Bruxelles, lequel prend acte le 17 mars des révélations du quotidien économique et financier américain concernant la plainte d’OVH mais, curieusement, sans nommer OVH ni dire qu’il est l’un des membres fondateurs de Cispe et qu’Alban Schmutz en est le président depuis près de six ans. De plus, la plainte d’OVH auprès de la Commission européenne remonte à l’été 2021 et n’est révélée que mi-mars et elle n’est pas la seule à avoir été déposée contre Microsoft car d’autres prestataires de cloud européens – dont les noms ne sont pas dévoilés – l’on fait de leur côté. Pourquoi tant de discrétion ? « Le communiqué du 17 mars ne mentionne aucun membre. OVHcloud, un des plaignants dans l’action en concurrence intentée à l’égard de Microsoft, est effectivement membre de notre organisation. Quant aux autre membres fournisseurs d’infrastructure en nuage européens qui auraient aussi déposé plainte, ils ont dû faire une demande express à la Commission européenne pour ne pas être cités. Du coup, il ne nous est pas possible de dévoiler leur identité. La crainte de représailles commerciales – à leur égard ou à l’encontre de leurs clients – semble être la raison motivant cette demande », nous a répondu le secrétaire exécutif du Cispe, Francisco Mingorance.

Microsoft, mais aussi Oracle et SAP
Des nuages noirs se forment et menacent le marché du cloud en Europe. « Il y a une tempête qui se prépare depuis un certain temps sur l’utilisation injuste des licences de logiciels par certains éditeurs de logiciels historiques pour contrôler le marché de l’infrastructure cloud. (…) Des recherches menées par des experts renommés, les professeurs Jenny (3) et Metzger (4), ont également mis en évidence la façon dont les sociétés de logiciels historiques, dont Microsoft, utilisent des conditions injustes pour restreindre le choix et augmenter les coûts, ce qui nuit aux clients et menace les propres fournisseurs d’infrastructures de cloud en Europe », a déclaré la coalition Cispe (5). Celle-ci a adressé le 7 février dernier à la vice-présidente de la Commission européenne en charge notamment du numérique, Margrethe Vestager, une lettre ouverte intitulée « Pourquoi le DMA [le Digital Markets Act, dont les négociations ont abouti le 24 mars, ndlr] ne protège pas (encore) le marché du cloud de l’UE ». La quarantaine de signataires tirent la sonnette d’alarme : « Sans clarification dans la DMA, il en résultera la poursuite des pratiques déloyales des contrôleurs de logiciels monopolistiques [monopoly software gatekeepers, dans le texte en anglais], y compris Microsoft, Oracle et SAP » (6).
Dans son communiqué du 17 mars, le Cispe souligne le fait que la plainte d’OVH est la troisième contre Microsoft à se faire connaître en dix-huit mois et la deuxième en un an, mais n’en cite aucun. Pourtant, outre le français OVH, l’un des deux autres plaignants ayant attaqué Microsoft s’est déjà fait connaître publiquement l’an dernier. Il s’agit Nextcloud. Dans une déclaration fin novembre 2021, ce prestataire de cloud allemand, basé à Stuttgart, a annoncé avoir été rejoint par « une coalition d’entreprises européennes de logiciels et de cloud » pour porter plainte formellement devant la Commission européenne afin de dénoncer « le comportement anticoncurrentiel de Microsoft en ce qui concerne son offre OneDrive (cloud) » et le fait que «Microsoft regroupe ses OneDrive, Teams et autres services avec Windows et pousse de façon agressive les consommateurs à s’inscrire et de remettre leurs données à Microsoft ». Résultat de cette pratique dite de self-preferencing : « Cela limite le choix des consommateurs et crée un obstacle pour les autres entreprises qui offrent des services concurrents » (7), s’insurgent les plaignants de cette « coalition pour un terrain de jeu équitable » emmenés par Nextcloud. Près d’une trentaine d’entreprises (8) ont répondu à l’appel de ce dernier, parmi lesquelles le français Linagora. Contacté par Edition Multimédi@, le PDG fondateur de Nextcloud, Frank Karlitschek (photo de droite), a confirmé que son entreprise fait par ailleurs partie d’une association différente de Cispe : « Nous sommes membre d’Euclidia (European Cloud Industrial Alliance), ainsi que de GaiaX et de l’Open Forum Europe. Quant à la plainte de la coalition, elle progresse bien. Il y aura des nouvelles bientôt ». Est-ce à dire que Margrethe Vestager va lancer prochainement une enquête autour des pratiques dans le cloud, notamment de la part de Microsoft ? « Je ne peux pas le confirmer malheureusement », nous a-t-il répondu.
Nextcloud, qui offre une plateforme de collaboration basée sur du logiciel libre et utilisant des solutions grand public comme Dropbox et Google Drive, s’inquiète des agissements de Microsoft dans le cloud qui rappellent l’éviction de la concurrence dans les années 2000 des navigateurs web concurrents d’Internet Explorer. « Nous demandons aux autorités antitrust en Europe de faire en sorte que les règles du jeu soient équitables, de donner aux clients le libre choix et de donner une chance équitable à la concurrence », exhorte la coalition menée par Nextcloud qui a déposé une plainte auprès de la DG Concurrence et « discute d’une plainte en France avec ses membres de la coalition ». Ce n’est donc pas un hasard si, en janvier 2022, l’Autorité de la concurrence s’est auto-saisie (9). Début 2021, l’entreprise de Frank Karlitschek avait également déposé auprès de l’autorité antitrust allemande, le Bundeskartellamt, une demande d’enquête contre Microsoft. Google et Amazon concernés eux aussi L’alliance Euclidia, basée à Bruxelles et réunissant une trentaine d’organisations (10), fait partie – avec European Digital SME Alliance (11), The Document Foundation (12), la Free Software Foundation Europe (13) – de la coalition ralliée à Nextcloud. « Euclidia soutient l’action en justice de Nextcloud pour mettre fin au comportement anticoncurrentiel de Microsoft sur le marché européen, et appelle à mettre fin à des comportements similaires par d’autres acteurs prédateurs comme Google et Amazon », avait déclaré le 26 novembre 2021 cette alliance, en mentionnant bien l’un de ses membres (Nextcloud) à l’origine de la plainte – contrairement au Cispe qui a tu le nom d’OVH. @

Charles de Laubier

Guerre de l’info : Russia Today et Sputnik contestent la décision de l’Union européenne de les censurer

Par un règlement et une décision, datés du 1er mars et signés par Jean-Yves Le Drian, l’Union européenne a interdit à tout opérateur télécoms, audiovisuel et plateforme numérique de diffuser ou référencer Russia Today (RT) et Sputnik. « Censure » et « atteinte grave à la liberté d’expression » dénoncent ces derniers.

« RT France a déposé un recours auprès du Tribunal de l’UE ; nous nous battrons jusqu’au bout pour ce que nous estimons être incontestablement une atteinte grave à la liberté d’expression », a écrit Xenia Fedorova, PDG de la filiale française de Russia Today, dans un tweet daté du 9 mars, soit le lendemain de l’annonce faite par le service de presse de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur ses comptes Twitter concernant cette saisine : « #RussiaToday (France) demande au #TribunalUE d’annuler la décision et le règlement du @EU_Council du 1er mars 2022 concernant les mesures restrictives liées aux actions de la #Russie déstabilisant la situation en #Ukraine (T-125/22) ».
L’Europe des Vingt-sept n’y est pas allée de main morte pour interdire deux groupes de médias, Russia Today (RT) et Sputnik. Dans la décision de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) du Conseil de l’UE, assortie de son règlement, tous les deux datés du 1er mars 2022 et signés par le Jean-Yves Le Drian (photo), la sentence tombe : « Il est interdit aux opérateurs de diffuser ou de permettre, de faciliter ou de contribuer d’une autre manière à la diffusion de contenus provenant [de RT et Sputnik], y compris par la transmission ou la distribution par tout moyen tel que le câble, le satellite, la télévision sur IP, les fournisseurs de services Internet, les plateformes ou applications, nouvelles ou préexistantes, de partage de vidéos sur l’Internet ».

« Actes non législatifs » européens sans précédent
Pour justifier sa décision radicale et sans précédent, le Conseil de l’UE affirme qu’« en faussant et en manipulant gravement les faits (…) ces actions de propagande ont été menées par l’intermédiaire d’un certain nombre de médias placés sous le contrôle permanent, direct ou indirect, des dirigeants de la Fédération de Russie » (3) pour laquelle « ces médias sont essentiels et indispensables pour faire progresser et soutenir l’agression contre l’Ukraine et pour la déstabilisation des pays voisins » (4).
Les deux « actes non législatifs », que sont cette décision PESC (5) et ce règlement de l’UE (6) quasi identiques, ont été adoptés à l’encontre de RT et de Sputnik sans débat ni vote du Parlement européen. Ils sont contraignants et sont entrés en vigueur dès le 2 mars, jour de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE). Imposées sur toute l’Europe des Vingt-sept, ces mesures restrictives obligent GAFAM (dont certains ont devancé l’appel), opérateurs télécoms et diffuseurs audiovisuels à suspendre, à déréférencer et à bloquer les médias et sites web édités par, d’une part, les entreprises Russia Today English, Russia Today UK, Russia Today Germany, Russia Today France, Russia Today Spanish, ainsi que, d’autre part, Sputnik (ex-RIA Novosti), issue de la réorganisation de l’agence de presse russe Rossia Segodnia (Rossiya Segodnya).

Xenia Fedorova (RT France) s’insurge
Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères en est le signataire car – la France présidant durant tout le premier semestre de cette année le Conseil de l’UE – ces deux « actes non législatifs » relèvent des affaires étrangères et de la politique de sécurité des Vingtsept. La réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE était donc présidée ce jour-là par Jean-Yves Le Drian. Mais c’est l’Espagnol Josep Borrell – vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (7) – qui a proposé cette sanction. A l’appui de l’interdiction faite à l’ensemble de l’écosystème numérique, télécoms et audiovisuel européen de diffuser les deux médias accusés de « désinformation » et de « propagande », les deux textes décrètent en outre que « toute licence ou autorisation de diffusion, tout accord de transmission et de distribution conclu avec [RT et Sputnik] sont suspendus ». Cette censure européenne devrait être maintenue « jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande » (8).
Contactée par Edition Multimédi@, la direction de la filiale française de Russia Today n’a pas mâché ses mots : « La décision de bannir RT France est arbitraire et ne repose sur aucune faute précise. RT France n’a jamais été sanctionnée par l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ex-CSA, ndlr] en plus de quatre ans à l’antenne et sa convention de diffusion avait été renouvelée pour quatre ans fin 2020 [et] sans qu’aucun manquement ne soit constaté ou même notifié ». Et d’ajouter : « Nous considérons que cette décision n’est pas fondée juridiquement et contrevient au principe de la liberté d’expression. Nous travaillons avec nos avocats sur les possibles recours ». Le média russe saisira-t-il aussi le Conseil d’Etat contre l’« application directe et immédiate » par l’Arcom en France – sans mise en demeure – de cette décision européenne ? Le régulateur français a en effet tiré sur le champ les conséquences des sanctions européennes, « qui ont notamment pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France », dit-il dans un bref communiqué (9). Depuis fin 2021, la France était le seul Etat membre de l’UE où Russia Today dispose d’une filiale employant 150 personnes, RT France, dont Xenia Fedorova (photo ci-dessous) est la PDG depuis plus de cinq ans. Elle vit désormais sous protection et une plainte a été déposée pour menace de mort. Outre le site web francais.rt.com (alias rtfrance.tv), la chaîne sur YouTube et le compte sur Facebook, la chaîne française de RT était diffusée jusqu’au 2mars sur les box d’Orange (canal 841), de Free (canal 362, ex-359) et sur le décodeur de Canal+ (canal 176 ou 180). RT France était également accessible sur le bouquet par satellite Fransat d’Eutelsat (canal 55) et d’autres opérateurs de satellite (SES, Astra), ainsi que sur les plateformes de chaînes Molotov et Watch-it, ou encore en streaming sur MyCanal de Canal+. Le média Sputnik News, lui, ne disposait pas d’une convention avec l’ex- CSA et n’était diffusé que sur Internet (fr.sputniknews.com) et les réseaux sociaux, dont ceux du groupe Meta (Facebook et Instagram). Sputnik a été lancé en France en 2014 en remplacement de la chaîne ProRussia, soit avant RT France qui fut créé en 2017. En réaction à l’annonce faite le 27 février par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (UVDL), sur l’interdiction en Europe de « la machine médiatique du Kremlin » accusée de « mensonges pour justifier la guerre de Poutine » et de « désinformation toxiques et nuisibles » (10), Sputnik (Rossia Segodnia) lui avait répondu : « Nous suggérons à l’Union européenne de ne pas s’arrêter à des demi-mesures mais d’interdire purement et simplement Internet » (11). Des internautes contournent le blocage de RT et Sputnik en recourant à des VPN (12) pour se connecter via une adresse IP située en dehors de l’UE.
L’Allemagne, elle, a suspendu dès le début de février toute distribution de RT en plus d’avoir obtenu en décembre dernier d’Eutelsat d’interrompre le signal de la chaîne russe diffusée à partir de la Serbie en profitant d’une convention européenne transfrontalière. Prenant acte de ces sanctions le jour de leur promulgation, l’Erga – le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, dont fait partie l’Arcom pour la France – s’est dit « unie » et s’est engagée à « contribuer à la mise en œuvre rapide et efficace des mesures » (13). Avant même le 27 février, jour de l’annonce des sanctions par UVDL, les régulateurs des médias de Lettonie, de Lituanie, de Pologne, de l’Estonie et de Bulgarie avaient déjà pris les devants en retreignant la transmission de « certains services de médias russes » sur leurs territoires respectifs.

FIJ et FEJ dénoncent « la spirale de la censure »
La Fédération internationale des journalistes (FIJ), basée à Bruxelles, et son pendant la Fédération européenne des journalistes (FEJ) ont le 4 mars dernier « déplor[é] la spirale de la censure dans le paysage médiatique européen ». D’autant que, en représailles, « les autorités russes ferment les médias indépendants en Russie » (14). Et le secrétaire général de la FIJ, de déclarer : « L’Union européenne, qui a contribué à cette nouvelle vague de répression en interdisant RT et Sputnik, a la responsabilité d’aider les médias et les journalistes russes indépendants ». En France, le SNJ – membre de la FIJ – avait lancé le 28 février : « On ne défend jamais la liberté en attaquant les journalistes » (15). @

Charles de Laubier

Le sud-coréen Samsung se réorganise pour rester le numéro un mondial des smartphones, devant Apple

Pour ne pas se faire rattraper par l’américain Apple ni par le chinois Xiaomi sur le marché mondial des smartphones, où il est premier, le groupe Samsung Electronics – filiale high-tech du chaebol sud-coréen – met les bouchées doubles : nouveaux modèles « S22 » plus puissants et nouvelle réorganisation.

Le Mobile World Congress (MWC) est de retour à Barcelone, du 28 février au 3 mars. Après deux années impactées par la pandémie, notamment par l’annulation de l’édition de 2020 (1), la grand-messe internationale de l’écosystème mobile (2) a bien lieu physiquement cette année dans la capitale de la région espagnole de Catalogne.
Parmi 1.500 exposants, le sud-coréen Samsung Electronics occupe une superficie équivalente à huit stands. Il n’en fallait pas moins pour le toujours numéro un mondial des smartphones, qui, selon le cabinet d’étude Omdia, en a vendus pas moins de 271,5 millions d’unités en 2021. En revanche, son rival américain Apple est physiquement aux abonnés absents comme le montre la liste des exposants du MWC (3). La marque à la pomme est le numéro deux mondial avec ses iPhone, lesquels se sont vendus l’an dernier à 236,2 millions d’exemplaires. Si le chinois Huawei – après les bâtons dans les roues que lui ont mis les Etats-Unis durant dix ans (4) – n’est plus en mesure, avec ses 35 millions de smartphones vendus en 2021, de disputer à Apple la seconde place mondiale, son compatriote Xiaomi, avec ses 190,2 millions d’unités vendues (5), est en bonne voie pour croquer la pomme. Apple et Xiaomi rêvent chacun de détrôner Samsung de son piédestal.

Nouvelle gamme et nouvelle gouvernance
Mais Samsung Electronics entend bien garder sa couronne et tenir à distance ses deux challengers. Lors de sa 53e assemblée générale annuelle le 16 mars prochain, sous la présidence de Jae-Wan Bahk (photo de gauche) qui va partir à la retraite, le géant sud-coréen entérinera sa réorganisation et de profonds changements dans son management de direction, afin d’être plus que jamais en ordre de bataille pour se maintenir sur le trône. Sans attendre l’ouverture du grand raout barcelonais, le fabricant des Galaxy a annoncé dès le 9 février trois nouveaux modèles de la gamme (S22, S22+ et S22 Ultra) où la photo, la vidéo, l’intelligence artificielle, le micro-processeur de 4 nanomètres et la 5G sont mis en avant. Depuis ce jour-là, les appareils sont en pré-commandes. Une nouvelle tablette est aussi mise sur le marché (Tab S8 Ultra), tandis que deux autres ont été mises à jour (Tab S8 et S8).

Jong-Hee Han devient l’homme fort
Le dimanche 27 février, soit la veille de l’ouverture du MWC à Barcelone, Samsung organise un show « Galaxy » pour montrer sa « nouvelle ère d’appareils mobiles connectés » pour le travail et l’apprentissage (6), tout en vantant l’utilité du stylet (S Pen) et son innovation des smartphones pliables (Z Fold et Z Flip). Certains médias spéculaient aussi sur le lancement tant attendu en milieu de gamme du Galaxy A53 (et d’autres nouveautés « A »). Samsung entend encore marquer les esprits avec de nouvelles innovations, comme il l’avait fait il y a plus de dix ans en lançant le Galaxy Note qui fut le premier « phablet » doté d’un grand écran 5,3 pouces et du stylet. Les modèles Note 20 and Note 20 Ultra sortis en août 2020 furent les derniers de la série best-seller, la firme de Séoul misant sur les smartphones pliables. Les fans de Note avaient exprimé leur déception.
La série « S » (S21, S22, …) prend le relais avec… l’emblématique S Pen sur le côté, également utilisable sur les tablettes Tab de la marque. Victime de son succès, le fabricant sud-coréen a cependant confirmé des retards dans le calendrier de livraison des nouveaux Galaxy S22. Par exemple, le smartphone le plus haut de gamme n’a pas pu être disponible le 25 février et pourrait accumuler du retard jusqu’au 15 mai pour certains modèles, sinon fin mars au plus tôt au lieu du 11 mars initialement prévu. « L’intérêt pour la série Galaxy S22 est à un niveau record avec un volume de pré-commande dépassant nos attentes », a-t-il été expliqué à PC Mag (7). Les problèmes qui perdurent encore dans l’approvisionnement en composants pèse aussi sur la production de la « Galaxy ». Malgré ces obstacles – rançon de la gloire pour le numéro un mondial –, Samsung s’attend à une demande forte en 2022, notamment sur ses modèles premium.
La filiale high-tech du chaebol de Séoul entérinera le 16 mars prochain, à l’occasion de son assemblée générale annuel, sa réorganisation annoncée en décembre dernier. Une nouvelle division a été créée, appelée Device eXperience (DX) et dirigée par Jong-Hee Han (photo de droite), promu vice-président. Après avoir dirigé la division téléviseurs de Samsung Electronics, ce dernier – qui aura 60 ans le 15 mars – se retrouve propulsé à la tête de la DX pesant 138 milliards de dollars de chiffre d’affaires (cumul 2021) et comprenant l’activité mobile et réseaux (IM (8)) et les appareils électroniques grand public (CE (9)), y compris les écrans de télévision dont il avait la charge (10). Cette nouvelle division englobe également les équipements numériques, de santé et appareils médicaux, dont les wearables (bracelets et montres connectées). Le but de cette fusion interne est de renforcer les synergies et d’accélérer le développement de produits, afin de ne pas se faire rattraper ni par Apple ni par Xiaomi. Parallèlement, la division Device Solutions (DS) – incluant les micro-processeurs et les mémoires pour un total de chiffre d’affaires 2021 de 104,6 milliards de dollars – change de patron en la personne de Kye-Hyun Kyung. Tandis que « Tae-Moon Roh, président et responsable de Mobile eXperience (MX), et Jung-Bae Lee, président et responsable de l’activité Mémoire – soit les cœurs de métiers respectifs des divisions DX et DS – se joindront également au conseil d’administrateur. En outre, (…) le groupe recommande (…) la nomination du nouveau directeur financier Hark-Kyu Park au poste de directeur général », détaille le document remis aux actionnaires pour la prochain AG du 16 mars (11). Jong-Hee Han devient, lui, l’homme fort de Samsung Electronics, succédant ainsi à Kim Ki-Nam (alias Kinam Kim) qui était depuis 2018 viceprésident et CEO de la division DS.
Cette réorganisation tourne aussi définitivement la page de l’ère « Lee Jae-Yong » (alias Jay Y. Lee), le petit-fils du fondateur du chaebol Samsung, qui fut propulsé à la tête de sa célèbre filiale électronique il y a près de dix ans, en décembre 2012 (12), avant de devoir en démissionner après avoir été condamné et emprisonné en 2017 pour corruption et détournement de fonds (13). L’héritier du groupe « trois étoiles » – c’est la signification en coréen de « Samsung » – a succédé à son père Lee Kun-Hee, décédé en octobre 2020, à la tête du chaebol et l’est encore malgré sa nouvelle condamnation prononcée en janvier 2021. Après qu’il ait été réincarcéré, le gouvernement sud-coréen lui a accordé une libération conditionnelle controversée. Samsung Electronics a totalisé l’an dernier un chiffre d’affaires global de 233,8 milliards de dollars (+ 18 % sur un an), dont 35 % réalisés en Amérique, 18 % en Europe, 16,3 % en Chine, 15,7 % en Corée et 15 % en Asie et Afrique. Ainsi, l’Europe a contribué à elle seule pour 42 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2021. Tandis que la rentabilité du groupe sud-coréen affiche un bénéfice net de 33,3 milliards de dollars, soit un bond de 51 % malgré la pandémie de coronavirus et la pénurie de composants.

Aussi n°1 mondial des semi-conducteurs
Mais Samsung Electronics a un autre atout : le groupe hightech fabrique aussi des semi-conducteurs et, selon le cabinet d’étude Counterpoint (14), il s’est même offert en 2021 la première place mondiale en y délogeant l’américain Intel grâce à la dynamique de ses ventes de circuits logiques et de mémoires (Dram et Nand flash). Alors que la pénurie de composants commence à se résorber, le marché des semiconducteurs a un bel avenir devant lui avec le déploiement de la 5G, l’engouement pour la réalité virtuelle et les métavers, le calcul haute performance ou encore la voiture connectée et autonome. @

Charles de Laubier

Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps.

Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite.
Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir.

WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming
« Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off.

SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix
Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ».
• WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+.
• Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus.

Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis
Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

Stéphane Richard joue les prolongations à la tête d’Orange, malgré sa condamnation dans l’affaire « Tapie »

PDG depuis près de onze ans d’Orange, Stéphane Richard ne quitte pas l’opérateur télécoms historique fin janvier. Il poursuit son mandat jusqu’à l’entrée en fonction, le 4 avril, de Christel Heydemann comme directrice générale. Et si un nouveau président n’est pas nommé d’ici le 19 mai, il pourrait rester jusqu’à cette date.

Stéphane Richard ne cessera pas d’être PDG du groupe Orange « au plus tard le 31 janvier 2022 ». En effet, contrairement à ce qui avait été prévu par le conseil d’administration du groupe réuni de façon extraordinaire le 24 novembre dernier, soit le jour-même de la condamnation de son président dans l’affaire « Tapie-Adidas », ce dernier va continuer à assumer ses fonctions jusqu’à l’arrivée – le 4 avril – de Christel Heydemann (photo) en tant que directrice générale de l’opérateur télécoms. Et si le nouveau président n’était pas trouvé d’ici là – présidence et direction générale étant désormais dissociées –, Stéphane Richard pourrait même rester au-delà – cette fois comme président non-exécutif. Et ce, jusqu’à l’échéance de son mandat initial le 19 mai – date de la prochaine assemblée générale – et afin d’assurer la passation de pouvoir dans de bonnes conditions. Cette période d’overlap (ou d’handover), comme disent les Anglo-saxons pour désigner cette transition délicate, devrait permettre à Orange d’opérer son changement de gouvernance sereinement et sans heurts. Fini donc le poste de PDG : Christel Heydemann (47 ans), choisie par Bercy et approuvée par l’Elysée, sera à la direction générale du groupe. Sa nomination est entérinée ce vendredi 28 janvier lors de la réunion du conseil d’administration, dont elle est membre, et encore sous la présidence de Stéphane Richard qui la soutient.

Christel Heydemann sera DG d’Orange au printemps
Reste à désigner une autre personne qui lui succèdera à la présidence du conseil d’administration. Sébastien Crozier (photo page suivante), à la tête depuis une quinzaine d’années du syndicat majoritaire CFE-CGC d’Orange et directeur du mécénat public du groupe, est le premier candidat déclaré – depuis mi-décembre – à cette présidence du conseil d’administration, dont il membre depuis fin 2017. Passée la surprise, son nom familier en interne s’est installé depuis dans le paysage des prétendants présidentiables à 450.000 euros (salaire maximum d’une entreprise publique) – parmi lesquels Pascal Cagni, ancien dirigeant Europe d’Apple et actuel président de Business France, Jean-Noël Tronc, ancien DG de la Sacem et ancien PDG de Canal+ Overseas, ou encore Jacques Aschenbroich, PDG de Valeo. Quatre anciens dirigeants exécutifs de France Télécom/Orange se sont aussi positionnés pour cette présidence : Nicolas Dufourcq, Vivek Badrinath, Bruno Mettling et Didier Quillot. Les statuts d’Orange limite à 70 ans l’âge pour l’exercice des fonctions de président du conseil d’administration ; il faut donc que l’impétrant ou l’impétrante (mais pas de femme en vue) ait moins de 66 ans pour assurer jusqu’au bout le mandat qui est de quatre ans pour tous les administrateurs d’Orange (président compris).

Sébastien Crozier, futur président ?
Sébastien Crozier (54 ans) a, lui, 28 ans de maison ; il est entré en 1994 chez France Télécom Multimédia et a participé dans la foulée au lancement de Wanadoo (avec un intermède entrepreneurial extérieur de 1997 à 2002). Contacté par Edition Multimédi@, le syndicaliste dirigeant nous confirme être plus que jamais candidat à la présidence d’Orange. « J’ai fait acte de candidature le 16 décembre, en présentant mon projet d’articulation pour l’avenir du groupe que je connais parfaitement, en France et à l’international, ayant aussi dirigé plusieurs filiales, notamment en Afrique et en Amérique Latine », nous confie-t-il. Stéphane Richard aurait accueilli sa candidature de façon plutôt favorable, en raison de ses compétences, en la considérant « atypique ». Il s’agit d’une candidature sans précédent pour un administrateur salarié et représentant du personnel.
En devenant directrice générale du groupe Orange, Christel Heydemann est, elle, la première femme à être nommée à sa tête depuis la création de France Télécom il y a 31 ans – société anonyme depuis un quart de siècle maintenant, devenue Orange en juillet 2013. Bien qu’elle n’ait jamais rempli de telles fonctions par le passé, celle qui est encore pour quelques semaines vice-présidente Europe de Schneider Electric n’est pas une inconnue chez Orange. Cooptée par Stéphane Richard qui l’a faite entrer au conseil d’administration en juillet 2017, elle est aussi membre du comité d’audit chargé du suivi du contrôle interne et de la gestion des risques (financiers, sociaux et environnementaux). L’Etat, qui est encore actionnaire à hauteur de 23 % du capital d’Orange tout en détenant près de 30 % des droits de vote (2), a réussi à imposer Christel Heydemann au détriment : d’un favori qui s’est finalement retirer, Frank Boulben, « Chief Revenue Officer » de l’opérateur télécoms américain Verizon, d’un outsider, Michel Paulin, directeur général d’OVHCloud, et d’une revenante, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions (écartée par l’Elysée afin de ne pas déstabiliser l’audiovisuel public en pleine campagne présidentielle). Des candidats en interne s’étaient aussi positionnés : Fabienne Dulac, directrice générale d’Orange France, Ramon Fernandez, directeur financier du groupe, et Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice générale adjointe Europe. « Les membres du comex [le comité exécutif du groupe, ndlr] qui se sont portés candidats à la direction générale du groupe, mais qui n’ont pas été retenus, devraient partir à court ou moyen termes, nous indique une source. Sans parler de ceux qui vont bientôt partir à la retraite comme Gervais Pellissier, directeur général délégué du groupe en charge des ressources humaines, et Alioune Ndiaye, directeur général d’Orange Afrique et Moyen-Orient ». Il y a aussi Helmut Reisinger, directeur général d’Orange Business Services (OBS), qui a quitté ses fonctions le 17 janvier dernier après avoir été débauché. « Quant à Béatrice Mandine, directrice de la commu-nication, de la marque et de l’engagement, elle s’est dite “au chômage” le jour de la condamnation de Stéphane Richard. Tandis que Nicolas Guérin, secrétaire général et bras armée du PDG partant, pourra difficilement garder sa position », nous indique-t-on. C’est dire que le remaniement du comex semble inéluctable après l’entrée en fonction de cette nouvelle direction bicéphale.
Le prolongement de Stéphane Richard au sein de la maison rassure en interne, même si Bercy (alias Bruno Le Maire) aurait préféré que le PDG condamné en appel parte aussitôt. Mais nécessité fait loi. Et la candidature de Sébastien Crozier est aussi perçue, si elle était retenue, comme un gage de stabilité. Christel Heydemann, bien qu’ayant passé quinze ans dans les télécoms (chez Alcatel racheté par Nokia), devra être cornaquée dans ses nouvelles responsabilités. Car être équipementier, ce n’est pas être opérateur… Initialement prévu le 24 janvier, le conseil d’administration avait finalement été reporté au 28 janvier pour se donner le temps de préparer les esprits à la nomination « étatique » de Christel Heydemann qui ne faisait pas consensus au sein des quinze membres du conseil d’administration. « Chez Orange, des administrateurs indépendants – dont elle fait partie depuis le 26 juillet 2017 aux côtés notamment de Alexandre Bompard, PDG de Carrefour – n’étaient pas très ravis de sa candidature », nous signale-t-on. Il s’agit aussi de bien régler la dissociation des mandats (présidence et direction générale).

Stéphane Richard clame son innocence
Du moins si Bercy et l’Elysée ne s’opposent pas aux prolongations de Stéphane Richard… « La temporalité par rapport à l’élection présidentielle ne facilite pas son maintien », convient un proche du dossier. D’autant qu’il faut choisir en amont les nouveaux administrateurs et déposer les résolutions de nominations un mois avant les votes de l’AG. Pour autant, Stéphane Richard n’est pas empêché. Le fait qu’il se soit pourvu en cassation rend sa condamnation du 24 novembre – à un an de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende pour « complicité de détournement de biens publics » (3) dans l’affaire « Tapie-CDR » (4) – non définitive. Et il reste présumé innocent. « Les accusations portées contre moi sont parfaitement infondées », avait-il encore martelé le 24 novembre dans un live vidéo (5) adressé en interne aux salariés du groupe : plus de 133.000 personnes dans le monde, dont plus de 64.000 en France, parmi lesquels 34 % de fonctionnaires. @

Charles de Laubier