Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange se fait désirer, jusqu’au 16 février 2023

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange, dont elle est la directrice générale depuis avril, se fait attendre. Initialement prévue d’ici la fin de l’année, voire dès cet automne, cette feuille de route de l’après-Stéphane Richard ne sera présentée qu’en février 2023. Ce qui alimente les inquiétudes en interne.

Lors de son baptême du feu devant les actionnaires d’Orange réunis en assemblée générale annuelle le 19 mai, soit 45 jours après sa prise de fonction en tant que directrice générale du groupe, Christel Heydemann (photo) avait dit qu’elle présentera son plan stratégique 2030 « d’ici la fin de l’année ». Il était même question de le révéler dès cet automne. « Plus le temps avançait, plus la date était repoussée », indique à Edition Multimédi@ une source en interne et proche de la direction. « C’est fin juillet qu’a finalement été retenue la date du 16 février 2023 pour présenter ce plan stratégique 2030, soit le jour de la publication des résultats annuels de l’exercice en cours », nous précise cette même source. Mieux vaut tard que jamais. Cette nouvelle échéance a été confirmée par Christel Heydemann le 25 octobre lors de la présentation de « solides résultats » pour le troisième trimestre (1). Les 136.566 salariés du groupe (au 30 juin 2022, dont les 47.009 en France) se focalisent, eux, plus sur le maintien de leur pouvoir d’achat que sur la réduction des coûts. Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’est tenu le 22 septembre, la nouvelle directrice générale d’Orange est intervenue pour (tenter de) rassurer représentants du personnel, syndicats et forces vives.

La cabinet Bain & Company, plume de la DG
D’après les promesses faites par Christel Heydemann lors de ce CSEC, le plan stratégique 2030 devrait être plus « humain » que comptable. Selon nos informations, c’est le cabinet américain de conseil en stratégie et management Bain & Company qui l’accompagne dans la rédaction de sa feuille de route. Mais pourquoi la directrice générale d’Orange a-t-elle remis à février 2023 la levée de voile sur sa stratégie plutôt que de le faire durant ce second semestre 2022 comme prévu initialement ? Un premier élément de réponse se trouve dans la nomination – annoncée le 23 septembre – de Caroline Guillaumin qui succèdera à Béatrice Mandine comme directrice exécutive de la communication du groupe Orange. « Elle accompagnera le déploiement du futur plan stratégique [2030] et jouera un rôle essentiel pour la communication auprès des salariés et de l’ensemble des parties prenantes externes du groupe », a indiqué la patronne d’Orange (2). Jusqu’alors directrice des ressources humaines de la Société générale, dont elle fut auparavant directrice de la communication de ce groupe bancaire, Caroline Guillaumin aura un rôle central à jouer chez l’opérateur télécoms historique où il faudra passer du plan stratégique « Engage 2025 » de Stéphane Richard au plan stratégique 2030 de Christel Heydemann.

Le double-jeu du président Jacques Aschenbroich
La DG prépare en outre sa communication « corporate » de 2023 cornaqué de Clément Léonarduzzi, vice-président de Publicis France et ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Rappelons que l’Etat français est actionnaire d’Orange, à hauteur de 22,95 % du capital (3), et compte trois administrateurs. En reculant la divulgation de son plan stratégique 2030, le temps notamment que sa « dir com» soit pleinement opérationnelle, Christel Heydemann prend le risque du flou industriel et de la démobilisation de ses troupes déjà marquées par le « climat de malaise » depuis l’AG de mai (4). Alors même que, sans avoir de feuille de route stratégie 2030, de multiples réorganisations ont déjà commencées au sein du groupe : dans la filiale « entreprises » Orange Business Services (OBS), dans la distribution digitale mais aussi physique (avec plus de 320 boutiques propriétés d’Orange et celles de Générale de téléphone), au niveau d’Orange Bank (cette néobanque à vendre), ou encore pour unifier les systèmes d’information des différents opérateurs télécoms du groupe (dans le monde).
« C’est une pagaille interne effroyable », nous confie-t-on. Les priorités stratégiques de la directrice générale Christel Heydemann ne sont pas les mêmes que celles du président non-exécutif du conseil d’administration Jacques Aschenbroich (photo ci-contre), en poste, lui, depuis le 19 mai. Ce dernier œuvre par exemple pour qu’Orange Bank – ex-Groupama Banque – soit cédée au plus vite au vu de son déficit chronique : selon nos calculs, près de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation depuis cinq ans qu’Orange consolide dans ses comptes ces « services financiers mobiles ». Mais Christel Heydemann, elle, serait plus pour trouver une alliance stratégique à Orange Bank. Dans le cadre de l’évolution de la direction d’Orange, elle a annoncé le 12 septembre la promotion au poste de DG d’Orange Bank de Stéphane Vallois, lequel a remplacé le 1er octobre Paul de Leusse dont il était jusqu’alors le délégué. « Stéphane Vallois sera chargé de continuer à développer Orange Bank dans la dynamique impulsée dans le cadre du futur plan stratégique », a-t-elle précisé. Orange Bank compte plus de 2,7 millions de clients, dont 845.000 en Afrique (5). Ironie de l’histoire : Stéphane Vallois est un ancien « Bainie », surnom désignant ceux qui ont travaillé chez Bain & Company, comme ce fut le cas aussi de Paul de Leusse. Ce cabinet international prête aujourd’hui main-forte à Christel Heydemann pour écrire son plan stratégique 2030 tant attendu. Ce cabinet américain, dont le siège mondial est à Boston, est un habitué de l’opérateur historique français : Orange Consulting, dirigé par Philippe Roger au sein d’OBS, s’appuie sur lui – y compris pour parler en 2017 d’« Humanité(s) Digitale(s) » (6). Plus récemment, Bain & Co a publié cet été une étude mettant en garde les « telcos », dont Orange : « L’inflation réduira d’au moins trois à cinq points de pourcentage les marges d’EBITDA [marge brute d’exploitation, ndlr] de la plupart des opérateurs télécoms au cours des deux prochaines années ». Et de leur recommander de prendre trois mesures pour notamment « réduire les coûts », à savoir : « obtenir une vue d’ensemble des dépenses, élever le directeur financier [Ramon Fernandez chez Orange, dont il est aussi directeur général délégué depuis 2018, ndlr] au niveau des quatre plus hauts dirigeants du groupe, et faire preuve de grande rapidité en capital-investissement pour repérer les occasions de créer de la valeur » (7). La réduction des coûts restera en tout cas la « raison d’être » comptable d’Orange dans le prolongement du plan stratégique « Engage 2025 », lequel poursuit « Scale up » qui est un « programme d’efficacité opérationnelle » lancé en 2019 pour atteindre 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Ramon Fernandez a indiqué le 25 octobre que déjà 600 millions d’euros d’économies nettes cumulées auront été réalisées à fin 2022.
Jacques Aschenbroich, lui, entend aussi imprimer sa marque au risque de marcher sur les plates-bandes de Christel Heydemann – voire d’être critiqué en interne pour « ingérence sur tout » (dixit notre source). N’a-t-il pas transformé le Comité innovation et technologie (CIT) en « comité stratégique » au risque de court-circuiter le conseil d’administration ? Le président de ce CIT est Frédéric Sanchez, un administrateur indépendant d’Orange et par ailleurs président de la société de services Fives, laquelle est un fournisseur de l’équipementier automobile Valeo… dont Jacques Aschenbroich est toujours président du conseil d’administration (après en avoir été le PDG jusqu’en janvier 2022). Cette double casquette en agace plus d’un, jusqu’à Bpifrance Participations, filiale de la banque publique d’investissement (bras armé financier de l’Etat actionnaire), qui souhaiterait voir le président d’Orange quitter enfin Valeo (8). Il se dit même que l’Elysée ne croit plus en Orange, lui préférant Iliad/Free comme opérateur européen en construction – Emmanuel Macron et Xavier Niel se connaissent bien depuis 2010 et s’apprécient.

2030, l’année fatidique de toutes les ruptures
Une chose est sûre, c’est qu’Orange aura muté d’ici la fin de cette décennie. D’ici 2030, Orange aura achevé l’extinction du réseau de cuivre historique qui est encore aujourd’hui largement utilisé pour l’ADSL ou le VDSL par 17 millions de foyers français (9). D’ici 2030, Orange aura arrêté la 2G et la 3G dans les pays européens. D’ici 2030, horizon fixé par l’ONU pour atteindre les ODD (10), Orange aura contribué à ce que chaque adulte dans le monde – y compris en France où l’illectronisme perdure (11) – ait un accès abordable aux réseaux numériques. D’ici 2030, Orange aura généralisé la 5G sur tout l’Hexagone. Last but not least : en 2030, Orange n’aura plus qu’une décennie pour être avec ses réseaux « net zéro carbone ». @

Charles de Laubier

Devenue en cinq ans la plus grande bourse mondiale de cryptomonnaies, Binance mise sur la France

Binance, numéro un mondial des plateformes d’échange de cryptomonnaies, s’est fait pirater début octobre. Le Sino-Canadien Changpeng Zhao, son PDG cofondateur devenu milliardaire, aurait sans doute rêvé meilleur événement pour les cinq ans de sa licorne. Qu’à cela ne tienne, il accélère et compte sur Paris.

Quand la plus grande plateforme mondiale d’échange de cryptomonnaies se fait pirater, en plus du krach des bitcoin, ether, ripple et autres dogecoin de cet été, cela n’augure rien de bon dans l’esprit du public pour l’avenir des monnaies numériques. Surtout qu’elles sont censées être sécurisées et certifiées par leur blockchain, ces réseaux décentralisés, cryptés et capables d’authentifier la détention et les échanges d’actifs numériques. Ainsi, Binance – le numéro un mondial de cette finance décentralisée (DeFi (1)) – s’est fait « hacker » dans la nuit du 6 au 7 octobre 2022. Le pirate a pu s’emparer de l’équivalent de 100 millions voire 110 millions de dollars sur le demimilliard de dollars que celui-ci comptait détourner en BNB (2), la cryptomonnaie de Binance. Celle-ci fonctionne sur la blockchain Binance Smart Chain (BSC) depuis septembre 2020, après avoir été lancée comme token sur Ethereum il y a cinq ans, au moment du démarrage de la plateforme d’échange de cryptomonnaies. Plus de peur que de mal pour cette licorne sans frontières – la start-up Binance n’est pas (encore) cotée mais elle est valorisée 300 milliards de dollars (3) – qui a réalisé l’an dernier plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires (4).

Piratage de Binance : deux « exploits » inquiétants
La cyberattaque a été rapidement circonscrite par la « suspension temporaire » de la blockchain BSC et la faille identifiée sur « un pont à chaînes multiples » (5). La majorité des fonds ont été « gelés », mais l’hackeur s’est évaporé dans le cyberespace avec au moins 100 millions de dollars dérobés. « Le problème est maintenant maîtrisé. Nous nous excusons pour les désagréments et nous vous fournirons en conséquence d’autres mises à jour », a twitté le PDG de Binance, Changpeng Zhao (photo), le 7 octobre au petit matin (6). Cette déconvenue pour Binance laissera des traces, au-delà de la forte chute du cours du BNB qui fut au pire moment de – 7,5 % par rapport au niveau le plus haut du 6 octobre (7). Surtout que ce n’est pas la première fois que Binance se fait pirater : un précédent « exploit » (8) s’est produit en mai 2019, avec un vol de 7.000 bitcoins d’un montant à l’époque de 40 millions de dollars (9). De tels incidents font désordre pour la plus grande bourse de cryptomonnaies au monde en volume. Forte actuellement de ses 90 millions d’utilisateurs, la fintech des cryptos nourrit des ambitions planétaires sans précédent et son patron lance un véritable défi à tout la finance internationale.

Un total de 1 milliard d’investissements en 2022
Se surnommant « CZ », ce Sino-Canadien (né et ayant grandi en Chine avant d’avoir la nationalité canadienne) a cofondé Binance il y a cinq ans à Singapour avec Yi He (photo ci-contre) – aujourd’hui directrice marketing (CMO) et depuis début août en charge aussi de l’incubateur Binance Labs gérant 7,5 milliards de dollars d’actifs (10). Malgré les embûches, la crypto-exchange continue d’aller de l’avant pour conforter sa place de leader, loin devant son rival Coinbase (11), qui est, lui, coté à la Bourse de New-York, au Nasdaq. La licorne de CZ est devenue le fleuron du « capitalisme Web3 » et affiche déjà des pics d’activité impressionnants : jusqu’à 100 milliards de dollars échangés en 24 heures, soit jusqu’à 7.700 milliards dollars négociés sur une année ! De quoi donner le tournis, même aux plus aguerris du trading. Depuis 2018, CZ est milliardaire et aujourd’hui – à 45 ans depuis le 10 septembre – sa fortune atteint (au 14-10-22) 17,4 milliards de dollars (12).
Dans un entretien à l’agence Bloomberg (13), publié le 7 octobre, CZ affirme que Binance pourrait dépenser sur l’ensemble de l’année 2022 plus de 1milliard de dollars dans des acquisitions et des investissements. Le numéro un mondial de l’exchange de tokens veut faire des emplettes pour accroître ses activités dans la DeFi, les NFT, le métavers, les jeux vidéo ou encore le e-commerce. Or, depuis janvier, seulement 325 millions de dollars ont été dépensés dans quelque 67 projets. Si le milliard était atteint, cela représenterait sept fois les dépenses de l’année 2021. Et encore, cela ne prend pas en compte deux investissements très en vue : le plus important est le projet de participer à la prochaine acquisition de Twitter par Elon Musk, opération dans laquelle Binance prévoit d’injecter 500 milliards de dollars ; le second, déjà envisagé en février dernier mais reporté, consiste à investir 200 millions de dollars dans Forbes Media, l’éditeur américain du plus que centenaire magazine économique. Et ce, via une Spac (14) – sorte de « coquille vide » boursière permettant de lever des fonds en Bourse et baptisée Magnum Opus Acquisition.
La participation minoritaire dans Twitter pourrait se concrétiser dès que le patron de Tesla et de SpaceX aura jeté son dévolu sur la firme à l’oiseau bleu. Concernant Forbes Media et son projet d’introduction en Bourse accompagné par Binance, lequel apportait aussi son expertise dans les cryptomonnaie, la blockchain et le Web3 dans des contenus éditoriaux du célèbre titre (lu par 150 millions de personnes dans le monde), ce n’est que partie remise comme l’avait confirmé Forbes Media le 1er juin (15). Avec CoinMarketCap, le site web d’information de référence sur les cryptomonnaies et 543e site web le plus visité au monde avec 120 millions de visiteurs par mois (16), Binance a fait en avril 2020 sa première acquisition de taille. A qui le tour ? « Binance Labs gère actuellement des actifs pour un total de 7,5 milliards de dollars, ce qui en fait la plus grande société de capital de risque en cryptoactifs de l’industrie », déclare l’incubateur qui finance plus de 180 projets liés au Web décentralisé (blockchain) et à la crytographie. Autant de start-up dont certaines pourraient tomber dans son escarcelle. CZ se focalise notamment sur l’Europe et plus particulièrement sur la France où il a déclaré lors du Paris Blockchain Week Summit (PBWS) le 13 avril 2022 : « We love France » ! Il y a annoncé vouloir investir 100 millions d’euros en France justement, dans le cadre de son projet « Objectif Lune » (Moon Objective) lancé en novembre 2021, avec la bénédiction de Cédric O, alors secrétaire d’Etat chargé du Numérique, et le partenariat de l’incubateur de startup Station F créé par Xavier Niel (il y a cinq ans comme Binance). Et ce, au moment de la création de Binance France SAS domiciliée à Montrouge et présidée par David Prinçay. A l’instar de Binance US, l’entité distincte aux Etats-Unis (BAM Trading Services Inc., enregistrée dans le Delaware), la société française n’a pas de lien juridique avec Binance Asia Services (BAS) à Singapour. BAS a d’ailleurs dû fermer sa plateforme en février dans ce pays pour pivoter en hub de blockchain.
CZ avait indiqué au printemps qu’il avait choisi la France – à la crypto-régulation plus accueillante – comme « rampe de lancement pour l’Europe » et en faire de l’Hexagone « le coeur de la communauté crypto européenne ». CZ s’est ainsi « engag[é]à construire et soutenir un écosystème fort autour de la blockchain, du Web3 et des métavers » (17). Le mois suivant, le 4 mai dernier, Binance obtenait en France son statut de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), véritable sésame délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF). De là à faire de Paris la domiciliation de son futur siège social (européen ou mondial) voire la place financière de sa cotation en Bourse envisagée, il n’y aurait qu’un pas.

Paris, tête de pont pour l’Europe voire le monde
La fintech du Web3 a franchi une étape supplémentaire durant la Binance Blockchain Week (BBW) qui s’est tenue à Paris mi-septembre dernier, où Changpeng Zhao a rencontré Jean-Noël Barrot, le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications (18). « Nous avons aujourd’hui 150 personnes à Paris et nous prévoyons d’en embaucher environ 200 autres d’ici la fin de l’année », a indiqué le Sino-Canadien, plus francophile que jamais. Selon nos informations, un directeur général de Binance France pourrait être recruté d’ici la fin de l’année. Durant ce même BBW dans la capitale française, Binance s’est constitué un conseil mondial d’experts (Global Advisory Board), présidé par Max Baucus, ancien sénateur américain et ambassadeur en Chine. Le haut fonctionnaire français Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor à Bercy, en est un des membres. Après le crypto-krach du marché des cryptos, surnommé « l’hiver crypto », Binance – adoubé par la France – veut montrer pattes blanches aux régulateurs financiers du monde entier. @

Charles de Laubier

Haute-qualité musicale : Qobuz fête ses 15 ans et franchit pour la première fois le demi-million de clients

La plateforme de musique en ligne Qobuz, dont la société fut cofondée le 18 septembre 2007 par Yves Riesel et Alexandre Leforestier, a 15 ans. Sa persévérance à se différencier des Spotify, Deezer et autres YouTube – avec du son haute-fidélité – commence à payer : les 500.000 clients viennent d’être dépassés.

Qobuz passe un cap, quinze ans après sa création. « Nous avons dépassé le seuil des 500.000 clients », indique à Edition Multimédi@ le directeur général délégué de Qobuz, Georges Fornay (photo de gauche). La société Qobuz – cofondée le 18 septembre 2007 par Yves Riesel (1) et Alexandre Leforestier en tant que filiale à l’époque de LyraMedia- Group (2) – est devenue en décembre 2015 une division du groupe Xandrie dirigé par Denis Thébaud (photo de droite), à la suite de son rachat (3). C’est la première fois que la plateforme française de musique de haute qualité, dont la toute première mise en ligne date de Noël 2007, franchit le demi-million de clients. Mais là n’est pas l’important pour elle. « En termes de chiffres, nous ne les communiquons pas. Nous sommes sur un marché de niche et nous entendons y rester. Nous ne sommes pas dans la course au volume d’abonnés à n’importe quel prix pour proposer la même offre que les plateformes concurrentes », explique Georges Fornay. Inutile donc de comparer son parc de clients avec les 188 millions d’abonnés de Spotify ou les 9,4 millions de Deezer, car Qobuz s’adresse d’abord aux passionnés de musique et exigeants sur la qualité du son qu’ils écoutent. En revanche, la taille de son catalogue – plus de 80 millions de titres de jazz, de classique, de rock ou de musiques du monde – est comparable à celle des autres grandes plateformes musicales..

Qualité sonore et ARPU : Qobuz en tête
A ceci près que les musiques sur Qobuz sont disponibles – en streaming ou en téléchargement – dans la meilleure qualité sonore possible : soit en haute résolution « Hi-Res » (24 bits jusqu’à 192 Khz), soit en qualité « CD » (16 bits à 44,1 Khz). Rien à voir (ou plutôt à entendre) avec le piètre format MP3 (à 320 Kbits/s). Ce qui fait de Qobuz la plateforme musicale la plus riche en termes de catalogue éclectique de titres musicaux au son « haute-fidélité », devançant sur ce terrain-là les Spotify, Deezer et autres Apple Music. « Plus beau est le son, plus grande est l’émotion musicale », assure-t-elle. Et la généralisation de la fibre optique et bientôt de la 5G plaide en faveur du retour du son hi-fi des années 1980 et 1990 qu’Internet nous a privé (4). « Notre revenu moyen par abonné payant (ARPU) en 2022 est de 155 euros sur l’année, alors que la moyenne du marché mondial est de 25 euros selon les données de l’IFPI l’an dernier. Un abonné à Qobuz rapporte plus de six fois le chiffre d’affaires d’un abonné du marché », se félicite Georges Fornay.

75 % des revenus réalisés à l’international
Ceux qui se sont abonnés à Qobuz savent pourquoi ils paient 12,50 euros par mois (avec un engagement pour un an, sinon 14,99 euros par mois sans), ou jusqu’à 24,99 euros par mois (pour une famille de six comptes). La qualité sonore et la richesse du catalogue sont au rendez-vous et les contenus éditoriaux – plus de 500.000 textes à ce jour – sont produits par une équipe dédiée et experte (chroniques d’albums, nouveautés et talents émergents, bancs d’essai, biographies d’artistes, articles de fond, interviews, rappels historiques, …). Et en plus de streamer en illimité et en hifi, les abonnés peuvent acquérir à l’acte dans la boutique de téléchargement leurs albums préférés en qualité Hi- Res ou CD. Si le client n’est pas abonné à Qobuz, l’audiophile peut quand même se les offrir à l’unité : les prix d’achat des fichiers numérique haute résolution vont de 5 euros à plus de 50 euros. Pour obtenir ces même albums hi-fi jusqu’à 60 % moins cher, Qobuz a prévu un abonnement dit « Sublime » incluant le streaming hi-fi et l’accès à prix préférentiel au téléchargement (de 16,67 euros par mois, jusqu’à 29,17 euros pour une famille). Résultat : les clients de Qobuz sont plus enclins à mettre le prix pour obtenir de la haute qualité sonore et satisfaire leur passion.
La plateforme musicale française, qui nous indique un taux de croissance annuelle moyenne en valeur de 29,7 % sur le streaming payant et de 13,6 % pour le téléchargement (malgré le déclin de ce marché), explique notamment cette performance par son positionnement haut de gamme et par sa présence dans les pays à fort pouvoir d’achat. « Au cours des douze derniers mois, nous avons doublé notre extension dans de nouveaux pays. Ces couvertures se font toujours de manière qualitative en intégrant, en plus de nos 80 millions de titres, les catalogues locaux ». Ainsi, Qobuz est actuellement présent dans vingt-cinq pays. Derniers en date, depuis mai 2022 : Brésil, Mexique, Argentine, Chili, Colombie et Portugal. Un an auparavant : Suède, Norvège, Danemark, Finlande, Australie et Nouvelle-Zélande. En octobre 2021, Xandrie – société éditrice de Qobuz – a fait l’acquisition au Japon du service de téléchargement de musique haute résolution e-onkyo music. Le groupe nippon Onkyo basé à Osaka, vétéran des amplificateurs hi-fi haut de gamme et diversifié dans le home cinema, le lui a cédé après avoir fait faillite en mai dernier (Voxx et Sharp ayant racheté d’autres de ses actifs). La filiale Xandrie Japan, dont Onkyo détient 14,9 % du capital, permet à Qobuz de s’implanter au pays du Soleil-Levant et de viser le marché asiatique, tout en enrichissant son catalogue de musiques japonaises et de genres musicaux tels que la J-Pop. Rappelons que Qobuz est licencié « Hi-Res Audio » depuis 2013 par la Japan Audio Society (JAS), laquelle fut fondée il y a 70 ans (5) par l’écrivain japonais francophile Kenzo Nakajima et Masaru Ibuka, le cofondateur de Sony.
Les premiers pas à l’international de Qobuz ont commencé en mars 2016 avec le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg et les Pays- Bas, suivis en décembre 2017 par l’Espagne et l’Italie, puis les Etats-Unis à partir de février 2019. « Qobuz réalise 75% de son chiffre d’affaires à l’international, les Etats Unis étant le premier pays en termes de revenus », nous indique Georges Fornay. Au Canada, Xandrie a un partenariat de longue date avec le groupe de médias et de télécoms Québecor, lequel s’appuie sur le savoir-faire technologique de Qobuz pour sa propre plateforme canadienne « Qub musique » lancée en mai 2020 (6) et dirigée par le Québécois Marc-André Laporte. Et l’expansion internationale de Qobuz n’est pas finie, avec à la clé un potentiel de plusieurs millions de mélomanes, de jazzophiles et d’amoureux de musiques du monde par-delà les frontières. La plateforme ne tire-t-elle pas son nom de kopuz (ou kobyz) désignant des instruments de musique traditionnelle d’Asie centrale ?
Également PDG de la société de distribution de produits électroniques et logiciels Innelec Multimédia, Denis Thébaud, et Georges Fornay, fort de plus de quinze ans passés chez Sony Computer Entertainment (1995-2011), sont confiants pour l’avenir de Qobuz au sein de Xandrie. Créée il y dix ans, cette société – dont le nom est un clin d’œil à la bibliothèque d’Alexandrie créée sous l’Antiquité – est contrôlée par Nabuboto, la holding personnelle de Denis Thébaud, et détenu à 0,98 % par son entreprise Innelec Multimédia cotée, elle, en Bourse.

Chiffre d’affaires : 29,2 millions d’euros
Selon le rapport financier 2021/2022 qu’Innelec Multimédia a présenté lors de son assemblée générale le 21 septembre dernier, le chiffre d’affaires de Xandrie était sur cet exercice clos le 31 mars dernier de 29,2 millions d’euros, en forte hausse de 37,8 % sur un an. Son résultat net, lui, reste négatif (8,9 millions d’euros de pertes). « Les perspectives sont favorables et Xandrie poursuit sa marche vers la profitabilité », assure le groupe. Depuis l’acquisition de Qobuz, Xandrie a levé quelque 22 millions d’euros, notamment par augmentations de capital auprès (selon les opérations) de Nabuboto, d’Innelec Multimédia ou encore du canadien Québécor. @

Charles de Laubier

Jeux vidéo : pour le champion français Ubisoft, la souveraineté numérique passe par le chinois Tencent

A l’heure où le gouvernement français et l’Europe ne jurent que par la souveraineté – notamment numérique – depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, les frères Guillemot, eux, ouvrent un peu plus le capital de leur groupe Ubisoft au géant chinois Tencent. La firme de Shenzhen achètera-t-elle la major française du jeux vidéo en 2030 ?

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n’a rien trouvé à redire au fait que le géant tentaculaire chinois Tencent ait augmenté son emprise sur la pépite française du jeu vidéo Ubisoft. A croire que la souveraineté numérique ne concerne en rien le 10e Art. La firme de Shenzhen détenait depuis mars 2018 une participation de 5 % dans le capital du groupe des « Guillemot Brothers », où il est entré en tant qu’ « actionnaire de long terme » mais en promettant de ne pas aller au-delà de ces 5 % avant 2023.
Cette sinophilie s’est renforcée avec le feu vert donné à Tencent par le conseil d’administration d’Ubisoft d’augmenter – d’ici l’an prochain – sa participation directe (4,5 % suite à dilution) dans le groupe français à quasiment 10 % (précisément 9,9 %). Mais « Tencent ne pourra augmenter sa participation dans Ubisoft au-delà de 9,99 % du capital et des droits de vote d’Ubisoft avant 8 ans », précise cependant le groupe breton (1). Autrement dit, à partir de 2030, la famille Guillemot pourrait – si elle en décidait ainsi – vendre son entreprise créée il y a 36 ans au chinois Tencent. Le champion français du jeu vidéo, coté en Bourse depuis 1996 et valorisé aujourd’hui plus de 4,3 milliards d’euros (au 15-09-22), tomberait alors dans l’escarcelle du premier conglomérat multimédia de l’Empire du Milieu (Tencent pesant 86,8 milliards de chiffre d’affaires en 2021, contre 2,1 milliards pour Ubisoft).

Tencent, futur acquéreur d’Ubisoft en 2030 ?
A moins que la famille Guillemot ne cède entre 2022 et 2030 Ubisoft à un autre prétendant, sans avoir besoin de l’accord du chinois. « Nous sommes ravis d’étendre notre engagement avec les fondateurs, la famille Guillemot, Ubisoft continuant de développer des expériences de jeu immersives, et de porter sur mobile plusieurs des franchises AAA les plus connues d’Ubisoft », a déclaré enthousiaste le Chinois Martin Lau (photo), alias Lau Chi Ping, président de Tencent Holdings Limited. La maison mère de ce géant est cotée à Hong-Kong (367,4 milliards d’euros de capitalisation au 15-09-22) et enregistrée aux Iles Caïmans (l’un des plus célèbres paradis fiscaux). Cette emprise chinoise sur l’une des plus grandes réussites françaises qu’est Ubisoft illustre les limites de la « souveraineté industrielle et numérique » de la France face à la mondialisation des capitaux en général et à la concurrence planétaire des industries culturelles en particulier.

Les Guillemot dans l’œil du cyclone
Pourtant, pas plus tard qu’au premier jour de l’été dernier, pour inaugurer l’Assemblée numérique (2) qui était organisée par la Commission européenne et la présidence française de l’Union européenne, Bruno Le Maire, ministre de la Souveraineté, avait prévenu : « Il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique sans entreprises de technologie européennes, puissantes de rang mondial ». Cela suppose, avait-il poursuivi, de « financer la croissance de [ces] entreprises ». En l’occurrence, la major française du jeu vidéo Ubisoft n’aurait-elle pas pu par exemple bénéficier du plan « Scale-up Europe » (3) qu’Emmanuel Macron a lancé en mars 2021 en lien avec la Commission européenne et les autres Etats membres ?
Edition Multimédi@ n’a pas eu de réponse de Bercy à ce sujet. Quoi qu’il en soit, le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot n’exclut pas de vendre un jour le groupe familial. « S’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », avait-il déclaré lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier (4). Ce n’est pas la première fois qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt – avait lancé une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins » ou encore « Tom Clancy’s », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft. Si le groupe de Vincent Bolloré – Breton comme les Guillemot – a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 à Ubisoft face à la résistance des « Guillemot Brothers » (5). Dans la foulée, le chinois faisait son entrée au capital de l’éditeur français de jeux vidéo, en tant qu’actionnaire minoritaire mais « de long terme » (6) Avec sa filiale Tencent Games qui dépend de sa holding Tencent Interactive Entertainment, la firme de Shenzhen est numéro un en Chine dans les jeux vidéo – notamment avec sa marque QQ qui est au gaming (7) et à la musique (8) ce que son autre marque amirale WeChat est aux réseaux sociaux. Mais l’Empire du Milieu ne lui suffit pas ; ses pions avancent en Occident. Tencent est déjà pleinement propriétaire depuis 2015 de Riot Games, l’éditeur américain de « League of Legends » (9). Le chinois du divertissement contrôle aussi le finlandais Supercell depuis 2019 et détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, et 5% du suédois Paradox Interactive (10). Tencent fait tout pour se renforcer dans Ubisoft, au point d’être perçu par certains comme le candidat « naturel » à la reprise du français le moment venu, n’en déplaise aux tenants de la souveraineté industrielle et numérique. Pour l’heure, dans leur communication du 6 septembre, le groupe des cinq frères Guillemot (11) présente implicitement l’investisseur chinois comme un cheval blanc venu les protéger contre toute OPA hostile. Et ce, au moment où le marché mondial du jeu vidéo est en pleine consolidation : Microsoft attend les feux verts des autorités antitrust pour finaliser d’ici 2023 la méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée en janvier pour 68,7 milliards de dollars (12). En 2021, la firme de Redmond s’était emparée de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks (13) et d’autres studios de jeux vidéo, pour 7,5 milliards de dollars. Cette année, Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga (14) pour 11 milliards de dollars, Sony sur Bungie pour 3,6 milliards de dollars. Tencent, qui dispose avec Ubisoft d’une cible de choix, est présenté par les Guillemot comme un bouclier contre les autres prétendants.
Outre sa future participation directe de 9,99 % dans Ubisoft, le chinois a été invité au capital de la holding familiale basée à Londres, Guillemot Brothers Limited (« GB Ltd »), et d’y agir « de concert » avec « Le Club des cinq » frères. « L’élargissement du concert avec Tencent renforce l’ancrage de l’actionnariat de référence d’Ubisoft autour de ses fondateurs et lui offre une stabilité essentielle pour son développement à long terme » a assuré Yves Guillemot. Ainsi la firme de Shenzhen prend – dès maintenant cette fois – une participation de 49,9 % du capital de GB Ltd, que préside son frère Christian Guillemot, et 5% des droits de vote, moyennant 300 millions d’euros (15). De plus, Tencent accorde à GB Ltd « un prêt long terme » pour permettre à cette holding de « refinancer sa dette » et de lui apporter des « ressources financières supplémentaires utilisables pour monter au capital d’Ubisoft ». A l’issue de cette opération financière sino-française, la famille Guillemot détiendra 15,4 % du capital du groupe Ubisoft Entertainment (contre 15,8 % auparavant) avec 20,8 % des droits de vote (contre 22,1 %). Ubisoft a chuté en Bourse ; le titre ne serait plus « spéculatif ». Vraiment ?

Tenter de tenir à distance Tencent
Et pour assurer qu’ils sont encore maîtres chez eux, à défaut d’être « souverains », les frères bretons indiquent que « Guillemot Brothers Limited reste exclusivement contrôlée par la famille Guillemot. Tencent ne sera pas représentée au conseil d’administration et n’aura aucun droit d’approbation ou de véto opérationnel ». Tandis que « la gouvernance d’Ubisoft est préservée à l’identique et Tencent n’aura aucun droit de veto opérationnel » (16). Les Guillemot gardent encore la main, mais la souveraineté numérique d’Ubisoft prend des allures franco-chinoises. @

Charles de Laubier


Ebra – 1er groupe de presse régionale – lance la « saison 2 » de son redressement, avant d’être revendu à LVMH ?

Propriété du Crédit Mutuel, le groupe de presse régionale Ebra – incontournable dans l’Est de la France – entame la seconde phase de son plan de redressement après cinq ans de restructuration. Philippe Carli, son président depuis le 18 septembre 2017, est toujours à la manœuvre. Et après ? Il a répondu à EM@.

Cela fera cinq ans le 18 septembre que Philippe Carli (photo) a succédé à Michel Lucas à la présidence du groupe de presse régionale Est Bourgogne Rhône Alpes (Ebra), dont l’unique actionnaire est le Crédit Mutuel depuis septembre 2009. Ancien dirigeant du groupe Amaury durant cinq ans (2010-2015), Philippe Carli, partageait avec son prédécesseur un même passé informatique, tous les deux ayant travaillé chez Siemens, mais à des époques différentes – dans les années 1960 pour l’ancien dirigeant, dans les années 2000 pour son successeur.
Le discret banquier surnommé « Draluca » – Breton d’origine, Alsacien d’adoption – est décédé en décembre 2018, soit quinze mois après la passation de pouvoirs. Avant de prendre la direction du groupe Ebra qui édite Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, Vosges Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), L’Alsace, Le Bien Public, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès et Le Dauphiné Libéré (1), Philippe Carli avait été appelé en tant que consultant extérieur par Michel Lucas et par Nicolas Théry, l’actuel président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale (la maison mère de la banque mutualiste), pour faire un audit de ce pôle presse alors sérieusement déficitaire. Il y a six ans, le groupe Ebra perdait entre 50 et 60 millions d’euros par an, tout en accusant un certain retard dans la numérisation de ses neufs journaux.

En 2015, Carli vendait Le Parisien à LVMH
L’ancien dirigeant du groupe Amaury avait à son crédit d’avoir mené à bien un plan d’économies au quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France et organisé sa cession – intervenue en octobre 2015 (régie publicitaire et imprimerie comprises) – au géant du luxe LVMH de Bernard Arnault (2), déjà propriétaire du quotidien Les Echos depuis 2007. C’est à se demander si Philippe Carli (62 ans) ne pourrait pas négocier à nouveau avec Bernard Arnault (73 ans), cette fois en vue de lui céder un groupe Ebra assaini.
Le PDG multimilliardaire – première fortune française (3) et troisième mondiale (4) – s’intéresse à la presse régionale (5). Bernard Arnault partageait par ailleurs avec Michel Lucas la passion de la musique classique. Edition Multimédi@ a soumis au patron d’Ebra cette hypothèse de cession à LVMH. « Le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale a exprimé sa volonté de conserver son pôle presse sous réserve de sa profitabilité. Compte tenu des résultats obtenus, cette volonté a été à nouveau confirmée lors des derniers conseils d’administration de la banque », répond Philippe Carli. Il poursuit donc le redressement du premier groupe de presse quotidienne régionale. « La seconde phase du plan est de cinq ans, avec une stratégie du groupe plus tournée vers le développement. L’objectif général est de conserver des rédactions fortes tout en développant les contenus audiovisuels [notamment via ses filiales Est Infos TV et Ebra Prod, ndlr] et l’engagement », nous explique-t-il.

Plateforme de e-commerce lancée d’ici fin 2022
Le plan d’économies et de restructuration est entré dans sa « saison 2 », selon la propre expression de Philippe Carli et de Nicolas Théry (photo ci-contre), président du Crédit Mutuel. Cette seconde phase est engagée depuis le début de l’année : chaque titre doit maintenant trouver sa propre rentabilité. Cela passera par l’organisation d’événements sportifs, de salons voire de foires, mais aussi par le lancement d’une plateforme de ecommerce commune aux titres. « La plateforme de marché devrait être lancée avant la fin de l’année. Elle nous permettra de mieux commercialiser l’ensemble de nos offres horspresse et d’éditions ainsi que d’étendre nos services auprès des PME régionales », nous explique le président d’Ebra. Le pôle presse du Crédit Mutuel veut aussi que l’ensemble des rédactions deviennent toutes « Digital First » (6). « Nous restons sur l’objectif de 100 000 abonnés à fin décembre. Objectif qu’il me semble encore possible d’atteindre », indique Philippe Carli. Lors de son audition au Sénat en janvier 2022 devant la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France, il avait précisé que le groupe avait investi « plus de 40 millions d’euros pendant la “saison 1” pour remettre à plat [ses] sites Internet, [ses] applications (mobiles), produire des contenus adaptés aux usages, etc. ». En outre, des négociations sont en cours avec les syndicats pour le reversement aux journalistes des droits voisins collectés auprès de Google et de Facebook.
Pour étoffer son audience Internet, déjà forte de 17,5 millions de visites par jour, le groupe Ebra s’est emparé au printemps dernier de la société de presse en ligne Humanoid, éditeur de Numerama, Frandroid et deMadmoizelle. « Les récents investissements réalisés comme le rachat d’Humanoid montrent aussi que la banque est prête à accompagner Ebra pour son développement », assure Philippe Carli. Quant aux régies publicitaires Ebra Médias Alsace et Ebra Médias Lorraine/Franche-Comté, elles peuvent jouer la carte de la régie globale Ebra Médias en « 360° (print-digital-events) », avec ciblages et brand content (7). « Nos titres ont la capacité de financer eux-mêmes leur croissance », avait assuré Philippe Carli aux sénateurs. Son actionnaire – sans lequel la majorité des titres du groupe auraient disparus – exige justement « que cette activité soit à l’équilibre et puisse financer son développement, pour que les sociétaires du Crédit Mutuel ne se retrouvent pas tenus de combler des pertes ». Sinon…
En attendant, la « saison 1 » du redressement du groupe Ebra fut conduite « avec succès », d’après Nicolas Théry. Philippe Carli avait remis son audit d’Ebra en avril 2017 en convainquant le Crédit Mutuel de ne pas céder sa presse régionale contrairement à ce que la banque mutualiste songeait à faire. Banco ! L’ex-patron d’Amaury fut embauché en juin 2017 pour diriger tout ce pôle presse, avec pour mission délicate de le redresser afin d’être à l’équilibre financier fin 2020. « Cet objectif a été atteint avec trois mois de retard du fait du covid-19, ce qui constitue une superbe performance. Le résultat d’exploitation du groupe de presse est désormais positif », s’est félicité Nicolas Théry lors de son audition.
Ces cinq premières années de restructuration des journaux et de rationalisation des imprimeries ne se sont pas faites sans la suppression de plusieurs centaines de postes (386 évoqués en 2020), partiellement compensée par la création d’emplois (284 envisagés) au sein de la nouvelle entité commune Ebra Services. Ce « centre d’expertise partagé » basé à Houdemont (Meurthe-et-Moselle), sur le même site que le siège de L’Est Républicain près de Nancy, est opérationnel depuis le 1er janvier 2021 et regroupe pour les neuf titres les différentes fonctions « support » : services de pagination, création graphique, annonces légales, trafic digital, maintenance informatique ou encore relations clientèle. Les informations nationales générales et sportives sont, elles, mises en commun et produites par une trentaine de journalistes situés dans un bureau basé à… Paris – le patron d’Ebra écartant le risque pour l’indépendance éditoriale des rédactions locales. « En revanche, chacun des neuf titres régionaux dispose de sa propre rédaction, les rédactions étant regroupées par territoire – territoires lorrain, alsacien, dauphinois et rhônalpin », a précisé Philippe Carli au Sénat.

Holding séparée et indépendance éditoriale
Nicolas Théry, lui, a assuré qu’il veillait à l’indépendance éditoriale des 1.400 journalistes du pôle presse. C’est Philippe Carli qui préside Ebra, et non pas Nicolas Théry. Et toutes les sociétés de presse du groupe ne sont plus filiales directes de la Banque fédérative Crédit Mutuel ou de holdings de la banque, mais regroupées depuis un an sous la seule holding Société d’investissements médias (SIM) que Philippe Carli préside et « qui prendra le nom d’Ebra avant la fin de l’année ». De quoi faciliter une éventuelle cession à l’avenir ? Si la banque mutualiste – constitué du Crédit Mutuel et du CIC – a réalisé un total de 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, son pôle presse, lui, a généré 491 millions d’euros. @

Charles de Laubier