Quotidiens papier : être tués ou sauvés par le digital

En fait. Le 13 décembre, lors de la conférence Médias des « Echos », le nouveau PDG du groupe Les Echos, Francis Morel, a annoncé « 12 à 14 millions d’euros » d’économies dès 2012, dont 30 à 40 départs volontaires. Le 15 décembre, France Soir a abandonné le papier. La Tribune, elle, pourrait faire de même.

En clair. « Ce n’était pas prévu que j’intervienne », s’est presque excusé Francis Morel,
le successeur de Nicolas Beytout à la tête, depuis octobre dernier, du groupe Les Echos (propriété de Bernard Arnault). En fin de repas à la conférence Médias des
« Echos », l’ancien dirigeant du groupe Le Figaro a résumé en quelques minutes ce qu’il venait le matin même de présenter durant deux heures aux 430 salariés du groupe Les Echos (1) : plan d’économies de 12 à 14 millions d’euros, « rapidement », dont : suppression de 8 % des effectifs à travers « des départs volontaires portant sur 30 à 40 salariés durant le premier semestre 2012 » ; passage en octobre 2012 de l’imprimerie du Monde à celle du Figaro ; réduction de coûts (frais généraux, rédaction…). Rachetés il y a quatre ans en bonne santé financière par le géant du luxe LVMH, « Les Echos » perdent en fait de l’argent depuis trois années consécutives – selon les sources,
5 à 10 millions d’euros de pertes opérationnelles par an depuis 2009. « L’année 2012 s’annonce extrêmement difficile », prévient Francis Morel.
Le premier quotidien économique et financier français est donc à son tour rattrapé à la fois par la crise et par Internet. « Les Echos réalisent 8 % de leur chiffre d’affaires [150 millions d’euros cette année] dans le numérique, alors que Le Monde et Le Figaro se situent autour de 20 % et certains journaux à l’étranger à 35 %… Bon travail ! », a-t-il lancé. Mais les « 3 à 5 millions d’investissement par an pendant cinq ans » (au niveau du groupe) donneront-ils aux « Echos » les moyens de rattraper notamment leur retard dans le numérique ? Rien n’est moins sûr. Dès le premier semestre 2012, Lesechos.fr doivent devenir « un grand portail », se décliner sur les « applis mobiles », lancer un
« fil d’info en continu avec des alertes » qui n’existait pas et « clarifier l’offre gratuit de celle qui est payante ».
Les Echos en perte de vitesse, c’est aussi de très mauvais augure pour toute la presse française (2). Son concurrent La Tribune y survivra-t-il ? Il devrait être placé le 5 janvier 2012 en redressement judiciaire par le tribunal de Commerce de Paris. Quant à France Soir, sous protection judiciaire jusqu’en fin d’année, il est contraint d’abandonner le papier pour tenter de survivre sur le Web et les mobiles. Le Monde et Le Figaro, eux, continuent de réduire leurs dépenses. @

Game over… pour l’industrie « off line » du jeu vidéo

En fait. Le 8 décembre, le Game Connection Europe a fermé ses portes après trois jours, à La Défense. C’est la première fois que Paris accueillait cet événement-phare de l’industrie du jeu vidéo qui, selon l’Idate, réalise 52,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial cette année.

En clair. L’industrie du jeu vidéo entre dans le « cloud gaming ». Les consoles de jeux connectées, les boutiques d’applications, les réseaux sociaux, les téléviseurs connectés, ainsi que les jeux dits massivement multi-joueurs (MMO) et les jeux virtuels sur de la réalité augmentée, sont en train de faire disparaître les jeux numériques sur supports physiques, tels que les CD ou les DVD. Le « cloud computing », qui permet aux utilisateurs de jouer à partir de n’importe quel terminal – ordinateur, smartphone, tablette, téléviseur, etc. – sans que le jeu n’ait à être enregistré préalablement sur leur propre disque dur ou sur un support de stockage local, pourrait leur donner le coup de grâce. L’un des pionniers du « cloud gaming » s’appelle OnLive, société américaine qui a lancé en juin 2010 son service de jeux à la demande – ce que l’on pourrait désigner par le GOD, comme il y a la VOD pour la vidéo à la demande. Seul un petit boîtier est nécessaire pour jouer sur le poste de télévision. Pas de disque optique, pas de téléchargement : rien que du streaming audiovisuel. Par exemple, l’utilisateur achète
un jeu à partir de son smartphone et obtient un unique compte utilisateur, qui lui donne le droit de joueur à ce jeu sur plusieurs de ses terminaux. C’est ce que Laurent Michaud, chef de projet et responsable du pôle « Loisirs numériques et électronique grand public » de l’Idate, appelle – notamment dans son rapport « Digital Home & Connectable Devices » de l’Idate (1) que Edition Multimédi@ s’est procuré – les « jeux vidéo ubiquitaires » (ou Ubiquitous Games).
En France, par exemple, la console de jeux connectée pourrait disputer à la box IPTV
des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – détenant plus de 90 % de parts de marché
de l’accès au haut débit et du triple play – sa position de leader dans le salon connecté.
« Les consoles continuent par ailleurs d’abriter d’autres contenus (musique, vidéo, navigation Web, TV), plus enclins à intéresser le reste de la famille. (…) Celles de Sony
et de Microsoft assument leurs ambitions dans le foyer numérique et participent à sa conquête à côté des set-top-box, des boxes IPTV, des disques durs multimédias, des lecteurs-enregistreurs vidéo et des téléviseurs connectés », explique Laurent Michaud (2). Reste le risque de piratage que l’Hadopi considère comme moins élevé comparé à
la musique ou aux films. @

France Télévisions : 1,83 % du budget dans le digital…

En fait. Le 22 novembre, Frédéric Mitterrand a signé avec Rémy Pfilmlin
le « contrats d’objectifs et de moyens » COM) de France Télévisions pour cinq ans, 2011-2015, en augmentation budgétaire de 2,2 % par an en moyenne. Pour 2012 : plus de 2,1 milliards d’euros, soit environ 3 milliards avec publicités.

En clair. Avec un tel budget, la part consacrée au développements numériques de France Télévisions auraient pu être beaucoup plus significative qu’elle ne l’est : le COM 211-2015 de France Télévisions prévoit en effet un budget numérique de… 55 millions d’euros en 2011 seulement, puis une perspective de 125 millions en 2015. Lors de la cérémonie de signature au ministère de la Culture et de la Communication, rue de Valois, Edition Multimédi@ a demandé au PDG de France Télévisions si ce budget numérique n’était
pas « une goutte d’eau » dans le budget annuel de 3 milliards d’euros : 1,83 % ! Surtout comparé aux 300 millions d’euros par an que la BBC au Royaume-Uni consacre au digital. « Le budget numérique va monter progressivement ; il est d’une importance majeure, comme l’illustre le développement de la catch up TV avec Pluzz dans les environnements Apple et Android (1). C’est un budget équilibré où il a fallu faire des arbitrages, notamment en faveur de la création : 420 millions pour l’audiovisuel et 60 millions pour le cinéma », nous a répondu Rémy Pfilmlin. Est-ce à dire le digital du groupe de télévisions publiques
a été sacrifié sur l’autel de la création ?
Egalement sollicité sur ce point, Bruno Patino – directeur général délégué à la stratégie,
au numérique et au média global de France Télévisions – nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur le COM (2)… Est-il déçu de ne pas avoir les moyens de
ses ambitions numériques ? Lors de la présentation de sa stratégie numérique le 7 avril dernier, il avait dit « regrette[r] que [le budget numérique de 55 millions] soit peu sur l’ensemble du groupe » (3), en expliquant donc miser sur la publicité en ligne (8,7 millions d’euros cette année) et réfléchir à des services payants de VOD (à l’acte) et SVOD
(par abonnement). Mais les chaînes publiques – déjà financées par le contribuable et
la redevance – peuvent-elles déroger à la gratuité du service public ? « Pas question
de monétiser l’information », avait répondu Bruno Patino (4).
Quoi qu’il en soit, le groupe audiovisuel risque d’être démuni face aux défis numériques.
« La TV connectée pourrait être plus disruptive que la musique ou la presse en ligne »,
a prévenu pour sa part Eric Scherer, directeur des nouveaux médias chez France Télévisions, lors de l’AG du Geste (lire cidessus) se tenant justement dans les locaux
du groupe. @

Les éditeurs craignent de « perdre» leurs clients

En fait. Le 23 novembre, s’est tenue la 26e assemblée générale du Groupement
des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). Son président, Philippe Jannet – PDG du Monde Interactif – constate que les promesses des tablettes
et de la TV connectée s’accompagnent aussi de « complexités nouvelles ».

En clair. Les quelque 120 membres du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste), né avec le Minitel (1) en 1987, vont de plus en plus « au-delà des frontières du web et des mobiles ». Les nouveaux supports comme les tablettes et surtout les téléviseurs connectés « sont riches de promesses mais aussi de complexités nouvelles, tant législatives qu’économiques », a souligné Philippe Jannet, qui préside le Geste depuis 11 ans (2). Le métier d’éditeur est devenu « anxiogène ». Un besoin de clarification de la réglementation et de la régulation se fait pressant, au moment où la mission « TV connectée » rend son rapport. « A nouveau, nous allons être confrontés aux difficiles contours juridiques de supports mêlant plusieurs droits différents – notamment la télévision. Qui est responsable : le CSA ? Les opérateurs [l’Arcep] ? Les fabricants ? … », s’est inquiété Philippe Jannet. Lors d’une table-ronde, le directeur des nouveaux médias du groupe Le Figaro, Bertrand Gié (3), a abondé dans ce sens : « Faire les recommandations des éditeurs est devenu assez compliqué car à qui s’adresser ?
Avec la TV connectée, nous sommes à la croisée des chemins. Est-ce qu’elle relève des télécoms, d’Internet (IP), du CSA ? L’accord entre TF1 et Samsung, est-ce de l’audiovisuel ? ». Quant à Eric Scherer, directeur des nouveaux médias chez France Télévisions, il a mis en garde : « La TV connectée pourrait être plus disruptive que la musique ou la presse en ligne » (lire ci-dessous). Autre préoccupation : celle du risque
de « désintermédiation » des éditeurs vis-à-vis de leur lecteurs, téléspectateurs, auditeurs ou utilisateurs. « Nous allons aussi être confrontés à la multiplication des intermédiaires (fabricants, opérateurs, agrégateurs), nous éloignant de nos clients et soucieux de nous imposer leurs propres règles économiques », a prévenu le président du Geste. Apple, Amazon et Google sont cités en exemple. Les éditeurs reprochent par exemple à la marque à la pomme son refus de leur communiquer les données clients et de leur imposer sa grille tarifaire (EM@37, p. 7). L’un des objectifs pour 2012 va donc être de « préserver notre relation à nos utilisateurs » et d’avoir des « relations clarifiées avec les différents opérateurs techniques », de la tablette au cloud computing, en passant par les réseaux sociaux et les télévisions connectées. @

Le gouvernement veut débloquer la TV connectée

En fait. Le 8 novembre, lors du colloque NPA-Le Figaro, le ministre en charge de l’Economie numérique, Eric Besson, a émis « le voeu qu’une plate-forme d’inter-opérabilité pour la télévision connectée soit rapidement lancée » avec, si besoin est, l’aide financière de l’Etat via le « Grand emprunt ».

En clair. La « plate-forme d’interopérabilité pour la télévision connectée » qu’appelle
de ses vœux Eric Besson pourrait bénéficier du soutien financier des « Investissements d’avenir » (ex-Grand emprunt) à hauteur de 3 millions d’euros. C’est en tout cas la somme dont a bénéficiée une autre plateforme d’inter-opérabilité baptisée ImaginLab – dédiée celle-ci à la 4G attendue pour 2012 et lancée au début du mois d’octobre par
le même ministre de l’Economique numérique dans le cadre du pôle de compétitivité
« Image & Réseaux ». Le gouvernement, qui lance courant novembre un second appel à projets de R&D pour la numérisation de contenus (financés par le Grand emprunt), espère que les chaînes et les fabricants de terminaux (téléviseurs mais aussi tablettes et smartphones) travailleront ensemble autour de standards ouverts. L’idée d’une nouvelle plateforme d’interopérabilité pour la télévision découle en fait directement du rapport TV connectée remis mi-novembre à Eric Besson et Frédéric Mitterrand par Marc Tessier (Vidéo Futur), Philippe Levrier (CNC), Takis Candilis (Lagardère Active), Martin Rogard (Dailymotion) et Jérémie Manigne (SFR). Ils mettent en garde contre les freins et les obstacles que constituerait le cloisonnement vertical de la TV connectée par ses systèmes propriétaires incompatibles entre eux. Bref, comme le craint aussi
le Geste dans sa contribution (1), le spectre d’un marché fragmenté par des modèles fermés ou walled garden. Implicitement, le gouvernement veut éviter à la télévision connectée d’être verrouillée verticalement par un industriel – comme peut le faire par exemple Apple avec ses terminaux et ses plates-formes propriétaires (2) (*) (**) (***) (****) (*****). Au-delà d’Apple TV, la marque pourrait lancer en 2012 une gamme de téléviseur « iTV » selon les rumeurs persistantes. Pour l’heure, il y a bien la norme HbbTV mais pour Eric Besson « c’est un premier pas vers une rencontre maîtrisée des univers de la télévision et d’Internet ». Bref, HbbTV n’est pas suffisant car ce standard se limite à enrichir les flux vidéo des chaînes de télévision qui ont tendance à se considérer comme propriétaires du téléviseur. Qui des autres services venant d’autres fabricants de terminaux interactifs et éditeurs du Web ? Quoi qu’il en soit, tout comme Neelie Kroes qui en a fait son cheval de bataille en Europe, la France veut aussi favoriser l’interopérabilité. @