Avant même sa présentation par la Commission européenne, le Digital Networks Act divise

Le futur Digital Networks Act (DNA) en Europe n’est pas du goût des associations de consommateurs ni des opérateurs télécoms concurrents des anciens monopoles publics. Sous prétexte de favoriser des « champions européens », le marché et les prix risquent d’en pâtir.

Le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), dont font partie en France UFC-Que choisir et l’association CLCV parmi plus d’une quarantaine d’autres organisations de consommateurs dans les Vingt-sept (1), et l’Ecta, association européenne des opérateurs télécoms alternatifs (2), où l’on retrouve notamment Bouygues Telecom et Iliad/Free, ont publié le 9 novembre dernier une déclaration commune pour faire part de leurs « préoccupations » sur le futur Digital Networks Act (DNA).

« Quelques heureux champions européens » ?
« Nous sommes préoccupés par les déclarations faites par la présidence du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne à la suite du conseil informel des télécoms des 23 et 24 octobre 2023, qui appelle à “un réexamen et une mise à jour du paradigme de la réglementation et de la politique de la concurrence” dans le secteur des communications électroniques », ont écrit les deux organisations européennes, Beuc et Ecta, toutes deux basées à Bruxelles. Présidées par respectivement le Néerlandais Arnold Koopmans (photo de gauche) et le Bulgare Neven Dilkov (photo de droite), elles s’inquiètent de la proposition de loi sur les réseaux numériques – le futur Digital Networks Act. « Ces déclarations, combinées aux appels lancés par d’anciens monopoles des télécoms [via leurs lobbys Etno et GSMA (3) basés eux-aussi à Bruxelles, ndlr] pour réduire la concurrence et aux suggestions de créer quelques “champions européens”, sont un signal d’alarme pour le marché européen des télécoms », préviennent-elles dans leur joint statement (4).
Cette réunion informelle des ministres des télécoms de l’Union européenne, à laquelle elles font référence, s’est tenue fin octobre en Espagne, pays qui préside le Conseil de l’Union européenne depuis le 1er juillet et jusqu’au 31 décembre 2023. Les propos tenus par Thierry Breton, commissaire européen en charge du Marché intérieur, et par Nadia Calviño, première vice-présidente du gouvernement espagnol et ministre des Affaires économiques et de la Transformation numérique, n’ont rassuré ni les associations de consommateurs ni les opérateurs télécoms alternatifs. « Les objectifs annoncés d’une “loi sur les réseaux numériques” pour permettre la création de “quelques heureux champions européens” seraient contraires aux réalisations des dernières décennies », pointent le Beuc et l’Ecta. Les deux fédérations professionnelles rappellent que depuis trente ans la réglementation européenne des télécoms a permis d’avoir « des marchés équitables et concurrentiels » qui ont été « le moteur des investissements, de l’innovation positive et des avantages pour les consommateurs dans les télécoms ». L’abolition des monopoles publics des télécoms a finalement été bénéfique aux utilisateurs et aux entreprises utilisatrices, en termes de qualité, de choix et de prix abordables. Le Beuc et l’Ecta assurent que la diversité des acteurs du marché, grands et petits, est primordiale pour encourager l’innovation à un moment où l’économie de l’UE se numérise.
Selon les deux organisations bruxelloises, cette diversité est essentielle pour répondre aux besoins des consommateurs, des entreprises et des administrations publiques. Alors pourquoi remettre en cause un cadre qui fonctionne ? « Le “changement de paradigme” suggéré [le paradigm shift que prône Thierry Breton, ndlr] aurait des effets néfastes sur la concurrence, sur le marché intérieur de l’UE et sur les intérêts des consommateurs. Il porterait également atteinte aux principes inscrits dans le code européen des communications électroniques (5) », préviennent-elles, tout en craignant un renforcement des opérateurs télécoms historiques que sont Orange, Deutsche Telekom ou encore Telefonica. Le Vieux Continent n’est pas le Nouveau Monde : « Les Etats-Unis accusent un retard par rapport à l’UE en raison de la concurrence réduite, du choix limité des consommateurs et des prix de détail élevés », rappellent elles en appelant la Commission européenne à la prudence avant qu’elle ne présente officiellement le contenu de ce fameux projet de règlement DNA.

Le discours de Thierry Breton en question
Ensemble et sans attendre, le Beuc et l’Ecta mettent en garde contre le discours des anciens monopole publics des télécoms. « Nous rejetons fermement le discours employé par les opérateurs de télécoms historiques, et apparemment appuyé par le Conseil de l’UE, selon lequel la fragmentation du marché “les freine” et qu’il faut déréglementer le marché et réduire la concurrence ». Il est fait notamment référence à la déclaration faite par Thierry Breton le 10 octobre dernier, dans un post sur le réseau social professionnel LinkedIn et intitulé (en jouant sur le sigle DNA) : « A “Digital Networks Act” to redefine the DNA of our telecoms regulation » (6). Le commissaire européen au marché intérieur, qui fut lui-même un ancien président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005), y écrit : « Les opérateurs de télécommunications ont besoin d’échelle et d’agilité pour s’adapter à cette révolution technologique, mais la fragmentation du marché les freine ».

Pas confondre concurrence et « fragmentation »
Ce à quoi le Beuc et l’Ecta s’inscrivent en faux : « La concurrence loyale ne doit pas être confondue avec la fragmentation du marché. Promouvoir l’émergence de “champions de l’UE”, issus des plus grands monopoles [des télécoms, ndlr], se fera au détriment d’une concurrence efficace et durable et est contraire aux principes fondamentaux du droit de la concurrence de l’UE. L’expérience de nos membres montre que moins de concurrence entraîne moins d’investissements et moins de bien-être pour les consommateurs, et non le contraire ».
Contacté par Edition Multimédi@, Agustín Reyna, directeur des affaires juridiques et économiques du BEUC, indique que la déclaration commune du 9 novembre dit en substance que « la soidisant “consultation” que la Commission européenne a organisée [du 23 février au 19 mai 2023, ndlr] ne pourrait jamais servir de base à une proposition législative réelle ». Cette « consultation exploratoire sur l’avenir du secteur des communications électroniques et de ses infrastructures » (7), dont les résultats ont été publiés le 10 octobre dernier (8), portait notamment sur la question sensible de savoir si l’idée d’une « contribution équitable » (fair share ou network fees, c’est selon) des grandes plateformes numériques telles que les GAFAM au financement des infrastructures réseaux serait justifiée. Mais sans que la Commission européenne, prudente, ne prenne partie pour les opérateurs télécoms, contrairement à son commissaire européenne Thierry Breton (photo ci-dessus), pro-télécoms (9).
Surtout que la grande majorité des contributeurs à cette consultation s’opposent à l’introduction de redevances de réseau. Membre de l’Ecta, l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota) était, elle aussi, montée au créneau le 17 novembre 2022 pour défendre la neutralité de l’Internet qu’elle estime menacée par le projet de cet « Internet à péage ». Tandis que le mois précédent, le 7 octobre 2022, le Groupement européen des régulateurs des télécoms – réunissant les « Arcep » européennes et placé sous la houlette de la Commission européenne – avait conclu qu’il « n’a pas de preuve que ce mécanisme [de “compensation directe” susceptible d’être payée par les plateformes aux opérateurs, ndlr] soit justifié » (10). Ainsi, dans leur déclaration commune, le Beuc et l’Ecta estiment que la « consultation exploratoire » ne peut servir de base à la Commission européenne pour élaborer un éventuel Digital Networks Act : « Si la Commission européenne souhaite procéder à toute modification structurelle du cadre réglementaire européen, nos organisations rappellent que toute intervention réglementaire doit être strictement fondée sur des preuves et sur la nécessité, conformément aux principes d’amélioration de la réglementation de la Commission européenne, y compris une évaluation d’impact complète et une consultation publique inclusive sur toute proposition de politique ».
Le droit de la concurrence et l’intérêt des consommateurs depuis l’ouverture du marché des télécoms le 1er janvier 1998 (il y a un quart de siècle) ne sauraient donc être mis à mal par une révision du cadre réglementaire. « Toute nouvelle mesure politique ou législative, telle que la “loi sur les réseaux numériques”, ne doit pas remettre en question les objectifs principaux du cadre juridique de l’UE pour les communications électroniques inscrit dans le code européen des communications électroniques : “promouvoir la concurrence, le marché intérieur et la sauvegarde des intérêts des utilisateurs finaux” », mettent en garde les deux organisations.
Le Beuc et l’Ecta en appellent à la Commission européenne pour qu’aboutisse en revanche la proposition de règlement « Infrastructure Gigabit Act » (11), qui vise à stimuler le déploiement de réseaux « à très haute capacité », moins coûteux et plus efficaces. Il va remplacer la directive européenne « Réseaux haut débit » de 2014, tout en continuant à réduire les coûts de déploiement et à favoriser la concurrence (12).

Commission « von der Leyen » : exit le DNA ?
De leur côté, huit organisations représentatives en Europe des acteurs de l’Internet – dont les GAFAM représentés par la CCIA Europe, l’Asic en France ou encore Dot Europe – ont cosigné le 20 octobre dernier une déclaration commune pour s’opposer à tout « mécanisme de paiement obligatoire » (network fees), notamment parce que « les consommateurs et les entreprises européens (…) paient déjà par le biais de leurs abonnements ». Dans ce joint statement (13), elles s’inquiètent aussi pour la neutralité d’Internet. Il est donc peu probable que la Commission « von der Leyen », dont le mandat va s’achever en novembre 2024 et après les élections des eurodéputés en juin (14), présente un Digital Networks Act avec un péage sur Internet. @

Charles de Laubier

 

Rachat d’Activision par Microsoft : pourquoi la Federal Trade Commission s’y oppose toujours

Cinq mois après que la Commission européenne a autorisé – « sous conditions » d’engagements – l’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, l’autorité antitrust américaine FTC a fait savoir le 13 octobre qu’elle allait continuer à s’opposer à ce big-deal de 69 milliards de dollars.

L’autorité antitrust britannique – la Competition and Markets Authority (CMA) – n’est pas superstitieuse : elle a choisi le « vendredi 13 », en l’occurrence de ce mois d’octobre 2023, pour finalement donner son feu vert à Microsoft pour acquérir Activision Blizzard, mais sans les droits de diffusion en streaming dans le cloud des jeux de ce dernier. Ainsi, les jeux vidéo d’Activision Blizzard – dont les plus populaires comme « Call of Duty », « Diablo », « World of Warcraft », ou encore « Candy Crush » – seront exclus du périmètre de la méga-acquisition pour ce qui concerne les droits de diffusion en Cloud Gaming, lesquels sont cédés au français Ubisoft.

Cloud Gaming : préserver la concurrence
« Nous sommes la seule autorité antitrust au monde à avoir obtenu ce résultat, s’est félicitée le 13 octobre Sarah Cardell (photo de gauche), directrice générale de la CMA. Avec la vente des droits de streaming cloud d’Activision à Ubisoft, nous nous sommes assurés que Microsoft ne puisse pas avoir une emprise sur ce marché important [du Cloud Gaming, ndlr] et en développement rapide. A mesure que le Cloud Gaming se développe, cette intervention permettra aux gens d’obtenir des prix plus compétitifs, de meilleurs services et plus de choix » (1). Le français Ubisoft Entertainment fera donc – à la place de Microsoft qui a présenté cette concession en août dernier – l’acquisition des droits de « Cloud streaming » d’Activision Blizzard en dehors de l’Espace économique européen (EEE), auquel n’appartient plus le Royaume-Uni depuis le Brexit (2). Et ce, pour tout le contenu PC et console d’Activision produit au cours des 15 prochaines années – à savoir jusqu’en 2038.
L’autorité de la concurrence du Cabot Square (Londres) est convaincue que « ce nouvel accord empêchera Microsoft de bloquer la concurrence sur le marché du Cloud Gaming en plein décollage, préservant des prix et des services compétitifs pour les consommateurs britanniques de jeux en nuage ». Ubisoft pourra offrir les jeux vidéo d’Activision Blizzard « sous n’importe quel modèle économique, y compris par le biais de services d’abonnement multi jeux », comme Ubisoft+ (concurrent de Xbox Game Pass ou de EA Play). Cela permettra également de garantir que les fournisseurs de jeux infonuagiques pourront utiliser des systèmes d’exploitation qui ne soient pas forcément Windows de Microsoft pour les titres d’Activision Blizzard, « ce qui réduira les coûts et augmentera l’efficacité ». Une des premières craintes de ce blockbuster deal était que Sony pouvait être la première victime collatérale de cette fusion, le japonais générant un gros chiffre d’affaires avec « Call of Duty » sur sa propre console PlayStation (3). Les revenus de Microsoft dans les jeux vidéo sont inférieurs à ceux de Sony, dont les consoles PlayStation surpassent la Xbox.
La CMA avait bloqué l’opération de concentration Microsoft-Activision le 26 avril dernier en raison des risques d’abus de la position dominante sur le marché du Cloud Gaming (4). L’autorité britannique antitrust a donc donné son feu vert le 13 octobre. « Call of Duty », « Overwatch » ou encore « World of Warcraft » ne passeront pas sous le contrôle nuagique de Microsoft. Alors que la Commission européenne avait été, elle, moins exigeante dans son autorisation sous conditions accordée le 15 mai (5).
Microsoft a pris des engagements auprès de Bruxelles pour une durée de 10 ans, soit jusqu’en mai 2033 : une licence gratuite accordée aux consommateurs de l’EEE, leur permettant de diffuser en streaming sur le service de Cloud Gaming de leur choix, tous les jeux actuels et futurs d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles pour lesquels ils disposent d’une licence ; une licence gratuite accordée aux fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage, afin de permettre aux joueurs basés dans l’EEE de diffuser en streaming tous les jeux d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles. La CMA se dit « convaincue que [les auditions sur ces engagements] fournir[ont] le filet de sécurité nécessaire pour s’assurer que cet accord est mis en œuvre correctement ».

La FTC en appel : audience le 6 décembre
Dans le reste du monde, Edition Multimédi@ constate que la Chine, Taïwan, le Japon, l’Afrique du Sud et le Brésil ont aussi donné leur feu vert à Microsoft. Mais l’obstacle le plus élevé à franchir pour cette opération de concentration sera celui de la Federal Trade Commission (FTC) présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan (photo de droite), réputée hostile aux positions dominantes des Big Tech (6). L’autorité antitrust américaine est opposée à ce big-deal – le plus gros jamais envisagé dans l’industrie mondiale du jeu vidéo – annoncé par Microsoft en janvier 2022, mais elle a jusqu’à maintenant échoué à faire bloquer par un juge fédéral l’opération qui va pouvoir a priori être menée à son terme. Sauf coup de théâtre. Car la FTC a fait appel dans le cadre de la procédure judiciaire qui suit son cours aux Etats-Unis : la prochaine audience devant une cour d’appel est prévue le 6 décembre prochain (7).

Microsoft a-t-il crié « Victoire » trop tôt ?
Le 13 octobre, à la suite de l’annonce de la décision de la CMA, la FTC a déclaré auprès de l’agence Reuters qu’elle allait continuer à examiner cette affaire à la lumière de l’accord passé avec le français Ubisoft. « Le nouvel accord de Microsoft et Activision avec Ubisoft présente une toute nouvelle facette de la fusion qui affectera les consommateurs américains, ce que la FTC évaluera dans le cadre de sa procédure administrative en cours. La FTC continue de croire que cet accord est une menace pour la concurrence », a prévenu une porte-parole « Mergers & Competition » de l’autorité antitrust américaine, Victoria Graham.
Pour Microsoft, le feu vert de l’Union européenne puis de la CMA britannique est une grande victoire sur la régulation antitrust. La firme de Redmond (Etat de Washington) compte bien faire le plein de joueurs en ligne en mettant de l’« Activision Blizzard King » (dénomination officielle depuis février 2016) dans le moteur de sa console de jeux vidéo Xbox. Son service par abonnement Game Pass, lequel a franchi pour la première fois la barre des 30 millions de souscripteurs à septembre 2023 – d’après une indiscrétion durant le procès aux Etats-Unis (8), pourrait doubler dès l’an prochain lorsque tous les jeux d’Activision Blizzard King (« ABK »). « Aujourd’hui [13 octobre 2023, ndlr] est une bonne journée pour jouer. Nous accueillons officiellement Activision Blizzard King dans l’équipe Xbox. Ensemble, nous créerons des histoires et des expériences qui rassembleront les joueurs, dans une culture permettant à chacun de faire de son mieux et de célébrer la diversité des perspectives », s’est réjoui sur X (ex-Twitter) Phil Spencer (photo ci-dessus), le Big Boos des jeux vidéo chez Microsoft (9). Phil Spencer est entré chez Microsoft Game Studios il y a 20 ans, pour devenir ensuite le responsable de la Xbox, avant d’être nommé en septembre 2017 vice-président de Microsoft Gaming. Il supervisera les activités d’« ABK », dont l’actuel PDG, Bobby Kotick, restera en poste jusqu’à fin 2023 (10). L’ex-firme de Bill Gates est de moins en moins « Windows-centric » (si l’on peut dire) et entend ainsi marquer de son empire « les jeux, le divertissement et la culture pop » (dixit Phil Spencer). Et celui-ci de rassurer la communauté des gamers, et au passage les autorités antitrust du monde entier : « Que vous jouiez sur Xbox, PlayStation, Nintendo, PC ou mobile, vous êtes les bienvenus ici – et vous le resterez, même si vous ne jouez pas votre franchise préférée sur Xbox. Parce que lorsque tout le monde joue, nous gagnons tous » (11).
Le procès antitrust en cours aux Etats-Unis a permis non seulement de dévoiler les 30 millions d’abonnés actuels au Xbox Game Pass, mais aussi de faire fuiter la « Roadmap to 2030 » de Microsoft Gaming, mise en ligne notamment le 19 septembre dernier par le site américain The Verge. Selon ce document confidentiel (12), datant cependant d’avril 2022, l’on y apprend que Microsoft vise les 100 millions d’abonnés à la fin de la décennie en cours.
La firme de Redmond prévoit aussi une nouvelle console Xbox Series X en novembre 2025 sous le nom de code « Brooklin » et dotée d’une nouvelle manette baptisée « Sebille ». Elle serait précédée en septembre 2025 de la Xbox Series X (nom de code « Ellewood ») avec elle aussi sa nouvelle manette « Sebille ». Et l’on apprend même que la 10e génération de consoles Xbox (« Gen 10 ») est programmée pour l’année 2028. Après la fuite de cette roadmap confidentielle, Phil Spencer a dû relativiser la portée de ces révélations : « Tant de choses ont changé » (13) depuis ce document établi en avril 2022. Quoi qu’il en soit, même si MicrosoftActivision est maintenant sur les rails, la FTC est décidé à empêcher cette « entente » de prospérer.

« COD » sur PSP de Sony durant 10 ans
« L’acquisition constitue une menace pour la concurrence », a insisté sa porte-parole Victoria Graham, quand bien même que Microsoft ait proposé de mettre l’une des principales franchises de jeux d’Activision, « Call of Duty », à disposition des autres consoles pendant 10 ans – notamment de la PlayStation de Sony (14). Ni le département de la justice américaine (DoJ) ni la Maison-Blanche n’ont commenté cette affaire antitrust en cours d’instruction. En 2021, la FTC avait réussi à bloquer sur le marché stratégique des semiconduc-teurs le projet d’acquisition d’ARM par le géant des puces graphiques et d’IA Nvidia, lequel avait aussitôt jeté l’éponge. C’est une issue encore possible pour la fusion « Microsoft-Activision ». @

Charles de Laubier

Streaming vidéo et IA génératives posent des questions existentielles au cinéma et… au jeu vidéo

La grève dure depuis 140 jours aux Etats-Unis. Les scénaristes d’« Hollywood » l’ont déclenchée le 2 mai, étendue cet été aux comédiens, et maintenant au jeu vidéo. Leurs revendications : meilleures rémunérations à l’ère du streaming et de l’intelligence artificielle.

Les scénaristes de la Writers Guild of America (WGA), en grève depuis le 2 mai, et les acteurs de la Screen Actors Guild and American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA), en grève depuis le 13 juillet, sont très remontés contre l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP). Cette dernière regroupe les grands groupes de médias et de télévisions américains ainsi que des plateformes de streaming vidéo : « Amazon/MGM, Apple, Disney/ABC/Fox, NBCUniversal, Netflix, Paramount/CBS, Sony, Warner Bros. Discovery (HBO) et d’autres », mentionne le syndicat américain des comédiens. Le mouvement social s’étend aux éditeurs de jeux vidéo.

Hollywood donne d’une main, reprend de l’autre
D’un côté, la WGA (11.500 scénaristes) et, de l’autre, la SAGAFTRA (160.000 comédiens), qui vient de réélire sa présidente Fran Drescher (photo) le 8 septembre (1), négocient d’abord une augmentation des rémunérations pour tenir compte de l’inflation : les scénaristes proposent 5 % à 6 % de hausse mais les groupes cinématographiques et audiovisuels offrent 2 % à 4 % ; les acteurs proposent une augmentation de 11 % mais les groupes cinématographiques et audiovisuels offrent 5 %. Mais ce sont vis-à-vis des plateformes de streaming (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …) que les revendications se font plus pressantes. Les scénaristes et les comédiens demandent à être mieux rémunérés par les plateformes de SVOD (2) sur les minimum garantis – le MBA (Minimum Basic Agreement) inscrit dans la convention collective de la WGA – et à être intéressés aux bénéfices du streaming. Cette exigence d’« une meilleure rémunération initiale et des droits résiduels » porte aussi sur les plateformes vidéo financées par la publicité, les AVOD (3) et les FAST (4).
A la veille de leur mouvement social déclenché le 2 mai, les scénaristes de la WGA avaient publié un état de leurs revendications et des réponses ou non-réponses apportées par les groupes de médias (5). Mais au point d’étape des négociations au 24 août dernier, soit au 115e jour de grève, peu d’avancées étaient signalées par le syndicat des scénaristes : « Lors de la rencontre avec les PDG, nous avons passé deux heures à expliquer que, malgré les progrès réalisés, le langage de l’offre de l’AMPTP était, comme c’est typique de cet organisme, une façon de donner d’une main et de reprendre de l’autre. (…) L’AMPTP semble donner tout en limitant les gains réels », relève-t-il. La WGA donnent quelques exemples de propositions qui ne sont pas encore suffisantes (6). Par exemple, les groupes de médias de l’AMPTP disent avoir fait une concession majeure en offrant de permettre à six membres du personnel de la WGA d’étudier les données, limitées, sur le nombre de téléspectateurs en streaming pour les trois prochaines années, afin que ces six membres puissent revenir en 2026 pour demander une fois de plus un solde basé sur le nombre de téléspectateurs. Mais entre temps, regrette la WGA, « aucun scénariste ne peut être informé de l’état de leur projet, et encore moins recevoir un résidu basé sur ces données ». La WGA a en outre calculé le coût de ses demandes pour chaque entreprise de média et chaque plateforme, « y compris l’ajout d’un financement accru de la santé pour faire face à l’impact de la grève ». Si l’on prend le cas de Netflix, les propositions de la WGA lui coûteraient 65 millions de dollars par an, soit seulement 0,206 % de son chiffre d’affaires 2022 de 31,6 milliards de dollars.
Les acteurs, eux, ont rejoint le 13 juillet les scénaristes pour élargie la grève, soit au 73e jour. « Nous luttons pour la survie de notre profession. Voici la vérité simple : nous sommes face à un système où les responsables de conglomérats de médias de plusieurs milliards de dollars sont récompensés pour exploiter les travailleurs », fustige leur syndicat SAGAFTRA pour justifier leur grève dans un « Why We Strike » (7). Lui aussi négocie pied-à-pied avec les géants de l’AMPTP. La SAG-AFTRA demande que les comédiens aient une participation aux revenus de streaming, puisque le modèle économique actuel a érodé leurs revenus résiduels : « Les artistes ont besoin d’une rémunération qui reflète la valeur que nous apportons aux streamers, lesquels profitent de notre travail ».

Rémunérer la valeur apportée aux streamers
Le 7e Art d’Hollywood exige un partage des revenus des « nouveaux médias » lorsque leurs œuvres sont exposées sur des plateformes de streaming. « Cela permettrait aux acteurs de partager le succès de spectacles de haut niveau ». Les géants des médias et du divertissement lui ont opposé une fin de non-recevoir : « Non ». La SAG-AFTRA plaide en outre la cause des « coordinateurs de cascades qui ne devraient plus être exclus des droits résiduels tels que les rediffusions sur les réseaux, la télévision étrangère et le streaming à budget élevé ». Elle demande aussi à « améliorer les résidus dus à la diffusion continue d’images réalisées pour les services de streaming par abonnement ». L’AMPTP botte en touche.
Concernant l’IA cette fois, la WGA note des avancées à la date du 28 août, mais insuffisantes : « Nous avons eu de vraies discussions et avons constaté des progrès de leur part en ce qui concerne la protection de l’IA, mais nous ne sommes pas encore rendus là où nous devons être. À titre d’exemple, ils continuent de refuser de réglementer l’utilisation de notre travail pour former l’IA à écrire du nouveau contenu pour un film »

IA génératives : menaces de cannibalisation
Les scénaristes américains demandent que soit réglementée l’utilisation de l’intelligence artificielle sur les projets couverts par le MBA : « L’IA ne peut pas écrire ou réécrire du matériel littéraire ; ne peut pas être utilisé comme matériel de base ; et le matériel couvert par le MBA [Minimum Basic Agreement, ndlr] ne peut pas être utilisé pour former l’IA ». Les employeurs d’« Hollywood » avait rejeté ces propositions dès le début des négociations, en renvoyant la question à « des réunions annuelles pour discuter des progrès technologiques »…
De leur côté, les acteurs de la SAG-AFTRA veulent eux aussi des garanties contre les IA génératives : « Les artistes-interprètes ont besoin de la protection de leurs images et de leurs représentations pour empêcher le remplacement des performances humaines par la technologie de l’intelligence artificielle ». Le syndicat des comédiens a proposé aux groupes de médias et aux plateformes des dispositions pour que les artistes interprétés puissent accorder un « consentement éclairé » et obtenir une « rémunération équitable » lorsqu’une « réplique numérique » [digital replica] est faite ou que leur représentation est modifiée à l’aide de l’IA. Mais les employeurs de l’AMPTP ne l’entendent pas de cette oreille. Les Disney, Netflix et autres Warner Bros. veulent être au contraire en mesure « de scanner l’image d’un figurant, de le payer pour une demi-journée de travail, puis d’utiliser la ressemblance d’un individu à n’importe quel but, pour toujours, sans son consentement ». Et ces entreprises veulent aussi pouvoir « apporter des changements au dialogue des artistes principaux et même créer de nouvelles scènes, sans consentement éclairé », ainsi que « pouvoir utiliser les images, les similitudes et les représentations de quelqu’un pour former de nouveaux systèmes d’IA générative sans consentement ni compensation ». En France, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) a fait le 31 août « cinq propositions pour une intelligence artificielle éthique, responsable et respectueuse des droits des auteurs » – dont celle de faire de l’Arcom (8) le régulateur de « l’utilisation des œuvres par les IA » (9). Elle a évoqué au passage la grève aux Etats-Unis et les « légitimes inquiétudes » des scénaristes. La grève américaine a des répercutions partout dans le monde – avec le soutien d’autres syndicats comme Equity au Royaume-Uni (10). Le Festival du cinéma américain de Deauville en France et la Mostra de Venise en Italie ont manqué de stars du 7eArt. Mais au-delà des festivals, des tapis rouges et des paillettes, les conséquences de ce mouvement social venu d’Hollywood (retards ou annulation de tournages, postproduction repoussée, sous-titrages et doublages reportés, …) se font déjà sentir jusque dans les salles de cinéma (moins de films) et sur les plateformes de SVOD (moins de séries). La Fédération nationale des cinémas français (FNCF), qui espère que les 200 millions de spectateurs seront atteints en 2023 dans l’Hexagone, a évoqué le 20 juillet dernier sa préoccupation : « La grève des acteurs et scénaristes aux Etats-Unis inquiète beaucoup car elle risque de durer même si elle ne concerne que les films américains », a confié son président Richard Patry sur BFMTV (11).

L’industrie du jeu vidéo visée à son tour
La SAG-AFTRA a appelé le 1er septembre à étendre le mouvement social aux éditeurs de jeux vidéo (12), au premier rang desquels elle mentionne : Activision Blizzard, Electronic Arts, Epic Games, Take Two, Insomniac Games, Warner Bros. Games et Disney, Blindlight, Formosa Interactive et VoiceWorks Productions. « Le syndicat devrait avoir en main une autorisation de grève approuvée par les membres lorsque les négociations reprendront le 26 septembre », indique le syndicat des comédiens, le vote des membres devant se terminer la veille (13). Mêmes revendications : meilleure rémunération issue du streaming et une maîtrise des IA génératives. @

Charles de Laubier

Signaux contradictoires sur l’évolution du piratage (musiques, films, livres, …) dans le monde

Alors que l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) constate avec Médiamétrie une baisse continue du piratage sur Internet en France, la Motion Picture Association (MPA) et l’ACE estiment, chiffres de Muso à l’appui, que le fléau augmente au contraire dans le monde

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (président de Gaumont), a publié en mai l’état arrêté au mois de mars 2023 de l’« audience des sites illicites dédiés à la consommation vidéo en France », mesurée par l’institut Médiamétrie. Ces chiffres mensuels, qui ont d’ailleurs été repris et présentés le 20 mai lors du Festival de Cannes par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), confirme que le piratage dans l’Hexagone est en forte baisse depuis cinq ans maintenant.

« Offres illégales » et protocoles « pirates »
La baisse du piratage en France est même continue, passant de 15,4 millions d’internaute présumés pirates par mois en 2018 à seulement 6,8 millions par mois au premier trimestre de 2023. Autrement dit, il y a 8,2 millions d’internautes pirates en moins dans l’Hexagone par rapport à cinq ans auparavant. Et ce, en plus, malgré la prise en compte par Médiamétrie des terminaux mobiles – smartphones et tablettes – depuis l’année 2018 (voir tableau page suivante). Le reflux de cette audience de « l’offre illégale », comme l’appelle l’Alpa, devrait se poursuivre au cours de l’année 2023 si la tendance baissière se poursuit.
En termes de pénétration de piratage sur le nombre d’internautes en France, les 6,8 millions de « pirates » mesurés entre janvier et mars derniers correspondent à 13 % des internautes. Ce taux atteignait 29 % en 2018. Il ressort en outre des chiffres de Médiamétrie pour l’Alpa que la plupart des internautes visitant des sites d’offres « illégales » piratent des films et des séries, mais ils sont aussi en recul de 8 % sur un an en mars 2023, à 6,5 millions d’individus. Pour le piratage de contenus de contenus sportifs, ils sont cette fois bien moins nombreux : 477.000 internautes « pirates » en mars 2023, en recul de 18 % sur un an. D’après le CNC, le « Top 5 » des films les plus piratés l’an dernier concerne : « Matrix Resurrections », « Les Animaux fantastiques : Les Secrets de Dumbledore », « Mourir peut attendre », « Top Gun Maverick » et « Jurassic World : Le Monde d’après ». Quant au « Top 5 » des séries les plus piratées l’an dernier, il est composé de : « Game of Thrones », « Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir », « She Hulk », « The Walking Dead » et « Grey’s Anatomy ». La baisse du piratage en France est aussi le résultat des décisions judicaires successives rendues, surtout au cours des années 2021 (mai, juin, juillet, octobre et décembre), 2022 (février, mai, juillet et novembre) ainsi qu’en mars 2023. Filmoflix, Filmgratuit, Wawacity ou encore et Zonetéléchargement font partie des sites qui ont fait l’objet de mesures de blocage judicaire exécutées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Des cyberlockers – comprenez des sites de stockage et de partage en nuage (cloud) permettant aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu dans des serveurs en ligne centralisés (le cyberlocker génère un lien URL unique, ou plusieurs, pour accéder au fichier téléchargé et de le diffuser) – ont aussi été bloqués judiciairement : Fembed, Upvid, Vudeo et Uqload, bien que ce dernier soit reparti à la hausse ces derniers temps.
La dernière décision judiciaire en date – celle du jugement du 11 mai 2023 du tribunal judiciaire de Paris ordonnant le blocage du cyberlocker Uptobox (1) – aux opérateurs télécoms – devrait à son tour contribuer à la tendance baissière du piratage. Concernant les protocoles Internet utilisés par les présumés « pirates », le streaming arrive en tête : en forte baisse depuis deux ans (- 37 %), il repart à la hausse depuis le début de l’année. Le direct download (DDL) arrivent en seconde position dans les pratiques de piratage, en baisse depuis deux ans (- 17 %), il est aussi récemment reparti à la hausse.

Streaming, DDL, livestreaming, P2P
Quant au livestreaming, il est en forte baisse (- 69 % en deux ans). Tandis que le peer-to-peer (P2P), qui fut par le passé le protocole dominant du piratage et la bête noire des industries culturelles, reste depuis quelques années le moins utilisé des protocoles « pirates ». Mais après des années de baisse, le P2P affiche une « relative stabilité » (dixit le CNC). En mai dernier, Denis Rapone (photo de gauche), ancien président de l’Hadopi et actuel membre du collège de l’Arcom, au sein de laquelle il est président du groupe de travail « Protection des droits sur Internet », a indiqué qu’en seulement six mois, 166 sites dits « miroirs » ont été bloqués entre octobre 2022 et avril 2023 par l’Arcom. Celle-ci a en effet désormais le pouvoir – instauré par la loi « Antipiratage » du 25 octobre 2021 et l’article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle (2) – de bloquer les sites qui contournent – en reprenant les contenus de sites bloqués – les décisions judicaires obtenues par les ayants droit.

Blocages par l’Arcom et par l’OCLCTIC
Une collaboration a ainsi été mise en place depuis le 5 octobre 2022 entre l’Arcom et l’Alpa. Lorsque cette dernière repère des sites miroirs reprenant des contenus de sites bloqués par les FAI, les titulaires de droits peuvent saisir l’Arcom afin que la décision de justice concernée soit actualisée (3). En outre, vient de paraître au Journal Officiel un décret daté du 12 juin 2023 désignant de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire, comme autorité administrative pouvant demander toutes mesures pour empêcher l’accès aux sites miroirs.
Si les chiffres en France montrent une tendance à la baisse de piratage, il n’en va pas de même au niveau mondial. Les grands studios d’Hollywood et autres majors du cinéma, réunis au sein de la puissance Motion Picture Association (MPA) aux Etats-Unis, fustigent, eux, une augmentation de la fréquentation des sites dits illégaux. La société britannique Muso, qui travaille étroitement avec ces grandes sociétés de production américaines en ayant accès leurs vastes bases de données d’œuvres, affirme détenir la plus complète « liste noire » de sites pirates. Selon son PDG cofondateur, Andy Chatterley (photo de droite), la fréquentation de ces sites a augmenté de 18 % en un an, pour atteindre 215 milliards de visites en 2022. Et d’après ses constatations, qu’il a détaillées dans un entretien à TechXplore le 1er juin dernier (4), près de 480.000 films et séries ont été diffusés l’an dernier sans autorisations des ayants droit. Ancien producteur de musique, Andy Chatterley a cofondé Muso en 2009. « C’est plus facile que jamais d’obtenir du contenu illégal », déclare-t-il. Il estime que les industries culturelles s’y prennent mal pour lutter contre le piratage sur Internet, que cela soit en mettant à l’amende les individus ou en bloquant les sites pirates par décisions de justice. « Contre-productif » et « perte de temps ». Les grands studios se concentrent désormais sur les « gros poissons », les Big Fish, à savoir les sites facilitant la piraterie d’œuvre et fréquentés par des millions d’utilisateurs de par le monde.
Avec la Motion Picture Association (MPA), dont sont membre Disney, Paramount, Sony Pictures, Universal, Warner Bros, ainsi que Netflix, a été créée en 2017 l’Alliance pour la créativité et le divertissement (ACE) – Alliance for Creativity and Entertainment – pour coordonner leurs efforts dans la lutte contre le piratage dans le monde. Parmi les membres de l’ACE, à vocation internationale, l’on retrouve ceux de MPA mais aussi Canal+, France Télévisions, Sky, BBC Studios, MGM (Metro- Goldwyn-Mayer devenu filiale d’Amazon), et Lionsgate, Fox, Amazon ou encore Apple. « Nous déployons l’expertise de plus de 85 professionnels à temps plein dans le monde entier, qui se consacrent à enquêter et à prendre des mesures contre les menaces de piratage en ligne existantes et émergentes », indique l’ACE sur son site web (5).

L’alliance ACE fait fermer les Big Fish
Dernière opération en date : annonce le 18 mai de la fermeture du principal service espagnol de streaming et de torrent illégal, AtomoHD (6). L’ACE est aussi intervenu à Taïwan, aux Philippines, au Brésil, au Vietnam, au Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais aussi en Allemagne ou encore, comme annoncé le 14 février, en France avec la fermeture du deuxième site illégal de streaming et de téléchargement direct en France, Extreme-down (7). La piraterie n’a pas de frontières, les géants du divertissement l’ont compris. @

Charles de Laubier

La peur envers les intelligences artificielles de type ChatGPT tourne à la psychose irrationnelle

Depuis la pétition signée le 29 mars 2023 par Elon Musk et des experts demandant un moratoire sur le développement des « cerveaux numériques » qui, selon eux, présentent des « risques majeurs pour l’humanité », les craintes se le disputent aux fantasmes quant à l’avenir des « ChatGPT ».

A les entendre ces Cassandres et Nostradamus de ce début du XXIe siècle, « l’extinction de l’humanité » serait pour bientôt. La fin des temps arriverait aussi rapidement que se développent les intelligences artificielles à la ChatGPT, lesquelles sont l’objet de toutes leurs angoisses existentielles. Si l’Apocalypse relève de l’eschatologie religieuse, la « ChatGPTéisation » annoncerait, elle, l’hécatombe de l’être humain. Ce tsunami numérique des IA, à l’apprentissage fulgurant, provoquerait la fin du monde.

L’Homo sapiens supplanté par l’IA sapiens
Les tribunes et déclarations de ces craintifs se suivent et se ressemblent : il faudrait pour les uns instaurer « un moratoire » face aux « risques majeurs pour l’humanité » que constitueraient les IA concurrentielles pour l’homme ; il est temps pour les autres de « prendre au sérieux certains des risques les plus graves de l’IA avancée » menaçant l’espèce humaine d’« extinction ». Les peurs que suscitent les ChatGPT, Midjourney et autres Bard, ainsi que toutes les autres IA surhumaines qui les supplanteront, virent aux fantasmes voire à l’hystérie collective. « L’atténuation du risque d’extinction dû à l’IA devrait être une priorité mondiale, parallèlement à d’autres risques à l’échelle de la société tels que les pandémies et les guerres nucléaires », clament des dizaines de signataires chercheurs en intelligence artificielle (AI Scientists), professeurs d’universités et personnalités, dont Samuel (Sam) Altman (photo), le cofondateur avec Elon Musk de la start-up OpenAI qui a développé ChatGPT (générateur de textes) et de Dall-E (générateur d’images). Ce sont les deux IA les plus en vue depuis leur lancement respectif fin novembre 2022 et début 2021.
Sam Altman, qui a fait part le 17 mai au Sénat américain de sa peur de voir cette « superintelligence » provoquer de « graves dommages au monde », serait-il devenu malgré lui le pompier-pyromane en chef des IA générative ? La courte déclaration mise en ligne le 30 mai dernier sur le site du Center for AI Safety (1), une ONG américaine dédiée aux « risques IA », est aussi signée par Bill Gates (Gates Ventures) ou encore Grimes (célèbre musicienne). Il y a même le Canadien Geoffrey Hinton (75 ans), professeur émérite d’informatique et chercheur, parfois surnommé le parrain voire le « Dieu le Père » (Godfather)de l’IA et du Deep Learning (apprentissage profond dont se nourrissent les intelligences artificiels). Il s’est distingué le 1er mai dernier en annonçant qu’il quittait Google « pour pouvoir parler des dangers de l’IA ». Et critiquer son ancien employeur dans ce domaine comme l’a suggéré le New York Times (2) ? Que nenni : « Sans considérer comment cela affecte Google. Google a agi de façon très responsable », a-t-il rectifié dans un tweet (3). Geoffrey Hinton, qui aujourd’hui rejoint le cœur de ceux qui parlent de « profonds risques pour la société et l’humanité », a travaillé pendant près d’un demi-siècle sur l’IA générative appliquée aux chatbots, ces robots conversationnels (4) qui terrifient un nombre croissant d’humains. Au risque de conflits d’intérêts, il avait annoncé en mars 2013 – lorsque la firme de Mountain View a racheté son entreprise DNNresearch (5) – qu’il allait « poursuivre [s]es recherches à Toronto et, en même temps, aider Google à appliquer les nouveaux développements en apprentissage profond pour créer des systèmes qui aident les gens ». Il n’avait alors émis à l’époque aucune réserve sur ses travaux…
Elon Musk, pourtant moins frileux dans d’autres domaines industriels où le zéro risque n’existe pas, et qui plus est un des cofondateurs d’OpenAI (d’où il s’est retiré en 2018), a été l’un des milliers de cosignataires de la tribune « AI Pause » (6) parue le 22 mars 2023. Ce texte lançait des cris d’orfraie en disant stop : « Nous appelons tous les laboratoires d’IA à suspendre immédiatement pendant au moins 6 mois la formation des systèmes d’IA plus puissants que GPT-4. Cette pause devrait être publique et vérifiable et inclure tous les acteurs-clés. Si une telle pause ne peut être mise en œuvre rapidement, les gouvernements devraient intervenir et instituer un moratoire ». Parmi les plus de 31.800 autres signataires : le chercheur français Joseph Sifakis, prix Turing de l’informatique 2007, pour qui « la technologie va trop vite » (7). Sam Altman, lui, n’en est pas signataire…

Réguler, oui ; arrêter l’IA, non
Le patron d’OpenAI, financé à coup de milliards par Microsoft, appelle les Etats à réguler ces IA superintelligentes : pour mieux freiner ses concurrents (comme Google avec Bard) et conforter la position dominante de ChatGPT sur ce tout naissant marché ? Après le Sénat américain le 17 mai, Sam Altman a rencontré le 23 mai Emmanuel Macron (8), puis le lendemain il a menacé de Londres de fermer ChatGPT en Europe si son futur AI Act était trop contraignant ! Avant de se dédire face au courroux du commissaire européen Thierry Breton l’accusant le 25 mai (9) de « chantage ». @

Charles de Laubier