Tarifs télécoms : même pas peur !

Armé de mon seul smartphone associé à sa tablette, me voici prêt à communiquer sans limite, à surfer ad libitum
sur mes contenus préférés et à parcourir le monde sans me soucier de mon abonnement Internet… Nous sommes bien en 2020, mais cette situation tarifaire idéale n’est pas encore totalement réalité. S’il existe bien aujourd’hui des formules d’abonnement très simples, complètes et à coût raisonnable, la vigilance reste de mise. La simplicité réclamée par les utilisateurs se heurte encore et toujours à des évolutions multiples, parfois opposées. La grande rupture heurta de plein fouet les opérateurs télécoms au tournant de l’an 2000. Jusque-là, ils commercialisaient des minutes d’appels via des téléphones fixe et mobile, ou des SMS. Dès 2010, plus des
80 % des communications se faisaient désormais via l’e-mail, la messagerie instantanée, la voix sur IP, les blogs ou les forums. Ces formes alternatives de communication échappent encore et toujours aux opérateurs et à toute forme de monétisation. Cette véritable révolution des usages s’inscrit dans un contexte plus général : baisse tendancielle des prix, augmentation vertigineuse des trafics et préservation des investissements conséquents dans les réseaux très haut débit, fibre ou LTE.

« Certaines stratégies tarifaires propres au marché mobile s’appliquent désormais au fixe, notamment le traffic cap »

Nous ne sommes plus dans la situation de tâtonnement qui prévalait encore en 2012, année où une habitante de Perth (Etats-Unis) reçut une facture de 160.000 dollars à la suite d’un séjour en Italie malgré son abonnement à 29 dollars par mois ! Les régulateurs ont émis des recommandations pour éviter ce bill shock. Après l’Europe qui a imposé aux opérateurs une limite de roaming, la FCC a obtenu que les abonnés soient avertis par des messages gratuits lorsqu’ils dépassent le plafond de leur abonnement.
Mais la nouveauté en matière de tarification tient à la fusion des tarifications fixe et mobile, sur fond de généralisation des offres quadruple-play. Certaines stratégies tarifaires propres au marché du mobile s’appliquent désormais au fixe, notamment le traffic cap :
les opérateurs proposent des offres structurées selon le volume consommé, même si certains opérateurs challengers continuent à proposer de l’illimité. Les Etats-Unis furent pionniers en la matière, avec notamment les volume caps des câblo-opérateurs et d’AT&T. Mais certains opérateurs européens (Virgin Media, BT, Deutsche Telekom, …)
ont très tôt mis en place ce type de restriction. Certaines pratiques sur le fixe ont été adaptées au mobile. La voix s’est ainsi définitivement banalisée : autrefois séparée, elle est désormais incluse dans les offres d’accès Internet fixe d’entrée de gamme. De leur côté, les opérateurs mobiles contrecarrent les offres OTT (Over-The-Top) avec des forfaits illimités de voix et de SMS, y compris à l’international. Les offres d’accès fixe, plus que jamais structurées par niveau de débit depuis que les offres d’accès en fibre optique se banalisent, sont dupliquées aux services de données mobiles comme l’offre très innovante de Swisscom lancée dès 2012. Mais ce sont sans doute les offres de Data Sharing qui se sont le plus rapidement développées à la forte demande des utilisateurs. Lancées par les précurseurs Verizon et AT&T, ces forfaits permettent de partager un abonnement entre plusieurs terminaux ou utilisateurs, pour un individu multi-équipé et/ou les membres de son groupe, connectés également à un réseau WiFi. La complexité tarifaire s’est portée sur la valorisation des contenus. Les marges y sont faibles pour un opérateur, à moins de disposer de contenus intégrés, à l’instar de Time Warner Cable ou de Comcast. Les opérateurs valorisent la qualité de service de leurs réseaux en faisant payer à l’abonné des niveaux de services, ce qui permet de valoriser l’explosion des usages OTT, ou en faisant payer les fournisseurs de contenu pour la distribution sur réseau managé. Au-delà, la nouvelle frontière vise à valoriser un ensemble de services, regroupés sous le terme générique de Smart Access (Rich Communication, Digital Home, Secure Access). Ainsi, les politiques de tarifications sont encore pour longtemps condamnées à la complexité. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Services de communication
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport
« Stratégies tarifaires des Telcos : Quelles politiques tarifaires
pour monétiser des trafics en explosion ? »,
par Sophie Lubrano.

L’ère du worktertainment

Hier soir, en partant du bureau, je suis rentré m’assoir à
ma table de travail. Et ce matin, en poussant la porte de
mon bureau, je me suis retrouvé dans ma chambre… Comme pour désormais la majorité d’entre nous, la frontière entre vie professionnelle et vie privée s’estompe un peu plus chaque jour. Le phénomène est bien connu et a été anticipé maintes fois depuis fort longtemps. Les années 1970 furent celles d’un télétravail annoncé et étudié sous toutes les coutures, mais qui tarda à venir. Dans les années 1990, c’est au tour du desk sharing de faire une apparition timide. La mutualisation des postes de travail fut tout d’abord introduite par de grandes sociétés de conseil américaines,
dont les collaborateurs travaillaient principalement chez leurs clients. Mais en 2010,
on estimait déjà à un tiers les entreprises ayant appliqué ce système pour une partie
de leurs salariés, le plus souvent en adoptant un ratio de sept postes de travail pour
dix salariés. L’ensemble des technologies contribuant à faciliter la mobilité des postes
de travail a finalement accéléré le phénomène. En 2012, dans de grands pays européens, une personne équipée d’un smartphone sur deux était concernée par le phénomène du BYOD (Bring Your Own Device). Cette pratique consiste, pour les salariés d’une entreprise, à venir au travail avec leur propre équipement. Les conséquences de ce phénomène sont bien connues : l’employé utilise des services et des terminaux à domicile souvent bien plus puissants et faciles d’utilisation que ceux fournis par l’employeur. Ce qui a longtemps mis les directions informatiques sous pression. Aujourd’hui, l’équipement de base est constitué d’une tablette connectée, d’un smartphone, d’un accès permanent aux applications disponibles dans le cloud et d’une série d’applications collaboratives dérivées des « applis » les plus populaires.

« Ses collègues font partie d’un réseau étendu
et son supérieur hiérarchique adopte le titre
pompeux de Chief Chaos Officer ! »

Sous les coups de boutoir répétés de l’innovation, l’entreprise a donc rendu les armes en utilisant même le phénomène à son profit. Elle a ainsi suivi les pionniers qui, il y plus de dix ans, firent de l’abolition des frontières entre sphères privée et professionnelle une alliée dans la recherche de toujours plus d’efficacité et de productivité de leurs cols blancs : des toboggans à la place d’escaliers, des salles de réunions aménagées comme des salles à manger, des salles d’isolement meublées comme une chambre d’enfant, sans parler des baby-foot, billards et autres flippers, comme autant de signes finissant de brouiller les repères. Les limites des open spaces d’antan sont tellement dépassées que les bureaux d’aujourd’hui, privés de murs, sont grand-ouverts sur l’extérieur.
Le travailleur, salarié ou indépendant, est désormais un contributeur dont le bureau est
un espace provisoire : dans les transports, chez lui, dans un espace de travail partagé (coworking), et parfois dans les locaux de son employeur. Ses collègues font partie d’un réseau étendu et son supérieur hiérarchique adopte le titre pompeux de Chief Chaos Officer ! Ce dernier fait figure de grand organisateur de ce nouveau monde du travail dématérialisé. Bref, nous sommes définitivement entrés dans une nouvelle ère de l’histoire du travail, celle du work entertainment, où s’interpénètrent les temps de travail et de loisirs. Même la formation est permanente et ludique grâce à l’usage généralisé des serious games. Et nous venons de franchir une nouvelle étape dans cette direction :
de plus en plus d’entreprises proposent à leurs employés des packs numériques complets intégrant, outre les équipements de bases, les abonnements permettant un accès universel à tous les médias et tous les contenus. Une manière radicale d’assumer cette évolution et de régler en même temps les questions inextricables de droit de propriété intellectuelle et de diffusion lorsque les œuvres culturelles sont écoutées (musiques), regardées (films), lues (livres) ou utilisés (jeux vidéo ou logiciels) dans l’enceinte professionnelle. Il est loin le temps où l’arrivée des premiers Minitel introduisait les jeux en ligne au bureau pour la plus grande crainte des dirigeants et celle d’un Scott Adams, qui pouvait faire dire à son fameux Dilbert que « le patron constitue le plus gros obstacle à l’oisiveté au bureau ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les tarifs des telcos
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son enquête
« Smartphone en entreprise
(Allemagne, France, Royaume-Uni) »,
par Anne Causse, consultante.

L’édition tourne la page

Dans son lot habituel, la rentrée littéraire nous a apporté cette année la révélation d’un auteur étonnant. Il est à l’origine d’une génération de nouveaux romans contemporains qui aurait su toucher le grand public. Mais il n’aura jamais son nom imprimé sur la couverture d’un livre. Et pour cause : en ce milieu du XXIe siècle, les auteurs n’écrivent que rarement ! Ils sont les héros d’une nouvelle littérature, symbole d’une culture redevenue orale et visuelle. La vidéo s’est en effet imposée aujourd’hui comme la nouvelle forme d’écriture – dominante, universelle et sans frontières – par la magie de
la traduction simultanée, retranscrivant même la couleur et l’intonation de la voix des auteurs. Après des siècles de montée en puissance progressive de l’écrit, la technologie de l’image apparue au siècle dernier a ainsi fait progressivement son oeuvre de transformation… Bon d’accord, n’exagérons pas ! Cette scène ne se déroulera sans doute pas avant 50 ans, c’est-à-dire vers 2070. Mais, j’en suis persuadé, nous sommes tous engagés dans cette voie, celle d’une nouvelle culture portée par de nouveaux médias. Le livre et plus largement l’écrit alimentent les souvenirs nostalgiques d’une
réalité en cours de substitution. Après cette introduction en forme d’anticipation presque prophétique, il faut bien reconnaître que le monde de l’édition est encore loin d’avoir
rendu les armes. Mais nous sommes au tout début de ce processus extraordinaire
et les éléments de cette transition se mettent en place.

« Par écrit ou en vidéo, la littérature numérique dispose d’une palette complète de distribution, de l’auto-édition à l’intervention de grandes maisons toujours indispensables »

Si l’édition fait depuis plus de dix ans déjà sa révolution numérique, c’est en adaptant
sous la pression son modèle économique, comme les autres industries culturelles l’ont
fait avant elle. Une maison d’édition est aujourd’hui forcément numérique, partiellement
et de plus en plus si elle est ancienne, ou à 100 % si elle est un pure player. Mais le
plus frappant est sans doute la poursuite de la « désintermédiation », signe de
« l’Internetisation » du monde physique, commencée par les sites de ventes en lignes comme Amazon et continué aujourd’hui par le phénomène montant de l’auto-édition.
A l’aube du XXe siècle, l’édition à compte d’auteur était encore la marque des auteurs maudits, à l’instar d’un Raymond Roussel dont l’insuccès persistant l’amena à s’auto-éditer, jusqu’à donner à son troublant “Impressions d’Afrique” un titre pouvant également se lire “Impressions à fric”. Il y a encore peu, l’auto-édition avait mauvaise presse et était assimilée à une production amateur. Mais elle s’est peu à peu montrée adaptée à des projets de taille modeste (histoire régionale, domaine techniques, …). Certains auteurs à succès ont également ouvert la voie en prenant le contrôle de leur production, notamment dans la bande-dessinée à l’exemple d’Uderzo. La littérature n’y échappera pas. Des classiques de demain sont en train de naître de l’auto-édition…
L’aventure de l’auto-édition a véritablement commencé à l’heure d’Internet. D’abord avec le phénomène des blogs, qui a offert au plus grand nombre la possibilité de publier sans contrainte. C’est une véritable pépinière planétaire d’auteurs à l’origine de nombreux bestsellers : une Amanda Hocking, aux Etats-Unis a vendu des centaines de milliers d’exemplaires, lorsqu’en France un David Forrest diffusait seul des polars vendus à plus de dix mille exemplaires en quelques mois. Un succès tel que, depuis 2009 aux Etats-Unis, l’auto-édition dépasse l’édition traditionnelle en nombre de livres. Et quand on
sait qu’on évalue à 6 % le nombre de Français disposant d’un manuscrit à publier, on comprend le succès de site comme Lulu.com ou TheBookEdition.com. Exploitant le phénomène de la longue traîne, il s’agit pour ces sites, non plus de vendre 100.000 exemplaires d’un même livre venant de 10 créateurs différents, mais bien de vendre
100 exemplaires de 10.000 créateurs différents.
Par écrit ou en vidéo, la littérature numérique dispose désormais d’une palette
complète de distribution, de l’auto-édition à l’intervention de grandes maisons toujours indispensables. Une manière de redonner un peu de pouvoir au créateurs dans leur relation toujours conflictuelles, que ne dément pas la réflexion qu’un Dan Brown faisait déjà lorsqu’il écrivait en 2009 que « le monde de l’édition serait tellement moins compliqués sans les auteurs ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le bureau du futur
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Exaspération culturelle

Cette semaine, les médias bruissent de rumeurs concernant la restitution publique des conclusions d’un rapport consacré aux nouvelles orientations de la politique culturelle du pays. Le gouvernement en a fait la commande avec l’espoir, plus ou moins avoué et peut-être illusoire, d’enfin réconcilier promotion de la création nationale et mutation technologique. Cet énième rapport sera-t-il à son tour refermé à peine ouvert après avoir suscité d’âpres débats et fait monter au créneau les représentants des différentes parties prenantes ? Rejoindrat- il ces prédécesseurs, comme le célèbre rapport Lescure de 2013 qui devait déboucher sur une série d’ajustements limités de nombreux dispositifs en place ? Des réformes ambitieuses étaient pourtant attendues, les moins bien intentionnés parlèrent de « rustines » pour le dispositif Hadopi. Un rapport qui signa, quoi qu’il en soit, le passage à un « acte 2 de l’exception culturelle » à la française.

« Les Européens sont ainsi en train d’enrayer
la malédiction selon laquelle les cultures nationales fécondes et originales ne s’exporteraient pas. »

Le premier acte a bien une date de naissance : 1993, lorsque le gouvernement français obtint que le secteur de l’audiovisuel soit exclu des accords du GATT – ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – entre les Nord-américains et les Européens. Un bras de fer remporté à la suite de cette première avancée que fut la directive européenne « Télévision sans Frontières », laquelle, en 1989, imposa aux télévisions des pays membres de l’Union européenne des règles de diffusion et de production d’œuvres européennes du cinéma et de l’audiovisuel. Si en réalité, cette exception est le résultat d’une volonté bien française de tenter de préserver un modèle séculaire, où l’Etat orientait et régissait la vie de la culture, elle s’est construite de
l’après-Seconde guerre mondiale aux années 1980. De nombreux dispositifs ont été progressivement mis en place afin de préserver les filières du livre, de la presse, du théâtre, de la musique, du cinéma ou encore de la télévision. Bref, des « industries culturelles ».
Mais cette ligne originale, qui visait à soutenir des professions au service de la création, tentait également de prolonger une époque où l’exception culturelle française était un fait, grâce aux voix universelles des grands siècles de la littérature, de la peinture, de la musique jusqu’aux petits derniers de la nouvelle vague au cinéma. Cette politique fut sans doute tenable avant qu’Internet n’entre en jeu. Les bouleversements entraînés par la numérisation et la mise en réseau des contenus ont peu à peu révélé les faiblesses et finalement les décalages de politiques qui ancraient des métiers dans le passé en les empêchant de les projeter vers l’avenir.
De nouvelles pistes sont aujourd’hui encouragées, structurées au sein de ce que le gouvernement revendique comme une « stratégie culturelle ». La ligne générale est moins, désormais, de créer des systèmes complexes de financement que de créer des écosystèmes favorisant l’effervescence des jeunes talents, mobilisant le financement des œuvres par le mécénat privé, s’appuyant sur les nouveaux business models naissant, voire en œuvrant à la création de grands groupes médias. Ces « champion européens » sont-ils compatibles avec l’« exception culturelle nationale » ?
Au sein de ce qu’il convient d’appeler la bataille des contenus, les Européens sont ainsi en train d’enrayer la malédiction selon laquelle les cultures nationales fécondes et originales ne s’exporteraient pas. A l’heure où les séries télévisées et/ou « webisées » se sont érigées en art majeur, où les dramas coréens, les telenovelas brésiliennes, les mousalsalets des pays arabes ou les scripted realities occidentaux s’ouvrent des audiences continentales au côté du flux américain, l’Europe arrive enfin à créer des séries attendues avec impatience aux quatre coins du monde. Finalement, l’« acte
3 de l’exception culturelle » à la française n’aura sans doute jamais lieu. Les systèmes d’aides complexes jouent, à l’heure d’Internet, la carte de la « désintermédiation ».
Et la création, effervescente, multiforme, de nouveau stimulante et subversive, se donne comme terrain de jeu l’Europe a minima. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’auto-édition
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Augmented Journalism

« Eh ! Viens voir ce numéro du Monde ! Et celui-ci du Financial Times ! ». Cette amie, qui me tire par la manche pour me montrer journaux et magazines, n’est pas devant un kiosque d’un autre temps. Non, ce matin nous sommes allés chiner aux puces. Et ce sont des exemplaires d’une presse papier déjà un peu jaunis qu’elle me montre avec les yeux brillants du collectionneur averti. C’est presque en la portant que je la ramène chez moi, à moitié évanouie d’émotion à la vue d’une Remington portative bien fatiguée ! Ce sont des symboles d’une aventure extraordinaire, celle de journalistes du quotidien ou enquêteurs au long cours, qui nous informèrent ou nous firent rêver, à l’aide d’une feuille, d’un stylo
ou d’un simple clavier. Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un instant car un nouvel âge d’or du journalisme se dessine. Si, durant cette longue transition numérique, les rédactions ont perdu des dizaines de milliers de journalistes, peu à peu ce journalisme « diminué » par la crise se transforme en un journalisme « augmenté ». Ce journaliste
d’un nouveau genre est, comme ses anciens, toujours sur le terrain. Un terrain lui aussi augmenté, tout à la fois monde physique et monde numérique. Pour en arriver là, il a bien fallu que les professionnels de l’info prennent en main ces nouveaux outils qui leur firent d’abord si peur. D’autant que Monsieur Tout-le-monde remettait en cause leur statut en blogant, en tweetant, en commentant en ligne l’actualité ou en envoyant aux rédactions des photos ou des vidéos prises dans l’instant.

« Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un
instant car un nouvel âge d’or du journalisme se
dessine, à la fois physique et numérique »

Le premier direct sur smartphone diffusé en 2014, à la fois sur une chaîne de télévision
et sur un site de partage vidéo, est encore dans toutes les mémoires. C’est aujourd’hui banal, depuis que des rédactions pionnières, comme celle du New York Times, choisirent dès 2012, d’équiper leurs journalistes de smartphones et de tablettes. La BBC, elle, dota ses envoyés spéciaux d’une application leur permettant de transférer les vidéos, clichés et sons directement vers le système interne de la chaîne mais également en direct à l’antenne. Bel et bien sinistrée, cette profession a finalement réussi à sortir par le haut en puisant aux sources de ce qui est l’essence et la noblesse de ce métier : même bardés
de ces nouveaux outils, la mission ultime de nos journalistes reste bien de trier parmi des informations pléthoriques, d’authentifier, de hiérarchiser et d’analyser l’actualité. Et en plus de la banalisation d’un accès à une information libre et gratuite, il leur fallait également se positionner par rapport à ce nouvel avatar de la technologie qu’est le data journalism.
Des algorithmes transforment des données brutes en articles et alimentent en flux continus journaux et sites Internet, notamment dans les domaines du sport (à partir de statistiques) ou des affaires (à partir de bilans comptables). Des pionniers pouvaient, dès 2012, générer des articles dans différents tons, comme Automated Insights qui fournissait des clients aussi prestigieux que Forbes ou que Narrative Science produisant une avalanche d’articles sur 370.000 matchs de base-ball de ligues mineures.
Cernés par la banalisation d’un côté et l’automatisation de l’autre, nos journalistes n’ont dû leur salut qu’à l’avènement d’un nouveau type de rédactions capables de repenser de fond en comble la ligne éditoriale et la mise en rubriques de leurs articles, dans un contexte de diffusion résolument multimédia. Les rédactions travaillent désormais en trois dimensions, déclinant chaque info en fonction du support, de la rubrique et du moment de la journée. Les breaking news ne sont-elles pas d’abord attendues sur les smartphones ? Dans
cette presse, désormais plus numérique que papier, coexistent plus que jamais de grands groupes de médias et une myriade de nouveaux titres qui explorent les potentialités de
ce nouveau journalisme exigeant. Le papier n’a pas disparu mais il est réservé à des publications de niches, de haut de gamme ou encore de titres au lectorat vieillissant encore attaché au papier. Sans oublier les collectionneurs qui sont à l’affût de ce qui pourrait être le dernier numéro papier d’un grand quotidien du soir. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’exception culturelle française
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Programme du prochain DigiWorldSummit :
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