Maturité des web-programmes

Vous êtes déjà en 2020, Par Jean-Dominique Séval*

JD SévalLe programme qui fait le buzz ces jours-ci, bien plus que qu’un simple bourdonnement d’ailleurs puisqu’il s’agit d’un véritable phénomène médiatique, est celui de tous les records. Notamment celui d’être le premier web-programme à tenir en haleine plusieurs centaines de millions d’internautes, un véritable record d’audience au niveau mondial.
Le secret de ce succès tient à quelques recettes terriblement efficaces : une web-série événement, mettant en scène quelques vedettes hollywoodiennes et s’appuyant sur une action haletante se déroulant dans plusieurs capitales.

« La différence entre programmes-télé et web-programmes n’est plus nécessaire pour distinguer des contenus financés par des groupes médias intégrés. »

Mais l’innovation vient surtout de l’utilisation, pour la première fois convaincante, de l’interactivité qui permet aux spectateurs d’intervenir dans le déroulement des futurs épisodes et de l’intégration d’un gameplay grandeur nature qui offre aux joueurs l’occasion de vivre l’expérience de la série dans les décors des grandes villes visitées.
Ce fut un tel succès que la saison 2 est désormais diffusée simultanément en « mondovision » sur le Net. J’utilise à dessein le terme de web-série pour me faire mieux comprendre, mais cette distinction n’est plus guère utilisée de nos jours.
La différence entre programmes-télé et web-programmes n’est plus nécessaire pour distinguer des contenus financés, produits et diffusés par des groupes médias intégrés et disponibles sur tous les écrans fixes et mobiles.Mais avant d’en arriver là, l’histoire de la webTV a été, durant ses presque 30 ans d’existence, un véritable laboratoire « à ciel ouvert », en dehors des réseaux traditionnels de diffusion des programmes de télévision. Les premières « webtélés » sont apparues aux États-Unis, dès qu’il a été facile de diffuser de la vidéo sur Internet.
Dès 1995, le publicitaire new-yorkais Scott Zakarin sut convaincre son employeur Fattal & Collins de financer une série en ligne. En France, en 1997, Jacques Rosselin créa CanalWeb en installant les studios de l’une des toutes premières webtélés à une adresse mythique : la rue Cognacq Jay. Ce fut l’occasion de créer des programmes variés allant des jeux à la musique, en passant par la cuisine, l’actualité internationale et les talks shows.
Cette époque pionnière avait déjà testé tous les formats, avant de bénéficier à partir de 2000 de l’apparition du streaming et des plateformes-clés pour leur diffusion que furent YouTube ou Dailymotion. L’année 2006 marqua ainsi l’avènement des premières séries indépendantes aux audiences millionnaires : lonelygirl15, Soup of the Day, California Heaven ou SamHas7Friends, …
Mais l’on était, malgré tout, encore loin des succès grands publics des séries télévisées. Jusqu’à l’arrivée de grandes chaînes comme ABC, qui lança en 2008 sa web-comédie Squeegie, ou NBC, qui proposa une web-série de science-fiction Gemini Division.

Cette maturité nouvelle donnait l’impression que la jeune industrie de la webtélé singeait sa grande soeur. Mais ce serait s’y méprendre : avec l’Internet, c’est bien de nouveaux formats qui trouvent peu à peu leur place.

L’effervescence fut telle, que des festivals dédiés virent le jour pour consacrer le meilleur de la production de l’année. L’International Academy of Web Television, établi en 2009 aux Etats-Unis, organisa les Streamy Awards, premières récompenses des programmes de l’industrie de la webTV.
L’année suivante furent décernées les premières récompenses par le Festival international de télévision sur Internet de La Rochelle. Autant d’occasions de distinguer une production déjà très variée dans de nombreuses catégories : web-actualité, webanimation, web-tourisme, web-documentaire, web-fiction, web-humour, web-jeunesse ou web-culture.
Cette maturité nouvelle donnait l’impression que la jeune industrie de la webtélé singeait sa grande soeur. Mais ce serait s’y méprendre : avec l’Internet, c’est bien de nouveaux formats qui trouvent peu à peu leur place. Comme la télévision vida les écrans de cinémas des actualités et des courts-métrages, les webtélés provoquèrent une évolution radicale des programmes de l’ancienne télévision.
Un continuum de programmes, des plus courts aux plus longs, amateurs ou professionnels, linéaires ou interactifs cohabitent désormais sur nos écrans connectés. Cette avalanche de contenus semble donner raison à Andy Warhol, lorsqu’il déclarait qu’il n’y avait plus « aucune différence entre vivre et regarder la télévision » ! @

* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Télé et vidéo payantes

Ineffables Phablettes

Que dites-vous ? Quoi ? Une phablette…? Non, je ne
vois pas ce que c’est ? Hum… attendez… Ah oui ! Je me rappelle maintenant, ces terminaux qui eurent leur heure
de gloire entre 2013 et 2015. C’est vrai qu’on les a oubliés aujourd’hui, mais ces objets hybrides, mi-phone mi-tablet, attirèrent l’attention, moins par l’innovation dont ils étaient porteurs que par l’annonce de toute une nouvelle génération de terminaux. En fait, ils comblèrent un vide évident entre
les smartphones, et les tablettes. Ces « superphones », téléphones intelligents disposant d’un écran compris précisément entre 5 et 7 pouces
de diagonale, avaient le simple mérite de pouvoir être considérés à la fois comme un grand téléphone et comme une petite tablette. Une avancée pour tous ceux qui trouvaient que l’écran d’un smartphone était décidément trop petit pour profiter pleinement des services de l’Internet mobile, ou encore pour ceux qui étaient gênés par la taille de la tablette bien trop grande pour pouvoir tenir dans une poche. Finalement, il s’agit bien
d’un simple aménagement de gamme conçu par des équipes marketing consciencieuses, qui trouva rapidement sa place dans un marché des terminaux pour l’Internet mobile en pleine expansion. Il se vendit ainsi dans le monde plus de 200 millions de ces phablettes en 2016.

« Relevant d’un épiphénomène, les phablettes
marquèrent néanmoins le début d’une révolution permanente dans les terminaux mobiles. »

Régulièrement moqués lorsqu’il s’agissait de porter sa phablette à l’oreille pour téléphoner, les utilisateurs prirent la saine habitude de passer leur coup de fil avec une oreillette. Mais la phablette, en s’imposant comme un véritable calepin numérique utilisé au doigt ou au stylet, a surtout permis l’appropriation massive d’un terminal mobile comme assistant personnel universel.
Les équipementiers ne s’y sont pas trompés, qui se sont immédiatement lancés à l’assaut de ce segment du marché. Certains ont même eu l’intuition de ce filon, comme Dell qui proposa, sans succès, son Streak sous Android dès 2010. Mais c’est Samsung qui connut le succès fin 2011, en proposant son Galaxy Note – réintroduisant le stylet que
l’on croyait définitivement dépassé depuis l’introduction visionnaire de l’interaction du
doigt et de l’écran par Apple. LG, HTC, Sony suivis par Huawei et ZTE ont lancé successivement leurs propres modèles. L’occasion de prendre plus facilement des parts de marché sur un segment encore ouvert, quand celui des smartphones et des tablettes était déjà très structuré. L’occasion aussi de déstabiliser les leaders en lançant une offensive en règle avec des terminaux moins chers. Des acteurs très peu connus sont entrés sur ce marché, comme le chinois Neo, qui fit l’événement en lançant en 2013 une phablette à 120 euros. Le dernier venu, presque paradoxalement, ce fut Apple, qui dut se résoudre à lancer, avec retard, sa propre phablette, espace de marché qu’il avait délaissé entre l’iPhone et l’iPad mini. La période des phablettes, finalement un épiphénomène, confirma néanmoins le commencement d’une nouvelle ère de révolution permanente,
celle du monde des terminaux mobiles. Il était assez clair, dès le début des années 2000, qu’entre le PC et les tous premiers smartphones, il y avait la place pour un continuum de terminaux, encore à inventer. Comme la nature humaine a horreur du vide, la technologie banalisée occupa les niches d’usages délassées, tandis que les dernières innovations ouvraient de nouveaux espaces. Nec proposa un smartphone à deux écrans qui, une
fois ouvert, faisait office de phablette. La petite société chinoise, Fndroid, proposa un smartphone d’entrée de gamme fonctionnant sur la technologie E-Ink, les écrans à base d’encre électronique ne nécessitant presque aucune énergie pour fonctionner, autonomie record et gain de poids significatif.
Plus récemment, ce sont les écrans souples qui ont été introduits pour proposer de nouveaux terminaux toujours plus légers, tandis que la Fondation Mozilla, après l’entrée réussie de son OS Firefox comme OS alternatif au tout puissant Android, donna corps
à son projet Seabird, smartphone qui se transforme en ordinateurs grâce à deux pico-projecteurs latéraux permettant de disposer d’une vision sur grand écran et d’un clavier virtuel. Autant d’innovations reléguant les anciennes phablettes au rang d’objets de collection. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les web-programmes
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié
son rapport « LTE devices », par Basil Carle.

Jeux de société, le retour

peine ai-je rejoint mon fauteuil dans la salle déjà plongée dans le noir que j’entame une expérience cross media encore inédite entre cinéma et social gaming. Au cœur d’images immersives à couper le souffle, mon avatar va commencer une traditionnelle partie d’échecs avec l’acteur-titre du film. Tout autour de nous, les avatars des membres de mon réseau social retiennent leur souffle. N’est-ce pas
la survie de notre système solaire qui se joue à travers cette ultime partie ! Que de chemin parcouru en quelques années. Les jeux vidéo, qui envahissent toujours plus de domaines, ont très tôt su tirer parti du formidable tremplin que représentent les réseaux sociaux. Ce nouveau segment du social gaming, qui en 2012 pesait déjà 36 % du marché du jeu en ligne (soit 13 % du marché du jeu vidéo global), enregistre une croissance telle que, dès 2016, il dépassa la barre des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial.

« Finalement, il était temps que la dimension sociale
vienne aux jeux vidéo, tant le jeu se joue en société
depuis ses origines les plus anciennes. »

Par « jeu social », il faut comprendre tous les jeux, quel que soient leurs genres,
pratiqués dans le cadre d’un réseau social. L’intérêt est de jouer avec les « contacts »
de son réseau social, les « amis » dans le cadre de Facebook, qui donnent tout leur sens aux valeurs de compétition ou de coopération : comparaison de scores, demande d’aide pour atteindre un objectif, partage des sensations, … A ce titre, plus on est de fous mieux c’est ! L’expérience du joueur est en effet d’autant plus riche que le nombre de joueurs participant au même jeu est important, chaque joueur étant toujourmédis
au courant de ce que font les autres grâce à la présence de bandeaux informant de l’avancée d’un joueur, des publications dans le fil d’actualité du joueur, de l’envoi de notifications, … Né au coeur de la révolution Facebook, les spécificités et les frontières du jeu social ont fortement évolué au rythme des transformations des plates-formes elles-mêmes, mais également, en sortant de ce cadre initial. Le succès a en effet incité les autres segments du jeu vidéo à intégrer une dimension sociale. Ainsi, aujourd’hui,
la plupart des jeux vidéo – sur console, sur ordinateur ou sur mobile – peuvent être qualifiés, d’une certaine manière, de jeux sociaux.
Mais avant d’en arriver là, les grands éditeurs de jeux sociaux ont dû s’émanciper de
la tutelle initiale de Facebook, allant même jusqu’à créer, dans certains cas, leur propre portail de jeux sociaux. Pendant ce temps, les acteurs traditionnels du jeu vidéo ont
tardé à saisir les opportunités de cette nouvelle tendance et à développer leur offre pour Facebook. Tous y ont cependant trouvé un moyen d’attirer de nouveaux utilisateurs et une extension de leur modèle économique, à l’instar d’un Disney investissant massivement dans un catalogue Social Games. On est donc loin de l’époque pionnière où un seul acteur, Zynga, faisait l’actualité du marché, à travers des jeux occasionnels et de gestion de mondes virtuels – comme ses fameux Farmville, Cityville ou Castleville, …, alors largement majoritaires. Les jeux d’action et d’arcade ainsi que les jeux de rôle ont ensuite rapidement investi ce nouvel espace, suivi de
près par des jeux de plus en plus variés dans les catégories stratégie et combat, dont ceux développés par Kabam ou Kixeye qui ont littéralement explosé en 2014.
L’arrivée de nouveaux outils graphiques et l’accroissement des performances des plates-formes ont permis le développement de jeux sociaux proposant une expérience de plus en plus riche : des graphismes de plus en plus travaillés et en ultra haute définition, intégrant la 3D, des sons et des musiques très élaborés, sans oublier des gameplay permettant de jouer en temps réel. Des jeux sociaux qui n’ont aujourd’hui rien à envier aux autres jeux les plus époustouflants du catalogue. Finalement, il était temps que la dimension sociale vienne aux jeux vidéo, tant le jeu se joue en société depuis ses origines les plus anciennes.
De retour dans mon fauteuil, je dois maintenant bien avouer que j’ai dû quitter l’arène par la petite porte après un lamentable échec et mat, sous les regards navrés des membres de mon réseau social, pour laisser à des héros plus qualifiés que moi le soin de mettre, pour un temps, notre planète à l’abri. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les phablettes
* Directeur général adjoint de l’IDATE. Sur le même thème,
l’institut a publié son rapport
« Social Gaming : Marchés et tendances 2012-2016 »,
par Laurent Michaud et Audrey Grel.

Hi-Fi Nostalgie

Noooooooooon ! Laissez-moi encore un peu mes vinyles. Ma vielle platine Thorens et son fidèle ampli Onkyo, même s’ils n’ont jamais fait partie de la haute aristocratie de la Hi-Fi, ne m’ont jamais trahi et délivrent depuis des dizaines d’années un son chaud, complexe et rond, que les pauvres MP3 n’ont jamais pu égaler. Mais qui s’en soucie encore ? C’est encore un miracle que l’on puisse encore en écouter de nos jours. C’est au tour des CD, après presque 40 ans d’existence, de perdre leur statut de produits de masse. Marginalisés, peu regrettés, leurs cotes commencent néanmoins à monter sérieusement, mais seulement chez les collectionneurs. Le mouvement s’accélère, puisque c’est au
tour du MP3, pourtant devenu le format quasi-universel dix ans seulement après son lancement en 1992, d’avancer vers sa fin. Il est finalement victime des faiblesses qui
ont pourtant fait son succès : les performances de cet algorithme de compression audio, lequel a permis le développement fulgurant du téléchargement puis du streaming, a également des limites en termes de qualité.

« Je profite de l’arrivée à la maison de ma
toute dernière imprimante 3D pour compléter
ma collection de quelques vinyles inédits. »

Facilité d’usage contre qualité d’écoute : ce « deal » a longtemps été plébiscité par les internautes, jusqu’à ce que la chaîne de distribution audio se modifie en profondeur en offrant de nouvelles expériences d’écoute aux utilisateurs. Les réseaux haut débit puis très haut débit ont d’abord fait sauter la contrainte initiale du poids des fichiers. Au moment où des acteurs bien en place se battaient encore pour imposer leurs modèles techniques et leurs business models, comme les européens Deezer, Spotify, Last.FM ou encore 7digital, quelques pionniers remettaient la qualité des formats au coeur du débat, en faisant le pari de l’avènement d’une nouvelle étape du marché de la musique en ligne :
un marché devenant adulte, proposant à la fois plus de quantité, de diversité et de qualité.
De manière assez inattendue ce sont des artistes reconnus qui ont ouvert la voie. Neil Young annonça en 2012 le lancement de Pono, un service musical HD destiné à améliorer la qualité des fichiers MP3 avec l’accord de trois majors prêts à convertir quelques milliers de titres de leurs fonds. Dr Dre, rappeur et serial entrepreneur à succès, lança Daisy, système de streaming donnant accès à plus de 12 millions de titres en qualité HD, sur
un modèle payant reposant sur les recommandations des utilisateurs. Il fut adopté avec succès par la start-up française Qobuz, qui défraya la chronique en annonçant début 2013 « la mort du MP3 ». Elle cessa en effet de vendre ce format encore dominant pour privilégier les téléchargements en qualité CD sans compression et se concentrer sur une offre exclusivement payante haut de gamme. Ce fut un précurseur qui choisit, dès 2008, de se démarquer de ses puissants concurrents qui, eux, continuaient de miser sur une audience toujours plus large via des offres gratuites avec publicité.
Aujourd’hui, le catalogue accessible ne cesse de croître. L’offre est de plus en plus diversifiée, en prix et en qualité, et les aides à la navigation sont de plus en plus performantes, grâce à des algorithmes surpuissants : Pandora, Musicrecovery, Mufin (développée par le labo allemand créateur du MP3), ou encore les réseaux de Social Music comme Mog. En musique, l’imagination ne semble pas avoir de limite : la reconnaissance de titres avec Shazam, fort de ses centaines de millions d’utilisateurs,
le succès de plateformes gratuites et illimitées de découverte comme Jamendo, voire
la vente de MP3 d’occasion avec ReDigi. Autant d’innovations que les géants Apple, Google, Amazon ou Facebook – mais aussi Orange avec Deezer – intègrent progressivement à leurs offres pour conserver leur position dominante. Un immense catalogue est désormais disponible, à partir des voitures connectées ou de nos paires
de lunettes à réalité augmentée… Une véritable BO [bande originale] qui rythme nos vies grâce aux dernières technologies d’écoutes immersives – nouvelle révolution en marche de la musique numérique. Pendant ce temps, je profite de l’arrivée à la maison de ma toute dernière imprimante 3D pour compléter ma collection de quelques vinyles inédits, même si ce ne sont pas des exemplaires originaux… @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Social Gaming
* Directeur général adjoint de l’IDATE

Unified States of Communication

Ce n’est pas la peine d’entretenir un suspens inutile. Nous sommes en 2020, mais nos moyens de communication n’ont pas encore franchi une nouvelle barrière technologique majeure. Si la visiophonie commence à être disponible en 3D et dispose des dernières avancées de la réalité augmentée, rien de nouveau du côté de la communication holographique chère à Star Wars ou de la télépathie pourtant si commune durant l’âge d’or des romans de science-fiction. Pas de révolution donc, mais une poursuite des tendances à l’oeuvre depuis des années déjà, qui bouleversent en profondeur les usages, les outils
et l’économie des acteurs en présence. Nous avons pris l’habitude de représenter cette tendance de fond par l’image d’un iceberg. La partie émergée, la plus petite donc, ce sont les services de communication – voix, SMS et MMS – délivrés depuis toujours contre paiement par les opérateurs télécoms. La partie immergée, elle, correspond à ces outils de plus en plus nombreux – email, messagerie instantanée, voix sur IP – qui sont en augmentation constante, mais généralement gratuits. A titre d’exemple, il y a aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs de services de VoIP accessibles sur Internet, dits OTT (Over-The-Top), pour l’ensemble des Etats-Unis et de l’Europe des cinq plus grands marchés (UE5), alors qu’ils n’étaient que 374 millions en 2012. Paradoxe : on a jamais autant communiqué qu’aujourd’hui, alors que le revenu des services de communication baisse constamment, année après année.

« OTT et Tecos rivalisent en proposant
une expérience unique aux utilisateurs,
via des services de communication unifiés. »

Les revenus de la voix, fixe et surtout mobile, se taille encore dans l’EU5 la part du lion avec un chiffre d’affaires actuel de près de 90 milliards d’euros, mais contre 100 milliards encore en 2012. Même si peu à peu les services de communication OTT représentent
un chiffre d’affaires en hausse, ce n’est que pour un montant très modeste de moins de
7 milliards d’euros aujourd’hui, contre près de 3 milliards en 2012.
Au total, le marché des communications est soumis à une très forte pression. Certains parlent, comme pour d’autres secteurs concurrencés par l’Internet, de destruction de valeur. Cette évolution tient bien sûr à la part des services gratuits offerts par les acteurs OTT, mais pas seulement. En réalité, la baisse des revenus est également le fait des opérateurs télécoms eux-mêmes qui proposent leurs minutes de communication voix et les messages à des tarifs encore et toujours en baisse constante. Cette tendance qu’ont les opérateurs à détruire eux-mêmes la valeur de leur propre marché hyper concurrentiel, accélère encore cette évolution.
Dans cette véritable bataille, les acteurs des deux bords espèrent prendre l’avantage
en proposant une expérience unique aux utilisateurs, via des services de communication unifiés. Les OTT agrègent ainsi voix, messagerie, partage de fichiers, communication vidéo, en s’appuyant sur des réseaux Wifi, comme alternative aux réseaux des
« Telcos ». Une offensive qui s’est intensifiée dès 2013 par les premières applications
du WebRTC (Web Real-Time Communications), standard initié par Google permettant d’effectuer des conversations audio et vidéo en temps réel directement au travers du navigateur. Mozilla présentait son prototype dès 2012, tandis que Microsoft proposait
son propre standard pour se démarquer et mieux intégrer Skype à Internet Explorer.
Au même moment, Facebook testait au Canada la possibilité de téléphoner à un autre utilisateur de Facebook Messenger. Les opérateurs télécoms ont également saisi leur chance : dès 2012, Telefonica faisait l’acquisition de TokBox, start-up californienne fournissant une API (Application Programming Interface) gratuite de discussions vidéo
de groupe en ligne. Plus largement, Deutsche Telekom, France Télécom, Telecom Italia, Telefonica et Vodafone lancèrent le standard RCSe (Rich Communication Suite-enhanced) comme une réponse anti-OTT. Orange dévoilait ainsi fin 2012, Joyn, véritable service de communications unifiées.
Aujourd’hui que mon smartphone « couteau suisse » dispose enfin de services de communication universels intégrant tous les outils connus (voix, chat, vidéo, partage
de documents, …), je rêve parfois d’entrer en résistance, comme un Roland Moreno qui écrivait dans sa Théorie du Bordel Ambiant en 1990, que « tant qu’on n’aurait pas inventé la télépathie il faudrait renoncer à communiquer. » @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’avenir de l’audio
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport
« Future of Communication 2020:Telco & OTT
communication-Market forecasts » par Soichi Nakajima.