Le mécénat pour les nuls

Le croirez-vous, mais après avoir crié au loup pendant des années parce que des millions d’internautes déboulèrent, telle une horde de Huns, dans les vastes plaines de l’Internet pour piller les œuvres et leurs auteurs, certains découvraient qu’une des voies de sortie de cette impasse était… de faire payer les internautes. Bien sûr, il n’est plus question de leur vendre de simples morceaux de musique mp3, désormais facilement accessibles librement et légalement, mais de donner accès à une part de l’univers de leur artiste préféré sous des formes très variées : certaines étant bien connues comme les concerts ou les produits dérivés, d’autres étant plus innovantes. L’une d’entre elle, qui est venue renforcer les diverses sources de revenus qui financent à présent le travail des auteurs, s’est d’abord fait connaître au début des années 2000 sous le terme de crowdfunding. Véritable mot valise qui recouvre en fait une réalité diverse mais qui se réfère à des pratiques très anciennes,il se définit simplement comme le recueil de fonds destinés à financer un nouveau projet par l’appel au plus grand nombre seulement permit par une collecte de très nombreuses petites sommes. Apparemment, rien de nouveau : la souscription, qui fût en effet une pratique très utilisée durant tout
le 19e siècle pour financer des monuments ou éditer des ouvrages d’art, correspond à une forme de démocratisation du mécénat jusqu’alors largement dominant.

« Les majors et les maisons de production les mieux structurées n’ont pas voulu laisser passer ce nouveau train, en reprenant des sites déjà existant ou en créant leur propre activité de crowdfunding. »

Il y eu bien dans les années 90 des groupes d’amateurs qui mirent leurs moyens en commun pour acheter des œuvres à de jeunes artistes en devenir, sur le principe
d’une propriété partagée et d’un accrochage tournant des tableaux chez les membres du club. Mais rien de comparable à ce qui a été rendu possible par la puissance du réseau numérique. C’est en effet la force du Net que de donner un élan nouveau à des pratiques existantes grâce à l’accès simplifié à de multiples réseaux, à la démultiplication du message par les réseaux sociaux et à l’utilisation des outils de micro-paiement. Parfois traduite par le terme de « colinvestissement », la pratique du crowdfunding ne semblait pas avoir de limite et paraissait pouvoir s’appliquer à tous les domaines. La musique a lancé le mouvement dès 1997, par habitude sans doute des chemins de traverse défrichés par les labels indépendants, avec une tournée aux Etats-Unis du groupe britannique Marillion financée par une levée de fond auprès des fans sur Internet.
Le cinéma, a suivi en 2004, avec la production du film Demain la Veille, grâce à une souscription organisée par la jeune société de production française Guyom Corp. Tout s’est ensuite accéléré : de nombreux sites de production de musique comme Sellaband aux Pays-Bas ou MyMajorCompany en France ; l’édition de livres ou de bandes dessinées avec Sandawe ; le journalisme avec Spot.Us. Des sites à vocation généraliste ont aussi vu le jour comme le New-Yorkais Kickstarter ou Indiegogo.com
de San Fransisco. qui aident au financement de toute sorte de projets, de la danse au théâtre, de la peinture à la photo. Les modèles économiques et les motivations de ses nouveaux modes de financement donnèrent lieu à des services mariant à des degrés divers les deux modèles initiaux. D’un côté, un mécénat populaire apporte son écot à des projets en devenir avec, comme seule rétribution, la satisfaction d’avoir été partie prenante d’une aventure artistique mais également de recevoir en retour des gratifications de plus en plus variées : éditions et objets collector, rendez-vous avec l’auteur, invitation à un concert, … De l’autre, l’investissement collectif répond à une logique financière, en permettant de caresser un espoir de revenus futurs, comme on mise en Bourse, mais avec un supplément d’âme.
Après une période pionnière qui vit se multiplier les initiatives isolées, une professionnalisation a rendu nécessaire une organisation progressive des entreprises. Les majors et les maisons de production les mieux structurées n’ont pas voulu laisser passer ce nouveau train, en reprenant des sites déjà existant ou en créant leur propre activité de crowdfunding. Cette année, j’ai pu participer au financement d’un reportage d’investigation d’un jeune reporteur parrainé par « Le Monde », au défilé d’une jeune créatrice de mode et apporter ma part au bouclage du budget de production du dernier album de Philippe Katerine que nous aidons modestement à faire son retour sur scène après une trop longue traversée du désert. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La ville, média du futur
*Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est
directeur marketing et commercial de l’Idate.

L’achronie des médias

Enfant, il fut un temps où nous avions à composer avec
une certaine forme de rareté, qui, si elle était à l’origine d’une sourde frustration, aiguisait en même temps notre désir et nourrissait nos rêves. Le dernier Disney n’était alors visible qu’à Noël au cinéma et, le reste de l’année, par de courts extraits sur nos écrans de télévision. Il nous fallut attendre l’âge adulte pour voir et revoir enfin ces films, qui perdirent en même temps une part de leur mystère. Il fallait également qu’une nouvelle économie des droits de diffusion télé puis vidéo crée une chaîne d’exploitation cohérente et très rentable. C’est en effet avec la télévision que l’idée d’une chronologie des médias s’est peu à peu mise en place. Avec l’équipement massif des ménages en postes de télé durant les années 60 et la baisse concomitante et régulière de la fréquentation des salles, les chaînes ont accepté l’usage d’un long délai après la sortie des films en salle.

« Ce n’est plus la chronologie qui structure le paysage audiovisuel mais les modes de réception. Quand un film sort, il doit être disponible partout, très vite, afin de bénéficier d’une visibilité maximale sur tous les écrans »

En France, une période de 5 ans a longtemps prévalu, tant que l’audiovisuel était public
et que le nombre de chaînes restait excessivement limité. C’est l’arrivée de la vidéo à domicile qui a finalement imposé l’intervention du législateur au début des années 80.
En 2005, il fallait attendre 6 mois entre l’exploitation en salle et la sortie des DVD,
33 semaines pour la diffusion en VoD, 9 mois pour la TV en pay-per-view, 12 mois
pour la TV cryptée par abonnement et au-delà de 24 mois pour les chaînes non cryptées gratuites. Ce bel ordonnancement à la française, organisé par la loi et codifié au niveau de l’Union européenne à la fin des années 1980, avait sa correspondance libérale aux Etats-Unis où les fenêtres de diffusion se réglaient par contrat, film par film, entre les différents intéressés.
Quelles que soient les modalités retenues, le système a du rapidement s’adapter, au tournant de 2010, à la nouvelle donne imposée par la révolution numérique. Désormais,
la chronologie des médias était directement négociée par les instances professionnelles, sans recours au législateur. La première concession, après d’âpres débats, fut d’assouplir le nouveau calendrier en le raccourcissant de 2 mois et en le simplifiant, notamment en alignant celui de la VoD aux DVD. A peine mise en place, cette évolution était cependant déjà dépassée : une part croissante de la population avait fait l’expérience d’une consommation de vidéos et de programmes quasiment en continu et libérée du temps, prémice d’une véritable achronie des médias. Comme pour la musique en son temps, les utilisateurs ont rapidement adapté leurs pratiques aux possibilités offertes par les nouveaux modes de diffusion sur les multiples écrans. Ils ont également devancé les offres légales qui ont tardé à se mettre en place. Avec le site Megavideo, la vidéo eut, à l’instar de Napster pour la musique, son service illégal plébiscité par les internautes pour sa facilité d’utilisation, la richesse de son catalogue et sa gratuité… Même les créateurs ont contribué à cette évolution en multipliant les expériences visant à faire exploser l’antique chronologie : en 2010, Jean-Luc Godard transgressa la loi en rendant son long métrage « Film Socialisme » disponible en VOD, le jour même de sa programmation à Cannes, et 2 jours avant sa sortie en salle.
A force de se contracter, la chronologie n’exista plus et en tout cas ne fut absolument
plus perceptible par le commun des utilisateurs. Ce n’est plus la chronologie qui structure le paysage audiovisuel mais les modes de réception. Quand un film sort, il doit être disponible partout, très vite, afin de bénéficier d’une visibilité maximale sur tous les écrans, de la salle la plus sophistiquée au terminal de poche le plus simple. Quand une série est programmée, la chaîne qui en détient les droits doit pouvoir l’exploiter de la première diffusion à la catch-up TV, en passant par les produits dérivés. Les maîtres mots sont désormais : exclusivité, événement et marque forte. Malgré tout, le temps
n’a pas été aboli, et les distributeurs ont dû apprendre à gérer, rentabiliser et rendre accessible leur catalogue en affinant les principes de gestion de ce que Chris Anderson popularisa en 2004 sous le terme poétique de « longue traîne ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Enfance 3.0
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et
commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « Future Télévision :
Stratégies 2020 » (Market & Data Report) par Gilles Fontaine.

Tous pirates ?

De tout temps, les pirates ont évolué à la marge, suscitant la peur et la fascination. Ils étaient une poignée de marins ayant largué les amarres avec la légalité, et prêts à tout.
Et il ne saurait en être autrement : comment imaginer une société largement pacifiée et pour laquelle cependant une grande partie des citoyens pourrait être qualifiée de pirates ? C’est pourtant ce qui se passa durant presque vingt ans, de l’apparition des échanges de fichiers de musique au format MP3 (grâce au site pionnier Napster en 1999) jusqu’à la lente et progressive mise en place de services et de catalogues légaux dans des cadres fixant les droits et devoirs de chacun. « Tous pirates ! » Cette simple injonction pointe à elle seule les failles du système. Bien sûr, l’Internet a, depuis son origine, rimé avec partage et ouverture tout en restant rétif aux contraintes.

« Si la licence globale n’est toujours pas en place, ce sont des systèmes très proches qui se sont peu à peu imposés :
un utilisateur peut s’abonner à une offre d’accès incluant vidéo, presse, musique et littérature. »

De même que, dès les années 70, bien avant l’avènement de l’Internet, de jeunes technophiles antiinstitutions inventaient le phreaking (contraction de freak, free et phone), dont le but était tout autant de téléphoner gratuitement que de faire la démonstration de leur parfaite connaissance des systèmes téléphoniques des opérateurs. Mouvement qui se perpétue depuis, balançant sans cesse, au gré des innovations du Web, entre prouesse technique et délinquance. Les pirates véritables, ceux qui cherchent sciemment à s’enrichir rapidement aux détours des lois et rarement capturés, existaient bien avant et existent toujours. Ce qui a changé ? Une maturité nouvelle de l’Internet, dont la nature instable reste d’actualité, mais qui a relégué une grande partie des pratiques jadis illicites au rang de curiosités historiques. Qu’il y ait dans le monde numérique, comme ailleurs, des lois et des bonnes pratiques, des droits et des devoirs, c’est bien la moindre des choses. Mais l’équilibre a été long et difficile
à établir entre des forces antagonistes permettant que les droits des auteurs soient respectés et que les droits d’usage des copies privées soient préservés. Après l’appropriation de l’accès aux contenus par les internautes et les fournisseurs d’accès, les diffuseurs et les ayants droits ont eu l’écoute des régulateurs qui, au tournant de l’année 2010, ont été nombreux à mettre en place un corpus de règles allant de l’avertissement au délit pénal. La Nouvelle-Zélande a légiféré dès 2008, suivie par l’Irlande, la Suède et Taiwan au début 2009, puis par la Corée du Sud, La France,
le Royaume- Uni, la Belgique et bien d’autres.
Le principal atout de ces nouvelles lois « Hadopi » a sans doute été de susciter des débats souvent très animés. Pour le reste, nous avons assisté à une course sans fin entre des organismes officiels toujours en retard et des internautes jamais à court de solutions de contournement. Ceux-ci se sont d’abord détournés des sites de partage peer-to-peer, comme bitTorrent ou eDonkey qui furent les premiers visés par ces nouvelles lois, pour plébisciter les sites de streaming en temps réel, faisant ainsi le succès planétaire d’un obscur site hongkongais, Megavideo. Pour les geeks, des
plates-formes spécifiques se mirent en place comme Usenet ou Demonoid, tandis que
les adeptes des pratiques underground utilisaient des sites comme Pando ou Waste, un micro réseau où les échanges sont totalement sécurisés et invisibles hors réseau. Nous avions, d’un côté, une majorité d’utilisateurs recherchant des solutions simples comme le streaming et, de l’autre, une minorité d’internautes avancés toujours à l’affût de solutions permettant de dissimuler leur adresse IP (VPN, proxys…) et de préserver
leur anonymat. Nous étions de plus en plus nombreux à penser qu’il y avait urgence
à disposer d’un cadre économique clarifié et apaisé. Si la licence globale, qui est la traduction ultime de ce besoin de transparence, n’est toujours pas en place, ce sont des systèmes très proches qui se sont peu à peu imposés. Un utilisateur peut désormais s’abonner à une offre d’accès incluant pour un montant fixe et accessible un ensemble de services étendu, très riche intégrant la vidéo, la presse, la musique et la littérature. En toute légalité ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Crowdfunding
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing
et commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « Le futur du Web »,
par Vincent Bonneau, également auteur d’une récente étude
pour l’Ofcom sur les techniques de contrôle des contenus en ligne.

Enfance 3.0

Qu’y a-t-il aujourd’hui dans les poches de nos enfants ?
Des poches désormais largement numériques, encombrées d’équipements surpuissants, comme elles l’étaient autrefois d’objets hétéroclites, attentions alors de toutes nos convoitises : un carnet, une boussole, un canif, un baladeur nourri à la K7, symbole du premier âge de la libération mobile… Mais que cache cette course effrénée à l’armement pacifique des plus jeunes ?
Du triptyque qui organise la vie de nos enfants – vie sociale, enseignement et loisirs –, ce sont ces derniers qui ont véritablement entamé leur éducation numérique. Les jeux vidéo ont ouvert le bal dès le milieu des années 70. Il a fallu attendre les années 90 et l’Internet pour que la musique puis la vidéo envahissent leur quotidien. La bibliothèque multimédia personnelle des ados, stockés sur des merveilles électroniques miniaturisées, n’a jamais eu d’équivalent.

« C’est bien pour l’enseignement que l’évolution a été la plus lente. Alors même que les adolescents étaient devenus depuis longtemps des screenagers, pour lesquels la connaissance se façonne à l’extérieur de l’institution scolaire. »

Ce fut ensuite le tour de leur vie sociale d’être durablement modifiée, à chaque fois
par une innovation connaissant un succès rapide et massif. Le téléphone mobile, outil primordial de la tribu, a fait la conquête des plus jeunes en hissant le SMS au rang
de phénomène social majeur. Le blog a permis à des millions d’ados de donner une expression électronique à leur journal intime, désormais mis sur la place publique.
Ce phénomène est apparu en 1999 avec l’innovation d’un étudiant américain de 18 ans, Brad Fitzpatrick : Live Journal, une application lui permettant de signaler ses activités plusieurs fois par jour tout en mettant facilement à jour son site Web. Cela s’est amplifié en France à l’initiative de la radio Skyrock qui, en proposant ses blogs gratuits en décembre 2002, a rapidement atteint les 20 millions d’utilisateurs en 2008 ! Mais l’outil décisif est apparu avec les réseaux sociaux, de type MySpace et Facebook, qui se sont imposés à des millions de jeunes de par le monde.Ainsi en 2010, un jeune disposant d’un budget nécessaire avait à sa disposition un ensemble d’outils inédits pour les générations d’enfants précédantes. En même temps, j’ai toujours été frappé qu’à l’heure du clavier triomphant, il n’y ait jamais eu de cours dispensés dans nos écoles visant à nous permettre de nous en servir efficacement. Finalement, c’est bien pour l’enseignement que l’évolution a été la plus lente. Cela alors même que les adolescents étaient devenus depuis longtemps des screenagers, pour lesquels la connaissance se façonne à l’extérieur de l’institution scolaire. La longue histoire commune des TIC et de l’Education nationale a cependant commencé en 1985 avec
le plan « Informatique pour tous », suivi par une apparition timide d’Internet dans les années 90 et des espaces numériques de travail dans les années 2000, sans parler des initiatives des collectivités locales qui ont pu ici ou là soutenir des projets ambitieux mais isolés. En 2010, la France ne comptait en moyenne que moins de 20 ordinateurs pour 100 élèves, loin par exemple derrière le Danemark ou le Royaume-Uni. Cet écart se creusait encore pour les tableaux numériques interactifs, qui équipaient déjà 78 % des écoles britanniques en 2009 quand ils étaient encore quasiment méconnus en France. La centralisation et le manque de moyens dédiés expliquent en grande partie ce retard qui a pénalisé le développement d’un enseignement à l’aide de nouveaux outils comme, par exemple, la visioconférence, particulièrement utile pour l’apprentissage des langues. Ce n’était pourtant pas une fatalité. D’autres pays ont très tôt ouvert de nouvelles pistes. La Corée du Sud envisageait de remplacer les cahiers par des tablettes numériques avant 2015 et la Finlande a installé un modèle caractérisé par une pédagogie mettant véritablement l’enfant au centre du système. Ces outils numériques ainsi utilisés permettent à l’élève de construire lui même ses propres connaissances, une correction exemplaire des inégalités sociales et une raréfaction
des cours magistraux. Certains pronostiquent à l’instar de Dan Sperber, directeur de recherche au CNRS, la survivance de la lecture mais la quasi-disparition
de l’écriture confiée définitivement aux machines. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La lutte contre le piratage
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est
directeur marketing et commercial de l’Idate. Ces sujets sont
suivis à l’Idate, notamment sous l’angle de l’enseignement
numérique, par Philippe Baudouin et Alain Veyret.

GeowebTrotter

Avec l’été, c’est le temps des grandes migrations qui revient pour certains d’entre nous, avec un nouvel intérêt pour
la géographie. Plus prosaïquement, c’est le temps de l’organisation de voyages à l’aide des ressources phénoménales que mettent à la disposition du plus grand nombre les avancés conjuguées de la Néogéographie et
du Geoweb. Inauguré par le développement rapide des systèmes d’information géographique (SIG) au début des années 80, puis rapidement portées sur Internet, le Geoweb naquit véritablement en 2005, au moment du lancement de Google Maps. La recette de Marcel Gotlib, pour plier une carte en une seule fois, devint inutile. Et c’est le lancement la même année de Google Earth qui a illuminé nos écrans en ouvrant une fenêtre magique, non pas sur le monde, mais sur notre planète bleue : nous pouvions presque la tenir dans notre main, jouer avec, zoomer à s’en donner le vertige, aller en un clic de chez soi aux pyramides, de la cité interdite à la maison séculaire de nos grands-parents. Comment ne pas penser à l’émerveillement d’un Christophe Colomb qui aurait trouvé sa route des Indes en trois clics ? Nous étions tous changés en astronaute de chambre, en démiurge de salon jouant avec le monde ! Mais la puissance de ses applications géographiques d’un nouveau genre réside désormais dans le flot d’applications composites, ou mashups, qui surgissent sans cesse.

« Le Geoweb 3.0, en alliant les fonctionnalités de l’Internet mobile, du web sémantique, des réseaux sociaux, du “Web data”, de la 3D et de l’Internet des objets, a encore amplifié le phénomène ».

En croisant la puissance de la géolocalisation avec la plupart des applications connues
ou à venir, apparaissent une multitude de nouveaux services à la puissance de calcul étonnante. Bien sûr dans ce fourmillement d’innovations, certaines sont seulement ludiques, d’autres simplement inutiles et d’autres encore incompatibles avec notre code actuel du respect de la vie privée. Mais il en reste de très nombreuses qui, au fil de leur diffusion, amplifient véritablement la puissance du Net. Dès 2010, au début de l’ère de
l’« Open data », une ville comme San Francisco a rendu accessible plus de 150 bases
de données en proposant pour certaines des applications géolocalisées, comme Crime spotting qui permet de visualiser les crimes de son quartier ou EtCetera pour connaître
les noms de ses voisins. Le Geoweb 2.0 a ensuite permis aux internautes de contribuer directement à l’enrichissement des applications : compléter des cartes, poster des informations de trafic en temps réel, publier des photos en direct ou des notes de voyages au fil de l’eau, … Le Geoweb 3.0, en alliant les fonctionnalités de l’Internet mobile, du web sémantique, des réseaux sociaux, du «Web data », de la 3D et de l’Internet des objets, a encore amplifié le phénomène : localiser ses amis en temps réel, choisir sa résidence de vacances en visite immersive, comparer les prix des restaurants du voisinage en réalité augmentée, …
La création aussi y a trouvé de nouvelles sources d’inspiration : le dernier thriller historique multimédia installe le scénario d’une quête planétaire dans des lieux ancestraux où des lecteurs m’ayant devancé ont laissé leur propres annotations, photos ou vidéos comme autant de signes me permettant d’avancer dans un récit non linéaire et constamment enrichi. Le Geoweb peut en outre nous aider à organiser des secours en cas d’accidents, de crise ou de catastrophe. Il a également une face sombre lorsqu’il jongle avec nos données personnelles. Par exemple, Foursquare, outil de réseau social, de jeu et de microblogging lancé en 2009, permet à l’utilisateur d’indiquer où il se trouve et de rencontrer ainsi ses contacts, tout en attirant une manne publicitaire hyper-locale. Ce service a suscité une contre-application, pleaserobme.com, qui permet à d’éventuels cambrioleurs de mettre à profits ses informations inespérées. Ça y est, il faut partir !
Cette année les vacances seront improvisées. L’ordinateur de bord de la voiture, interconnecté à nos terminaux mobiles, permet de trouver à chaque étape le meilleur compromis en termes de lieu, d’hébergement et de prix. Il nous reste tout le temps pour profiter des paysages et méditer sur ce mot de Paul Virilio, qui affirmait en son temps
que « désormais, la vitesse est vraiment devenue notre milieu, nous n’habitons plus la géographie mais le temps mondial. » @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : la chronologie des médias
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et
commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « GéoWeb et marchés
Internet hyper locaux » (Innovation Report) par Maxime Baudry.