La BD au pays du numérique

En tant que lecteur de bande dessinée, nourri depuis mon plus jeune âge par les aventures de ces héros de papier, je n’ai pas à me plaindre de la nouvelle ère qui s’ouvre devant ce Neuvième Art qui mit du temps à se voir reconnaître
ce statut prestigieux. Mais le propre de la BD est de régulièrement échapper aux cases dans lesquelles certains tentent de la faire entrer, car la voilà qui déjà s’engouffre dans la révolution numérique, aux avant-postes de l’édition qui l’aborda avec frilosité. Sans remonter aux fresques médiévales ou aux premiers albums du père fondateur, le Suisse Rodolphe Töpffer dès 1830, on peut se souvenir de Little Nemo de Winsor McCay. Ces merveilleuses planches en couleur parurent à partir de 1905. Après un âge d’or commencé dès les années 30 et un accès à l’âge adulte dans les années 60, la BD a abordé les années 2000 avec une santé insolente : l‘univers de la création en image semblait sans limites et tous les styles étaient représentés, de la bande en quatre images au roman graphique, jusqu’aux classiques de la littérature, de Marcel Proust à Karl Marx, qui connurent alors un nouveau succès à l’occasion de leur adaptation en bande dessinée.

« La chaîne de valeur a été bien bousculée, imposant une redistribution des recettes entre les acteurs traditionnels de l’édition et les nouveaux venus. »

A l’aise avec tous les formats et toutes les techniques graphiques, mais également sensible à la qualité de ses scénaristes, la BD s’est assez naturellement sentie à l’aise dans le numérique. Avant 2010, les mangas sur mobile et ordinateurs représentaient au Japon plus de 70 % du marché du livre numérique, tandis que les « comics » aux Etats-Unis et la BD en Europe s’affichaient avec prudence – seulement à partir de 2005 – sur les écrans. Des marques puissantes comme Marvel ou des éditeurs innovants comme Les Humanoïdes Associés ont rapidement lancé leurs propres offres en ligne et sur tablettes. D’autres ont adoptés les solutions inédites de pionniers comme Ave!Comics
ou se sont appuyés sur des plateformes de locations de contenus comme Kodansha Comics+ au Japon ou Izneo en France. Les tablettes ont accéléré cette transition en mettant particulièrement en valeur les planches en couleur et en permettant de proposer un nouveau champ de création et de lecture par l’intégration de la musique et des animations. Cependant, les nouvelles possibilités offertes par l’encre électronique en couleur et par des supports très fins, de plus grands formats se montrent particulièrement adaptés aux œuvres graphiques et accessibles à un faible coût. Finalement, la BD a une fois de plus agrandie son champ d’action : il est possible
de s’abonner à une production premium de son auteur préféré, de visionner chaque semaine les dernières planches de séries particulièrement « addictives » et, toujours, de collectionner des albums papier.
Au passage, la chaîne de valeur a été bien bousculée, imposant une redistribution des recettes entre les acteurs traditionnels de l’édition et les nouveaux venus comme Apple. Le prix d’un album a été tiré vers le bas, souvent autour des 5 euros – oubliant en chemin les auteurs qui d’abord firent les frais de cette évolution. Les nouveaux formats, les nouveaux modes de distribution, de nouvelles relations plus directes de l’auteur au lecteur, et la maturité de cette nouvelle économie numérique de la BD permettent, de nouveaux, à certains auteurs de mieux vivre de leur art. A l’autre bout du spectre, les héros stars et leur univers se déclinent toujours plus au cinéma, en jeux vidéo ou en produits dérivés.Mais c’est avec l’apparition des « webcomics », à partir de 1985 avec Witches & Titches pour la première BD numérique et en 1995 avec Argon Zack! pour
la première série créée pour Internet, que c’est ouvert un nouveau champ d’expression, renouant avec l’effervescence des premiers âges. Même si, à l’époque, les plus connus comme Penny Arcade ou Xkcd n’ont pas connu la renommée d’un Tintin ou d’un Superman, les nouveaux créateurs de ces héros de pixel, patiemment guidés par le pionner Lewis Trondheim, sont actuellement en train de donner leurs lettres de noblesse à ce nouveau genre. Pour se réinventer, la BD a su faire sienne cette forte parole de Jacques Rouxel, créateur visionnaire des Shadoks : « Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller… Et le plus vite possible ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Courrier numérique
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint de
l’Idate. Rapport sur le sujet : rapport annuel « eBooks :
marchés et perspectives », par Marc Leiba.

La guerre des Mondes virtuels

Je suis pressé ce matin. Mais pour rejoindre mon bureau cela m’a pris moins de deux minutes dans la mesure où, aujourd’hui, je vais rester chez moi tout en étant virtuellement présent sur mon lieu de travail. Dans un univers 3D hyperréaliste reconstituant l’entreprise, l’intégration des ressources combinées de l’intranet, des réseaux sociaux
et des moyens de communication instantanés permet de travailler de manière spontanée et collaborative. Je frappe à une porte et discute avec mon voisin de bureau. Je rejoins une salle de réunion pour le point hebdomadaire avec le reste de l’équipe, la moitié des collègues seulement étant réellement présents.
Le passage à la machine à café, elle aussi virtuelle, permet de me tenir au courant
des dossiers vraiment importants. Univers professionnels, personnels, ludiques ou artistiques, les mondes virtuels font partie intégrante de la culture de l’humanité, depuis que l’homme met des images et des mots sur ses rêves. Ces mondes imaginaires ont de tout temps été l’objet de représentations faisant appel aux techniques de l’époque, des premières grottes peintes au cinéma d’anticipation.

« Les méta-univers, qui assurent l’interopérabilité entre les nombreux mondes virtuels, nous permettent de circuler dans ces environnements de pixels. »

C’est tout naturellement que les technologies numériques leur ont donné corps. Les premières tentatives remontent ainsi aux premiers âges de l’informatique : dès 1968,
Ivan Sutherland élabora le premier casque de vision de réalité augmentée ; en 1977, Andrew Lippman créa le premier programme de réalité virtuelle en donnant à un utilisateur la possibilité de conduire dans les rues d’Aspen en toutes saisons. A partir des années 1990, les initiatives se sont succédées : le précurseur Deuxième Monde
de Canal+ dès 1997, les jeux massivement multi-joueurs Ultima en 1995, Second Life en 2003, World of Warcraft en 2004, ou plus récemment le réseau social Habbo pour adolescents.
Pour tenir ses promesses, un monde virtuel fait appel à de nombreuses technologies,
qui, même en 2010, étaient à peine matures. Il s’agit d’abord de reconstituer des environnements les plus crédibles possibles, bien qu’imaginaires, par la création d’univers persistants, utilisant la 3D et des interfaces immersives. Il faut également combiner un mix de technologies complexes : streaming vidéo, webcam, chat et VoIP, intelligence artificielle, … Et c’est la maîtrise de la création d’avatars, de l’interactivité
et de la communication entre les habitants de ces mondes sociaux qui donnent, in fine, la valeur d’usage à ces applications hypersophistiquées.
La décennie 2010 a été celle de la multiplication des mondes spécialisés. Les mondes miroirs, le plus souvent supporté par Google Earth, ont ouvert la voie à de nombreuses applications, touristiques ou urbaines par exemple. Angers, qui lança sa communauté virtuelle 3D.angers.fr début 2011, fut l’une des premières villes à proposer aux citoyens
– et en particulier aux plus jeunes souvent les moins impliqués dans la vie municipale – une visualisation des projets en développement. Les univers commerciaux, qui valorisent une marque forte (branded worlds) ou qui ouvrent sur une galerie marchande, préfigurent l’évolution des sites de commerce en ligne peuplés d’assistants virtuels, comme ceux développés avec succès par Virtuoz. Nos écoles et nos universités disposent désormais de salles de classes accessibles sur des campus virtuels, où des professeurs et des élèves bien réels expérimentent une nouvelle pédagogie étendue. L’hôpital aussi dispose de salles de consultations et d’opération virtuelles. Autant d’univers comme autant d’extension de nos réalités multiples. Nous sommes encore loin d’avoir fait ce tour du monde virtuel qui s’enrichit des progrès techniques les plus récents. Les méta-univers, qui assurent une interopérabilité croissante entre des mondes virtuels de plus en plus nombreux, nous permettent
de circuler et de vivre dans ces environnements de pixels : ma maison, mon bureau, mes magasins, ma banque, mon médecin, ma médiathèque, mes salles de spectacles, ma ville, ma planète, … Et pendant que la concurrence fait rage entre les entreprises gestionnaires, iIl nous reste à apprivoiser ce nouveau monde, au potentiel étonnant et aux implications qui inquiétaient déjà Jean Baudrillard en 1995, lorsqu’il posait la question de l’impuissance du virtuel. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : BD numérique
* Jean-Dominique Séval
est directeur général adjoint de l’Idate.

Search : la (re)quête du Graal

Au moment de lancer ma requête, comme cela m’arrive plusieurs fois par jour, je cherche dans ma tête la bonne phrase. C’est elle que je projette vers mon écran qui presque aussitôt affiche une sélection de réponses précises et organisées, rapportées des quatre coins du Web, mais également du fond de ma mémoire et de mes souvenirs enfouis. Bon, je suis d’accord, j’en rajoute un peu… Le nouveau moteur Brain Search, dont tout le monde parle, n’est encore disponible qu’en version Bêta, mais ses premiers pas sont vraiment aussi prometteurs… qu’inquiétants. Pas de répit dans cette course effrénée lancée très peu de temps après la naissance de l’Internet : à la suite du tout premier moteur de recherche, Archie, créé par des étudiants à la McGill University de Montréal, s’est ouverte une décennie d’incessantes innovations. Sont par exemple apparus : Aliweb et Excite dès 1993, suivis par dmoz, Webcrawler, Lycos, Infoseek et Yahoo! Directory en 1994. Alors qu’Altavista – cocréé en 1995 par le Français Louis Monier – nous donnait nos premières leçons de recherche appliquée, deux étudiants se rencontraient à Stanford pour créer trois ans plus tard une société qui allait mettre tout le monde d’accord. Google, non content de son leadership quasi-planétaire, trouva la recette d’un modèle économique original en devenant l’un des plus grands gestionnaires d’espaces publicitaires. Sa puissance lui fournit en retour les ressources nécessaires pour nourrir cet ogre insatiable qu’est le Net, à travers des initiatives visant – sans modestie – à « organiser l’information du monde » ! De la Terre avec ses villes et ses rues, à la Lune et à la planète Mars, en passant par les bibliothèques du monde et leurs livres, les musées et leurs œuvres,
les musiques et les vidéos, … Tout cela est accessible dans un très grand nombre de langues, selon un cercle vertueux qui permet
à l’outil d’être toujours plus performant.

« Les progrès du Web sémantique et des commandes vocales permettent de lancer des requêtes énoncées à voix haute. »

Mais les places sont rares pour des challengers qui tentent d’exister à l’ombre du géant
de Menlo Park. Certains pays, à l’instar de la Chine, de la Corée du Sud ou de la Russie, se distinguent encore par des moteurs leaders à domicile : Yandex, Seznam, Naver ou Baidu. Ils résistent encore à Google, Yahoo! ou Microsoft. La recherche reste en tout cas l’une des activités préférées des internautes, comme en 2010 où elle arrivait en tête des applications, tant sur l’Internet fixe que sur mobile. C’est pourquoi toujours autant de start-up se lancent, souvent en se concentrant sur des poches de connaissances spécialisées encore à l’écart des visées universelles des géants. La recherche verticale a ainsi été à l’origine d’une nouvelle vague d’innovations, par format (images, vidéos, podcasts, données, …), par type (livres, blogs, favoris, …) ou bien par thème (finance, marque, comparaison de prix, voyage, …). Certains ont eu l’idée d’applications originales, comme Waybackmachine qui retrouve pour vous les archives des pages web du passé. D’autres, comme Simplexo, proposent de simplifier la recherche de nos propres informations sur tous nos terminaux : ordinateurs, mobiles
ou tablettes. La décennie qui vient de s’écouler a aussi été très animée par l’apparition de nouvelles techniques algorithmiques, rendant les recherches plus fluides et plus efficaces. Les suggestions permettent d’afficher des résultats avant même que le mot-clé ne soit écrit ! Les recherches des autres internautes ou de leurs recommandations augmentent la pertinence de certains résultats. Les progrès du Web sémantique et des commandes vocales permettent de lancer des requêtes sous forme de phrases complexes énoncées à voix haute. Il est également possible de choisir le format des résultats en fonction de l’utilisation que nous en feront : une liste, un rapport, une présentation, …
Mais malgré tous ces progrès, les nouveaux chevaliers du Search s’investissent plus que jamais dans la quête de leur Graal : l’outil qui réalisera la synthèse entre toutes les sources, tous les contenus et tous les terminaux, avec comme terrain de jeu un Web dont la taille n’en finit pas d’augmenter sous la pressions des milliards d’utilisateurs de l’Internet devenu mobile. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Monde virtuel
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint de
l’Idate, qui réalise un service de veille permanente sur le
sujet : « Le futur du Web », par Vincent Bonneau.

Bientôt la 5G !

Nos rapports avec nos équipements et services mobiles ont beaucoup changé depuis dix ans. En ces temps de transition avancée, nous avons vu rapidement évoluer nos pratiques. C’est finalement moins la performance de nos nouveaux terminaux LTE (Long Term Evolution) qui nous étonne
qu’une nouvelle manière de nous approprier un véritable écosystème de services accessibles via un ensemble d’équipements proposant des services en continu. A domicile, dans la rue, dans
les transports en commun, en voiture ou au bureau, la promesse depuis longtemps annoncée du « Anything, everywhere at anytime » est tenue. Finalement, ce changement d’un réseau mobile à l’autre s’est fait à la fois très progressivement mais aussi très différemment des deux précédents passages. L’arrivée de la 2G et le succès surprise du GSM, dont le premier réseau fut inauguré en Finlande en 1991, nous fit découvrir le vrai potentiel de ce nouveau moyen de communication individuel.

« La promesse depuis longtemps annoncée du “Anything, everywhere at anytime” est tenue. »

Le premier contenu mobile commercialisé en 1998 – une sonnerie – et l’introduction
de l’e-mail mobile en 1999 par Blackberry échauffèrent les esprits. La 3G fut ainsi annoncée à grand renfort de lancements commerciaux et d’anticipations boursières. Les cours s’enflammaient à la perspective d’une multitude de nouveaux services que laissait alors entrevoir le croisement du mobile et de l’Internet. Et ce, au moment même où la barre symbolique du premier milliard d’abonnés venait d’être franchie. Dix ans exactement après la 2G, la 3G était lancée au Japon en 2001, donnant la possibilité à des téléphones de nouvelle génération de dévoiler leurs talents. Lancé dès 1996 avec un certain succès, le Nokia Communicator fut le premier téléphone à proposer des applications de bureautique comme la messagerie ou l’agenda. Mais il a fallu attendre l’iPhone en 2007 pour ouvrir le marché de masse aux smartphones.
L’histoire de la 4G a été fort différente, même si une fois encore le cycle décennal s’est vérifié, avec les premiers déploiements commerciaux dès 2009 de TeliaSonera en Suède, puis de MetroPCS Communications au Texas. Ces périodes pionnières sont toujours l’occasion pour les continents de relancer une course incertaine devant leur permettre de garder ou de reprendre la main. L’Europe du GSM et de ses champions industriels a été rattrapée par l’Asie de la 3G, alors que les Etats-Unis revenaient dans la course à l’occasion de la 4G. L’Internet pouvait enfin coloniser les vastes territoires du mobile.
En permettant un transfert de données de 50 mégabits par seconde minimum, soit une multiplication par deux des capacités offertes par la 3G, le LTE était la seule solution pour que ne se reproduise pas un scénario d’écroulement de réseaux comme ce fut
le cas pour celui d’AT&T à New York à Noël 2009. De lourds investissements ont ainsi été engagés pour faciliter, dès 2015, l’accès à l’Internet mobile à près de 3 milliards de personnes sur près de 6 milliards d’abonnés mobile dans le monde – dont déjà près
de 400 millions d’abonnés au LTE. L’économie du mobile s’est à cette occasion encore complexifiée. Le réseau ultra-haut débit est en réalité constitué d’une architecture hétérogène visant à optimiser, pour l’opérateur sa gestion et ses coûts d’investissements, et pour l’abonné la qualité et les tarifs. Il y a du LTE en majorité,
bien sûr, autant que possible combiné aux déploiements de la fibre pour permettre d’écouler le trafic, mais également du Wi-Max pour intégrer des zones moins denses. Sans oublier la 3G qui reste encore le réseau le plus répandu. Les terminaux intègrent également de nouvelles facilités de connexion autorisant les abonnés à utiliser cette vaste infrastructure locale que constitue les « hot spots » Wi-Fi et les Femtocells, mais également les terminaux mobiles euxmêmes transformés en autant de « hot spots nomades ». Même si aujourd’hui la 4G est encore en pleine phase de déploiement, relayée par la 4G Advanced, les spécialistes ont récemment accéléré les discussions devant permettre le lancement de la 5G, attendue avec impatience pour dépasser les limites du LTE et donner corps au véritable World Wide Wireless Web. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le « Search »
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint de
l’Idate, qui réalise un service de veille permanente sur le
sujet : « LTE Watch Service », par Frédéric Pujol.

Culturethèque

En poussant la porte de ma “culturethèque” de quartier ce samedi matin, c’est également une fenêtre qui s’entrouvre sur toutes ces bibliothèques grâce auxquelles, au fil du temps, j’ai aimé découvrir, au détour de linéaires souvent poussiéreux, des trésors endormis. Ce n’est pourtant plus des livres que je viens consulter, même si quelques étagères accueillent encore des ouvrages à côté d’une sélection de musique, de films et de journaux. Comme moi, les citoyens n’ont pas déserté ces lieux de diffusion des savoirs qui ont dû et su s’adapter tout au long de ces dernières années. Certains avaient en effet annoncé la disparition des médiathèques à l’heure de la numérisation accélérée des livres et de la diffusion effrénée des fichiers musicaux et vidéo. Mais, au rebours de ce sombre pronostic, ces lieux privilégiés de partage populaire, au nombre de plus de 3.000 en France, remplissent toujours ce rôle qu’ils ont, peu à peu, conquis par la volonté de quelques précurseurs. Comme l’étonnant Alexandre Vattemare au XIXe siècle, qui fut le premier promoteur des bibliothèques publiques, ou comme l’Américain Melvil Dewey et du Français Eugène Morel au XXe siècle.

« Nos bonnes vieilles médiathèques proposent des prêts numériques de fichiers de livres ou de musiques “chrono-dégradables” ».

La concurrence fut rude. En 2010 encore, des médiathèques conçues comme des espaces de consultation multimédia s’ouvraient un peu partout sur le territoire – alors que la vague des contenus numériques culturels montait encore en puissance. Google posait « contentieusement » les jalons de son projet pharaonique de plus grande bibliothèque du monde. A cette époque l’index de Google Books affichait quelques
13 millions de documents quand on estimait le nombre de livres dans le monde à plus de 130 millions.
Le projet avançait et talonnait de près les poids lourds du domaine : la Bibliothèque
du Congrès à Washington avec ses 22 millions d’ouvrages, les 17 millions de la Bibliothèque nationale allemande ou les 15 millions de la Bibliothèque nationale de France. Par ailleurs, de nombreuses initiatives, désordonnées, faisaient avancer la notion de médiathèque personnelle avec l’idée de mettre à disposition de chacun des comptes numériques, véritables centres de stockage permanents : dédiés à l’écrit avec Amazon, aux films avec l’initiative Ultra Violet supportée par les majors d’Hollywood, ou à presque tous les contenus avec Apple. Nos bonnes vieilles médiathèques ne sont pas restées à la traîne : elles ont proposé assez vite des solutions de prêts numériques, en s’appuyant sur des systèmes développés par Numilog ou Bibliomédias qui permettent l‘emprunt de fichiers de livres ou de musiques « chrono-dégradables ». Avant d’aboutir aujourd’hui à un accès à domicile ou via nos terminaux mobiles à de larges pans de la culture de l’humanité, il a fallu un très long mouvement historique de lente démocratisation du savoir : des grandes bibliothèques royales de tablettes d’argile de Ninive aux papyrus d’Alexandrie, en passant par les scriptoria du Moyen-âge, les cafés littéraires du Siècle des Lumières et les bibliothèques municipales.
Dans ce contexte, si les grandes bibliothèques nationales, dont les missions ont fortement évolué, sont toujours garantes des dépôts légaux et de la mémoire collective, que reste-t-il de nos médiathèques dès lors que s’affaiblit le prêt, cœur de leur activité ? Elles ont, une fois encore, accompagnée cette mutation. Les années 2000 ont été, à cet égard, une période d’expérimentation créative. Dans le quartier londonien de Tower Hamlets le concept des Idea Stores a été expérimenté, médiathèques d’avant-garde, ouvertes sept jours sur sept en libre-service, avec crèche et café, combinant services d’information, de formation continue, de rencontres et de loisirs. De nouvelles pistes
ont ensuite été explorées avec les outils de production nécessaires à un public devenu également créateur de contenu : plates-formes d’édition, studios d’enregistrement ou espace de création graphique, … Les bibliothécaires d’aujourd’hui, grâce à leurs recommandations, recréent avec les lecteurs une communauté d’usagers avertis, et ils assurent des tâches variées allant de l’aide à la recherche au tri de contenus en ligne, devenus pléthoriques, en passant par la formation aux nouveaux modes d’expressions numériques. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La 4G
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’Idate, qui conduit de nombreuses missions d’études
et réflexion sur les contenus numériques culturels
et sur l’avenir des médiathèques.