Câble : la révolte des cord-cutters

Selon Pascal, paraphrasant Montaigne : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Il en va des réseaux de communication comme des idées et des valeurs humaines : elles varient en fonction de la géographie. C’est encore plus vrai pour les réseaux câblés, dont l’avenir ou pas dépend
du pays dont on parle. L’histoire du câble a commencé aux Etats-Unis, dès 1945, pour pallier la mauvaise réception
de la télévision hertzienne en ville. Son énorme capacité
de diffusion lui a rapidement assurée un succès à la hauteur de la promesse de proposer un grand nombre de chaînes. A tel point que, en 2011,
un téléspectateur américain sur deux accédait toujours à des programmes de télé via
le câble.
En France, c’est une tout autre histoire. Au début des années 80, les premiers réseaux câblés voient le jour sous l’impulsion de la « DGTP », direction des télécoms du ministère des PTT qui lance un « Plan câble » pour raccorder en dix ans 52 villes de France (objectif de 10 millions de prises pour un coût estimé à plus de 3 milliards d’euros). L’échec technique, l’absence de terminaux adaptés, l’insuffisance de programmes diversifiés et le cadre législatif contraignant (interdiction de desservir plus de 8 millions
de foyers) ont fini par tuer le projet dans l’œuf.

« Le câble atteint des taux de pénétration élevés mais arrive à saturation. En Europe, le câble perd même
du terrain, notamment au profit de l’IPTV »

Et pourtant, trois décennies après, c’est grâce à ce réseau que la France pouvait afficher un nombre de foyers ayant accès au très haut débit parmi les plus importants d’Europe. Le pays arrivait ainsi en troisième position, derrière la Russie et la Suède, avec plus de 500.000 abonnés au très haut débit. Mais la plupart était en fait du ressort du câblo-opérateur national Numericable, et non des investissements très limités des opérateurs télécoms dans le déploiement de la fibre optique au cœur de leur réseau. Malgré une image entachée d’obsolescence, le câble (fibre prolongée par du coaxial) a en réalité une dynamique propre qui lui a même permit de devenir, en 2012, le premier mode d’accès aux services de télévision dans le monde (sur le premier téléviseur). Avec plus de 550 millions de foyers, le câble s’installe pour l’instant en tête des modes de réception, devant le réseau hertzien en baisse régulière et devant le satellite et l’IPTV en croissance continue. Technologie d’accès historiquement privilégiée par les pays à forte densité de population ou à l’organisation décentralisée, le câble est logiquement très présent dans ces pays continents que sont la Chine, le Canada ou la Russie, ainsi que dans les pays
à organisation fédérale tels que l’Allemagne ou les États-Unis.
Cependant, sur les marchés matures, le câble atteint des taux de pénétration élevés
mais arrive à saturation. En Europe, le câble perd même du terrain, notamment au profit de l’IPTV. En Amérique du Nord, où le câble est encore de très loin le premier mode de réception TV, il est entré dans une phase de déclin irréversible. La remise en cause aux Etats-Unis fut parfois virulente et militante, tant la position dominante historique des câblo-opérateurs semblait anachronique à l’heure de la révolution Internet : abonnements mensuels de plus 100 dollars par mois, centaines de chaînes que l’on ne regarde jamais, services à valeur ajoutée presque inexistants, … Autant de raisons pour aiguiser les appétits de challengers, lesquels pensaient le moment enfin venu de proposer des services TV de nouvelles générations, quitte à casser les prix. Les Tivo, Vudu, Boxee, Apple TV et autres Google TV ont lancé une offensive en règle saluée par des cohortes de plus en plus nombreuses de cord-cutters.
Sentant le vent de la révolte se lever, les « câblos » ont peu à peu révisé leurs offres,
en suivant la stratégie de Time Warner Cable : de nouveaux packages du type « TV essentials », entre 30 et 50 dollars par mois, de nouveaux modes d’accès aux programmes sur le modèle du site de musique Pandora, la personnalisation de la
publicité, et, bien sûr la capacité d’offrir du triple play dans un contexte où même un Verizon reconnu la puissance des « CableTV » en abandonnant son offre audiovisuelle sur fibre FiOS pour se concentrer sur ses offres mobile de quatrième génération. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’Art et le Web
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut publie chaque année
son étude « Le marché mondial de la télévision »,
par Florence Le Borgne.

Satellite : les nouveaux FAI

Vous êtes déjà en 2020, Par Jean-Dominique Séval*

Pour les amateurs de Science fiction, l’espace est bien plus que le ciel au-dessus de nos têtes ou qu’un objet d’étude repoussant les limites de l’univers aux confins de la métaphysique. C’est aussi un lieu familier où des vaisseaux spatiaux imaginaires relient entre elles de lointaines planètes. Un rêve encore, même si la conquête de l’espace a encore progressé.
Le voyage spatial séduit de plus en plus de passagers, qui embarquent dans des astroports flambant neufs. L’antique station spatiale internationale, l’IIS vient de terminer sa vie au fond d’un océan, tandis qu’une nouvelle station chinoise est en cours d’assemblage. De nombreuses sondes ont continué à être envoyées dans tout le système solaire et, au-delà, pendant que les programmes d’expéditions lunaires et martiennes continuent de mobiliser les grandes agences nord-américaine, européenne, russe et asiatique.

« Les opérateurs de satellites se sont bien transformés en FAI. Mais ils s’inscrivent – pour l’instant ? – dans une logique d’offre complémentaire pour les zones mal desservies. »

Mais, parmi les très nombreuses promesses offertes par la conquête spatiale, la plus concrète reste encore celle proposée par l’utilisation intensive d’un espace restreint au modeste périmètre de l’attraction terrestre : entre 200 et 36.000 kilomètres autour de la terre. Un espace saturé aujourd’hui par plus de 3.000 satellites, opérationnels ou non.
L’odyssée du satellite artificiel a commencé dans l’imaginaire fertile d’auteurs comme Edward Everett Hale, dans sa nouvelle The Brick Moon (1869), ou Jules Verne, dans Les 500 millions de la Bégum (1879). Moins d’un siècle plus tard, la course était lancée avec le précurseur soviétique Spoutnik I (1957), aussitôt suivi par l’américain Explorer 1 (toujours en orbite depuis 1958).

Les satellites, dans leur ronde silencieuse, ont dès lors progressivement rempli des missions de plus en plus variées : observation, localisation, télédiffusion ou communication. Mais, alors qu’ils commençaient à saturer l’espace orbital disponible, tout en atteignant une certaine maturité commerciale marquée par une diversification croissante de leur gamme de services à forte valeur ajoutée, la compétition avec des services terrestres faisait rage.
La promesse théorique du satellite est pourtant sans égale : pouvoir délivrer partout sur la planète, et quel que soit le relief, des services de télévision et de communication incluant désormais l’accès haut débit à Internet. Si la plupart des pays développés ont adopté des plans nationaux très haut débit à horizon 2020, les solutions technologiques retenues furent d’abord en faveur de réseaux terrestres fixes (FTTx) associés au réseau mobile 4G (LTE), la Corée du Sud et le Japon étant pionniers en la matière.
Seuls quelques pays, dont la France et l’Australie, envisagèrent de mettre le satellite à contribution comme solution crédible pour délivrer des services très haut débit à 50 Mbits/s à partir de 2015, privilégiant l’utilisation de la bande Q/V en substitution à la bande Ka.

Dans cette bataille qui l’opposa aux technologies mobiles terrestres, le satellite ne manquait pas d’atouts technologiques et économiques.

En retard par rapport à la concurrence terrestre en 2011, les opérateurs de satellites ont rapidement renforcé leurs offres « bundlées » en intégrant des offres TV, qui étaient un de leurs points forts historiques. Eutelsat, via sa filiale Skylogic et son satellite européen multifaisceaux Ka- Sat, développa une offre multiplay disponible (Tooway) et du haut débit à des tarifs comparables à ceux des accès ADSL ou fibre optique. Au final, les opérateurs satellite se sont bien transformés en FAI. Mais leur part de marché est encore limitée et ils s’inscrivent – pour l’instant ? – dans une logique d’offre complémentaire pour des habitants de zones mal desservies.
Le nombre d’abonnés haut débit par satellite sur l’Europe et l’Afrique du Nord est quand même, en 2020, de plus de 1 million (contre moins de 150.000 dix ans plus tôt). En regardant la place limitée qu’occupe aujourd’hui le satellite et en s’interrogeant sur la pertinence des choix techniques et économiques retenus, me prend l’envie de convoquer les mânes de William S. Burroughs qui déclarait : « Après un regard sur cette planète, n’importe quel visiteur de l’espace demanderait : ‘’je veux parler au directeur’’». @

* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut publie chaque année son étude « Très haut débit par satellite », par Maxime Baudry.
Prochaine chronique « 2020 » : Câble : la révolte des cord-cutters

TNT, le second souffle

Rien ne sert de courir il faut partir à point. La fable du Lièvre et la Tortue de La Fontaine s’applique particulièrement bien
à la course que se livrent depuis plus de 20 ans les réseaux de télévision numérique terrestre (TNT) et les réseaux de fibre optique (FTTH). Face aux performances d’athlète de
la fibre, la TNT paraissait bien moins impressionnante.
Mais elle est partie à temps, pour une course de fond parsemée d’obstacles qu’elle franchit l’un après l’autre, consciencieusement. Autant la fibre est depuis longtemps donnée gagnante dans l’acheminement à très haut débit des programmes TV et de
la VOD, autant la TNT n’était que très peu attendue : les téléspectateurs d’alors n’exprimaient aucune attente claire et les chaînes de télévision en place traînaient plutôt des pieds face à cette concurrence annoncée. Ce fut surtout une question de volonté politique : moderniser un réseau très ancien, libérer du spectre et proposer au plus grand nombre une offre plus large de programmes assortie de catch up TV, de « push VOD » (sur disque dur numérique), de radio et de services interactifs. Mais avant d’en arriver là, le top départ fut donné en France dès mars 2005 dans quelques villes, après avoir été plusieurs fois retardé en raison de difficultés tant politiques que techniques. Ce fut dès
lors une lente montée en puissance, que les ricanements des premiers temps peinèrent
à perturber.

« La TNT 2.0 multiplie les chaînes assorties de catch up TV, de ‘’push VOD’’ (sur disque dur numérique), de radio et de services interactifs »

Il est vrai que les grilles de programmes des premières années n’étaient souvent que
des alibis permettant d’occuper la lucarne en attendant des jours meilleurs. Tout cela est bien loin : aujourd’hui près du tiers des ménages français reçoit encore la télévision via ce réseau. La TNT gratuite et universelle a ainsi enrayé le déclin de la télévision terrestre qui, avant 2005, connaissait une migration chronique de ses abonnés payants vers d’autres canaux de réception. Ainsi trois des principales offres payantes proposées au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne avaient disparu entre 2002 et 2005. Dans le même temps,
les abonnés de Canal+ France, première chaîne analogique payante en Europe, avaient migré vers d’autres modes de réception. Depuis lors, avec la numérisation des réseaux et l’amélioration de l’offre, la télévision terrestre a reconquis des téléspectateurs (+ 1,2 million de foyers abonnés entre 2008 et 2011). Cette diversité nouvelle est d’autant plus frappante que les offres de télévision à péage se multiplient sur la TNT : Boxer dans les pays scandinaves, Top Up TV au Royaume-Uni, ou encore les offres à la demande ou prépayées en Italie pour des matches de football accessibles sur la TNT. La France, elle, devint dès 2011 le premier pays européen en nombre d’abonnés à une offre de télévision terrestre (1,8 million de foyers en France en 2011). Et ce, principalement grâce à l’offre
de Canal+ qui propose un abonnement à sa chaîne premium sous forme d’un bouquet
de cinq chaînes et distribue par ailleurs une offre de TNT payante.
L’extinction du signal analogique, qui eut lieu fin 2011 pour la France, a maintenu une croissance du nombre de foyers regardant la télévision via la TNT (plus de 9 millions de foyers). Un attrait régulièrement renouvelé par une offre sans cesse enrichie : en 2012, six nouvelles chaînes vinrent s’additionner aux 19 gratuites existantes, sans compter
une grosse vingtaine de chaînes locales. En 2015, ce fut le basculement de l’ensemble des chaînes de la TNT au format MPEG4, puis aujourd’hui à la norme DVB-T2. Ces chaînes se regardent en HD et, pour certaines, en 3D grâce aux nouveaux téléviseurs, mais ce sont surtout les services multi-écrans qui ont chamboulé le rapport des téléspectateurs aux chaînes. Des startup étonnantes ont su réinventer la TV connectée : la Boxee Box, par exemple, a eu un grand succès à New York en permettant de porter
les vidéos et programmes TV du Web sur le téléviseur aux côtés des chaînes gratuites
de la TNT.
La TNT, en se retournant sur le chemin parcouru depuis son lancement, pourrait bien s’écrier à l’adresse de ses rapides concurrents : « Eh bien ! N’avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ? ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Satellite, les nouveaux FAI
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son étude
« Le marché mondial de la télévision :
marchés et prévisions 2016 », par Florence Le Borgne

e-Libraire cherche e-Lecteur

En ce samedi matin ensoleillé, après avoir bu un café en terrasse accompagné d’un journal sur tablette, j’ai poussé
la porte de ma librairie préférée. Mais ce rêve nostalgique s’évapore au réveil. C’est presque un cauchemar pour
moi qui aie toujours entretenu avec les livres une relation particulière grâce à la médiation des présentoirs des librairies : entrer au Furet du Nord, chez Mollat ou chez Sauramps, et au hasard d’un rayon se laisser attirer par
un titre, une couverture, un auteur, pour repartir avec ce
qui se révélera être un trésor pour le modeste prix d’une édition de poche. Le lent déclin de la librairie s’est encore accéléré après une longue histoire. Au XVIIIe siècle, le métier de libraire se sépara de celui d’éditeur pour éclore progressivement au XXe. Le temps que l’alphabétisation gagne du terrain et le livre devienne plus accessible. Durant une période assez courte, qui fût sans doute son âge d’or, la librairie accueillait de nombreux lecteurs heureux de pouvoir se créer à domicile leur propre bibliothèque personnelle. Ce qui fut l’apanage des lettrés durant de longs siècles, de l’antiquité à la renaissance. Si être Montaigne n’est toujours pas donné à tous, s’entourer de ses livres préférés devenait enfin un objectif raisonnable.

« Nous avons découvert que le livre pouvait aussi se lire en streaming, le monde de la littérature adoptant le modèle déjà existant dans la musique. »

La quasi disparition des libraires de notre paysage urbain s’explique par la baisse du nombre de lecteurs, antérieure à l’Internet. Ceux qui ne lisent qu’un à quatre livres par
an sont désormais largement supérieur à 50 % de la population. Elle est loin cette génération des baby-boomers du XXe siècle qui manifestait pour les livres un si vif
intérêt. La grande distribution a ensuite concurrencé les librairies. La dématérialisation
de la vente sur Internet, symbolisée par l’irruption d’Amazon en 1994, a mis au bout des doigts des internautes l’accès à des millions de titres. Puis ce fut la dématérialisation
du livre lui-même. Comme pour le disque en son temps, les résistances ont été fortes, relevant d’ailleurs plus de la filière que des auteurs, lesquels sont toujours perdants
dans le partage du gâteau. Les lecteurs, eux, comprennent désormais qu’un livre papier
à 20 euros finance plus une économie de l’emballage et du pilonnage que les auteurs
eux mêmes.
Nous autres lecteurs, nous recherchons aujourd’hui un service complet et intégré, qui était encore éclaté en 2012. Pour lire ses ebooks sur tous les terminaux, on pouvait les archiver sur Dropbox ou Ubuntu comme alternatives libres aux solutions propriétaires
de stockage en ligne de l’époque – voire dans un « nuage ». Nous avons découvert que
le livre pouvait aussi se lire en streaming : Youboox fut le premier en France à appliquer au monde de la littérature le modèle déjà existant dans la musique de Deezer ou Spotify. Pour gérer sa bibliothèque numérique, on pouvait utiliser les services d’un Calibre afin de synchroniser ses appareils de lecture et lire sous de nombreux formats. Pour m’aider à choisir, j’avais accès à des critiques de journalistes mais aussi de lecteurs, décuplées
par la puissance du bouche-à-oreille des réseaux sociaux spécialisés comme Babelio
ou Bookish – véritables club de lecture en mode 2.0. Sans parler de la multitude de sites bibliophiles comme Booknode, Libfly ou Livraddict.
La constitution de plateformes de services intégrés fut la grande affaire de la dernière décennie. Face aux géants du Net, d’Amazon à Google eBookstore, s’opposent les derniers réseaux nationaux puissants comme La Fnac ou Barnes & Noble. Même Priceminister affichait en 2012 plus de 5 millions de livres neufs ou d’occasion, quand
un Gibert en proposait seulement un peu plus de 1 million, sans parler des hypermarchés en ligne qui se sont mis à la page. Face à cette concurrence puissante, les libraires indépendants ont cherché leur salut dans des plateformes collectives telles que 1001libraires, ou en se réinventant comme le fit la mythique librairie Kepler de Menlo Park, mi-commercial mi-associatif au service d’une communauté de lecteurs et d’auteurs militants. George Bernard Shaw n’écrivait-il pas que « pour produire un livre, seuls
l’auteur et le libraire sont nécessaires. Sans parasites intermédiaires » ? @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : TNT 2.0
* Directeur général adjoint
du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier
son étude« eBooks : Marchés et prévisions 2015 »,
par Sophie Lubrano.

Apps contre Web : bataille ou convergence ?

Comme l’Antiquité a été jalonnée de ces grandes guerres mémorables aux noms évocateurs – guerres médiques, puniques ou guerre des Gaules… – les premiers âges de l’Internet fixe auront également été rythmés par leurs propres conflits : guerres des portails, guerre du search ou guerre du social graph. Le basculement d’Internet vers le mobile au tournant des années 2010, à également ouvert un nouveau front. Les premiers pas du Web mobile ayant laissé à désirer, un nouvel entrant imposa à tous un raccourci plébiscité par les utilisateurs. Apple utilisa le concept d’applications comme moyen de contourner les trop lourdes adaptations des sites web au nouvel écosystème mobile.
Les Apps préexistèrent dès 2002, avec le lancement de kits pour développeurs fournis par Symbian, Brew (Qualcomm) et Java ME, mais elles restèrent globalement ignorées
du grand public.
Et c’est en 2008, à l’occasion du lancement de son iPhone 3G, que Steve Jobs déclencha la guerre des « App Stores ». L’appel d’air fut gigantesque : le nombre d’applications passa de 500 au début à plus de 500.000 quatre ans plus tard, pour atteindre un record
en février 2012 avec la 25 milliardième application téléchargée !

« Les cinq dernières années ont en fait ouvert une période passionnante de convergence entre Web et Apps. »

Google lança dans la foulée, avec Android son OS mobile triomphant, son propre magasin d’« applis ». Le succès fut au rendez-vous, dépassant même le nombre d’applications de la marque à la pomme. Les autres ont essayé de populariser leurs propres App Stores
sur le marché des smartphones : RIM avec BB App World pour maintenir son précurseur Blackberry dans la course, Nokia avec Ovi Store abandonné dans l’urgence pour Windows Phone Marketplace, ou Samsung Appstore jouant la carte d’Android Market. La contagion était telle que certains préfèrent appeler le terminal mobile « app-phones » plutôt que « smart-phones ».
La rogne des tenants d’un Internet ouvert, inquiet de voir se cloisonner l’Internet Mobile naissant, ne pesa pas lourd face au succès public. L’engouement pour la simplicité d’usage apportée par les Applis fut tel que le phénomène déborda rapidement l’univers strict du mobile. La barre de navigation des Mac s’est rapidement enrichie de liens vers les « Apps » tandis que Windows 8, lancé en 2012, embarquait Windows Store Apps. L’utilisateur retrouvait ainsi l’ensemble de ses applis dans un endroit unifié, mais dans la limite de cinq terminaux. Après les ordinateurs, les consoles s’y sont mises à leur tour à l’instar de Nintendo proposant, dès mi-2012, sa Wii U en association avec un App Store consultable via une tablette tactile fournie avec la console. Même Amazon a lancé son magasin avec sa propre tablette, tout en inaugurant un mode de rémunération innovant
où c’est l’outil qui affine le prix de vente à partir de celui fixé par le développeur et un algorithme maison.
Cette frénésie a rapidement gagné tous les écrans, y compris les TV connectées, donnant en partie raison aux Cassandres qui pronostiquaient la mort du Web. Mais les effets pervers du tout-Apps se firent sentir dès 2015. La prolifération des applications finit par engendrer une grande complexité à laquelle les « Meta-Apps » ne répondaient que partiellement. Adapter chaque application à de plus en plus d’App Stores a d’abord été
un frein pour de nombreux développeurs, malgré des outils de duplication. Enfin, la
logique « fermée » des App Stores ne se soumettaient que péniblement a la demande d’interopérabilité des utilisateurs. C’était d’ailleurs un des axes de la stratégie d’un Facebook, qui, dès 2011, avait annoncé qu’il resterait « App Store Agnostic », afin de jouer un rôle-clés dans le décloisonnement et dans la sélection des applications par la force des recommandations. Le Web ouvert avec ses qualités natives de navigation et d’interconnexion, s’est finalement complètement renouvelé grâce à la banalisation – bien avant 2015 – de l’HTLM 5, nouvel environnement de programmation du Net, adapté tout autant aux applications fixes que mobiles. Les cinq dernières années ont en fait ouvert une période passionnante de convergence entre Web et Apps. Une nouvelle bataille,
où les Apps bien à l’abri derrière leur « mur d’Hadrien » affrontent les nouvelles avancées du Web ouvert. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Librairies en ligne
* Directeur général adjoint
du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier son étude
« Apps and the Mobile Internet », par Soichi Nakajima.