Nicolas de Tavernost, M6 : « Nous préférons les réseaux administrés aux réseaux ouverts »

Le président du directoire du groupe M6, Nicolas de Tavernost, a expliqué
– le 4 février lors des 10e « TMT Predictions » (1) du cabinet d’études Deloitte –
que la télévision généraliste n’est pas en déclin face à la vidéo sur Internet.
Mais elle pourrait l’être si…

Vers une « exception culturelle » fiscale pour les œuvres vendues en ligne en Europe ?

La Commission européenne a lancé une consultation – jusqu’au 31 mai 2011 – en vue de réformer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La question est notamment de savoir s’il faut un taux réduit sur tous les biens culturels, livres et presse compris, vendus sur Internet.

« Distorsion de concurrence », « obsolescence d’un droit communautaire qui n’a pas pris en compte les effets de la révolution numérique », « situation préoccupante »,
« frein au développement de la nouvelle économie », « concurrence aiguë de la part d’entreprises globales non européennes », « retards ». C’est en ces termes que le président Nicolas Sarkozy, fustige la « fiscalité culturelle » en Europe.

Jacques Toubon et le livre vert « TVA »
« Les journaux et périodiques, la fourniture de livres et la réception de services de radiodiffusion et de télévision bénéficient de cette disposition et se voient appliquer un taux réduit de TVA en France. En revanche les disques, la vidéo et les services en ligne, y compris la presse en ligne et les livres numériques (…) sont exclus du bénéfice d’un taux de TVA minoré et sont soumis au taux normal (19,6 %) », explique le chef de l’Etat à Jacques Toubon qu’il a missionné le 9 décembre sur « les défis de la révolution numérique au règles fiscales européennes ». Contacté par Edition Multimédi@, ce dernier explique que « l’objectif de [sa] mission, au-delà du taux réduit sur la presse et le livre numérique, à court terme, est de concrétiser le principe et la diversité culturelle dans le régime définitif de la TVA qui sera établi en 2015 ». Cette mission a en fait été lancée quelques jours après que la Commission européenne a ouvert – jusqu’au 31 mai 2011 – une consultation sur la base du Livre vert sur l’avenir de la TVA, publié le 1er décembre dernier. « Il subsiste des incohérences dans les taux de TVA appliqués à des biens ou services comparables. Ainsi, les États membres peuvent appliquer un taux réduit à certains biens culturels. Mais ils doivent appliquer le taux normal aux services en ligne concurrents de ces biens, comme les livres ou les journaux électroniques », y constate déjà l’exécutif européen, qui a, dès mai dernier, affirmé que « les défis de la convergence entre les environnements numériques et physiques doivent être pris en compte à l’occasion de tout réexamen de la politique générale, y compris en matière fiscale » (1).
Pour remédier à ce qui peut être perçu comme une « entrave » au marché unique et à
une « distorsion de concurrence », la Commission pose d’emblée une alternative dans son livre vert : « Pour mettre un terme à cette discrimination, il existe deux solutions : maintenir le taux de TVA normal ou transposer dans l’environnement numérique les taux réduits existants pour les biens sur supports traditionnels ». Les Vingt-sept ont encore cinq mois devant eux pour répondre notamment à cette question : préféreriez-vous qu’il n’y ait pas de taux réduits (ou qu’il en existe simplement une liste très courte) ou seriez-vous favorable à la création d’une liste de taux réduits de TVA obligatoire et uniformément appliquée dans l’Union européenne ? Pour l’heure, la France s’impatiente : le gouvernement s’est rallié le 8 décembre à la décision du Sénat – dans le cadre de la loi de Finances 2011 – d’abaisser le taux de TVA sur le livre numérique
à 5,5 % au lieu de 19,6 %, « au nom de l’exception culturelle française ». Or, le lundi
6 décembre, le gouvernement s’était d’abord opposé à cette baisse en la considérant
« contraire au droit européen » (2). En changeant d’avis, la France veut-elle faire pression sur les Vingt-sept ? Contactée par Edition Multimédi@, la porte-parole du commissaire européen Algirdas Semeta, en charge de la fiscalité et de la lutte antifraude (3), est formelle : « Les taux réduits (…) s’appliquent uniquement aux biens et services tels que définies dans l’annexe de la directive “TVA”. Comme les livres numériques ne sont pas mentionnés dans cette annexe, ils ne peuvent pas bénéficier du taux réduit de TVA ».
Et Emer Traynor d’ajouter : « Sur la base des réponses reçues, la Commission européenne présentera les priorités en vue d’un futur système de TVA dans une communication qu’elle publiera à la fin de l’année 2011. Néanmoins, ce livre vert n’autorise pas les Etats membres à prendre des libertés avec l’application de la directive TVA ».

Il faudra l’unanimité des Etats membres
Quoi qu’il en soit, Neelie Kroes – commissaire européenne en charge de la stratégie numérique – avait indiqué être favorable à un taux réduit sur les livres numériques et à d’autres biens culturels. « Il est vrai qu’il existe actuellement des divergences dans les taux de TVA appliqués à des produits ou services comparables », nous avait-elle dit dans une interview fin novembre (4). Mais la difficulté de l’Union européenne va être
de mettre d’accord les Vingt-sept sur une harmonisation de la fiscalité des œuvres culturelles vendues sur Internet. Car toute modification de la législation communautaire sur la TVA requiert l’unanimité des Etats membres. @

Charles de Laubier

Apple parle beaucoup de ses produits, mais reste discret sur sa stratégie

Alors qu’Apple vient d’achever son exercice annuel le 26 septembre, jamais le groupe de Steve Jobs n’a été autant adulé par les médias. Pourtant, la marque
à la pomme n’est pas un exemple d’ ouverture et parle plus volontiers de ses produits que de sa stratégie controversée.

Apple, Apple, Apple, … iPod, iPhone, iPad, … Le groupe du mythique Steve Jobs ne cesse de défrayer la chronique, tant les médias ont croqué la pomme. Selon une étude publiée le 27 septembre par l’institut américain Pew Research Center, c’est l’entreprise
de la high-tech bénéficiant du plus grand nombre d’articles dans les médias : 15 % (1).
Le géant américain s’offrerait ainsi gratuitement une campagne de publicité planétaire, avec plus de 40 % des articles élogieux pour ses produits (2).

Communication verrouillée
Raison de plus pour savoir quelle stratégie se cache derrière cette frénésie pour la firme de Cupertino en Californie. « Je ne peux pas vous organiser d’interview. Nous faisons essentiellement des briefings produits. Je suis votre interlocutrice pour la presse en France et l’Europe, ainsi que pour les Etats-Unis qui me transfèrent les éventuelles demandes que je n’ai pas reçues directement… », répond Jasmine Khounnala, une porte-parole Corporate communications chez Apple France, à Edition Multimédi@ qui souhaitait soumettre à un dirigeant du groupe des questions sur la stratégie. Résultat, malgré notre cordiale insistance : « Nous n’avons pas de commentaire à faire à ce
sujet »… Pourtant, les interrogations ne manquent pas sur la stratégie de la multinationale devenue non seulement la deuxième capitalisation boursière dans le monde mais aussi un acteur puissant – voire en position dominante sur certains marchés.
Le volet le plus sensible concerne l’environnement propriétaire d’Apple, qui fait l’objet de plusieurs enquêtes antitrust préliminaires menées conjointement par l’Union européenne et le Federal Trade Commission (FTC) depuis le printemps dernier. Plusieurs activités de la marque à la pomme seraient en cause : le développement de logiciels pour les mobiles iPhone, le risque de position dominante de iTunes Music Store, les pratiques en termes de publicité sur mobile, les grilles tarifaires imposées
aux éditeurs, et plus généralement le manque d’interopérabilité plateformes-terminaux-contenus (3). Or, le 9 septembre dernier, Apple a annoncé l’assouplissement de
« toutes les restrictions sur les outils de développement utilisés pour créer des applications iOS [le système d’exploitation permettant de faire fonctionner iPhone, iPad et iPod] » pour « donner aux développeurs la flexibilité qu’ils souhaitent » (4). Les contenus devraient ainsi pouvoir être créés pour des environnements ouverts comme Android de Google, Blackberry de RIM ou encore Flash d’Adobe. Quant aux publicités online des environnements concurrents, elles pourraient s’afficher sur les terminaux d’Apple (5). Le 25 septembre, Joaquin Almunia, commissaire européen à la Concurrence, est resté prudent : « La réponse d’Apple à notre enquête prélininaire montre que la Commission européenne peut utiliser des règles de concurrence pour obtenir des résultats rapides sur le marché avec des bénéfices clairs pour les consommateurs, sans avoir besoin d’ouvrir une procédure formelle ». Mais la stratégie de « walled garden » d’Apple reste sous sourveillance car elle pose problème à Neelie Kroes, la commissaire européenne au Numérique, laquelle a fait de l’interopérabilité son cheval de bataille pour le « marché unique des contenus en ligne » (lire page 5). Les éditeurs de contenus – applications, musiques, films, journaux, magazine, livres, jeux, etc – s’interrogent aussi sur la politique marketing et commerciale de Steve Jobs : sur les formules d’abonnement et les grilles tarifaires que leur impose Apple ou sur la maîtrise par ce dernier a sur les bases de données clients. Aux Etats-Unis, la presse entend garder le contrôle de la relation- client après s’être ruée sur la tablette iPad. Le fabricant informatique s’arroge en outre de confortables commissions sur les ventes en ligne via sa toute puissante boutique en ligne iTunes, pouvant atteindre 30 % sur les contenus numériques et 40 % sur les publicités online.

Position dominante d’iTunes
La position dominante d’iTunes rajoute à l’inquiétude. Rien que dans la musique,
la boutique en ligne d’Apple créée en 2003 s’est imposée dans le téléchargement musical (6) – à 0,99 dollar le titre, voire à 0,69 ou 1,29 dollar – et s’apprête à faire de même dans le streaming. Riche de 8millions de titres musicaux, l’écosystème fermé s’est étendu à la vidéo (20.000 épisodes de télévision et plus de 2.000 films de cinéma), ainsi qu’à l’édition (livre et presse). L’emprise d’Apple sur les industries culturelles devrait s’intensifier avec Apple TV que le groupe tente de relancer via iTunes, avec de nouveaux accords avec les ayants droits. Il s’agit de ne pas se laisser distancer sur le marché prometteur de la télévision connectée. « Applemania » jusque dans nos salons ? Encore faut-il que la diversité culturelle, le choix concurrentiel et l’interopérabilité technique soient préservés… @

Charles de Laubier

Pourquoi des producteurs de musique demandent à taxer les opérateurs du Net

Alors que le cinéma s’inquiète sur le risque de remise en cause du financement
des films français par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) via le « Cosip », des producteurs de musique en appellent au chef de l’Etat pour bénéficier, eux-aussi, d’une taxe sur les accès au Net.

« Nous nous félicitons de la décision prise par le gouvernement d’arbitrer en faveur de
la pérennité de la taxe qui permet de financer la production cinématographique par une contribution des fournisseurs d’accès (extension de la taxe Cosip). Il nous paraît légitime et indispensable que la production phonographique puisse enfin bénéficier
d’un mécanisme identique », a écrit Stephan Bourdoiseau, président de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), au président de la République.

La musique veut aussi son « Cosip »
Dans un courrier adressé à Nicolas Sarkozy, daté du 10 septembre et rendu public le
15 septembre, il justifie sa revendication par le fait « que la musique enregistrée a servi
de produit d’appel pour subventionner le développement du haut débit avec un transfert
de valeur considérable en faveur des réseaux, sans aucune contrepartie pour les producteurs de musique ». Stephan Bourdoiseau, par ailleurs président de Wagram Music, a été élu président de l’UPFI le 10 juin dernier pour un mandat de deux ans.
C’est une fonction représentative qu’il connaît bien pour l’avoir assurée de 2004 à 2008.
« Il va s’attacher immédiatement à obtenir la mise en oeuvre rapide des principales mesures préconisées dans le rapport issu de la mission Création et Internet », précise l’organisation professionnelle qui réunit 80 membres revendiquant leur indépendance face aux majors (à l’opposé du Snep). Lors de la sortie du rapport Zelnik en janvier (voir EM@5), l’UPFI avait regretté que ne soit pas retenue sa proposition d’instaurer une taxe fiscale sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et sur les opérateurs télécom du haut débit. De plus, les producteurs indépendants souhaitaient « vivement » que la future « taxe Google » débouche sur un dispositif qui permette de financer aussi la production musicale en France. « A l’ère du mariage entre les contenus culturels et
les réseaux (…), les suites qui ont été données aux préconisations issues du rapport [Zelnik] ne nous paraissent pas être à la hauteur des enjeux », écrit Stephan Bourdoiseau, qui demande à rencontrer Nicolas Sarkozy. « Nous souhaiterions qu’à votre initiative, le gouvernement mesure à sa juste valeur les enjeux liés au déploiement des contenus culturels sur les réseaux et développe dans le secteur musical l’approche d’ensemble qu’il a su mener à bien dans celui du cinéma et de l’audiovisuel ». L’UPFI en appelle ainsi au chef de l’Etat pour que soit créé un compte de soutien à la production musicale, à l’instar du Compte de soutien aux industries de programmes (Cosip) mis en place en mars 2007 par la loi « Télévision du futur » et géré par le CNC, Centre national du cinéma et de l’image animée (1). Si cette idée – initiée par une partie de la filière musicale – de s’inspirer de ce qui a été mis en place pour le Septième art français ne date pas d’hier, elle n’a jamais été demandée avec autant d’insistance au plus haut sommet de l’Etat. Cette revendication intervient en pleine polémique sur la décision de l’Elysée de réviser à la hausse la TVA
– de 5,5 % à 19,6 % – sur la moitié du prix des offres triple play. Cette modification sera inscrite dans le projet de loi de Finances 2011 qui sera présenté en conseil des ministres fin septembre. Les FAI, eux, estiment que la « contrepartie » – le taux réduit à 5,5 % sur la moitié du forfait Internet-TV-téléphone contre financement de films français – est en conséquence remise en cause. Selon les services de Bercy, « il n’y a aucune remise en cause, même mineure, du financement du cinéma » (2). Nicolas Sarkozy aurait promis aux organisations du cinéma que la taxe « Cosip » prélevée sur les FAI en faveur des films français et européens serait aussi inscrite dans le projet de loi de finances 2011. En attendant d’en avoir le coeur net, les organisations du cinéma (Bloc, SPI, APC, ARP, Blic, SACD, …) s’inquiètent d’une remise en cause de la contribution des FAI au Cosip.

L’Elysée cinéphile et mélomane ?
Même la Sacem (3) a également exprimé, le 13 septembre, sa crainte par la voix du président de son directoire, Bernard Miyet : « Face à l’augmentation probable du coût
de l’abonnement à l’ADSL, les consommateurs seront tentés de faire des arbitrages qui pénaliseront le développement des offres légales en ligne ». Alors que les services de Christine Lagarde (4), ministre des Finances, ont tenté de faire passer le message selon lequel le Cosip ne serait pas victime de la réforme fiscale du triple play, les indépendants de la musique ont compris qu’il y avait là une opportunité à saisir de demander à l’Elysée un « Cosip » musical pour leur filière. Inutile de rappeler que Carla Bruni-Sarkozy est musicienne… @

Charles de Laubier