Pourquoi Rupert Murdoch a cassé en deux son groupe News Corp, sur fond d’échecs numériques

Depuis le 1er juillet, est cotée en Bourse chacune des deux nouvelles sociétés issues de la scission intervenue le 28 juin de l’empire News Corp de Rupert Murdoch : d’un côté les activités de presse et d’édition (nouveau News Corp),
de l’autre celles de télévision et de cinéma (21st Century Fox).

Par Charles de Laubier

RMLe magnat américano-australien des médias Rupert Murdoch (photo), 82 ans, divise pour… mieux régner encore un peu. Alors que son conglomérat News Corp, constitué au cours
des 60 dernières années, vient de terminer pour la dernière
fois une année fiscale « intégrée » au 30 juin 2013, le divorce
est désormais consommé entre les deux branches.
Fini le géant des médias aux actifs valorisés 68 milliards de dollars et au méga chiffre d’affaires annuel de 35 milliards de dollars. Désormais, il faudra compter avec deux entités présidées par le patriarche milliardaire : le nouveau News Corp réunissant les activités presse et édition (Dow Jones/The Wall Street Journal, The New York Post, The Times, The Sunday Times, The Sun, The Australian, The Daily Telegraph, HarperCollins Publishers, Amplify, …), et 21st Century Fox regroupant les activités télévision et cinéma (Fox, FX cable networks. Fox broadcasting, 20th Century Fox, BSkyB, Sky Italia, Sky Deutschland, …).

Deux nouveaux exercices commencés depuis le 1er juillet
Signe que Rupert Murdoch est contraint de tourner plus vite la page de la presse qui l’a le plus passionné : il devient président et directeur général de 21st Century Fox, mais il est seulement président du nouveau News Corp, Robert Thomson en étant le directeur général.
Le magnat de la presse a dû céder et opérer ce méga spin off sous la pression des investisseurs.  Pour chacune des deux nouvelles sociétés cotées séparément, le nouvel exercice fiscal a débuté le 1er juillet. La nouvelle société de presse et d’édition pourrait voir son chiffre d’affaires reculer de 4 % à 7,7 milliards de dollars.
Tandis que la nouvelle société de télévision et de cinéma verrait le sien gagner près de
10 % à 30,2 milliards (1). Le cours de Bourse de chacune des deux entités – symbolisées respectivement par NWSA et FOXA – pourrait être volatil durant juillet (2), le temps que les investisseurs et les actionnaires arbitrent sur les deux titres : vont-ils se débarrasser du nouveau News Corp pour ne garder que 21st Century Fox ? Garderont-ils les deux ? Abandonneront-ils tout ce qui se réfère à Murdoch ? Avant la séparation, les sociétés 21st Century Fox et nouveau News Corp étaient valorisées respectivement à environ 65 milliards et 9 milliards de dollars.

Télé-ciné plus rentable que presse-édition
Le nouveau News Corp, qui gagnerait à être rebaptisé, va tenter de redorer une image quelque peu écornée. La chute des recettes publicitaires « papier » au profit du digital, les difficultés à s’adapter au numérique, les pertes enregistrées par cette activité déclinante (3) et le scandale en 2011 des écoutes illégales au News of the World (fermé il y a deux ans) ont eu raison du « papivore » et devraient se solder par une réduction drastique des coûts. Si aujourd’hui encore ce groupe de presse – qui détient en outre depuis octobre 2012 la moitié du capital de l’opérateur de télévision payante australien Foxtel, l’opérateur télécoms Telstra détenant l’autre moitié) – est crédité de la première capitalisation boursière aux Etats-Unis (4), qu’en sera-t-il vraiment demain ?
Le groupe a déjà annoncé que l’activité presse-édition sera dépréciée de 1,4 milliard
de dollars en raison d’un flux de trésorerie en baisse dans ses journaux américains
et australiens. Mais une partie des 2,6 milliards de dollars de trésorerie mis à la disposition du nouveau News Corp – dépourvu de dette – laissent présager des acquisitions : le Los Angeles Times du groupe américain Tribune serait une cible tout comme le développement dans la presse sur Internet, l’éducation numérique ou encore l’immobilier en ligne. En Europe, News Corp pourrait entrer dans le capital du groupe de presse italien RCS Mediagroup (Corriera della Sera) à côté de Fiat, dont le président, John Elkann, est depuis mai membre du conseil d’administration de News Corp.
Quant à la nouvelle société 21st Century Fox, elle hérite des actifs audiovisuels plus rentables. La télévision à péage Sky Deutschland contrôlé à 54,5 % depuis le début
de l’année, l’est désormais par 21st Century Fox et consolidé dans les comptes. Selon
le journal allemand Manager Magazin du 21 juin, le fils, James Murdoch, deviendrait président du conseil de surveillance de Sky Deutschland d’ici la fin de l’année. A noter, par ailleurs, que Delphine Arnault, fille aînée du PDG de LVMH, entre au conseil d’administration de 21st Century Fox.
La saga médiatique de Rupert Murdoch n’a pas été non plus couronnée de succès sur
le front numérique : il n’a pas eu de chance avec Internet qu’il a eu du mal à adopter. Il a fallu que son plus jeune fils, James Murdoch, entré dans le groupe en 1997, insiste pour l’intéresser enfin au Web… juste avant l’éclatement de la bulle Internet. Mais plus de dix ans après, l’octogénaire a essuyé les plâtres : MySpace, le réseau social qu’il a acquis près de 600 millions de dollars en 2005 (c’était alors très cher pour deux ans d’existence), a été laminé par Facebook. Face à la baisse de la publicité sur le pionnier des réseaux sociaux, dont la fréquentation a diminué faute d’avoir su convaincre les fans de musique, il a fallu déprécier, supprimer la moitié des effectifs et restructurer. Même la femme du PDG, Wendi Murdoch, fut appelée à la rescousse en mai 2010
pour développer MySpace en Chine. Cela n’a pas suffit. Malgré ses 100 millions d’utilisateurs à l’époque, MySpace a finalement été vendu en juin 2011 pour environ… 30 millions de dollars, soit vingt fois moins que le prix d’achat ! Rupert Murdoch reconnaîtra plus tard que MySpace avait été « très mal géré ».
Entre temps en février 2011, il s’engage dans une autre aventure numérique avec le lancement de « The Daily », un quotidien payant créé dans un premier temps pour l’iPad. Investissement de départ : 30 millions de dollars et une centaine de personnes recrutées. Mais, devenu un militant de la presse on line payante après avoir racheté en 2007 le Wall Street Journal, Murdoch mise ainsi sur le payant en ligne. Mais le monde fermé d’Apple ne lui portera pas chance (5). Il y a sept mois, le 15 décembre dernier, News Corp, arrête la publication de The Daily qui n’a pas dépassé les 100.000 abonnés. Résultat, le directeur en charge des activités numériques, Jonathan Miller, est remplacé par Paul Cheesbrough. Il faut dire que la publication des résultats annuels de l’ancien groupe News Corp, arrêtés au 30 juin 2012 et publiés durant l’été, font l’effet d’une douche froide : chute de 57 % du bénéfice net à 1,18 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires de 33,71 milliards en presque stagnation (+ 1 %).
A ces déboires numériques, s’ajoutent les démêlés de la filiale édition du groupe, HarperCollins, la Commission européenne la soupçonnant d’entente illicite avec Apple et d’autres éditeurs (dont Hachette Livre/Lagardère) sur le prix des e-books. Cette affaire a été soldée à l’amiable par les cinq éditeurs incriminés, qui ont dû verser 170 millions de dollars d’amendes et de dédommagements, alors que la procédure judiciaire contre Apple se poursuit.

De l’échec MySpace à la vente de Hulu
Par ailleurs, News Corp cherche à se désengager de Hulu, la plate-forme pionnière du streaming VOD cocréée en 2007 avec Walt Disney, NBC Universal et General Electric. Malgré ses 4 millions d’utilisateurs et un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars réalisé en 2012, Hulu s’est fait largement distancé par son redoutable concurrent Netflix (lequel pèse 3,6 milliards de dollars de revenus en 2012 et 36 millions d’abonnés). Les actionnaires de Hulu cherchent à vendre (6) – soit à l’un d’entre eux, soit à un tiers (7). Yahoo est sur les rangs, après avoir échoué à s’emparer de Dailymotion, tout comme… l’ancien président de News Corp, Peter Chernin (8), à l’origine de la création de Hulu.
A suivre. @

Charles de Laubier

Avec les affaires « Stéphane Richard » et « Dailymotion », l’Etat a repris le contrôle de France Télécom

Le 16 juin, François Hollande annonce le maintien de Stéphane Richard. Le 17 juin, le conseil d’administration a entériné sa décision. Le 1er juillet, France Télécom deviendra Orange. L’Etat, qui détient seulement 27 % du capital, en reprend le contrôle depuis l’affaire Dailymotion.

SRC’est un fait. L’Etat français reprend le contrôle sur France Télécom, dont il ne détient pourtant que 26,9 % du capital.
Et encore, il n’en possède directement que 13,4 %. Les 13,5 % autres actions sont détenues indirectement via le Fonds stratégique d’investissement (FSI).
Les droits de vote, eux, sont à peu près du même niveau (respectivement 13,5 % et 13,6 %). Bien que cela fasse dix ans
à la fin de l’année (depuis une loi du 31 décembre 2003), que l’ancien monopole public de télécommunications est devenu
une entreprise privée (1), l’Etat a bien repris la main en tant que premier actionnaire,
n’en déplaise à Stéphane Richard (photo) qui s’était insurgé contre l’intervention du gouvernement en avril dernier dans la négociation, avortée depuis, entre son groupe
et Yahoo.

L’Etat a fait l’effet d’épouvantail vis à vis de Yahoo!
Les trois représentants de l’Etat au conseil d’administration (sur un total de 15 membres) ont bien appliqué la consigne du président de la République, les autres administrateurs indépendants ayant presque suivi comme un seul homme (hors un vote contre et une abstention).
Au risque de faire passer l’ancien haut fonctionnaire pour une marionnette de Bercy,
qui plus est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais, accusé d’avoir été un acteur-clé en tant qu’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie (2).
L’Etat redevient le patron, certes virtuel, du groupe. Il l’a démontré avec force à propos de Dailymotion, filiale à 100 % de France Télécom depuis le début de l’année (3), lors d’une réunion organisée le 12 avril à Bercy entre Arnaud Montebourg et le directeur des opérations de Yahoo, Henrique de Castro. C’est à cette réunion que le géant américain
du Web a renoncé à s’emparer de 75 % du capital du français Dailymotion, là où l’Etat
ne voulait en céder que 50 %. « Yahoo et France Télécom n’ont pas trouvé d’accord
de partenariat équilibré », a regretté le 30 avril Arnaud Montebourg, après l’échec des négociations. Ce à quoi Stéphane Richard lui a rétorqué : « Dailymotion est une filiale d’Orange, et non de l’Etat. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration
qui gèrent ce dossier. (…) Ce n’est pas à la demande de l’Etat que nous avons investi.
Et Dailymotion s’est révélé une bonne affaire, dont la valeur a doublé ou triplé » (4).

Orange fera-t-il oublier France Télécom ?
Le PDG de Dailymotion, Cédric Tournay, a lui aussi dit « regretter le blocage gouvernemental, parce que nous vivons dans un environnement mondialisé » (5). Aujourd’hui, il a tourné la page Yahoo et, à défaut d’être racheté pour l’instant, parle plutôt d’acquisitions. « Nous progressons surtout sur notre plan d’investissement et sur nos projets d’acquisition. Nous ne sommes pas pressés de reprendre notre recherche de partenaires mais sommes évidemment à l’écoute des propositions qui peuvent être formulées », nous a expliqué Cédric Tournay. Pour tenter de reprendre la main et montrer qu’il continuait à rechercher un investisseur outre-Atlantique pour conquérir le marché américain, vital pour Dailymotion, Stéphane Richard s’était rendu début mai dans la Silicon Valley pour essayer de rassurer les entreprises américaines sur l’intervention de l’Etat français dans ses affaires. « Je souhaite (…) que l’Etat reste discret dans ces négociations, tout en faisant valoir les intérêts de sa politique et des entreprises françaises », avait déclaré le 8 mai Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique.
A son tour dans la Silicon Valley début juin, elle a tenté à son tour de rassurer les investisseurs américains : « Il y a eu beaucoup de malentendus autour de cette question car je me rends compte que certains pensaient qu’Orange était une entreprise 100 % publique. (…) Orange ne souhaitait pas vendre totalement Dailymotion, mais rester un actionnaire de référence », a-t-elle déclaré à cette occasion le 5 juin. Les efforts de Fleur Pellerin et de Stéphane Richard pour essayer de réparer les pots cassés pourraient être anéantis après l’annonce de François Hollande sur M6 qu’il donnera des instructions pour que ce dernier soit maintenu à la tête de France Télécom. C’est la deuxième fois en moins de deux mois que l’Etat actionnaire fait comme s’il était seul maître à bord. De quoi rendre sceptique toute entreprise privée américaine, ou étrangère, si tant est qu’il y en ait encore d’intéressée. Reste à savoir
si les déboires étatiques de Dailymotion n’auront pas des répercutions indirectes sur Deezer, la plate-forme de musique en ligne française dans laquelle France Télécom détient une participation – minoritaire cette fois (10,5 % via la société Odyssey Music Group). Et ce n’est pas faute pour la direction d’avoir essayé de minimiser le poids décisionnel de l’Etat français dans la conduite stratégique de la multinationale France Télécom (170.531 salariés dans le monde, dont 104.000 en France, au 31 décembre 2012). « Le secteur public pourrait, en pratique, compte tenu de l’absence d’autres blocs d’actionnaires significatifs, déterminer l’issue du vote des actionnaires dans les questions requérant une majorité simple dans leurs assemblées. Toutefois, l’Etat ne bénéficie ni d’action de préférence (golden share) ni d’aucun autre avantage particulier, hormis le droit de disposer de représentants au conseil d’administration au prorata de sa participation dans le capital », a, par exemple, rappelé la société cotée depuis octobre 1997 (à Paris et à New York) dans son document de référence déposé à l’AMF le 27 mars dernier.
Avec les deux affaires “Stéphane Richard” et “Dailymotion”, le groupe France Télécom aura beau se rebaptiser juridiquement Orange à partir du 1er juillet prochain, il lui sera difficile de faire oublier la présence de l’Etat dans son capital et dans ses prises de décision. Cette nouvelle dénomination sociale, héritée de la société britannique Orange créée en 1994 et rachetée à prix d’or en 2000 à Vodafone (pour 39,7 milliards d’euros
de l’époque !) est censée permettre à France Télécom de tourner le dos à son image persistante d’entreprise publique au passé social dramatique depuis sa privatisation.
Le PDG maintenu reste cependant à la merci de l’Etat. «Si la procédure judiciaire venait
à être d’une nature telle qu’il ne puisse pas être dirigeant de l’entreprise, à ce momentlà une autre décision serait prise », a prévenu François Hollande, en précisant en outre que l’Etat ne compte pas céder sa participation en raison du cours de Bourse insuffisamment élevé. Autant dire que Stéphane Richard, qui se retrouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ne pourra plus dire « le patron, c’est moi ».
Et cela tombe très mal pour le groupe France Télécom qui non seulement passe à l’Orange, mais se trouve seulement à mi-parcours de son programme « Conquête
2015 » qui doit notamment passer par l’accélération du développement international
et l’investissement dans les réseaux fixes et mobiles très haut débit et très coûteux.

François Hollande et ses 100 % de THD en 2022
En France, le chef de l’Etat lui-même n’a-t-il pas fixé l’objectif très ambitieux et dévoreur de capitaux de « couvrir 100 % de la France en très haut débit [THD] d’ici à 2022 et très majoritairement en [FTTH] » ? Quitte à pousser le gouvernement de Jean-Marc Heyrault à organiser d’ici 2025 « l’extinction du cuivre » (6) de l’opérateur historique de la boucle locale. Le tandem Orange-Etat a encore de beaux jours devant lui. @

Charles de Laubier

Le rapport Lescure dresse un bilan accablant de l’offre légale en France

C’est le diagnostique le plus sévère de la mission Lescure : l’offre légale d’accès aux œuvres et contenus culturels en ligne laisse encore à désirer, malgré toutes les promesses faites par les pouvoirs publics et les industries culturelles depuis les deux lois Hadopi de 2009.

Par Charles de Laubier

PLL’offre légale en ligne, encore insuffisante ou trop peu rémunératrice, doit affronter la concurrence d’une offre illicite gratuite et quasi illimitée », constate le rapport de Pierre Lescure (photo). « L’offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes. L’insatisfaction, quoique générale, est plus évidente encore s’agissant des films et des séries télévisées.
Les reproches les plus récurrents concernent les prix trop élevés et le manque de choix », poursuit-il.

Industries culturelles mises en cause
Manque d’exhaustivité, incohérence (indisponibilité de certains épisodes), absence de flexibilité (disponibilité des versions française de films étrangers), manque de fraîcheur (chronologie des médias) ou encore contraintes des protections de type DRM (1) sont autant de « sources de frustration ».
Sans parler du manque d’interopérabilité entre terminaux, fichiers et droits numériques.
La mission Lescure en vient même à décerner au passage un satisfecit aux sites pirates ! « L’offre illégale (…] paraît, à de nombreux égards, difficilement égalable : elle est majoritairement gratuite et tend à l’exhaustivité, elle est facile d’accès, dénuée de DRM et disponible dans des formats interopérables, et elle est parfois de meilleure qualité que l’offre légale et en termes de formats ou de métadonnées associées ».
Il ne manquerait plus que ces plates-formes pirates versent une rémunération aux créateurs et respectent la chronologie des médias pour que tout aille pour le mieux…
Les industries culturelles et leurs « intermédiaires » de l’Internet en prennent pour leur grade, qui ne parviennent pas à aider les internautes à « distinguer clairement entre les pratiques légales et les pratiques illégales », ni à « garantir la juste rémunération des auteurs et des artistes au titre de l’exploitation en ligne », ni encore à permettre
« l’accès facile et sécurisé aux contenus ». L’offre légale « pèche encore par sa relative uniformité, que ce soit en termes de modèles tarifaires, de fonctionnalités offertes ou de ‘’ligne éditoriale’’ ». Pas étonnant dans ses conditions que « la crise de confiance entre les industries de la culture et une partie des publics » perdure et que bon nombre d’internautes préfèrent continuer à pirater. Sur les millions d’e-mails d’avertissements envoyés par l’Hadopi, n’y a-t-il pas finalement qu’« une trentaine de dossiers » transmis
à la Justice et seulement à ce jour trois jugements connus (2), dont… une relaxe ?
« Le recul du téléchargement de pairà- pair, probablement lié pour partie à l’efficacité
de la réponse graduée, a davantage profité aux autres formes de consommation illicite [téléchargement direct, streaming] qu’à l’offre légale. (…) Les carences de l’offre légale expliquent, pour partie, le recours à des pratiques illicites », préviennent les rapporteurs. Le cinéma, le livre et le jeu vidéo n’ont donc pas appris des erreurs de
la musique qui avait eu recours massivement à ces DRM, au point de détourner les internautes au profit du téléchargement illicite. « C’est avant tout la qualité de l’offre légale qui incitera les publics à délaisser les pratiques illicites », martelle le rapport Lescure.
Pour y parvenir, il en appelle aux industries culturelles : « Les restrictions apportées aux usages (chronologie des médias, DRM), parfois légitimes devraient être justifiées avec davantage de transparence et de pédagogie ». Une des autres difficultés provient des
« réticences des industries culturelles à expérimenter de nouveaux modèles
économiques », comme le financement de la publicité. « Seule l’offre légale gratuite financée par la publicité peut espérer rivaliser [avec les sites pirates] », estiment-ils. Aussi, il devient urgent d’« améliorer la disponibilité en ligne des œuvres culturelles, favoriser le développement d’un tissu de services innovants et attentifs à la diversité culturelle et stimuler la demande en encourageant l’émergence d’une offre abordable
et ergonomique, respectueuse des droits des usagers » (3). Plus techniquement, la dispersion et le cloisonnement des bases de métadonnées (4) posent problème.
« Faute de coordination et de standardisation suffisantes, des bases se multiplient, partiellement redondantes, qui ne peuvent dialoguer entre elles », ce qui ne favorise pas le développement de l’offre légale.

Licence globale pour offre non marchande
Quant à l’offre légale non marchande (bibliothèques et médiathèques notamment), par opposition à l’offre légale commerciale, elle reste aujourd’hui « beaucoup trop pauvre ».
« Le développement et la diversification de ces offres [non marchandes] devraient rendre moins pressante la demande d’une licence globale, conçue en partie comme un remède
à l’insuffisance de l’offre légale ». La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. @

Charles de Laubier

Dailymotion, victime de l’ « exception culturelle française »

En fait. Le 2 mai, la polémique a continué à enfler après qu’Arnaud Montebourg ait dit « non » à Yahoo qui voulait racheter à France Télécom 75 % de Dailymotion au lieu de 50 % proposés par le ministre du Redressement productif. Du coup, Yahoo aurait renoncé à s’emparer du concurrent français de YouTube.

CanalPlay Infinity commence à cannibaliser les abonnés de la chaîne cryptée Canal+

Le groupe Canal+ a-t-il eu raison de lancer il y a quinze mois maintenant son service de VOD par abonnement, CanalPlay Infinity, qui dépasse aujourd’hui les 200.000 abonnés ? Ça se discute, surtout si la migration des abonnés de la chaîne cryptée vers ce service devait se confirmer.

Imaginez : la chaîne dominante du marché français de la télévision payante, premier pourvoyeur de fonds du cinéma français, filiale emblématique du conglomérat Vivendi,
la quatrième chaîne du PAF (1) serait menacée par… le groupe Canal+ lui-même !
Ce crime de lèse majesté serait le fait de CanalPlay Infinity, le service de SVOD(2) maison, lancé il y a presque un an et demi (3).
Il serait à l’origine de la baisse du nombre d’abonnés de la chaîne cryptée l’an dernier.
« En France métropolitaine, le portefeuille d’abonnements se situe à 9,68 millions, en léger repli par rapport à 2011 dans un contexte économique et concurrentiel difficile », constate en effet Vivendi dans son rapport annuel 2012 publié le 18 mars dernier.

Canal+ a perdu 80.000 abonnés en 2012
Par rapport aux 9,76 millions d’abonnés de l’année précédente, cela représente une perte de 80.000 abonnés en un an. Autre signe inquiétant : le taux de résiliation de la chaîne cryptée en France augmente sérieusement à 13,6 % en 2012, contre 12,1 % en 2011 et tout juste 11 % en 2010.
Pendant ce temps-là, CanalPlay Infinity fait le plein d’abonnés SVOD. Contacté par
nous pour connaître le nombre précis d’abonnés à CanalPlay Infinity, Patrick Holzman, directeur de CanalPlay, nous a répondu : « En 2013, on a dépassé les 200.000 ». Ce succès ne se fait-il pas au détriment de Canal+ ? « Dans les marchés européens, l’édition de services stand-alone [tels que Now TV de BskyB et CanalPlay Infinity], correspond souvent à une stratégie défensive d’acteurs nationaux anticipant la venue d’acteurs américains tels que Netflix ou Amazon. L’édition de ce type de service implique cependant un risque de cannibalisation de la clientèle des services premium », prévient l’Idate (4) dans son étude publiée en mars et intitulée « Pay-TV versus SVOD. Entre complémentarité et concurrence ».
Si CanalPlay Infinity a contribué à la croissance du nombre total d’abonnés de Canal+
sur l’année 2012, ce troisième service d’abonnement – après Canal+ et CanalSat – a aussi « permis de compenser une légère baisse du nombre d’abonnés aux bouquets Canal+, CanalSat et Canal Overseas », expliquent les auteurs de l’étude, Florence Leborgne et Alexandre Jolin (voir graphique ci-dessous). Reste à savoir s’il s’agit de compensation ou de cannibalisation de la part de CanalPlay Infinity. « Il est pour le moment trop tôt pour définir si le déclin du nombre d’abonnés Canal+ France, constaté
au quatrième trimestre 2012, correspond à un effet de cannibalisation des abonnés aux offres de chaînes linéaires par ce nouveau service », estiment les deux experts de l’Idate. Si cannibalisation il y a, elle devrait s’accélérer au cours de cette année 2013 : l’offensive marketing de CanalPlay Infinity devrait permettre d’atteindre les 300.000 abonnés dès cette année. Depuis le mois de février, est proposée une offre promotionnelle d’« essai gratuit le premier mois sans engagement » d’abonnement, lequel est ensuite de 6,99 euros par mois depuis le début de l’année sur les écrans secondaires (ordinateurs et tablettes) ou de 9,99 euros par mois pour le premier écran (télévision). C’est que CanalPlay Infinity est désormais disponible non seulement sur les box SFR, Free ou Bouygues Telecom mais aussi sur la console de jeux Xbox 360 de Microsoft, ainsi que sur ordinateurs PC et Mac ou encore tablettes iPad. A la clé : ce sont plus de 4.000 films de catalogue et séries de télévision qui sont proposés de façon illimitée, auxquels est venu s’ajouter en début d’année « Disney Movies on Demand » (5). CanalPlay Infinity va en outre arriver sur les TV connectées et les écrans dits OTT (Over-The-Top) avec une simplification de son ergonomie et l’ajout de fonctionnalités comme le « download-togo » (6) ou la recommandation personnalisée par thématiques ou genres. Le service de SVOD devrait ainsi rejoindre le service de VOD à l’acte, CanalPlay, sur les téléviseurs connectés Samsung, LG et Panasonic, voire les lecteurs Blu-ray LG. Il sera aussi proposé sur les décodeurs des abonnés CanalSat. Reste un handicap : la chronologie des médias empêche la SVOD de proposer des films récents et impose d’attendre 36 mois avant de les proposer. Mais la mission Lescure, dont les conclusions sont attendues le 15 avril, devrait y remédier. CanalPlay Infinity se fera alors encore plus menaçant pour Canal+. @

Charles de Laubier