A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

La chaîne publique Franceinfo n’a pas réussi à faire décoller son audience en quatre ans d’existence

Lancée en grande pompe le 1er septembre 2016 par France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Ina, la chaîne publique d’actualités en continu Franceinfo est-elle un échec ? La question se pose au vu de ses 0,7 % de parts d’audience seulement, quatre ans après son lancement.

Certes, l’audience de la chaîne Franceinfo a légèrement augmenté depuis son lancement sur le canal 27 de la TNT (1) il y a quatre ans, passant de 0,3 % de part d’audience nationale en janvier 2017, avec un peu plus de 18,4 millions de téléspectateurs dans le mois selon Médiamétrie, à 0,7 % en septembre 2020 avec 24,2 millions de téléspectateurs. Autrement dit, la chaîne publique d’information en continu – cornaquée par France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Ina – a gagné en quatre ans d’existence seulement 0,4 point à 5,8 millions de téléspectateurs supplémentaires.

Laurent Guimier à la rescousse
Ce n’est pas digne du service public de l’audiovisuel financé par la redevance payée par la plupart des 28 millions de foyers français (2). Pas sûr que cette piètre performance, ne serait-ce que par rapport à ses concurrentes BFM TV (2,5 %), CNews (1,5 %) et LCI (1 %), satisfasse Delphine Ernotte (photo de gauche) qui a été reconduite par le CSA à la présidence de France Télévisions pour un mandat de cinq ans (depuis le 22 août). La petite audience de Franceinfo ne devrait pas non plus réjouir Stéphane Dubun, directeur de la chaîne depuis plus de quatre ans maintenant. Ce journaliste francobritannique- écossais fut nommé par la présidente de France Télévisions en même temps que Célia Mériguet qui, elle, a la charge de la diffusion en ligne de Franceinfo.
Tous deux reportaient depuis deux ans à Alexandre Kara, lequel a cédé sa place en juin à Laurent Guimier (photo de droite) venu reprendre en main la chaîne publique d’information en continu et d’en améliorer l’audience. Cet ancien d’Europe 1 vient d’être promu par Delphine Ernotte directeur de l’information de France Télévisions (3). « Les JT de France 2 et France 3, les magazines, le canal 27 [où est diffusée la chaîne Franceinfo sur la TNT, ndlr] et franceinfo.fr sont placés sous ma responsabilité », indiquet- il à Edition Multimédi@. C’est dire que ce jeu de chaises musicales au niveau de l’état-major de l’ex-directrice générale d’Orange France (4) touche de près Franceinfo. « Depuis 2016, nous sommes passés à l’offensive en unissant les forces de l’audiovisuel public pour créer Franceinfo, premier média numérique d’information en France, qui poursuivra un objectif clair : conquérir aussi la première place en linéaire. Franceinfo est un actif puissant sur lequel il nous faut investir et qu’il faut consolider », a fait valoir Delphine Ernotte dans son projet stratégique exposé au CSA en juillet. Mais avec moins de 25 millions de téléspectateurs par mois, qui est d’ailleurs loin d’être l’audience de la seule TNT puisque sont intégrés à cette mesure de Médiamétrie les audiences en différé et en télévision de rattrapage sur Internet, Franceinfo doit encore trouver son public. « Franceinfo s’est imposée en quelques mois seulement comme le premier support d’information numérique des Français et doit continuer à grandir », convient la présidente de France Télévisions. Cela nécessite pour cette chaîne d’infos en continu de plus en plus délinéarisée « un investissement technologique constant (…), en renforçant ses contenus vidéo, en amplifiant son caractère conversationnel et en inventant un nouveau média social ». Sa ligne éditoriale ? Dans une interview à Forbes, Delphine Ernotte lance : « Pas de boucle, pas de clash, pas de buzz, du décryptage, de la pédagogie de l’info. C’est une chaîne calme (…) » (5). Objectif de son deuxième mandat : « Faire de Franceinfo la première offre d’information sur tous les écrans et 100 % accessible ».
Sur Internet (6), Franceinfo revendique plus de 23,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de juillet (dernière mesure disponible), dont 80,2 % sur smartphone, 21,9 % sur ordinateur et 16,1 % sur tablette. Ce qui place la chaîne publique d’info en continu à la onzième place du classement Internet en France, loin devant, tout de même, BFM TV (vingt-deuxième place) et LCI (quarante-neuvième). La présidente de France Télévisions compte en outre investir dans « le datajournalisme et l’intelligence artificielle », notamment en consolidant « l’alliance des services publics née autour de Franceinfo » et en initiant « de nouveaux partenariats technologiques avec l’ensemble des médias d’information ».

Franceinfo remplace France Ô, en HD
Malgré la faible audience de Franceinfo au bout de quatre ans, le CSA a quand même entériné – à la demande de la nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot (7) – le retrait au 1er septembre de la chaîne d’outre-mer France Ô de sa fréquence sur la TNT pour y diffuser à place Franceinfo en haute définition en métropole. France Ô est morte à 15 ans, au grand dam de beaucoup, alors qu’elle était allée jusqu’à 0,9 % de part d’audience (en avril et juin 2016) – soit 0,2 point de mieux que Franceinfo, pourtant bien plus mise en avant. @

Charles de Laubier

Canal+, seul candidat à sa succession : pourquoi ?

En fait. Le 30 septembre, la chaîne cryptée Canal+ a été auditionnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en tant que seul candidat à sa succession, dans le cadre de l’appel « aux candidatures » du 26 février dernier « pour l’édition d’un service de télévision payant à vocation nationale ». Vivendi, seul contre tous.

Digital Services Act (DSA) : un draft sous le manteau

En fait. Les 1er et 2 octobre, à Bruxelles, s’est tenu un conseil européen extraordinaire, où a été abordé le futur Digital Services Act (DSA) que la Commission européenne doit encore finaliser pour le présenter au Parlement européen le 2 décembre. Une version provisoire (draft) a circulé sous le manteau…

Ursula von der Leyen : « Nous investirons 20 % du budget de NextGenerationEU dans le numérique »

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, première femme à ce poste, a prononcé le 16 septembre son premier discours sur l’état de l’Union européenne (exercice annuel) devant les eurodéputés qui étaient cette année réunis à Bruxelles. Edition Multimédi@ revient sur ses ambitions numériques.

Sur le budget total de 672,5 milliards d’euros du plan de
« redressement d’urgence » baptisé NextGenerationEU – « pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie du coronavirus, soutenir une reprise économique et construire un avenir meilleur pour la prochaine génération » –, une part non négligeable de 20 % va être consacrée au numérique. Cela représente une enveloppe conséquente de 134,5 milliards d’euros.
Disons-le tout net : c’est sans précédent depuis que la Commission européenne existe, depuis qu’elle s’est réunie pour la première fois en janvier 1958 sous la présidence de l’Allemand Walter Hallstein, soit huit mois avant la naissance de sa compatriote Ursula von der Leyen (photo), qui est à ce poste exécutif depuis une dizaine de mois maintenant. Cette manne sera distribuée aux Vingt-sept sous forme de prêts (53,5 %) ou de subventions (46,5 %). « Les Etats membres peuvent préparer des plans de redressement et de résilience qui définissent un ensemble cohérent de réformes et de projets d’investissement public à mettre en œuvre jusqu’en 2026, afin d’être soutenus », a précisé la Commission européenne. La date limite de soumission des plans de relance par les pays européens intéressés est fixée au 30 avril 2021.

La France devra faire plus en faveur du numérique
Ursula von der Leyen (UVDL) compte sur les eurodéputés pour qu’ils votent « le plus rapidement possible » sur sa proposition législative, afin que le plan NextGenerationEU soit opérationnel « dès le 1er janvier 2021 ». Mais sans attendre, la présidente de l’exécutif européen a dit qu’elle encourageait les Etats membres à présenter leurs avant-projets de plan à partir du 15 octobre 2020, quitte à les finaliser par la suite. Paris a déjà fait savoir qu’il notifiera à Bruxelles, sans doute en octobre, son plan « France Relance » à 100 milliards d’euros présenté début septembre, dont à peine 7 % consacrés au numérique (1), et espère de l’Union européenne 40 milliards d’euros d’aides. Or la Commission européenne attend de chaque plan national au moins 20 % dans le digital. En effet, dans son guide d’orientation à destination des Etats membres (2), la Commission européenne souhaite que « chaque plan de redressement et de résilience comprenne un niveau minimum de 20 % des dépenses liées au numérique » – que cela soit dans la 5G, la 6G – déjà ! –, la fibre optique, la cybersécurité, la blockchain, l’informatique quantique, mais aussi l’éducation au numérique et l’amélioration des services publics grâce aux nouveaux outils numériques.

Réagir vite face à la domination des GAFAM
UVDL estime qu’il est grand temps de réagir face à la domination des GAFAM et de faire des années 2020 « la décennie numérique » de l’Europe qui doit « montrer la voie à suivre dans le domaine du numérique, sinon elle sera contrainte de s’aligner sur d’autres acteurs qui fixeront ces normes pour nous ». Pour entraîner les Vingt-sept, la présidente de la Commission européenne a été très clair : « Nous investirons 20 % du budget de NextGenerationEU dans le numérique. Nous voulons ouvrir la voie, une voie européenne, de l’ère numérique : une voie qui repose sur nos valeurs, notre force, nos ambitions mondiales ». Pour UVDL, l’Europe numérique passe par « la connectivité, les compétences et les services publics numériques », mais aussi par « le droit au respect de la vie privée et à la connectivité, la liberté d’expression, la libre circulation des données et la cybersécurité ». Elle appelle en outre les gouvernements à se référer aux indicateurs de l’indice européen DESI (Digital Economy and Society Index), dont l’état à 2019 a été publié en juin dernier. Par exemple, la France – notée 52,2 et positionnée à la 15e pace du DESI (3) – se situe légèrement en-dessous de la moyenne européenne qui est de 52,6.
Lors de son discours du 16 septembre, UVDL a exprimé le souhait de voir l’Union européenne se « concentrer sur trois domaines » :
• Les données. « En ce qui concerne les données à caractère personnel – dans le commerce entre entreprises et consommateurs – l’Europe a été trop lente et dépend désormais des autres. Il ne faut pas que cela se répète avec les données industrielles », a-t-elle prévenu, déplorant au passage que « 80 % des données industrielles sont collectées mais ne sont jamais utilisées ; c’est du gaspillage ». Aussi, dans le cadre de NextGenerationEU, sera créé un cloud européen « fondé sur Gaia-X », le projet de « cloud de confiance » franco-allemand annoncé en juin dernier et susceptible de fournir ses premiers services en Europe à partir du premier semestre 2021. Mi-juillet, le commissaire européen en charge du Marché intérieur, Thierry Breton, a évoqué un investissement de l’Union européenne de 2 milliards d’euros pour ce qu’il a appelé un « Gaia-UE » (4). Objectif : à la fois mettre en place un projet de cloud commun de données industrielles et créer une fédération européenne des infrastructures et services de cloud. « Les premiers appels à manifestation d’intérêt pour le programme “Europe numérique” (5) pourraient être lancés d’ici la fin de cette année », nous indiquet- on dans l’entourage de Thierry Breton.
• La technologie. La Commission européenne prévoit de proposer dès 2021 « un instrument législatif » encadrant l’intelligence artificielle, les algorithmes et la maîtrise des données à caractère personnel. « Qu’il soit question d’agriculture de précision, de diagnostics médicaux plus fiables ou de conduite autonome sécurisée, l’intelligence artificielle nous ouvrira de nouveaux mondes. Mais ces mondes ont aussi besoin de règles. Nous, en Europe, nous voulons un socle de règles qui place l’humain au centre. Les algorithmes ne doivent pas être une boîte noire, et il faut des règles claires si quelque chose tourne mal », a prévenu UVDL. Notamment, en matière d’identité numérique (e-ID), l’exécutif européen proposera « une identité électronique européenne sécurisée ». Pour la numérisation des entreprises, des aides seront octroyées à l’accélération des décisions et à leur exécution par l’automatisation basée sur l’intelligence artificielle. Cela passe en particulier par le financement de centres d’innovation numérique – Digital Innovation Hub (DIH) – pour soutenir la numérisation de l’industrie et du secteur public, y compris la justice.
• Les infrastructures. « Le coup de fouet que NextGenerationEU va donner à l’investissement est une occasion unique de stimuler la croissance jusqu’au moindre village. C’est pourquoi nous voulons concentrer nos investissements sur la connectivité sécurisée et sur le déploiement de la 5G, de la 6G et de la fibre », a assuré UVDL. Elle trouve d’ailleurs « inacceptable que 40 % des habitants des zones rurales n’aient toujours pas accès à une connexion à haut débit rapide ». Surtout que le confinement généralisé du printemps dernier a enclenché la dynamique du télétravail, de l’éducation à domicile, des achats en ligne ou encore des téléconsultations. L’Europe doit « revitaliser les zones rurales ». Il s’agit là de combler le fossé numérique qui s’est creusé entre zones rurales et zones urbaines, mais aussi de « remédier aux défaillances du marché en ce qui concerne le déploiement de réseaux à très haute capacité ».

Souveraineté digitale et « made in Europe »
Pour Ursula von der Leyen, « ce qui est en jeu, c’est la souveraineté numérique de l’Europe, à petite et à grande échelle ». Ainsi, le « made in Europe » technologique « nouvelle génération » bénéficiera d’investissements non seulement dans les microprocesseurs (6) mais aussi, moyennant 8 milliards d’euros débloqués, dans les superordinateurs. Côté services, la Commission européenne va présenter d’ici la fin de l’année sa proposition législative Digital Services Act (DSA) dans le but de mieux dompter les GAFAM. @

Charles de Laubier

Enchères des principales fréquences 5G en France : le gouvernement passe en force

Le coup d’envoi des enchères des fréquences 5G va être donné en France le 29 septembre, malgré les nombreux appels au principe de précaution sanitaire et environnementale. Le gouvernement, qui espère de la vente plus de 2,1 milliards d’euros, a écarté tout moratoire.

C’est mal parti. La cinquième génération de mobile (5G) ne fait pas l’unanimité. Avant même son lancement, elle est décriée par une partie de la population française que l’on ne peut ne pas écouter. Une soixantaine d’élus, dont les maires de onze grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, …), ont publié dans le Journal du Dimanche (JDD) du 13 septembre une tribune pour demander de surseoir au lancement de la 5G, dont les premières enchères doivent commencer le 29 septembre (1).

Macron devait « étudier » le moratoire
« Nous, maires et élus, proposons dans l’immédiat un moratoire sur le déploiement de la 5G au moins jusqu’à l’été 2021. Pendant ce moratoire, nous demandons la tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », ont écrit les signataires. A l’appui de leur prise de position au nom du principe de précaution, ces édiles ont tenu à rappeler que « le moratoire est l’une des propositions de la convention citoyenne pour le climat, que le président de la République [Emmanuel Macron] s’est engagé à étudier. Nous lui demandons, ainsi qu’au gouvernement, de respecter cet engagement ». Ils demandent en outre que « la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». Sur ce point, l’une des signataires, la maire écologiste (2) de Besançon, Anne Vignot (photo), a même parlé sur Franceinfo le jour même de gabegie : «On a promis la fibre sur tout le territoire ; on a promis la 4G. Et là, on passe d’une technologie à l’autre. C’est une vraie gabegie. On n’arrive jamais à stabiliser les moyens que l’on donne aux entreprises et aux particuliers, donc on a besoin d’un moratoire. (…) C’est de la gabegie de changer en permanence d’équipement avant d’avoir fini le déploiement », a lancé l’élue du chef-lieu de la région de Franche-Comté et préfecture du département du Doubs. Entrée en politique il y a dix ans, chez Europe Écologie-Les Verts (EELV), Anne Vignot – ingénieure de recherche au laboratoire chronoenvironnement du CNRS – est devenue maire le 3 juillet dernier, après avoir été depuis 2014 maire-adjointe de Besançon en charge de la transition écologique. « On n’a aucune étude qui nous permette de savoir à quoi l’on expose nos populations, et en tant que maire on a cette responsabilité. On a besoin de connaître l’impact de la 5G sur [la santé et] l’environnement. On sait que le numérique est quelque chose qui demande énormément d’énergie ; on sait que les problématiques de stockage sont vraiment très gourmandes. Il serait quand même temps qu’on envisage à chaque fois l’impact d’une nouvelle technologie », a-t-elle insisté.
• Côté environnement, les signataires de la tribune se font l’écho des « anti-5G » sur le fait que l’impact environnemental induit par les usages numériques ne cesse d’augmenter, et que, avec l’explosion des usages, les gains attendus par « la faussement nommée “dématérialisation” » ne sont pas démontrés. « Les industriels s’accordent sur la promesse de multiplication par 1.000 des données échangées sur les réseaux dans les prochaines décennies », affirment-ils. Selon eux, la 5G – aux débit dix fois supérieurs à ceux de la 4G – provoquera « un “effet rebond” » induit par la hausse de la consommation de données et des usages en ligne, qui se traduira par « une très forte consommation d’énergie par la sollicitation des antennes et des serveurs ». A leurs yeux, la 5G et le renouvellement des smartphones qu’elle va engendrer vont en outre « exponentiellement accélérer l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l’extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable ». Ils demandent donc au gouvernement qu’une étude d’impact environnemental préalable sur la 5G soit envisagée avant son déploiement.

Rapport de l’Anses début 2021
• Côté santé, les signataires font référence à un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), daté d’octobre 2019, qui a mis en évidence « un manque important, voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » de la 5G. Un rapport final de l’Anses, censé dire s’il y a un problème pour la santé ou pas, est attendu pour début 2021. « L’étude est actuellement en cours ; il nous semble indispensable d’attendre ses conclusions avant de déployer la 5G dans nos villes et dans nos campagnes. Ce temps d’analyse redonne à l’Etat son rôle souverain sur les questions sanitaires au regard de l’intérêt collectif plutôt que d’intérêts économiques industriels », insistent les élus. Pour eux, Les ondes hertziennes de la 5G vont s’ajouter à celles des 4G, 3G et 2G, « ce qui aboutira à une hausse du niveau d’exposition de la population aux ondes ». Ils estiment aussi « urgent de s’interroger sur l’impact sanitaire de la multiplication d’objets hyperconnectés ». De son côté, la maire de Rennes, Nathalie Appéré, a annoncé le 17 septembre avoir demandé à un spécialiste, Pierre Jannin, une étude d’impact sur la 5G.
• Côté technologies, là où Anne Vignot évoquait « une vraie gabegie », elle et ses homologues s’interrogent sur « l’inflation numérique » alors même que la France n’est pas capable de résorber sa fracture numérique avec les technologies existantes telles que la 4G et la fibre optique.

Fracture numérique : risque d’aggravation
Les trois mois de confinement ont jeté une lumière crue sur cette fracture numérique justement (3). «Alors que la technologie 4G n’est toujours pas totalement déployée, que les collectivités dépensent des sommes importantes pour équiper en fibre les espaces ruraux et des espaces mal desservis, l’arrivée de la 5G risque surtout d’aggraver les fractures numériques existantes, craignent les maires. Nous nous interrogeons sur le rôle de la 5G et de l’Internet mobile dans la résorption de la fracture numérique. Nous souhaitons que les communes aient la capacité de choisir le mode d’accès à Internet et la maîtrise du développement des réseaux numériques ». A noter que dans leur tribune, les élus n’évoquent pas du tout le risque supposé de cybersurveillance avancé par certains – Donald Trump en tête – lorsqu’il s’agit du numéro un mondial des équipements 5G, le chinois Huawei (4).
Le lendemain de la parution de cette tribune aux allures de pavé dans la marre (5), le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’est opposé à tout retard de la 5G. « Ce serait une erreur dramatique pour le pays. Ça nous priverait d’avancées en matière médicale, de gestion des flux d’énergie, de gestion des transports, a-t-il plaidé sur France 2 le 14 septembre. Ce serait un retour en arrière pour la France et moi je préfère la France en avant, conquérante, qui réussit économiquement, que la France fossilisée qui ne bouge pas ». Le même jour, Emmanuel Macron, ironisait sur les adeptes du « modèle Amish » et du « retour à la lampe à huile » ! Venant du président de la République, cette pique a été perçue comme méprisante.
Quant à l’eurodéputé EELV, Yannick Jadot, il s’est exprimé, sur France Inter, pour appeler à ne pas se précipiter sur la 5G sans « savoir » : « On ne peut pas dans le même temps dire qu’avec la 5G, c’est une révolution numérique qui va transformer nos modes de vie, nos modes de travail, nos entreprises, et ne pas avoir un débat public autour de qui va bénéficier de cette 5G et comment ça va changer nos modes de vie », a-t-il déclaré. Et sur Franceinfo, Benoît Hamon, l’ancien candidat socialiste à la présidentielle, était sur la même longueur d’onde : « A partir du moment où il peut y avoir une menace sur la santé publique, l’on doit obtenir les informations nécessaires pour savoir s’il y a un danger ou pas ». Quant aux opérateurs télécoms concernés au premier chef – Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free –, ils font le dos rond. Il y a bien eu la tribune surprise du 23 mai dernier de Martin Bouygues dans Le Figaro, où il demandait le report des enchères. La raison première avancée par le PDG du groupe éponyme était qu’il fallait tirer les conséquences du coronavirus : « La situation du pays, qui se relève avec difficulté d’un terrible cauchemar sanitaire humain et économique, commande de repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G ». Et d’ajouter plus loin : «Je le regrette, mais c’est ainsi. Il y a ceux qui sont persuadés, sans aucun fondement scientifique, que la 5G serait dangereuse (…) » (6) (*) (**). Devant une commission du Sénat le 10 juin, Martin Bouygues a confirmé sa proposition de repousser les enchères de quelques mois, mais cette fois « pour avoir le temps de renégocier un accord global [dans le cadre du New Deal mobile, ndlr] pour construisent 1.500 ou 2.000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années » (7). Le lendemain de son audition, le gouvernement et le régulateur lui lançaient une fin de non-recevoir en maintenant les enchères à fin septembre – initialement prévues en avril dernier (8).
A quelques jours du coup d’envoi de la « vente » des fréquences qui devrait rapporter plusieurs milliards d’euros à l’Etat (mise à prix à 2,17 milliards d’euros), et alors que les « anti-5G » se font encore plus entendre, Stéphane Richard apparaît comme le défenseur-en-chef de la 5G. Le PDG d’Orange tente de désamorcer les résistances :« Il n’y a rien de dramatique mais je pense qu’il était vraiment temps de le faire. C’est la raison pour laquelle on a milité pour le maintien du calendrier. Je pense que cela aurait été préjudiciable qu’on les reporte encore », a-t-il déclaré dans un entretien à l’AFP le 8 septembre, tout en laissant entendre que le début de la commercialisation des offres 5G sera « faisable avant la fin de l’année ». Quid des interrogations légitimes sur les risques sur la santé et l’environnement ? « Je l’entends et évidemment je ne peux pas l’ignorer, a concédé Stéphane Richard. J’observe que le débat est plus fort en France que partout ailleurs en Europe ».

70 M€ minimum chaque bloc de 10 Mhz
La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a écarté le 16 septembre sur Europe 1 l’idée d’un report des enchères : « Le moratoire a un intérêt à partir du moment où on n’a pas les données, et justement on a un rapport qui est sorti [le 15 septembre], qui nous précise que, sur les bandes qui vont être occupées d’ici la fin de l’année, il ne va y avoir en gros aucun risque si on respecte les normes ». Le même jour, le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, lançait sur Radio Classique : « Il n’y a pas de raison de stopper la 5G en elle-même ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, renchérissait sur France Inter : « la 5G est indispensable ». @

Charles de Laubier