A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Readly, le « Spotify » des kiosques numériques, aidé par… son compatriote Spotify justement

En annonçant le rachat du français Toutabo, éditeur du kiosque numérique ePresse, le suédois Readly – compatriote de Spotify dont il s’inspire – consolide un peu plus le marché de la distribution digitale de la presse en Europe. Le français Cafeyn a racheté l’an dernier le néerlandais Blendle.

La société suédoise Readly, créée il y a près de dix ans (au printemps 2012) par Joel Wikell, qui détient encore 10,4 % du capital, s’est inspirée du modèle de son compatriote Spotify dans la musique en ligne pour devenir le « Spotify » de la presse numérique. Selon nos constatations, celle qui était jusqu’en octobre et durant plus de quatre ans directrice des opérations stratégiques de la plateforme de streaming musical, Malin Stråhle (photo), est justement depuis l’an dernier l’un des six membres du conseil d’administration de Readly présidé par Patrick Svensk.

Malin Stråhle au board de Readly
Avant d’être chez Spotify (octobre 2017-octobre 2021), cette Suédoise a été notamment directrice technique du groupe de presse suédois Schibsted Publishing et auparavant directrice du développement de Bonnier Digital, filiale du groupe multimédia suédois Bonnier (livre, presse et audiovisuel). Si Malin Stråhle (50 ans) vient de quitter Spotify pour un autre groupe compatriote (le constructeur automobile Volvo dont elle devient vice-présidente en charge du numérique), elle demeure l’un des cinq « Director of the Board » de Readly. Son savoir-faire dans la presse et dans la musique est un atout pour le « Spotify » des kiosques numériques en Europe et aux ambitions internationales.
La société Readly International AB (sa dénomination sociale) a d’ailleurs fait son entrée il y a un an (le 17 septembre 2020) au Nasdaq de la Bourse de Stockholm, où elle est pour l’instant valorisée plus de 100 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires 2020 de 34,5 millions d’euros et une perte nette de 19,4 millions d’euros. En faisant l’acquisition de la société française Toutabo, présidée par Jean-Frédéric Lambert et éditrice du kiosque numérique ePresse racheté fin 2015, Readly conforte sa position de « Spotify » de la presse en Europe. Toutabo, avec son catalogue de plus de 1.000 magazines et de 300 journaux d’actualité (provenant de 280 éditeurs), apporte à la société suédoise un chiffre d’affaires qui a cru de 33,7 % en 2020 à 6,6 millions d’euros (pour une perte nette supérieure à 0,6 million d’euros). La France est donc le quatrième pays européen, après la Suède, le Royaume-Unis et l’Allemagne, où Readly est physiquement présent avec un catalogue de titres locaux. Dans cinq autres pays européens où il ne dispose pas de bureaux (Autriche, Irlande, Italie, Pays-Bas et Suisse), le « Spotify » de la presse est aussi accessible avec des titres issus de ces pays. Readly vise en outre le reste du monde, en étant aussi utilisé en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et d’autres pays. Avec Toutabo, Readly s’implante en France, mais aussi s’ouvre au marché francophone – couvert partiellement par Youboox et YouScribe –, ce qui représente 500 millions de lecteurs potentiels à travers le monde. Avec cette acquisition de 97,3 % du capital de Toutabo pour un montant total de 8,2 millions d’euros (1), le « Spotify » du all-you-can-read compte attirer plus de lecteurs avec un catalogue porté à 6.000 titres provenant de plus de 1.000 éditeurs.
Si le marché des kiosques numériques se consolide, le français Cafeyn (ex-LeKiosk) ayant de son côté racheté en juillet 2020 la plateforme d’actualité néerlandaise Blendle (2), les opportunités d’acquisition ne sont pas nombreuses, comme l’explique Jean-Frédéric Lambert à Edition Multimédi@ : « La consolidation du marché est compliquée à envisager car il y a peu de cibles. Les acteurs en Italie ou en Espagne n’ont pas encore développé de position significative. En revanche, on peut imager que les acteurs significatifs d’Amérique du Nord – Zinio, PressReader et Magzter – essaient de faire évoluer leur position ». Le digital kiosk newyorkais Zinio, filiale de Naviga, opère depuis 2015 l’e-kiosque Relay.com du groupe Lagardère. PressReader (ex-PressDisplay) est un kiosque numérique international édité par la société canadienne NewspaperDirect. Quant à l’autre e-kiosque newyorkais, Magzter (3), il compte actuellement 75 millions de lecteurs dans le monde.

Risque de cannibalisation ?
Cette acquisition intervient au moment où certains éditeurs en France – Amaury pour L’Equipe et Artemis pour Le Point – ont fait savoir fin septembre qu’ils allaient retirer leur titre des kiosques numériques d’ici la fin de cette année. Raison invoquée : le risque de cannibalisation de leur propre offre numérique par ces intermédiaires. Et LVMH s’interroge pour Le Parisien et Les Echos qu’il possède. « Tant que nous les rassurons [les éditeurs de presse] en leur démontrant que nous leur apportons des lecteurs auxquels ils n’ont pas accès, et que ce sont des lecteurs multititres (comme pour un kiosque physique), notre cohabitation est considérée comme vertueuse », assure Jean-Frédéric Lambert. Le Monde, lui, continue de bouder les kiosques numériques qu’il considère comme « destructeurs de valeur ». @

Charles de Laubier

DAB+ : la RNT subira-t-elle le même sort que la TNT ?

En fait. A quelques semaines des 10 ans (le 30 novembre) de l’extinction du signal analogique de la télévision au profit de la télévision numérique terrestre (TNT), la France a accéléré le 12 octobre le déploiement de la radio numérique terrestre (RNT), alias le DAB+. La France pourrait fixer une date d’extinction de la FM.

Rançongiciels et « double extorsion » : le paiement de la rançon ne doit surtout pas être la solution

Les rançongiciels, en plein boom, constituent un fléau numérique mondial qui pourrait coûter en 2021 plus de 20 milliards de dollars de dommages – rançons comprises. Or payer les sommes exigées – sans résultat parfois – ne fait qu’alimenter un cercle vicieux que seul l’arsenal juridique peut enrayer.

Par Richard Willemant*, avocat associé, cabinet Féral

Selon l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), un rançongiciel se définit comme une « technique d’attaque courante de la cybercriminalité [consistant] en l’envoi à la victime d’un logiciel malveillant qui chiffre l’ensemble de ses données et lui demande une rançon en échange du mot de passe de déchiffrement » (1). Depuis plusieurs années, le monde entier connaît une augmentation exponentielle des cyberattaques par rançongiciels, marquée par une forte accélération ces derniers mois en pleine pandémie de covid-19 (2).

Ransomware-as-a-Service (RaaS)
Les signalements auprès de l’Anssi de ce type d’attaques informatiques ont en effet augmenté de près de 255 % en 2020 (3). Elles représentent une part substantielle des 3.000 notifications de violation de données (environ) qui sont régularisées auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) chaque année (4). Ce véritable fléau numérique frappe tous les secteurs d’activités et tous les types d’acteurs économiques, y compris les plus sensibles, sans qu’aucune zone géographique ne soit épargnée. Cette tendance est facilitée par la disponibilité grandissante sur les marchés cybercriminels de solutions « clé en main » de type Ransomware-as-a-Service (RaaS) permettant, aux attaquants de type étatique ou hackers, de réaliser plus aisément des attaques massives ou ciblées. Si tous les acteurs économiques sont concernés, les spécialistes relèvent néanmoins une tendance accrue au ciblage d’entreprises, de collectivités publiques ou d’institutions particulières relevant du « Big Game Hunting » (chasse au gros gibier), en raison de leur taille, de leurs vulnérabilités – vraies ou supposées – et de l’impact médiatique (potentiel) d’une telle cyberattaque. L’actualité a été marquée, en pleine lutte contre le covid-19, par les attaques informatiques à l’encontre des hôpitaux qui sont devenus des cibles privilégiées. Le centre hospitalier de Dax (dans le sud de la France) a par exemple subi une attaque de grande ampleur, en février 2021, rendant indisponible l’ensemble de son système informatique, médical, comptable et de communication (5). Le système de santé irlandais (HSE) a également été victime d’un rançongiciel, en mai 2021 cette fois, conduisant à l’interruption de tous ses systèmes informatiques et notamment le système de prise de rendez-vous pour le dépistage du covid-19. Après avoir chiffré les données et bloqué les systèmes, l’attaquant aurait menacé de diffuser les données volées mais le Premier ministre irlandais a aussitôt déclaré que son pays ne paiera pas la rançon (6). Le monde a alors découvert, avec effroi, que les rançongiciels ne portent pas seulement atteinte aux données et à des valeurs économiques, mais qu’ils peuvent directement mettre en danger des vies humaines.
Le droit pénal et la procédure pénale en France sont d’ores et déjà pourvus en moyens de lutte. Les auteurs des attaques peuvent être poursuivis sur des fondements de droit commun et de droit spécial. En premier lieu, les faits relevant d’attaques par rançongiciel sont susceptibles de caractériser des infractions de droit commun, tels que le délit d’escroquerie (article 313-1 du code pénal) et le délit d’extorsion (article 312-1), réprimés par des peines principales d’emprisonnement respectivement de cinq ans et sept ans. Ces infractions peuvent éventuellement être commises et poursuivies avec la circonstance aggravante de bande organisée, étant précisé que dans cette hypothèse d’extorsion est alors un crime puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 150.000 euros d’amende. En outre, ces attaques caractérisent des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données qui sont spécifiquement incriminées, au rang des infractions dites « informatiques », par les articles 323-1 à 323-8 du code pénal. Sont ainsi généralement constitués les délits d’accès et de maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, ainsi que le délit d’entrave et de faussement d’un système d’information, et le délit de modification frauduleuse de données, qui sont punis des peines principales de cinq ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende (sept ans de prison et 300.000 euros d’amende lorsque l’Etat est visé).

Un arsenal répressif et procédural
Il existe également une infraction d’association de malfaiteurs spéciale qui permet de poursuivre l’ensemble des personnes ayant participé à une entente en vue de préparer des cyberattaques. Ce délit spécifique est prévu par l’article 323- 4 du Code pénal et réprimé par la peine prévue par l’infraction la plus sévèrement réprimée commise par le principal auteur des faits. Tout cet arsenal répressif se conjugue avec des moyens procéduraux adaptés tenant compte de la portée et de l’intensité des atteintes qui requièrent souvent une coordination centrale des actions répressives. L’article 706- 72-1 du code de procédure pénale confie au procureur de la République, au pôle de l’instruction, au tribunal correctionnel et à la cour d’assises de Paris une compétence concurrente nationale en matière d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données. Il existe en outre une section spécialisée au parquet de Paris, composée de magistrats consacrant leur quotidien à la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que des bridages d’enquêteurs spécialisés de Police (OCLCTIC, BL2C) et de Gendarmerie (C3N).

Phénomène de la « double extorsion »
Le mode opératoire des cyberattaquants est marqué depuis 2019 par la prédominance d’un phénomène nommé « double extorsion », consistant à exercer une pression sur la victime en copiant ses données qui sont exfiltrées avant d’être cryptées, puis en menaçant de les publier sur Internet, afin de la conduire à payer la rançon. Dans cette hypothèse, la victime subit, d’une part, une privation de l’accès à ses données et souvent une indisponibilité de son système d’information et, d’autre part, une menace forte d’atteinte à sa réputation, à son image de marque, à la confidentialité à des données. Ces dernières peuvent être stratégiques, sensibles et relever du secret des affaires, outre qu’il peut s’agit de données à caractère personnel concernant notamment des salariés, des usagers ou des clients. La désorganisation de la victime du fait de l’indisponibilité de ses données se double alors de violences psychologiques d’une intensité considérable. C’est ce qui conduit, malheureusement, une part grandissante des victimes à s’incliner et à verser le montant de la rançon.
Or le paiement de la rançon aggrave souvent la situation : une très grande majorité des victimes d’attaque par rançongiciel qui paient la rançon sont la cible d’au moins une seconde attaque. Une étude menée au printemps 2021 montre même que la proportion des victimes qui aggraveraient ainsi leur sort en payant la rançon serait de 80 % au niveau mondial (7). Payer cette rançon n’est donc décidément pas la solution. Cela encourage évidemment les cybercriminels à poursuivre et multiplier leurs agissements. Et un paiement de la rançon ne garantit pas le décryptage des données : la promesse des pirates d’une remise de la clé de déchiffrement n’est pas toujours respectée, ou se trouve souvent conditionnée soudainement au versement d’une rançon complémentaire. Lorsque la victime dispose de la clé de décryptage, il est fréquent que les données soient endommagées et que leur restauration soit partielle, voire impossible. Seule une victime sur deux parvient à récupérer ses données sans aucune perte. Quant à la souscription d’une assurance contre les risques dits « cyber », elle n’est pas nécessairement une solution, notamment en raison des plafonds de garanties et des exclusions. En couvrant tout ou partie du montant de la rançon, ce type de police d’assurance alimenterait en outre le cercle vicieux qui conduit à une augmentation des attaques par rançongiciel. L’étude précitée mentionne d’ailleurs une autre source (8) montrant une progression vertigineuse du montant des rançons au cours des dernières années, passant de 6.000 dollars en 2028 à 84.000 dollars en 2019, avant de doubler en 2020 pour atteinte une moyenne de 178.000 dollars ! Et rien que sur le premier trimestre 2021, le montant moyen de la rançon atteint 220.298 dollars (9). Il convient de relativiser ces chiffres au regard des montants colossaux des rançons exigées dans le cadre de certaines attaques de grande envergure, pour celles qui sont rendues publiques. Selon les estimations (10), ce fléau mondial du ransomware devrait coûter 20 milliards de dollars en 2021 et grimper à 265 milliards de dollars en 2031.
Après que des cybercriminels aient piraté son réseau informatique, paralysant les livraisons de carburant sur la côte Est des Etats-Unis, la société américaine Colonial Pipeline a ainsi déclaré avoir payé une rançon en cryptomonnaie d’un montant de 4,4 millions de dollars en mai 2021, dont 2,3 millions récupérés par la suite avec l’aide du FBI (11). En juin 2021, la société JBS USA spécialisée dans l’agroalimentaire a, elle, payé une rançon d’un montant de 11 millions de dollars aux cybercriminels qui étaient parvenus à désorganiser plusieurs sites de production aux Etats-Unis et en Australie. Les sociétés Acer et Apple ont elles aussi été frappées, avec des demandes de rançons atteignant 50 millions de dollars.
Le lutte contre les attaques par rançongiciels suppose donc d’enrayer la logique actuelle de paiement des rançons qui produit des effets pervers et entretien le cercle vicieux de la cybercriminalité. Dans ce cadre, l’Union européenne – au travers du Cybercrime Centre de l’agence Europol – a créé en 2016 l’initiative « No More Ransom » (12), dont le but est notamment d’aider les victimes des rançongiciels à retrouver leurs données chiffrées sans avoir à payer les cybercriminels.

UE et USA : « No more ransom »
En juin 2021, face à l’ampleur du phénomène et aux montants considérables des rançons, en particulier dans les secteurs stratégiques, les Etats-Unis et l’Union européenne ont également pris une initiative commune visant à coordonner leurs actions de lutte. Les objectifs annoncés comprennent notamment des mesures répressives, une sensibilisation du public aux moyens de prévention, tout en encourageant la poursuite et la répression par tous les Etats concernés, en renforçant la coopération et l’entraide internationales. Le Trésor américain, lui, a annoncé le 21 septembre 2021 qu’il prenait « des mesures robustes pour contrer les rançongiciels » (13), notamment en s’attaquant aux devises virtuelles pour le blanchiment des e-rançons. @

* Richard Willemant, avocat associé du cabinet Féral, est avocat aux barreaux de Paris et du Québec, agent de marques, mandataire d’artistes et d’auteurs, médiateur accrédité par le barreau du Québec, délégué à la protection des données (DPO), cofondateur de la Compliance League, et responsable du Japan Desk de Féral.

Jean-Marie Cavada, président de l’OGC de la presse : « Je n’ai pas l’intention de jouer au chapeau à plumes »

L’ancien journaliste-présentateur de télévision, qui fut député européen, s’apprête à présider l’organisme de gestion collective (OGC) des droits voisins de la presse, avec l’appui de la Sacem et du CFC, afin que les médias obtiennent « réparation » de la « prédation » des plateformes numériques.

Le 15 septembre, devait se tenir l’assemblée générale constitutive de l’organisme de gestion collective des droits voisins de la presse – surnommée pour l’instant OGC – en présence des trois membres fondateurs : le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) et le Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne (Spiil), avec « l’appui » de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour « la gestion opérationnelle ».

Presse et tous les médias concernés
Ces trois membres syndicaux ont confié la présidence de cette OGC à Jean-Marie Cavada (photo) : l’ancien producteur présentateur de l’émission télévisée « La marche du siècle » (1987-1999) ancien président de l’éphémère La Cinquième (1994-1997) et ancien député européen centriste (2004-2019) – ayant fait campagne en faveur du « oui » au referendum de 2005 pour une constitution européenne, finalement rejetée par les Français. L’ex-journaliste Jean-Marie Cavada a par ailleurs été auditionné à l’Assemblée nationale le lendemain de cette première AG. « Je n’ai pas l’intention de jouer au chapeau à plumes… J’ai passé l’âge ! », a-t-il d’emblée prévenu à propos de la présidence de l’OGC de la presse qu’il va « conduire » (dixit) dans quelques semaines.
Devant les députés de la mission d’information qui l’interrogeaient sur l’« application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse » (mission créée par la commission des affaires culturelles et éducation), le président de l’OGC toujours en cours de constitution a tendu la main aux autres syndicats de la presse française : « Sans trop préjuger ni forcer la main de qui que ce soit, je crois pouvoir dire que d’autres organisations sont en contact avec nous et parfois proches d’y adhérer », a laissé entendre celui qui est jusqu’à maintenant président de l’Institute for Digital Fundamental Rights (IDFR), basé à Paris et bientôt à Bruxelles. « Nous allons faire une OGC ouverte, qui sera dotée d’un conseil d’administration et d’un bureau exécutif, le tout surveillé par un conseil de surveillance comme la loi le prévoit pour les organismes de gestion collective. Cette cohésion des organismes de presse est absolument indispensable. L’union fait la force car il s’agit d’abord d’un rapport de force dans une négociation ». Jean-Marie Cavada a indiqué aux députés qu’il allait s’attacher à nouer des relations « tout à fait cordiales » avec d’autres composantes de la presse, en veillant à ce que « les querelles intestines de la presse française » ne prennent pas le pas sur l’intérêt général. « Je vois d’ailleurs aujourd’hui [16 septembre, ndlr] le président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), Pierre Louette (1), avec qui j’ai d’ailleurs de très bons rapports personnels (depuis la création de La Cinquième en 1994) », a-t-il mentionné, sans évoquer l’accord-cadre de l’Apig avec Google à 62,7 millions d’euros (2). Créée en 2018, l’Apig a été fondée par quatre syndicats historiques de « la presse quotidienne et assimilée » (3) qui représentent au total quelque 300 titres de presse dite d’information politique et générale : presse quotidienne nationale (SPQN), régionale (SPQR), départementale (SPQD) et hebdomadaire régionale (SPHR). Le président de l’OGC compte les convaincre de rejoindre son organisation. Bien d’autres syndicats de la presse et de l’audiovisuel pourraient se rallier à l’OGC.
La mission parlementaire, elle, a eu l’occasion d’auditionner en septembre l’Union de la presse en région (Upreg), la Fédération française des agences de presse (FFAP), dont est membre l’AFP qui a signé de son côté avec Google (4), le Syndicat des agences de presse audiovisuelles (Satev), le Syndicat des agences de presse photographiques (Saphir), le Syndicat des agences de presse d’informations générales (Sapig) ou encore le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). « Il ne s’agit pas que de la presse au sens de la loi de 1881 ; il s’agit des médias, fournisseurs de contenus d’information. C’est un très vaste champ de prospection qui doit avoir lieu, y compris avec la presse audiovisuelle publique et privée », a tenu à préciser Jean-Marie Cavada. A noter que Le Monde a signé en août dernier avec Facebook, lequel discute aussi avec l’Apig.

Rôles-clés de la Sacem et du CFC
Deux organisations devraient jouer chacune un rôle majeur dans le fonctionnement de l’OGC de la presse : la Sacem et le Centre français de la copie (CFC). « Nous nous ferons aider par des prestataires, qui devront rester chacun à sa place, dont le plus éminent d’entre eux car il a une grande expérience : la Sacem. Et il y en aura d’autres, comme le CFC qui a une bonne expertise », a souligné celui qui a fait du droit d’auteur son cheval de bataille. Il s’est attardé sur la Sacem, qui fête cette année ses 170 ans et qui représente à ce jour 175.750 créateurs et 6.770 éditeurs dans l’industrie musicale : « J’ai confiance en l’équipe de la Sacem, qui pour moi est personnalisée par (des qualités dont nous avons besoin) le secrétaire général David El Sayegh, un juriste reconnu en Europe pour sa rigueur, sa compétence et sa loyauté, et la négociatrice Cécile Rap- Veber [directrice du développement, de l’international et des opérations, ndlr]. Tous les deux exercent à titre intérimaire la direction générale de la Sacem, car son directeur général [Jean-Noël Tronc] est visiblement empêché pour des raisons de santé ».

Google, Kantar, Factiva, Reed Elsevier, …
La première mission de l’OGC est, selon Jean-Marie Cavada, d’évaluer le montant de ce qu’il appelle sans hésiter « la prédation ». Et d’affirmer : « Ce montant est énorme. On nous a embaumé il y a quelques années avec une sorte de simili-accord qui permettait à la presse française de bénéficier de quelques dizaines de millions d’euros. C’était toujours bon à prendre et je ne critique pas, mais cette époque est finie : nous sommes passés dans l’injonction, et de la loi et de l’Autorité de la concurrence ». Il faisait ainsi référence à l’accord signé le 1er février 2013 par François Hollande, alors président de la République, et par le PDG de Google, à ce moment-là Eric Schmidt, portant sur 60 millions d’euros sur trois. Mais cette aumône ne concernait que la presse dite d’information politique et générale, mais pas les autres organes de presse ni les éditeurs de services en ligne, au risque d’accroître le risque d’une presse française à deux vitesses (5).
« La prédation est énorme… énorme. Les chiffres qui circulent – sans être précis – correspondent pour les plus pessimistes à un multiplicateur par sept ou huit, et les plus raisonnables ajoutent un zéro aux 20 millions d’euros annuels qui avaient été annoncés. Si l’on regarde les arbres – Google, Facebook, … – qui cachent la forêt, l’étendue de la prédation, notamment avec les “crowler” [robots d’indexation qui explorent automatiquement le Web, ndlr], c’est probablement entre 800 millions et 1 milliard d’euros qui échappent à l’économie de la démocratie à travers la presse. C’est très grave. C’est pour cela qu’il faut avoir une union la plus large et la plus solide possible pour négocier au nom de la presse et obtenir cette réparation », a détaillé Jean-Marie Cavada lors de son audition en visioconférence par les députés de la mission (6). Il en a profité pour pointer du doigt les « crawler », ces aspirateurs de contenus web, ou robots d’indexation. Ceux de Google ou de Facebook ne sont que la face émergée de l’iceberg informationnel. « Ces “crawler”, que l’on appelle familièrement les “cafards”, sont aussi par exemple Kantar, Factiva, et Reed Elsevier [devenu RELX Group, ndlr]. Ces trois grands groupes occupent sur un marché occulte, très discret, une place tout à fait prépondérante, dont l’économie est quasi strictement à leur profit pour une partie d’entre elles, pas toutes. Certaines sont loyales. Une partie très importante en chiffre d’affaires ne l’est pas », a tenu à dénoncer le président de l’OGC. Il y a là, d’après lui, « un manque à gagner extrêmement prédateur pour les entreprises de presse qui délivrent des informations » dans la mesure où ces « crawler » diffusent des informations que d’autres ont produites. Et Jean-Marie Cavada d’enfoncer le clou : « Ces crawler construisent un monument énorme qui s’appelle “l’or bleu” et qui constitue – en les capturant, en les agrégeant et en les diffusion de manière ciblée – une mine d’information qui est la vraie valeur du fonds de commerce du capitalisme numérique ». Face à ces fameux « cafards », l’OGC s’est donné pour mission de rechercher à « rééquilibrer dans une négociation qui se veut loyale et neutre la répartition des profits qui aujourd’hui vont massivement vers les “cafards”, alors que la presse paie pour fabriquer de l’information et ce qui est aspiré par ces “crawler” n’est pas rémunéré à son juste coût ». Mais les actions de l’OGC de la presse n’auront pas pour seul but de « consolider la trésorerie ou les investissements des entreprises de presse »… Il s’agit pour son président de surveiller l’application de la loi, et même d’en durcir les sanctions pécuniaires, et de renforcer le volet répressif : « On parle d’”amendes” ; il faut aller plus loin dans l’exécution des sentences lorsque la loi est bafouée, contournée ou s’il y a refus facial ou collatéral de négociation, a-t-il suggéré aux parlementaires. Si l’Autorité de la concurrence prononce une sanction de 500 millions d’euros, j’attends que cette amende soit prélevée immédiatement, que son exécution soit immédiate, que cette somme doit être par une loi séquestrée et payée, quitte à ce qu’elle soit ajustée à la hausse ou à la baisse en appel ».

Officialisation de l’OGC en octobre
Jean-Marie Cavada a profité de son audition parlementaire pour rappeler qu’il existe en France un fonds de modernisation de la presse : « Il serait bienvenu que ce fonds se tourne vers l’OGC pour l’aider à démarrer financièrement, sous une forme ou sous une autre à discuter », a-t-il suggéré en faisant un appel du pied aux députés de la mission. Quant aux statuts, à la première assemblée générale, à la composition du conseil d’administration, et donc aux premiers travaux, ils devraient être bouclés d’ici quelques semaines : « trois semaines à un mois maximum », indique son président. D’ici le 20 octobre environ, les Google, Facebook, Kantar et autres Factiva (du groupe Dow Jones) devraient avoir un interlocuteur unique pour les droits voisins de la presse française. @

Charles de Laubier

Le groupe français OVH veut surfer en Bourse sur le marché ouvert du « cloud souverain » dans le monde

La souveraineté nationale et/ou européenne de l’informatique en nuage (cloud) est à géométrie variable, mais elle constitue un marché prometteur pour les fournisseurs comme le français OVHcloud qui va faire son entrée en Bourse. Mais les américains et les chinois veulent aussi leur part du gâteau.

« Souveraineté des données » (50 fois), « cloud souverain » (2 fois), mais aussi « cloud souverain européen », « souveraineté des données en Europe », « souveraineté numérique de l’Europe », « cloud de données sécurisées et souveraines », « souveraineté et de sécurité des données », « bases de données souveraines » : le document d’enregistrement boursier du groupe OVH (alias OVHcloud), approuvé le 17 septembre 2021 par l’Autorité des marchés financiers (AMF), montre que la « souveraineté » est devenue le leitmotiv dans le nuage.

Cloud et souveraineté : deux concepts flous
La souveraineté numérique appliquée au cloud et aux données est cependant un concept flou, dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un protectionnisme national ou d’une préférence européenne, voire extra-européenne. Une chose est sûre : tout en voulant se développer en Amérique du Nord, en Asie et en Inde, le groupe français OVH assure vouloir être « le champion européen du cloud », même si « Microsoft et Orange ont récemment annoncé leur intention de former un partenariat offrant des solutions de cloud souverain de données qui pourraient [le] concurrencer ». Tout comme Oodrive et Outscale.
La souveraineté s’avère compatible avec les GAFAM. OVHcloud, lui, a annoncé en novembre 2020 un partenariat avec Google et sa plateforme logicielle Anthos pour « propose[r] aux clients européens une offre garantissant la souveraineté des données ». Le groupe d’Octave Klaba (photo), fondateur de la société, son président actuel et son actionnaire majoritaire avec sa famille, est en outre l’un des membres fondateurs de Gaia-X. Ce consortium de « cloud de confiance » franco-allemand, lancé en 2020, entend favoriser « la souveraineté numérique de l’Europe » face aux « hyperscalers » américains (1). Pour autant, Gaia-X – basé à Bruxelles (2) – compte parmi ses plus de 300 membres non seulement des européens mais aussi les américains Amazon, Google, Microsoft (3) et Palantir (proche de la CIA), les chinois Huawei, Alibaba et Haier. Autant dire que le « cloud souverain » est portes et fenêtres grandes-ouvertes. OVHcloud indique exploiter à ce jour 33 centres de données dans le monde entier sur douze sites différents, en France, en Europe, en Amérique du Nord, à Singapour et en Australie, soit un total de plus de 400.000 serveurs. « A l’avenir, OVHcloud pourrait envisager d’ajouter des centres de données dans des pays tels que l’Inde », mentionne le prospectus financier. La société créée en 1999, dont le siège social se situe toujours à Roubaix (Nord de la France), devient internationale : si plus de la moitié (52 %) des 632 millions d’euros de chiffre d’affaires de l’année 2020 est réalisée en France, 28 % proviennent d’autres pays en Europe et 20 % d’ailleurs dans le monde. Car le cloud n’a pas de frontières.
Si la « souveraineté » est floue, l’informatique en nuage l’est tout autant. Le cloud computing désigne les technologies permettant l’utilisation à distance de ressources de calcul, de stockage et de réseaux, fournies à la demande et automatiquement, via l’Internet. Le cloud est à géométrie variable : « hybride » (combinant cloud public et cloud privé), « privé » (serveur chez un seul client), « public » (serveur chez un seul client) (4), « web » (hébergement de sites Internet). Pour satisfaire ses clients, OVH fournit ainsi des services numériques à la demande, que cela soit du « Cloud-as-a-Service » (CaaS), de l’« Infrastructure-as-a-Service » (IaaS), du « Platform-asa- Service » (PaaS), du « Datacenter-as-a-Service » (DCaaS) ou encore du « Software-as-a-Service » (SaaS). C’est selon. « Il n’existe pas de définition standard des marchés sur lesquels OVHcloud opère, ce qui rend difficile la prévision de la croissance et la comparaison de l’activité d’OVHcloud avec celle de ses concurrents », prévient le prospectus au chapitre des risques. Difficile donc de connaître la part de marché d’OVH. Seules une estimation du marché mondial des services cloud d’infrastructure et de plateforme logicielle est avancée : de 100 à 120 milliards d’euros en 2020. Le groupe OVH veut lever jusqu’à 400 millions d’euros en Bourse, mais il reste à connaître le calendrier d’introduction. @

Charles de Laubier