A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Plateformes de SVOD : casse-tête des mots de passe

En fait. Le 22 février, Elon Musk – PDG de Tesla et de SpaceX – a lancé sur Twitter à ses 74,5 millions d’abonnés la réflexion suivante : « Le divertissement devient un cauchemar avec nom d’utilisateur/mot de passe/2FA ». Avec un même semblant justifier « The Pirate Bay » face à la multiplication des plateformes de SVOD.

En clair. Le milliardaire Elon Musk s’est fendu d’un tweet auprès de ses 74,5 millions d’abonnés pour exprimer sont désarrois face à la multiplication des codes d’accès (nom d’utilisateur et mot de passe), doublé de plus en plus d’une demande d’authentification à deux facteurs, dite 2FA. Et comme les plateformes de SVOD continuent de se multiplier, l’accès à l’offre légale devient un casse-tête dont se plaint à sa manière et publiquement le PDG de Tesla et de SpaceX. «Le divertissement devient un cauchemar avec nom d’utilisateur/ mot de passe/2FA », a-t-il lancé le 22 février à ses twittos, en accompagnant son propos d’une illustration (même) quelque peu osée et semblant justifier un retour à la plateforme The Pirate Bay face à la multiplication des services de SVOD et de leurs codes d’accès respectifs à authentification forte.
Les logos de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video, HBO Max et Paramount+ y sont montrés face à un logo de The Pirate Bay (1). De là à ce que Elon Musk fasse l’apologie du piratage sur Internet – pour lequel ce site historique, créé en 2003 en Suède pour le partage de fichier sur réseau peer-to-peer et sous le protocole BitTorrent, a été condamné à plusieurs reprises –, il n’y a qu’un pas. Depuis (au 24-02-22), ce tweet évocateur a reçu 195.000 “J’aime” et a été retwetté 19.000 fois ! En France, il y a un an, l’ex-CSA et l’ex-Hadopi n’avaient-ils pas constaté dans leur rapport sur « la multiplication des services de SVOD » (2) que le piratage est un moyen de « [ne pas] multiplier les abonnements payants » ? Dans un autre tweet posté le même jour, Elon Musk a enfoncé le clou à propos des codes d’accès cauchemardesques : «M Night [le réalisateur de films Night Shyamalan, spécialiste des intrigues, ndlr] devrait faire un film d’horreur à ce sujet – ça résonnerait » (3). Le second plus riche du monde (selon Forbes) émet implicitement une mise en garde aux industries culturelles et aux plateformes de streaming sur la complexité de l’accès à leurs contenus. Il a même « liké » un tweet illustré pro-piratage (4). Selon un classement de TorrentFreak, site d’actualité sur le piratage (5), Disney+ en a le plus pâti en 2021, suivi de Netflix, d’Apple TV+ et d’Amazon Prime Video. Contre le partage des mots de passe, Netflix avait tenté d’enrayer il y a un an cette pratique par une campagne de « Verification Code » (6), plutôt mal vécue dans les foyers. @

Questions autour des plateformes d’intermédiation des « NFT », tickets d’entrée de l’économie 3.0

Après l’« ubérisation » de l’économie, voici la « tokenisation » des marchés, où les jetons nonfongibles – dits NFT – vont devenir monnaie courante : art, jeux vidéo, musique, livre, cinéma, … Mais cette « monétisation 3.0 » via des plateformes d’intermédiation soulève bien des questions.

Par Sandra Tubert et Laura Ziegler, avocates associées, Algo Avocats

Depuis plusieurs mois maintenant, les applications pratiques des « NFT » (Non- Fungible Tokens) se multiplient et différentes typologies d’acteurs s’y intéressent : des éditeurs de jeux vidéo aux plateformes d’échange de crypto-art, en passant par les marques de luxe, les start-up proposant de monétiser des données (1) ou de créer de la valeur autour de leurs services. Cela se propage aussi aux autres industries culturelles souhaitant utiliser ces jetons non-fongibles, donc non-interchangeables et authentifiés sur une chaîne de blocs (blockchain), pour monétiser leurs œuvres (musiques, films, livres, etc.).

Tokenisation : vers l’économie Web 3.0
Employés pour une multitude d’usages et à même de « disrupter » de nombreux marchés, notamment en raison de leur nature spéculative (inhérente aux opérations de revente successives qu’ils facilitent), ces NFT suscitent à ce jour un engouement tout particulier dans le domaine de l’art, et plus largement des objets de collection, des jeux vidéo ou du sport. Ce recours grandissant à la blockchain pour gérer des actifs numériques en leur associant une unité de donnée non modifiable – tendance innovante appelée aussi « tokenisation » – participe de l’avis de certains à l’essor d’une nouvelle « économie numérique » apportant son lot de nouvelles opportunités et, inévitablement, de questionnements.
En France, selon le code monétaire et financier (CMF), un « token » (jeton) est un bien incorporel représentant sous forme numérique un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés sur une blockchain permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire du bien (2).
Au cœur des dispositifs décentralisés co-existent plusieurs typologies de jetons cryptographiques, qui peuvent donner lieu à de nombreuses applications. Parmi celles-ci, les NFT – concept inventé en septembre 2017 par Dieter Shirley (3) – occupent le devant de la scène depuis plusieurs mois. Ils ont pour particularité, à la différence de la cryptomonnaie (4) comme le bitcoin ou d’autres actifs numériques émis dans le cadre de levées de fonds de type ICO (5), d’être par nature non-fongibles, donc uniques et non interchangeables par un actif du même type. Identifié par le « contrat intelligent » ou smart-contract qui le génère, chaque NFT dispose d’un numéro unique d’identification et ne peut être reproduit. Cette particularité en fait son plus grand atout puisqu’elle permet ainsi d’apporter, en particulier aux biens numériques, la rareté et l’unicité qui leur faisaient défaut. D’un point de vue juridique, la qualification des NFT est débattue. En effet, les définitions d’« actifs numériques » proposées en France par le CMF (6) – renvoyant, pour l’une, à la définition de « jetons » précitée (mise en place dans le cadre de la réglementation des ICO), et, pour l’autre, à la définition des cryptomonnaies (7) – ne sont pas totalement satisfaisantes en ce qu’elles ne sont pas adaptées au caractère non fongible du NFT. Il sera donc plus prudent de rechercher la qualification juridique des NFT en fonction des actifs qu’ils représentent et des droits qu’ils confèrent (8).
Le domaine de l’art reste l’un des principaux terrains de jeux des NFT (9), en témoignent notamment la vente record de l’œuvre numérique « Everydays: the First 5 000 Days » du crypto-artiste Beeple pour 69,3 millions de dollars en mars 2021 (10) et la levée de fond de 300 millions de dollars d’Opensea, l’une des principales plateformes de marché du domaine. Mais l’utilisation de ces NFT soulève des questions, à la fois sur la qualification du NFT lui-même et des droits qu’il confère, ainsi que sur le cadre contractuel offert par les plateformes d’échanges. Lorsqu’il est utilisé dans le domaine de l’art, le NFT ne doit pas être confondu avec l’œuvre numérique à laquelle il est attaché. Il est un actif distinct de l’œuvre elle-même.

NFT acheté et droits sur l’œuvre
D’ailleurs, le NFT en tant que tel ne remplit pas les conditions pour être lui-même une œuvre de l’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle (CPI). C’est en réalité un token standard, sous licence open source, qui ne constitue pas une œuvre de l’esprit (11). Ce jeton non fongible permet plutôt d’identifier l’œuvre concernée, d’attester de son intégrité et de son auteur, ainsi que de rattacher l’œuvre unique – identifiée par ce moyen – à ses propriétaires successifs. De sorte que le NFT s’apparente à un titre de propriété et à un certificat d’authenticité. Le NFT ne doit pas non plus être assimilé au support de l’œuvre qu’il désigne. En effet, le droit d’auteur distingue depuis toujours l’œuvre en tant que telle, sur laquelle s’appliquent les droits de propriété intellectuelle (droits patrimoniaux et moraux), et son support matériel, lequel peut être cédé indépendamment des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre. Le NFT ne fait ainsi qu’identifier l’œuvre par des pratiques qui peuvent varier (adresse URL vers sa représentation, simple référence, etc.). En réalité, l’œuvre numérique liée au NFT est la plupart du temps stockée et hébergée sur un serveur distinct en dehors de la blockchain sur laquelle le NFT est créé – à savoir sur un cloud, sur l’espace de stockage d’une galerie virtuelle, etc.

Encadrement possible et nécessaire
Sur les plateformes d’intermédiation, l’acquéreur de NFT achète en réalité un titre de propriété sur une œuvre numérique telle qu’identifiée dans le smart contract attaché au NFT. Il n’acquiert en aucun cas, automatiquement, l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à cette œuvre numérique, à l’exception du droit d’en jouir et de l’exposer dans son cercle privé (notion relativement peu adaptée dans le monde numérique dans lequel le NFT a vocation à circuler). En effet, en droit français (12), toute cession de droits de propriété intellectuelle sur une œuvre doit être écrite et respecter les formes exigées par le CPI pour être valable. Or, les plateformes d’échange de NFT, telles qu’Opensea et Rarible par exemple, ne permettent pas techniquement et facilement à ce jour aux créateurs et aux acheteurs de formaliser les conditions d’une telle cession via ces plateformes. L’enjeu en pratique pour les créateurs et les acheteurs de NFT est donc de pouvoir, via ces plateformes d’intermédiation, encadrer contractuellement, et dans les formes exigées par la loi, les autorisations accordées pour l’exploitation des œuvres : supports sur lesquelles elles peuvent être diffusées, reproduction, merchandising, etc. Cela est d’autant plus important que les NFT évoluent par nature dans un environnement numérique complexe (diversité des supports de diffusion, métavers, …) et qu’il sera essentiel dans ce contexte pour les acheteurs de connaître les droits d’exploitation dont ils disposent sur l’œuvre numérique. A défaut, les acheteurs s’exposent à des risques en matière de contrefaçon en faisant une utilisation non autorisée par l’auteur de l’œuvre identifiée par le NFT. Il est donc dans l’intérêt de chacun des acteurs d’encadrer un tel sujet. Cette cession de droits d’auteur qui précisera de manière détaillée les droits consentis à l’acheteur pourrait être matérialisée de différentes manières. On pourrait imaginer que le smart contract à l’origine de la création du NFT programme une transmission de la titularité des droits d’auteur sur l’œuvre accompagnant la création et la transmission du jeton, ce qui sera possible uniquement si le langage de programmation du smart contract le permet. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas de la majorité des plateformes. La mise en place d’un document autonome (rédigé par un avocat), vers lequel le smart contract pourrait renvoyer, serait également une solution. Par ailleurs, il serait envisageable, en pratique, de résumer les droits cédés dans les attributes du NFT, qui sont une sorte d’encart permettant d’intégrer une description succincte du bien et de ses caractéristiques. Dans ce dernier cas, les formes exigées par le CPI ne serait toutefois pas tout à fait respectées, de sorte que cette solution ne sera pas pleinement satisfaisante. Il n’est pas impossible par ailleurs que les plateformes d’intermédiation, à l’image de ce qu’ont pu faire les places de marché (marketplaces), mettent à disposition des créateurs de NFT une section ou un outil sur la plateforme leur permettant de préciser les conditions de cession attachées à leurs NFT.
Les utilisateurs de ces plateformes doivent par ailleurs avoir conscience des risques inhérents à l’utilisation de celles-ci, notamment l’acquisition d’œuvres contrefaisantes. Depuis quelques jours, la plateforme Opensea a mis elle-même en lumière ces problématiques en dévoilant sur Twitter que « plus de 80 % des articles créés avec cet outil [gratuit] étaient des œuvres plagiées, de fausses collections et du spam » (13). Rien d’étonnant puisque, en qualité d’intermédiaires, ces plateformes n’effectuent aucune vérification quant à l’identité à la fois des créateurs de NFT, au fait qu’ils aient ou pas la qualité d’auteur à l’origine de la création de l’œuvre ou de titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre, ou encore quant à l’authenticité ou la licéité ou non des contenus que les utilisateurs se proposent d’y échanger. D’une manière générale, les plateformes d’échange de NFT, telles que Opensea et Rarible, ne fournissent aucune garantie sur les transactions facilitées par le biais de leurs plateformes. Elles mettent toutefois en place un mécanisme de notification des contenus contrefaisants et illicites conformément aux exigences des lois locales qui leurs sont applicables, à savoir majoritairement à ce jour la loi américaine.

Eviter la « contrefaçon 3.0 »
Conscientes de l’importance d’instaurer une confiance nécessaire pour pérenniser leurs développements et d’éviter une explosion de la « contrefaçon 3.0 », les plateformes d’intermédiation semblent se saisir du sujet mais elles peinent toutefois à trouver des solutions concrètes pour endiguer l’échange d’œuvres contrefaisantes. Par exemple, récemment, Opensea avait annoncé limiter la création de nouveaux jetons à cinq collections NFT et 50 tokens pour chaque utilisateur, afin d’endiguer les dérives, mais la plateforme d’intermédiation a finalement fait machine arrière quelques jours plus tard (14) face au mécontentement de sa communauté. @

Les alternatives aux cookies tiers, lesquels vont disparaître, veulent s’affranchir du consentement

Le numéro un mondial de la publicité en ligne, Google, a confirmé le 25 janvier qu’il bannira à partir de fin 2023 de son navigateur Chrome les cookies tiers – ces mouchards du ciblage publicitaire. Comme l’ont déjà fait Mozilla sur Firefox ou Apple sur Safari. Mais attention à la vie privée.

Il y a près d’un an, le 3 mars 2021, Google avait annoncé qu’il allait abandonner les cookies tiers – utilisés par les annonceurs et publicitaires à des fins de traçage des internautes et de ciblage personnalisé – au profit de « centres d’intérêts » de groupes d’individus, alors appelés « cohortes » ou, dans le jargon des développeurs «FLoC», pour Federated Learning of Cohorts (1). Une « cohorte » est un groupe d’utilisateurs aux comportements de navigation similaires et aux « intérêts communs » (2). Et ce, sans ne plus avoir à identifier les individus un par un, mais tous ensemble de façon non indentifiable.

Cohortes, fingerprinting, centres d’intérêt, …
Mais cette technique de traçage anonymisé soulevait toujours des questions au regard du consentement des internautes et de sa conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe. De plus, les « cohortes » laissaient la porte ouverte à de l’espionnage par browser fingerprinting, c’est-à-dire la prise d’empreinte à partir du navigateur web pour collecter une floppée d’information sur l’utilisateur et son équipement. Car les réseaux publicitaires s’appuient principalement sur deux méthodes pour mettre les internautes sous surveillance. Son donc dans le même bateau : le suivi par des mouchards déposés dans le terminal et les empreintes digitales issues du navigateur.
Si les cookies tombent à l’eau, qu’est-ce qui reste ? Le fingerprinting. Cette technique de traçage des internautes, indépendamment des cookies eux-mêmes, est en fait illégale sans consentement préalable de l’internaute. L’Electronic Frontier Foundation (EFF), une ONG internationale de protection des libertés sur Internet, basée à San Francisco et aujourd’hui dirigée par Cindy Cohn (photo), a mis en place il y a une dizaine d’année un outil – Cover Your Tracks (3) – qui permet à tout internaute de vérifier le niveau de traçage de son navigateur. « Lorsque vous visitez un site web, votre navigateur fait une “demande” pour ce site. En arrière-plan, le code publicitaire et les trackers invisibles sur ce site peuvent également amener votre navigateur à faire des dizaines ou même des centaines de demandes à d’autres tiers cachés. Chaque demande contient plusieurs informations sur votre navigateur et sur vous, de votre fuseau horaire aux paramètres de votre navigateur en passant par les versions de logiciels que vous avez installés », met en garde l’EFF. Si certaines de ces informations sont transmises par défaut pour simplement mieux visualiser la page sur votre écran (smartphone, ordinateur ou tablette) et en fonction du navigateur utilisé, bien d’autres informations aspirées par du navigateur peuvent remonter – de façon sournoise et à l’insu de l’intéressé – jusqu’aux réseaux publicitaires tiers. En naviguant sur le Web, chaque internaute laisse des traces comme en marchant dans la neige. C’est ce que l’on appelle une « empreinte digitale numérique », ou fingerprinting : il s’agit essentiellement de caractéristiques propres à un utilisateur, à son navigateur et à sa configuration informatique (jusqu’à la résolution de son écran et aux polices de caractère installées dans son ordinateur…). Et le tout collecté par des scripts de suivi (tracking scripts) qui constituent les multiples pièces d’un puzzle sur le profit de l’utilisateur, qui, une fois assemblées, révèlent l’image unique de l’individu ciblé. Contrairement aux cookies qui tombent sous le coup du RGPD imposant le consentement préalable de l’internaute concerné, lequel peut aussi supprimer les cookies voire bloquer les publicités en ligne à l’aide d’un adblocker (4), les empreintes digitales échappent à tout contrôle et restent difficilement modifiables et impossible à supprimer. « Cela équivaut à suivre un oiseau par son chant ou ses marques de plumes, ou une voiture par sa plaque d’immatriculation, sa marque, son modèle et sa couleur », compare l’EFF, laquelle suggère de désactiver JavaScript pour arrêter l’exécution des scripts de suivi. JavaScript est le fameux langage de programmation de scripts, créé il y a plus d’un quart de siècle maintenant et principalement employé dans les pages web interactives, autrement dit partout sur le Web. Mais désactiver JavaScript compliquera la vie de l’internaute…

Les requêtes JavaScript et le RGPD
« Le principal objectif de Cover Your Tracks est de vous aider à établir votre propre équilibre entre la confidentialité et la commodité, explique l’ONG américain. En vous donnant un résumé de votre protection globale et une liste des caractéristiques qui composent votre empreinte digitale numérique, vous pouvez voir exactement comment votre navigateur apparaît aux trackers, et comment la mise en oeuvre de différentes méthodes de protection change cette visibilité ». C’est pour éviter notamment que le fingerprinting, avec ses requêtes JavaScript, ne le mette en infraction visà- vis du RGPD et ne se retourne contre lui, que Google a abandonné FloC pour « Topics ». Quèsaco ? Fini les « cohortes », place aux « thèmes ». Moins d’intrusions dans la vie privée, plus d’information sur les centres d’intérêt, bien que cela ne sonne pas la fin du tracking publicitaire sur ordinateurs et smartphones… Ce changement de pied sera généralisé sur Chrome à partir de fin 2023, après une phase de transition dès le troisième trimestre prochain.

La Grande-Bretagne et l’Allemagne scrutent
Et l’avantage présenté par Google le 25 janvier dernier est que toute cette « cuisine thématique » reste dans le terminal de l’utilisateur et les thèmes y sont conservés durant trois semaines avant d’être effacés. Tandis que l’interface de programmation d’applications – l’API (5) – de Google exploite trois thèmes, à raison d’un thème par semaine. Explication de Vinay Goel (photo ci-contre), directeur Privacy chez Google, basé à New York : « Avec Topics, le navigateur identifie des thèmes (topics) représentatifs des principaux centres d’intérêt des utilisateurs pour une semaine donnée, tels que “fitness”ou “voyages”, en fonction de l’historique de navigation. Ces thèmes sont gardés en mémoire pendant seulement trois semaines avant d’être supprimés. Ce processus se déroule entièrement sur l’appareil utilisé, sans impliquer de serveurs externes, Google ou autre. Lorsqu’un internaute visite un site Web participant, Topics sélectionne seulement trois thèmes, un thème pour chacune des trois dernières semaines, que l’API transmet ensuite à ce même site ainsi qu’à ses annonceurs partenaires » (6). Tout cela en toute transparence : fini les mouchards, fini le suivi dissimulé et autres cookies indigestes, fini aussi le fingerprinting sournois. L’utilisateur garde la main sur ces données le concernant.
Du moins sur Chrome où il peut accéder aux paramètres de contrôle pour y voir les thèmes partagés avec les annonceurs, en supprimer certains, avec la possibilité de désactiver entièrement la fonctionnalité. « Plus important encore, souligne Vinay Goel, les thèmes sont sélectionnés avec attention afin d’exclure les catégories potentiellement sensibles, telles que le genre ou l’appartenance ethnique ». Google n’est pas le premier à bannir les cookies tiers de son navigateur Chrome. Avant lui, Mozilla, Apple, Microsoft et Brave Software les ont écartés de respectivement Firefox, Safari, Edge et Brave. Mais le plus souvent pas des filtres « anti-cookies ». L’aggiornamento du ciblage publicitaire est en tout cas venu, quitte à secouer certains acteurs comme ce fut le cas fin 2017 lorsque Criteo a dévissé en Bourse après l’annonce d’Apple contre les cookies sur iOS 11. Depuis l’adtech française a dû s’adapter (7). D’autres, comme Prisma Media ou Webedia (8), contournent le problème en imposant des « cookies walls ». Tôt ou tard, tout l’écosystème devra passer à la publicité basée sur les intérêts – Interest-based advertising (IBA) – qui est une forme de publicité personnalisée dans laquelle une annonce est sélectionnée pour l’utilisateur en fonction des intérêts dérivés des sites qu’il a visités antérieurement. « Les thèmes sont sélectionnés à partir d’une taxonomie publicitaire, qui comprendra entre quelques centaines et quelques milliers de sujets [entre 350 et 1.500 thèmes, ndlr], tout en excluant les sujets sensibles », précise par ailleurs la plateforme de développement de logiciels GitHub (9). Reste que le monde publicitaire (marques, régies, éditeurs, adtech, …) devra se faire une raison : l’IBA donnera des résultats d’affichages différents – moins performants ? – par rapport à la publicité contextuelle mais peut-être plus utiles pour l’internaute. Mais la démarche de Google – en position dominante sur le marché mondial de la publicité en ligne – inquiète de nombreux acteurs du numérique. La firme de Mountain View (Californie) a déjà eu à répondre l’an dernier devant l’autorité de la concurrence britannique, la Competition and Markets Authority (CMA), ainsi qu’à la « Cnil » britannique, l’Information Commissioner’s Office (ICO), en prenant des engagements vis-à-vis des autres acteurs du marché et envers la protection de la vie privée (10). En Allemagne, la fédération des éditeurs VDZ a fait savoir le 24 janvier dernier qu’elle en appelait – au nom de ses 500 membres – à la Commission européenne pour dénoncer « les distorsions de concurrence de Google », suite à sa décision de « bloquer les cookies de tiers dans le navigateur dominant Chrome ». La VDZ demande à ce « que l’utilisation de cookies fournis par des tiers reste autorisée, à condition, notamment, que les utilisateurs consentent eux-mêmes à leur utilisation » (11). Elle rappelle au passage qu’en avril 2021 elle a engagé avec d’autres organisations professionnelles une action antitrust contre Apple auprès de l’autorité fédérale allemande de lutte contre les cartels (12).

La Commission européenne enquête
En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) se penche sur « les alternatives aux cookies » (13) mais n’a encore rien dit sur les « Topics » de Google. De son côté, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne et en charge de la Concurrence et du Numérique, n’a pas attendu la requête de la VDZ pour s’interroger sur la fin des cookies tiers – notamment sur les intentions de Google – comme l’atteste un courrier daté du 23 avril 2021 et envoyé au Parlement européen (14). Deux mois après, le 22 juin 2021, la Commission européenne ouvrait une enquête sur les pratiques publicitaires de Google et sur la décision de ce dernier d’« interdire le placement de “cookies tiers” sur Chrome » (15) : « L’enquête se poursuit », nous indique Margrethe Vestager. La filiale Internet d’Alphabet est donc scrutée de toute part en Europe. Autant que les internautes eux-mêmes ? @

Charles de Laubier

Fusionner l’Arcep et l’Arcomaurait fait sens à l’ère de la convergence du numérique et de l’audiovisuel

Alors que l’Arcep – appelée jusqu’en 2005 Autorité de régulation des télécommunications (ART) – fête ses 25 ans, et que le CSA et l’Hadopi sont devenus l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), la fusion de celle-ci avec l’Arcep sera-t-elle la prochaine étape ?

Le pôle numérique Arcep-CSA, créé il y a près de deux ans par les deux régulateurs dans le cadre d’une convention, est devenu depuis le 1er janvier le pôle numérique Arcep-Arcom (1). Cette mission commune est pilotée par la direction des études, des affaires économiques et de la prospective de l’Arcom et la direction marchés, économie et numérique de l’Arcep. Le rôle de coordination est assuré alternativement par les deux directeurs. Ces deux directions ont à leur tête respectivement Christophe Cousin (photo de gauche) et Anne Yvrande-Billon (photo de droite).

De très nombreux points communs
La coordination de ce pôle numérique est assurée alternativement par ces deux directeurs, pour un mandat d’un an. C’est Anne Yvrande-Billon qui est coordonnatrice jusqu’au 30 juin. Depuis sa création, ce pôle commun aux deux régulateurs mène des études communes sur les sujets numériques, met à disposition du grand public des données de référence communes, organise des ateliers de travail entre services de l’Arcep et l’Arcom, et conduit des travaux sur la protection des mineurs contre les contenus pornographiques en ligne. Actuellement, deux études sont en cours : l’une sur les enjeux environnementaux de l’audiovisuel et l’autre sur les principes et enjeux économiques de la recommandation algorithmique. Tous les deux sont attendus cette année. Une précédente étude commune est déjà parue sur la multiplication des services de SVOD (mars 2021), en lien à l’époque avec l’Hadopi et le CNC (2). Quant au référentiel commun des usages numériques, il a fait l’objet d’une première édition il y a un an maintenant (3) et est sur le point d’être mis à jour (couverture et accès à l’internet, équipement des foyers, usages liés à internet et à l’audiovisuel) et enrichi d’indicateurs complémentaires. Surtout qu’il a vocation à constituer un observatoire de référence sur le numérique.
Concernant la prévention de l’exposition des mineurs à des contenus pornographiques en ligne, l’Arcep et l’Arcom sont parties prenantes dans la mise en place de la plateforme « jeprotegemonenfant.gouv.fr » il y a un an avec le secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, et le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O. Il s’agit de sensibiliser les parents sur l’exposition massive des mineurs à la pornographie, de faciliter le recours aux dispositifs de contrôle parental, et de contribuer à instaurer le dialogue parents/enfants sur l’éducation à la sexualité et la pornographie. Un protocole d’engagements de prévention a été signé par plusieurs acteurs du numérique (4), dont les quatre opérateurs télécoms (Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR), mais aussi Facebook, Google, Microsoft, Samsung, Apple, Snap ou encore Qwant. Enfin, dans le cadre du pôle numérique Arcep-Arcom, plusieurs ateliers sont organisés sur des sujets aussi différents que, par exemple, « la régulation par la donnée », « le conventionnement des chaînes audiovisuelles » ou encore « la régulation et l’aménagement numérique du territoire ».
La distribution de la presse, que régule l’Arcep depuis la loi du 18 octobre 2019 modernisant la distribution de la presse (5), est aussi un domaine commun avec l’Arcom lorsqu’il s’agit de régler des différends concernant les kiosques numériques. A l’époque, l’ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano, avait regretté que cela relève d’une codécision Arcep-Arcom et que par ailleurs la DGCCRF ait à s’occuper de son côté des agrégateurs de journaux (Google Actualités, Apple News, Yahoo News, …). Une « division » et un « ajout de complexité » avaitil signalé dans La Correspondance de la Presse.
Face à tant de points communs à l’ère de la convergence du numérique et de l’audiovisuel, il n’était pas étonnant que le projet de loi portant sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » ait envisagé un temps de désigner des membres croisés entre les collèges respectifs de l’Arcep et de l’Arcom. Il était même prévu l’instauration d’un mécanisme de règlement des différends commun aux deux autorités. « Les sujets communs entre l’Arcep et le CSA sont peu nombreux [et inexistants entre] l’Arcep et l’Hadopi », avait contesté Sébastien Soriano dans son avis du 22 octobre 2019 sur le projet de grande réforme audiovisuelle, abandonnée ensuite.

Arcep-Arcom : « Je t’aime, moi non plus »
Laure de La Raudière, qui lui a succédé, est sur la même longueur d’onde puisqu’elle s’est « félicit[ée]» dans son avis du 30 mars 2021 que le nouveau projet de loi – finalement promulgué le 26 octobre 2021 (6) – « ne repren[ne] pas [ces] dispositions ». Pour autant, cette loi-là fait état néanmoins d’une compétence commune à l’Arcep et à l’Arcom: celle des fréquences, sous l’autorité du le Premier ministre (7), étant entendu que la bande de fréquences 470-694 Mhz reste jusqu’au 31 décembre 2030 à la TNT, relevant des compétences de l’Arcom. @

Charles de Laubier

Orange éteindra le cuivre sous la lumière de l’Arcep

En fait. Le 7 février, l’Arcep a lancé – jusqu’au 4 avril – deux consultations publiques à la suite de la présentation du plan envisagé par Orange de fermeture du réseau de boucle locale de cuivre. L’opérateur télécoms historique souhaite commencer la bascule vers la fibre « à partir de 2023 » et la terminer en 2030. Dossier sensible.

En clair. L’extinction du réseau de cuivre d’Orange sera le premier gros et épineux dossier que Christel Heydemann trouvera le 4 avril prochain (1) sur son bureau lors de sa prise de fonction en tant que directrice générale de l’ex-France Télécom. Le plan de fermeture du réseau de boucle locale de cuivre – en métropole et outre-mer – que l’opérateur historique des télécoms a présenté par courrier du 31 janvier 2022 à l’Arcep (2), est un dossier politiquement sensible. Surtout à la veille d’échéances électorales majeures que sont la présidentielle (10 et 24 avril) et les législatives (12 et 19 juin).
Le gendarme des télécoms, qui soumet jusqu’au 4 avril à consultation publique le plan d’Orange d’extinction progressive (2023-2030) des paires de cuivre téléphoniques encore largement utilisées aujourd’hui pour l’ADSL, s’est engagé à « veiller à ce que la fermeture du réseau cuivre se fasse selon un rythme et des modalités préservant l’intérêt de tous les utilisateurs, particuliers et entreprises, et garantissant une concurrence effective et loyale entre les opérateurs » (3). Dès 2026, par endroits, commencera l’arrêt technique de l’ADSL et la migration forcée vers la fibre. Orange ne devra cependant pas fermer les lignes ADSL pour favoriser ses boucles locales optiques (FTTH) au détriment de ses rivaux. Concernant le préavis avant l’extinction de lignes, l’Arcep voulait en 2019 imposer à Orange cinq ans de « délai de prévenance ». Contesté par ce dernier, ce délai a été ramené à trois ans. Parallèlement à la consultation publique sur le plan « cuivre » 2023-2030, l’Arcep consulte cette fois les acteurs concernés sur les conséquences tarifaires (4). Pour les opérateurs télécoms concurrents d’Orange, dont ils louent la boucle locale de cuivre héritée de l’ex-France Télécom (actuellement pour 9,65 euros par mois et par ligne totalement dégroupée), le tarif d’accès au réseau de cuivre devrait être revu à la hausse. Autrement dit, les tarifs du « dégroupage de la boucle locale » ne seront plus « orientés vers les coûts ». Mais l’Arcep propose notamment pour les accès « cuivre », dont le tarif de location sera amené à augmenter, une « obligation de non-excessivité du tarif » selon des modalités prévues à l’avance. En 2020, l’Arcep n’avait pas accédé à la demande d’Orange d’une hausse conséquente du tarif du dégroupage car elle craignait « la création d’une rente temporaire » (5) au profit de l’ancien monopole public. @