A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Prestataires de services sur actifs numériques : la France aiguillonne l’Europe vers plus de régulation

Craints par les uns (stabilité monétaire, cybersécurité, …) et poussés par les autres (innovation, compétitivité, …), les crypto-actifs s’immiscent dans le capitalisme financier. Mais les acteurs de la régulation veulent combler les lacunes en la matière, notamment vis-à-vis des prestataires.

Par Richard Willemant*, avocat associé, cabinet Féral

Les actifs numériques ont déjà conquis le paysage de la finance, en témoigne l’admission, en ce début février, de tokens sécurisés – en l’occurrence des « titres de dette digitaux » (1) – sur la liste officielle des valeurs mobilières de la Bourse de Luxembourg. Encore peu réglementés, ces actifs numériques impliquent de nombreux risques économiques notamment en matière de stabilité monétaire et de cybersécurité, et ils complexifient la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ce que l’on désigne sous le sigle LBC-FT (2).

Contours de la notion de crypto-actifs
Néanmoins, la digitalisation des actifs est une innovation gage de compétitivité, et son encadrement juridique par les institutions traditionnelles doit dès lors veiller à l’accompagner sans la brider, faute de perdre en attractivité. En France, le législateur a, en collaboration avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), reconnu dès la loi de 2019 sur la croissance et la transformation des entreprises, loi dite « Pacte » (3), un statut aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Le législateur européen prévoit de reprendre très largement cet embryon d’encadrement français et de le renforcer. Lorsque l’objet régulé est en plein essor, une définition positive trop rigide risque de devenir rapidement obsolète. Les contours de la notion d’« actif numérique » ont donc en partie été tracés en négatif.
Le code monétaire et financier (CMF) a ainsi défini le terme d’actif numérique comme étant exclusif de celui d’instrument financier, de bon de caisse et de monnaie, électronique ou non (4). La proposition de règlement européen concernant les marchés de crypto-actifs, connue sous le nom de MiCA (Markets in Crypto-Assets), écarte également les instruments financiers et assimilés et la monnaie électronique de la notion d’actifs numériques. Cette proposition est actuellement en négociation entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen (5), et devrait entrer en vigueur en 2022. Des définitions positives larges et ouvertes ont également été prévues. En droit français, les crypto-actifs comprennent les cryptomonnaies, définies dans le CMF comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique […] mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement » (6). Les jetons porteurs de droit sont définis, toujours dans le CMF, comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (7).
Le projet de définition européenne est, lui, plus précis que la définition française. Outre la définition ample d’« une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire », sont distingués trois catégories de crypto actifs :
• Le crypto-actif « se référant à un ou des actifs », qui vise les crypto-actifs tendant à conserver une valeur stable (dit « stablecoin ») et en se référant à la valeur de plusieurs monnaies qui ont cours légal (dit « fiat », du latin « qu’il soit fait », en référence au fait de l’autorité), ou à une ou plusieurs matières premières, ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs.
• Le « jeton de monnaie électronique », qui vise les cryptoactifs « dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal ».
• Le « jeton utilitaire », qui vise les crypto-actifs destinés à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur le registre distribué DLT (Distributed Ledger Technology), et uniquement accepté par l’émetteur de ce jeton.

Avis ACPR et enregistrement AMF
Les services sur actifs numériques comprennent différentes prestations, variablement risquées et en conséquence différemment encadrées. Parmi les prestataires les plus surveillés, doivent être enregistrés auprès de l’AMF avant de pouvoir exercer leurs activités – dès lors qu’ils sont établis en France ou fournissent ces services en France (8) – ceux qui fournissent des services de conservation pour le compte de tiers d’actifs, des services d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal, des services d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques, ou l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques (9). Cet enregistrement est conditionné à la démonstration par le demandeur de prérequis à l’exercice de son activité, et notamment un avis favorable de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et financement du terrorisme.

LBC-FT et protection de l’investisseur
L’AMF a enregistré une trentaine de PSAN (10). Une fois enregistrés, les PSAN sont soumis, sous le contrôle permanent de l’ACPR, aux mêmes obligations de lutte contre le blanchiment que les établissements bancaires ou financiers, à savoir l’évaluation des risques LBC-FT de leur activité, la connaissance des clients et de leurs bénéficiaires effectifs, la coopération avec les services de renseignement et la mise en place des mesures de gel des avoirs. Quant au régime pilote européen en cours d’élaboration avec la proposition de règlement MiCA, il fait également une place de choix à la LBC-FT en prévoyant la possibilité pour les autorités compétentes de chaque Etat membre de retirer l’agrément de l’opérateur si celui-ci commet un manquement à la législation nationale mettant en oeuvre la directive européenne « LBC-FT » de 2015 (11). Plus récemment et dans la même dynamique de LBC-FT, le Conseil de l’UE a arrêté son mandat de négociation avec le Parlement européen sur une proposition visant à actualiser les règles existantes sur les informations accompagnant les transferts de fonds (12). L’objectif est d’imposer aux prestataires de services sur cryptoactifs l’obligation de recueillir et de rendre accessibles des données complètes sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire des transferts de crypto-actifs qu’ils traitent, et ce quel que soit le montant de la transaction. Ces obligations concerneraient notamment les transferts de crypto-actifs entre les fournisseurs de services de crypto-actifs et les portefeuilles non hébergés.
Il y a une autre manière que le registre de la LBC-FT d’appréhender les PSAN : par les normes de protection de l’investisseur. En France, la loi Pacte a également institué un agrément facultatif auprès de l’AMF des PSAN souhaitant faire du démarchage, mais il n’a pas encore réellement prospéré car les PSAN intéressés ont suspendu leurs demandes dans l’attente du régime européen en cours d’élaboration. « A ce jour, aucun PSAN n’est agréé auprès de l’AMF », est-il précisé sur le site web du gendarme des marchés financiers (13). Un visa optionnel de l’AMF pour les projets d’offre au public de jetons (ICO), mis en place au même moment, n’a pas connu plus de succès. « Nous ne l’analysons pas comme un échec », avait assuré en octobre 2021 le président de l’AMF (14). Les prestataires n’ayant pas reçu d’agrément ou de visa de l’AMF ne sont néanmoins pas privés d’exercer leur activité, seules certaines formes de publicité leur étant interdites conformément au code de la consommation (CC) : le démarchage en ligne pour proposer la fourniture de services sur actifs numériques ou d’ICO (15), la prospection en ligne par utilisation de formulaires à remplir par le prospect afin que le prestataire de services soit contacté par la suite (16), les opérations de parrainage ou de mécénat (17). Dans la mesure où le modèle économique des PSAN est largement basé sur le recours à la publicité, la flexibilité de ce dispositif – caractère optionnel du régime d’agrément et de visa, et permission encadrée de diffuser de la publicité – préserve l’attractivité de la place de Paris.
La proposition de règlement européen MiCA reprend quant à elle le dispositif français, ce qui devrait conduire au renforcement de son effectivité. Il est notamment prévu que les PSAN devront, une fois en activité, se comporter de manière « honnête, loyale et professionnelle », formule déjà connue des prestataires bancaires et financiers. Plus spécifiquement, les entités émettrices de jetons ne se référant pas à des actifs ou à des jetons de monnaie électronique seront tenues d’établir un livre blanc, exposant notamment les risques encourus, qu’ils soient liés à l’émetteur, au crypto-actif ou à la mise en oeuvre du projet (18). Ces mêmes émetteurs devront prévoir un droit de rétractation à tout consommateur qui achète de tels cryptoactifs soit directement à l’émetteur, soit à un prestataire de services sur crypto-actifs qui place des crypto-actifs pour le compte de cet émetteur.
Concernant cette fois l’offre au public de jetons (ICO) se référant à des actifs, les émetteurs devront obtenir un agrément auprès de l’autorité compétente de leur Etat d’origine. Les candidats devront pour cela justifier de l’honorabilité et de la compétence de leur gouvernance et de leurs actionnaires. Consécration du dispositif français, cet agrément n’est en revanche pas requis pour les établissements de crédit déjà soumis à l’agrément relatif à l’exercice de l’activité bancaire. Enfin, les jetons de monnaie électronique se référant à des actifs offerts au publics ne pourront, quant à eux, n’être émis que par des établissements de crédit ou des établissements de monnaie électronique (19). Les mesures existantes ou en cours d’élaboration comblent une lacune de la régulation bancaire et financière sans être aussi avant-gardistes que les objets qu’elles encadrent : il s’agit de faire entrer dans le champ d’application de la règlementation classique ces nouveaux instruments financiers numériques.

Libérer et renforcer la finance numérique
Outre la nécessaire définition inédite de la notion de cryptoactifs, l’intégration des PSAN aux dispositifs LBC-FT, d’une part, et aux normes de protection des consommateurs et investisseurs, d’autre part, correspond aux prescriptions habituellement destinées aux prestataires de services du secteur bancaire et financier. Ces nouvelles régulations visent à limiter les risques liés aux actifs numériques, à assurer la sécurité juridique, tout en libérant et en renforçant la finance numérique. Elles doivent relever le défi de protéger les investisseurs consommateurs, sans entraver l’innovation. @

* Richard Willemant, avocat associé du cabinet Féral,
est avocat aux barreaux de Paris et du Québec, délégué à la
protection des données (DPO), cofondateur de la Compliance
League, et responsable du Japan Desk de Féral.

Les cryptomonnaies gagnent en notoriété, les néophytes rejoignant les primo-investisseurs

Malgré le yo-yo permanent des cryptomonnaies, les monnaies numériques décentralisées sur des blockchains attirent de plus en plus de « crypto-investisseurs ». Au-delà du bitcoin historique, les cryptos ont séduit non seulement les primo-investisseurs mais aussi les néophytes.

Pour le sondage réalisé par Ipsos et restitué le 14 février par le cabinet KPMG à la demande de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), 76 % des Français ont déjà entendu parler des cryptomonnaies. Selon un autre sondage, réalisé cette fois par Ifop pour CoinTribune et publié le 9 février, ils sont même 82 % à dire qu’ils connaissaient les cryptomonnaies. La notoriété de ces monnaies numériques – émises et certifiées sur une chaîne de blocs (blockchain) décentralisée, en mode pairà- pair et sans dépendre d’une banque centrale ou d’autres intermédiaires que les utilisateurs eux-mêmes – a atteint une ampleur incontestable en France.

Plus de Français « crypto-investisseurs »
Mieux : 8 % des Français ont déjà investi dans des cryptos, d’après le sondage Ipsos. Ce taux est de 9% du côté d’Ifop. « Parmi les 8% de détenteurs de cryptos, près de deux tiers (61 %) se sont lancés il y a moins de trois ans, notamment en 2019 après le krach de 2018, et pendant le confinement de 2020. Il s’agit donc d’une tendance durable en France depuis les trois dernières années », relève l’étude de KPMG pour l’Adan. Lorsque les Français investissent dans les cryptomonnaies, ils les prennent plus au sérieux. Ainsi, selon l’étude Ifop/CoinTribune, ils sont 80 % parmi ceux qui n’ont jamais investi dans les cryptos à les considérer comme « un phénomène de mode » ou autant à les voir comme « un produit purement spéculatif ». Mais dès qu’ils ont déjà investi dans les cryptos, ce taux chute à 67 % sur ces deux appréciations. Et ces « crypto-investisseurs » considèrent même à 92 % qu’il s’agit d’« une révolution du concept de monnaie » ou à 80 % comme « une nouvelle classe d’actifs, au même titre que les actions ou les métaux précieux ». L’année 2022 devrait voir le nombre de crypto-investisseurs français croître pour atteindre, cette fois selon l’étude Ipsos/Adan, les 12 % ou 13 % (contre les 8 % de primo investisseurs actuels). Cette dernière montre l’attrait de certaines cryptomonnaies : « Le triptyque des cryptomonnaies privilégiés par les investisseurs actuels est le suivant : le bitcoin avec 49 %, l’ether avec 29 % puis le bitcoin cash [cryptomonnaie dérivée du bitcoin et prisée des néophytes, ndlr] avec 28 %. Pour ceux qui envisagent d’investir, l’ordre et l’amplitude sont différents avec le bitcoin qui joue son rôle de locomotive du secteur avec 69 %, suivi du bitcoin cash avec 28 % et de 14 % avec l’ether ».

La majorité (62 %) des détenteurs de cryptos sécurisent leurs actifs via un tiers conservateur (Coinhouse, Kraken, Binance, Coinbase, Crypto.com, …), tandis que 32 % conservent eux-mêmes leurs actifs (via un portefeuille personnel de type Ledger, Metamask, Argent, …). Ils sont 5 % à avoir recours aux deux solutions. Si l’on revient au sondage Ifop/CoinTribune, les connaisseurs de cryptomonnaies sont 41 % à s’attendre à ce que la valeur du marché augmente dans les trois ans. Mais lorsqu’ils sont aussi investisseurs, ils sont alors 63% à penser que le marché des cryptomonnaies sera supérieur à sa valeur actuelle d’ici trois ans. Il y a donc plus d’optimisme, malgré la volatilité des cours, que de pessimisme exprimé par 16 % des connaisseurs qui s’attendent au contraire à une baisse du marché d’ici trois ans (7 % seulement lorsqu’ils sont aussi crypto investisseurs). Le sondage Ipsos/Adan fait ressortir, lui, la surreprésentation des hommes chez les crypto investisseurs ou ceux qui envisagent investir, avec respectivement 60% et 57 % (contre un total de 48 % d’hommes adultes au sein de la société française). La sou représentativité des femmes vis-à-vis des cryptomonnaies passent respectivement à 40% et 43 % (alors qu’elles représentent 52 % de la population française). Il y a en outre une tendance générationnelle très marquée puisque 46 % des détenteurs de cryptos et 29 % de ceux qui comptent investir ont moins de 35 ans (alors que cette classe d’âge ne représente que 25% de la population française). « Ainsi, plus d’un Français de moins de 35 ans sur huit (12 %) possède des cryptos. Ce fossé générationnel laisse penser que le nombre de Français possédant des cryptos est amené à augmenter drastiquement au fil des années », souligne cette étude. En revanche, il n’y a pas vraiment de fracture géographique puisque le « phénomène crypto » touche toute la France, avec actuellement une légère surreprésentation de la région parisienne et des grandes villes par rapport aux territoires ruraux. Mais ce gap devrait s’estomper avec l’arrivée de nouveaux crypto-investisseurs. Dans l’enquête Ifop/CoinTribune, 22 % des Français seraient prêts à régler des achats en ligne et 15 % à être payés en bitcoin, tandis qu’ils sont 36 % à penser que « les mondes virtuels prendront l’avantage sur le monde réel dans les prochaines années ».
Dans l’étude Ipsos/Adan restituée par KPMG, les motivations des Français qui investissent dans les cryptos sont variées. La majorité (58 %) considère que les cryptos peuvent être « un refuge contre l’inflation », les cryptos étant perçus comme capables de « préserver l’épargne de l’inflation ». Alors que l’Insee prévoit en 2022 une inflation de 2,7 % en France. Autres motivations : l’« absence de confiance dans les banques » pour 12 % d’entre eux ; la volonté de « confidentialité sur les transactions » pour 10 % ; le « choix idéologique » pour considérer ces actifs numériques comme « de la monnaies » pour 7 % ; pour « envoyer de l’argent à l’étranger » pour 2 %. « Parmi les investisseurs en crypto, 76 % déclarent consacrer moins de 10 % de leur épargne globale à cette classe d’actifs. Ceci démontre des comportements raisonnables et prudents d’investis-sement dans ces actifs, et contrevient à l’image d’irra-tionalité parfois relayée dans les médias », relève l’étude de KPMG. Quant à ceux qui veulent investir dans les cryptomonnaies mais ne l’ont pas encore fait, ils ont comme motivation première « la recherche de rendement » pour 60 % d’entre eux. Mais si les cryptomonnaies font l’objet d’un engouement récent auprès du grand public, elles font aussi l’objet d’une désinformation. C’est du moins ce qu’affirme le sondage Ipsos/Adan : sur le total des personnes interrogées, 48 % s’estiment d’accord avec l’assertion qui consiste à dire que « les cryptomonnaies sont des outils privilégiés par les criminels pour financer le terrorisme ou pour blanchir leurs biens mal acquis », contre 21 % qui sont en désaccord avec cette affirmation, tandis que 31 % d’entre elles sont sans opinion. « La part substantielle de Français pensant que cette affirmation est vraie, d’autant plus au sein de la population des personnes détenant déjà des cryptos, est symptomatique de la désinformation sur ce sujet. En effet, Chainalysis ou encore Europol ont démontré que l’assertion en question n’est pas véridique », rappelle l’étude KPMG.

Les politiques français à la traîne
Les monnaies numériques sont prises au sérieux par un public grandissant. Près d’un Français sur cinq déclare que le sujet des cryptos influencera sa décision lors de la prochaine élection présidentielle. Ils sont aussi nombreux (20 % à 25 %) à considérer que les cryptos comme « une opportunité pour la France », ne serait-ce que pour « avoir plus d’influence dans le monde », « obtenir une souveraineté numérique par rapport aux puissances mondiales », « devenir une plus grande puissance économique », « rayonner dans le monde », voire « créer des emplois ». Pour l’heure, c’est la déception : 20 % des personnes interrogées regrettent que la France soit « peu incitative pour développer l’industrie des cryptomonnaies », et 19 % trouvent que la France est « spectatrice et absente sur les sujets des cryptomonnaies ». KPMG pense que le sujet des cryptos représente une opportunité politique pour les candidats à la prochaine élection présidentielle. La saisiront-ils ? @

Charles de Laubier

Transfert des données UE-US : Google et Facebook veulent un accord entre Etats-Unis et Europe

Les deux affaires « Google Analytics jugé illégal » et « Meta menace de quitter l’Europe » ont fait réagir les deux géants du Net concernés par le même problème : le transfert de données « UEUS ». Ils pressent l’Union européenne et les Etats-Unis à se mettre d’accord. Car il y a urgence.

En janvier, la « Cnil » autrichienne (DSB) a jugé que Google Analytics, le service gratuit d’analyse d’audience de sites web ou d’applications mobiles – utilisé par des millions d’éditeurs en Europe – est illégal (1) en raison du transfert vers les Etats-Unis des données des internautes européens et en violation du RGPD (2). En février, la Cnil en France juge à son tour ces transferts de données « UE-US » de Google Analytics illégaux (3).

Près de 20 mois d’incertitude « UE-US »
Tandis qu’au même moment a circulé une rumeur selon laquelle Facebook menace de quitter l’Europe en raison de l’incertitude sur le transfert de données entre l’UE et les Etats-Unis. Entre la précipitation des « Cnil » européennes (du moins en Autriche et en France) envers la filiale d’Alphabet, en jugeant illégal son outil Google Analytics, et la rumeur sur la supposée menace de Meta Platforms (maison mère de Facebook, d’Instagram et de WhatsApp) de fermer ses services en Europe, jamais la situation n’aura été aussi absurde depuis l’invalidation en juillet 2020 du « Privacy Shield » (4) par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Car, depuis, aucun autre accord entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis n’est venu combler le vide juridique sur la question du transfert des données entre la première et les seconds.
Jusqu’à il y a près de vingt mois, les Etats-Unis étaient considérés par la Commission européenne comme un pays ayant un niveau de « protection adéquate » pour les transferts de données à caractère personnel vers des organisations américaines auto certifiées. Mais depuis que la CJUE a annulé le Privacy Shield pour éviter que les services de renseignement américains n’accèdent aux données personnelles des Européens transférées aux Etats-Unis, c’est l’incertitude totale. Et Joe Biden (Washington) et Ursula von der Leyen (Bruxelles) tardent à accorder leurs violons, alors que les enjeux et les conséquences de cette inaction sont considérables pour tout l’écosystème du Web et des mobiles. Dès août 2020, la « Cnil » irlandaise (DPC) avait épinglé Facebook sur les transferts de ses données vers les Etats-Unis au regard du RGPD et préconisait que ces transferts soient « suspendus » en attendant un accord transatlantique : depuis que son recours en justice a été rejeté en mai 2021 en Irlande, le groupe Meta s’attend à une décision finale « dès le premier semestre de 2022 ». Or il faudrait un accord d’urgence entre l’Europe et les Etats-Unis, afin d’éviter que des centaines voire potentiellement des milliers de sites web en Europe ne soient mis en demeure par les « Cnil », comme l’ont été les services en ligne français d’Auchan, Decathlon, Leroy Merlin, Free Mobile, Sephora ou encore Le Huffington Post (5). Il y a aussi urgence pour ne pas pousser la firme de Mark Zuckerberg à mettre à exécution son avertissement mentionné dans son dernier rapport annuel publié le 3 février où la phrase suivante n’est pas passée inaperçue : « Si un nouveau cadre transatlantique de transfert des données n’est pas adopté (…), nous serons sûrement dans l’incapacité d’offrir une partie de nos produits et services les plus significatifs, parmi lesquels Facebook et Instagram, en Europe, ce qui affectera matériellement et négativement notre activité commerciale, notre condition financière et nos résultats opérationnels » (6).
C’est de ce risque évoqué que la rumeur d’une « menace de quitter l’Europe » est partie. Markus Reinisch (photo de gauche), vice-président de la politique publique en Europe chez Meta Plateforms, s’est inscrit en faux le 8 février en démentant cette rumeur : « La presse a rapporté que nous “menacions” de quitter l’Europe en raison de l’incertitude entourant les mécanismes de transfert de données entre l’UE et les États-Unis. Ce n’est pas vrai. (…) Nous ne voulons absolument pas nous retirer de l’Europe, bien sûr que non » (7). Après que son rival Google ait été épinglé par les « Cnil » autrichienne et française sur son Google Analytics, Facebook pourrait être le prochain à être mis en demeure sur son Facebook Connect qui est un outil similaire. « Des mesures correctrices à ce sujet pourraient être adoptées prochainement », a déjà prévenu le gendarme français de la protection des données personnelles.

Rassurer les utilisateurs en Europe
Alphabet et Google, dont le président des affaires publiques et juridiques au niveau mondial, Kent Walker (photo de droite), appelle à un nouveau cadre pour le transfert des données UE-US (8), tente de rassurer ses utilisateurs en Europe et de leur fournir des outils (9) pour identifier les données collectées et leur utilisation : « Nous allons ainsi ajouter des paramètres permettant aux clients de personnaliser davantage les données analytiques qu’ils recueillent. Nous comptons vous donner plus d’informations à ce sujet dans les semaines à venir » (10). A suivre. @

Charles de Laubier

Yahoo reçoit le «Laurier Numérique» du Club de l’audiovisuel pour sa production « La Face Katché »

Six mois après l’acquisition des activités médias de Verizon par le fonds d’investissement newyorkais Apollo pour 5 milliards de dollars, Yahoo – partie du lot cédé – tutoie le milliard de visiteurs dans le monde. Sa filiale française, elle, remporte le « Laurier Numérique » du Club de l’audiovisuel.

Aux 27es Lauriers de l’Audiovisuel, qui se sont tenus le 21 février au théâtre Marigny à Paris pour récompenser les meilleurs programmes radio, télévision et web (1), la filiale française de Yahoo a été distinguée par l’organisateur, le Club de l’audiovisuel (2). Sa série d’interviews consacrée à la diversité – « La Face Katché » (3) – et diffusée sur sa plateforme média, a remporté le « Laurier Numérique » face aux deux autres nommés issus des plateformes France.tv (« Carrément Craignos ») et Arte.tv (« Libres »).

Partis pris éditoriaux et sujets de société
« La Face Katché » est un programme produit et diffusé par Yahoo depuis novembre 2020. « Il s’agit d’une série d’interview intimistes [menées par le batteur et auteurcompositeur français Manu Katché, ndlr], qui ont souvent lieu chez la personnalité qui nous reçoit dans son salon. C’est une particularité assez rare. Chaque épisode, après montage, dure une dizaine de minutes. Nous réalisons un épisode par mois environ, chacun totalisant en moyenne 1 million de vues », explique à Edition Multimédi@ Alexandre Delpérier (photo de droite), directeur des contenus et de l’information de Yahoo France. Ont ainsi joué le jeu de ce format intimiste des personnalités issues de la diversité telles qu’Amel Bent, Yannick Noah (4), Joey Starr, Marie-Jo Perec, Patrick Bruel, Harry Roselmack ou encore Akhenaton. Nouvelle interview : celle de Gad Elmaleh, mise en ligne le 23 février. « Nous proposons aussi une expérience différente : un article contenant quatre ou cinq extraits de la vidéo longue, un podcast de la quasi-intégralité de l’entretien. Tout est produit en interne avec le budget global éditorial », préciset- il. Ce programme avait déjà reçu en 2021 le Prix Argent dans la catégorie « Meilleures initiatives éditoriales » (meilleur programme, émission online) par le « Grand Prix Stratégies de l’innovation médias » (5).
Alexandre Delpérier revendique pour ces productions originales le « parti pris éditorial » et des « contenus engagés et différenciants », en mettant l’accent sur des « sujets de société » (« Président(e) 2022 », « Carnet de Santé », « Convictions », « Joyeux Anniversaire », …). Ce « virage stratégique » négocié par Yahoo France en 2018 lui permet d’atteindre aujourd’hui des audiences en « progression soutenue ». Rien qu’en décembre 2021, dont Médiamétrie a publié les résultats le 27 janvier dernier, l’ensemble des médias de la marque Yahoo affiche un total de plus de 27,7 millions de visiteurs uniques sur ce mois. Au sein de cette fréquentation globale (sur ordinateur et/ou smartphone et/ou tablette), Yahoo Actualités (6) a franchi depuis l’automne dernier la barre des 10 millions de visiteurs uniques par mois. « Ces choix éditoriaux rencontrent un large succès. Nous sommes à la fois créateurs mais aussi agrégateur de contenus. Ainsi, sur Yahoo, vous retrouvez les contenus de BFM, d’Europe 1, de L’Equipe, de Paris Matchparmi plus de 40 marques média », indique Alexandre Delpérier, lui-même journaliste sportif, animateur de radio et de télévision. Chaque pays produit ses propres contenus, l’objectif étant de proposer des formats capables d’intéresser des cibles locales. Le nerf de la guerre est en effet de monétiser cette audience par de la publicité programmatique et vidéo. « La France est, à l’international, l’un des pays où Yahoo réalise ses meilleures audiences, hors Etats-Unis. Grâce à nos résultats, nous avons la chance de disposer d’une oreille attentive auprès des dirigeants d’Apollo (7), même si nous venons de quitter nos locaux du boulevard Haussmann [à Paris, pour aller au 18 boulevard Malesherbes, ndlr]. Nous disposons toujours d’un outil interne de production. Nos budgets sont identiques pour la production de contenus », nous confie Alexandre Delpérier.
Depuis le 27 septembre, Jim Lanzone – ancien patron de Tinder – est le nouveau directeur général du groupe californien Yahoo au niveau mondial (8). Il chapeaute non seulement Yahoo mais aussi AOL, TechCrunch, Engadget ou encore Autoblog, soit une audience de près de 900 millions de visiteurs (9). Le miliard n’est pas loin.

Nouvelle direction à Yahoo France
Avec ce Laurier Numérique, Yahoo renforce ainsi sa reconnaissance de la part du monde audiovisuel français (10). Cette consécration au sein du pays de « l’exception culturelle française » n’est pas anodine, surtout au moment où les géants du long-métrage vidéo (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …) se renforcent dans le financement du 7e Art français. Pour Claire Michel-Pfohl (photo de gauche), promue en janvier directrice générale de Yahoo France (après avoir été directrice des ventes médias et adtech en France et Allemagne), c’est comme un cadeau de bienvenue. @

Charles de Laubier

Yves Guillemot n’exclut pas de vendre (cher) Ubisoft

En fait. Le 17 février, le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot a indiqué que « s’il y avait une offre d’achat [sur son groupe], le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les parties prenantes ». Cinq ans après avoir mis en échec Vincent Bolloré (Vivendi) qui voulait s’en emparer, Ubisoft n’exclut pas d’être racheté.

En clair. Le français Ubisoft Entertainment, l’une des premières majors mondiales du jeu vidéo, n’est pas à vendre mais ne s’opposerait pas à être cédé au prix fort. C’est ce qu’a laissé entendre le PDG cofondateur du groupe, Yves Guillemot, lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier. « Nous avons toujours pris des décisions dans l’intérêt de nos parties prenantes, qui sont nos employés, nos joueurs et nos actionnaires. Ubisoft peut rester indépendant : nous avons le talent, l’échelle financière et un large portefeuille de propriétés intellectuelles originales. Cela dit, s’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », a-t-il dit. Peu après, le directeur financier du groupe, Frédérick Duguet, a tenu à préciser : « Nous ne spéculerons pas sur les raisons pour lesquelles les gens n’ont fait aucune offre ». Et Yves Guillemot d’ajouter aussitôt : « Ou si une offre a été faite ». La direction du groupe familial – fondé il y a plus de 35 ans par les frères Guillemot – se refuse donc à en dire plus sur l’intérêt potentiel d’un candidat, ou plusieurs, au rachat d’Ubisoft, mais elle n’en fait pas non plus un sujet tabou. D’autant que des rafales de consolidations soufflent depuis le début de l’année sur le marché mondial des éditeurs de jeux vidéo : Microsoft s’est emparé d’Activision Blizzard pour près de 70 milliards de dollars ; Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga pour 11 milliards de dollars ; Sony a racheté Bungie pour 3,6 milliards de dollars Ce n’est pas la première qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt (1) – a cherché à lancer une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Rayman », « Les Lapins Crétins » ou encore « Just Dance », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft (2).
Mais les frères Guillemot ont tenu tête à Vincent Bolloré – Breton comme eux (3). Si Vivendi a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 pour Ubisoft (4). Avec les perspectives alléchantes des métavers et des NFT dans le jeu vidéo (play-to-earn), des acheteurs potentiels tels que Netflix, Amazon, Tencent, Byte Dance (TikTok) ou encore Sony sont en embuscade pour faire des offres. A moins que Microsoft ne remette au pot. @