A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Le groupe Meta Platforms peut-il vraiment retirer Facebook et Instagram de l’Union européenne ?

Dans son rapport annuel, Meta n’exclut pas de supprimer d’Europe ses réseaux sociaux – Facebook, Instagram ou WhatsApp – s’il ne peut pas transférer les données personnelles européennes aux Etats-Unis. Retour sur cette menace qui soulève des questions économiques et juridiques.

Par Arnaud Touati, avocat associé, Hashtag Avocats

La société américaine Meta Platforms a-t-elle le droit et le pouvoir de retirer Facebook et Instagram du marché européen ? Techniquement, elle pourrait retirer Facebook et Instagram du marché européen, notamment des Vingt-sept Etats membres de l’UE. En effet, une société est libre de déterminer son marché et de proposer ou de retirer librement ses services sur le territoire d’un Etat. Cependant, économiquement parlant, le marché européen est considérable pour la firme de Mark Zuckerberg qui en est le PDG et fondateur.

Europe : 25 % des revenus de Meta
Le groupe a annoncé que l’Europe représentait, pour le dernier trimestre 2021, plus de 8,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit près du quart du total réalisé par Meta à l’échelle mondiale. De même, le revenu moyen par utilisateur sur Facebook en Europe (Messenger, Instagram et WhatsApp compris) se situe en moyenne à 19,68 dollars sur ce quatrième trimestre 2021, en deuxième position derrière la région « Etats-Unis & Canada » (1). Au total, l’Europe a généré 25% du chiffre d’affaires trimestriel.
De même, si la maison mère Meta Platforms décidait de mettre fin à ses services en Europe, il lui appartiendrait de résoudre la délicate question du sort des données des utilisateurs européens – au nombre de 427 millions à la fin de l’année dernière (2). En effet, Facebook, Messenger, Instagram ou encore WhatsApp ont obtenu de nombreuses données des utilisateurs. Cela impliquerait donc nécessairement de restituer aux utilisateurs toutes leurs données. Dans quelles conditions ? Comment ? La question est ouverte.
Au-delà des questions économiques que soulèverait pour Meta la mise à exécution de sa menace de retirer ses réseaux sociaux, cela poserait également des questions juridiques. Le règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté en 2016 par le Parlement européen (3) et en vigueur depuis mai 2018, prévoit l’encadrement des transferts des données à caractère personnel vers des pays tiers. Les dispositions du règlement doivent donc être appliquées, afin que le niveau de protection des personnes physiques garanti par ledit règlement ne soit pas compromis. Peut-il y avoir des passe-droits en matière de RGPD ? (4) Plutôt que de « passe-droit », parlons plutôt de « tempérament », c’est-à-dire de l’assouplissement de certaines dispositions réglementaires dans des hypothèses bien déterminées. Il conviendrait ainsi de dire qu’il n’existe pas a priori de tempérament en matière de RGPD, au vu de l’importance du respect de la protection des données et de l’obligation d’encadrement des transferts de données. Néanmoins, il convient de relativiser cet état de fait. En effet, en France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) prévoit une procédure de mise en demeure, dans l’hypothèse où un organisme ne respecterait pas les obligations relatives à l’encadrement des transferts de données. Elle précise qu’une « mise en demeure est une procédure qui intervient après une plainte ou un contrôle et ne constitue pas une sanction » (5). Dans pareille situation, deux issues sont possibles. Si l’organisme se conforme aux dispositions pendant le délai imparti, le transfert des données sera considéré comme légal et conforme. Dans le cas contraire, l’organisme peut se voir attribuer des sanctions, lesquelles sont, pour la majeure partie d’entre elles, pécuniaires. Cependant, cette sanction ne garantit pas le respect postérieur du RGPD, ce qui pourrait donc in fine valoir tempérament implicite, pour peu que ledit organisme ait des capacités financières significatives.
Par ailleurs, les transferts de données vers des pays tiers à l’Union européenne (UE) doivent respecter les principes du RGPD (6). Ainsi, la Commission européenne peut prévoir des décisions d’adéquation avec certains pays lorsqu’elle estime qu’ils assurent « un niveau de protection adéquat » (7). Les transferts de données vers ces pays-là ne nécessitent alors pas d’autorisation spécifique.

Dérogations pour cas particuliers
A l’inverse, lorsqu’un pays n’est pas reconnu comme garantissant une protection adéquate, l’article 46 du RGPD permet au responsable de traitement d’assurer lui-même que les transferts envisagés sont assortis de garanties appropriées, grâce à des clauses contractuelles types, des règles d’entreprise contraignantes, un code de conduite ou un mécanisme de certification. Dans les situations dans lesquelles un pays tiers n’est pas reconnu comme offrant un niveau de protection adéquat et en l’absence de garanties appropriées encadrant ce transfert, le transfert peut néanmoins, par exception, être opéré en vertu des dérogations listées à l’article 49 du RGPD. Tempérament du tempérament : ces dérogations – telles que le consentement explicite, l’exécution d’un contrat ou les motifs d’intérêt public – ne peuvent néanmoins être utilisées que dans des situations particulières et les responsables de traitement doivent, selon la Cnil, « s’efforcer de mettre en place des garanties appropriées et ne doivent recourir à ces exceptions qu’en l’absence de telles garanties » (8).

Marge de manœuvre des « Cnil »
A l’instar de son confrère irlandais, la Data Protection Commission (DPC), la Cnil pourrait-elle décider de modifier ses accords en matière de transfert des données vers les Etats-Unis ? Pour rappel, la DPC a refusé que les données des Européens soient collectées pour être stockées sur des serveurs américains, malgré la possibilité accordée par le RGPD, sous réserve des conditions (9). En effet, l’autorité de contrôle irlandaise considère que la loi américaine FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) est problématique, puisqu’elle autorise expressément la NSA (National Security Agency) à collecter les données de personnes étrangères si elles sont stockées sur des serveurs américains.
A l’origine, le RGPD pose des règles relatives aux autorités de contrôle tenant notamment à leurs indépendance, compétences, missions et pouvoirs (10). Ces autorités ont une large marge de manœuvre. En effet, en France par exemple, la loi « Informatique et Libertés » modifiée dispose que « la [Cnil] est une autorité administrative indépendante » (11), et le règlement européen permet, lui, de réduire la protection des personnes dans des cas particuliers afin de tenir compte des exigences nationales. Ce n’est donc pas parce que l’autorité irlandaise a pris cette décision que la Cnil doit nécessairement suivre la même analyse. Pour autant, dans une affaire concernant Google, la Cnil a conclu, prenant une inflexion similaire à son homologue irlandaise, que, à l’heure actuelle, les transferts de données vers les Etats-Unis ne sont pas suffisamment encadrés : dans une décision du 10 février 2022, elle a en effet mis en demeure un gestionnaire de site de mettre en conformité avec le RGPD ses traitements de données, en retirant Google Analytics si besoin (12). Pour rendre pareille décision, la Cnil se fonde sur l’arrêt « Schrems II » (13) de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ayant invalidé en 2020 le « Privacy Shield » (voir encadré ci-dessous).
Toutefois, même si les autorités de contrôle protègent les données personnelles en refusant le transfert des données sur les serveurs américains, une loi américaine datant de 2018 – le Cloud Act (14) – pose problème. En effet, le « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act » est une loi fédérale des Etats-Unis sur l’accès aux données personnelles, notamment opérées dans le nuage informatique. Elle permet aux instances judiciaires américaines d’émettre un mandat de perquisition contraignant les fournisseurs de cloud américains – même si les données sont stockées à l’étranger –, de fournir toutes les données d’un individu, sans qu’aucune autorisation ne soit demandée à la justice du pays dans lequel se situent l’individu ou les données.
Cette loi a été largement critiquée, étant entendu qu’elle se soustrait ainsi au contrôle des autorités réglementaires au sein du territoire de l’UE. Pour limiter, voire éviter une telle situation, la Commission européenne pourrait, à l’avenir, tenter de trouver un accord avec les Etats-Unis, et ainsi assurer la conformité avec le RGPD du transfert des données personnelles outre-Atlantique. En attendant, même si l’entreprise Meta a assuré le 8 février 2022, « n’avoir absolument aucune envie de se retirer de l’Europe, bien sûr que non » (15), la Commission européenne ne contournera pas l’arrêt « Schrems II » ayant annulé le « Privacy Shield », pas plus qu’elle ne l’avait fait pour l’arrêt « Schrems I » de 2015 annulant l’accord antérieur, le « Safe Harbour ». @

FOCUS

« Privacy Shield » : la CJUE peut-elle annuler… son annulation de 2020 ?
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pourrait-elle faire machine arrière et revenir sur sa décision d’annuler l’accord entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis sur la gestion des données personnelles des Européens par les entreprises américaines et certaines autorités américaines ? Cet accord dit « Privacy Shield » était une décision d’adéquation adoptée en 2016 et encadrant les transferts de données vers les Etats- Unis. Ce qui permettait aux entreprises de transférer les données personnelles de citoyens européens aux Etats-Unis sans garanties complémentaires. Il a été annulé par l’arrêt « Schrems II » (16) de la CJUE daté du 16 juillet 2020. La CJUE avait mis en avant le risque que les services de renseignement américains accèdent aux données personnelles transférées aux Etats-Unis, si les transferts n’étaient pas correctement encadrés.
Cet arrêt a donc impliqué le réexamen des transferts de données personnelles à destination des Etats-Unis et la nécessité d’apporter des garanties complémentaires.
La portée de cet arrêt a des conséquences sévères et démontre que, si les Etats-Unis ne respectent pas la protection des données, la CJUE n’acceptera pas d’accords sur ces mêmes termes. Dorénavant, il sera à nouveau possible de négocier un accord entre les Etats-Unis et l’UE si, et seulement si, les Etats-Unis acceptent de se soumettre aux dispositions du RGPD et de modifier leurs lois de surveillance des données risquées. Ce qui permettrait ainsi aux entreprises américaines d’évoluer sur le marché européen. Lors d’une conférence de presse le 23 février, à l’occasion de la présentation du Data Act (lire p. 6 et 7), la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, s’est prononcée à ce propos : « Il est hautement prioritaire de conclure un tel accord avec les Américains (…), afin de permettre au milieu des affaires de tirer le meilleur parti des données (…) mais (….) dans des conditions transparentes et sûres » (17). Ainsi, les Etats-Unis et l’UE devront-ils trouver un accord alliant protection des données personnelles des utilisateurs européens et impératifs sécuritaires invoqués par l’administration américaine. @

Le sud-coréen Naver s’impose comme le numéro un mondial du webtoon, en révolutionnant la BD

Le phénomène « webtoon » se propage bien au-delà de la Corée du Sud, où le groupe Naver est devenu la major mondiale dans ce domaine. Le Festival international de la bande dessinée à Angoulême n’y échappe pas, ni le prochain Salon du livre de Paris.

Le Festival international de la bande dessinée (FIBD), qui se tient du 17 au 20 mars à Angoulême, résiste encore avec des tonnes de papier à la dématérialisation de la BD. Or le début de la numérisation des bulles ne date pas d’hier, mais cette année la tendance s’accélère plus que jamais avec l’engouement pour le webtoon. « Cela nous vient de Corée. C’est une bande déroulante, par chapitres, à raison d’un par semaine, comme un feuilleton, qu’on peut lire en faisant défiler avec le pouce sur l’écran du téléphone portable », définit Marc-Antoine Boidin, vice-président du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) et représentant de son groupement BD (1).

« L’avenir de la BD se joue là » (Boidin)
« Il est possible que ce soit l’avenir de la bande dessinée qui se joue là. Les jeunes générations sont plus attirées par une lecture numérique que sur le papier », estime même Marc- Antoine Boidin, qui est auteur de bandes dessinées (2), diplômé de l’école de BD d’Angoulême. C’est justement dans la capitale de la Charente que la 49e édition du FIBD sera aussi impactée par ce phénomène des webtoons. Une table ronde d’éditeurs et d’auteur(e)s de webtoons est organisé le 17 mars par le Snac-BD lors du festival d’Angoulême, où sera présente Emilie Coudrat, directrice marketing de Naver France, filiale française du groupe sud-coréen Naver, présidé et dirigé par Seong-sook Han (photo). Ce géant du numérique et de l’Internet, basé à Seongnam au sud de Séoul, déploie depuis 2004 sa filiale Naver Webtoon devenue le numéro un mondial dans cette catégorie de bandes dessinées numériques adaptées aux smartphones. Le webtoon se lit en faisant défiler verticalement avec son doigt les cases illustrées, procédé éditorial que les manwhas coréens et les mangas japonais ont rapidement adopté.
En France, les mangas sont déjà largement en tête des ventes de BD imprimées. Les webtoons, eux, caracolent en ligne. « Un événement est prévu le 18 mars à Angoulême autour des créateurs », indique Emilie Coudrat à Edition Multimédi@. Pour faire face à la forte demande, l’idée est d’aller à la rencontre d’auteurs pour leur présenter la plateforme Webtoons.com, éditée par la filiale Webtoon Entertainment (3), et leur expliquer « comment devenir créateur de webtoon ». La rencontre, prévue au sein du Marché international des droits (Mid) organisé au sein du FIBD pour les professionnels du 9e Art, devrait se terminer par un speed dating des candidats avec des éditeurs dans ce domaine. Car si les premiers épisodes des webtoons sont le plus souvent gratuits, les suivants sont payants ou sur abonnement. Ces feuilletons – des « scrolltons » devrait-on dire (4) – peuvent être des freemiums très rentables. Rien qu’en Corée du Sud, le marché des webtoons pèse presque autant à lui seul (750 millions d’euros, selon Kocca) que tout le marché français de la BD (890 millions d’euros, selon GfK). « En France, les éditeurs qui diffusent sur (la plateforme) Webtoon proposent aux auteurs des contrats numériques, et si la bande dessinée marche bien, elle peut être imprimée », a indiqué Marc-Antoine Boidin aux membres du Snac. Pour autant, relève-t-il, « les contrats proposés aux auteurs de webtoons semblent quelque peu être en roue libre. Ils sont souvent soumis à une clause de confidentialité, ce qui ne facilite pas le rôle de notre syndicat face à cette nouvelle pratique, qu’il faut cadrer d’urgence afin qu’elle puisse être favorable aux auteurs ».
Car la production de webtoons se fait presque à marche forcée : le rythme, pour les dessinateurs, est soutenu et cela peut aller jusqu’à 80 cases à fournir à l’éditeur en une semaine – souvent la périodicité pour les séries. Celles-ci peuvent compter de quarante à quatre-vingts épisodes. Si des initiatives françaises de plateformes de webtoons ont été lancées – comme Verytoon.com du groupe indépendant Delcourt (deuxième plus grand éditeur de BD francophones après Média-Participations, dont la plateforme Izneo.com diffuse aussi des webtoons), Webtoonfactory.com des éditions Dupuis, Delitoon.com ou encore Toomics.com –, le sudcoréen Naver domine ce marché en pleine (5) effervescence.

Introduire Naver Webtoon au Nasdaq ?
« En janvier 2021, nous avons finalisé l’acquisition de Wattpad, la plus grande plateforme de webfiction au monde [d’origine américaine, ndlr], dans le but de devenir la plus grande plateforme mondiale de narration basée sur les synergies entre Naver Webtoon et Wattpad », s’était félicitée l’an dernier Seong-sook Han. En janvier 2022, le groupe Naver revendique un cumul d’audience mondial record sur ses webtoons de 82 millions de lecteurs actifs par mois, avec un volume de transactions mensuel d’environ 75 millions d’euros (6). Wattpad lui apporte 90 millions d’utilisateurs par mois supplémentaires. Le sud-coréen a le projet depuis un an d’introduire Naver Webtoon au Nasdaq à New-York. @

Charles de Laubier

Des organisations et lobbies du numérique et des télécoms prennent position contre la guerre en Ukraine, d’autres non

De organisations professionnelles et lobbies du numérique, des réseaux et de la tech ont pris position contre la guerre en Ukraine. Leurs membres – que ce soit les GAFAM, les opérateurs télécoms ou les autres entreprises de services numériques – condamnent la Russie, soutiennent les Ukrainiens, voire prennent des sanctions.

« En cette période dramatique, Numeum tient à affirmer au nom de l’ensemble des entreprises qui le compose, sa pleine et entière solidarité avec le peuple ukrainien, ainsi que son total soutien aux pouvoirs publics français et européens qui gèrent cette crise difficile », a déclaré le 2 mars le syndicat professionnel de l’écosystème numérique en France, né en juin 2021 de la fusion de Syntec Numérique et de Tech in France. Numeum, qui compte 2.255 adhérents, le plus souvent des entreprises de services numérique (ESN), a en outre fait savoir qu’il avait saisi le gouvernement français d’« une demande officielle visant à faciliter l’octroi de permis temporaire de résidence et de travail à tout réfugié ukrainien opérant dans les technologies qui en fera la demande et avec l’accord des autorités ukrainiennes » (1).

Numeum, GSMA, Etno, DigitalEurope, CCIA…
En revanche, pas un mot sur la guerre en Ukraine dans d’autres organisations professionnelles du numérique en France telles que France Digitale ou l’Afnum, ni même la FFTélécoms, fédération française des télécoms. Mais cela n’empêche pas les quatre principaux opérateurs télécoms français de prendre depuis le 25 février des initiatives – tarifaires – en rapport avec l’Ukraine : Orange et SFR ont rendu les appels vers l’Ukraine gratuits ; Bouygues Telecom et Free ont baissé leurs tarifs en direction de ce pays en guerre contre l’invasion de la Russie. « Orange se mobilise pour permettre à ses clients grand public de rester en contact avec leurs proches en Ukraine », a indiqué sur son site web le premier opérateur télécoms français : gratuité durant deux semaines des appels internationaux, SMS et MMS émis depuis les mobiles Orange et Sosh en France Métropolitaine vers les numéros fixes et mobiles ukrainiens.
Lors de la grand-messe internationale de l’écosystème mobile, le Mobile World Congress (MWC), qui s’est tenue à Barcelone du 28 février au 3 mars derniers, la GSMA – qui l’organise – a « condamn[é] fermement l’invasion russe de l’Ukraine », tout en précisant qu’« il n’y [a] pas [eu] de pavillon russe » lors de cette édition 2022 (2). Représentant plus de 750 opérateurs mobiles dans le monde et 400 entreprises, la GSMA est basée à Londres et de son bras armé commercial à Atlanta aux Etats-Unis (3). En Europe, une autre association d’opérateurs télécoms – l’Etno dont sont membres les opérateurs de réseaux historiques tels que Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, ou encore Altice Portugal – a elle aussi pris position : « Alors que le peuple ukrainien endure ses plus dures épreuves, les entreprises européennes de télécommunications déploient des mesures pour faciliter les communications et soutenir les personnes en détresse », a déclaré le 28 février cette organisation basée à Bruxelles (4). L’Etno a ainsi listé une batterie de mesures – variant d’un opérateur à l’autre : des appels internationaux gratuits vers l’Ukraine aux connexions Wifi gratuites dans les camps de réfugiés, en passant par l’inclusion des chaînes de télévision ukrainiennes dans les forfaits IPTV sans frais supplémentaires (5). Toujours au niveau européen, le lobby DigitalEurope (ex- Eicta), qui est également installée à Bruxelles et qui représente les GAFAM (6) ainsi que Samsung, Huawei, Sony, Nvidia ou encore Dropbox, y est allé aussi de son statement : « Nous appuyons sans réserve les mesures prises par l’Union européenne (UE). Mais les sanctions ne sont pas suffisantes. L’Ukraine a besoin d’un soutien immédiat en matière de cybersécurité », a-t-il lancé le 24 février. Et de déclarer : « Nous, qui représentons 36.000 entreprises de la numérisation en Europe, exprimons notre pleine solidarité avec le peuple ukrainien face à l’agression russe actuelle. (…). Avec l’Otan [Organisation du traité de l’Atlantique Nord, à caractère politico-militaire, dont sont membres 30 pays (7), ndlr], les dirigeants de l’UE peuvent soutenir l’Ukraine en fournissant un soutien immédiat en matière de cybersécurité ». DigitalEurope appelle en outre les dirigeants – des pays de l’UE voire de l’Otan – à « accélérer le traitement de toutes les demandes de visa pour ceux qui fuient l’Ukraine – ils méritent tous notre soutien » (8). En revanche, un autre lobby des GAFAM (entre autres), appelé Dot Europe (ex-Edima) et agissant également à Bruxelles, ne dit mot. Aux Etats-Unis, cette fois, la Computer & Communications Industry Association (CCIA), dont sont membres les GAFA aux côtés de Twitter, Pinterest, Yahoo, Rakuten, eBay, Uber, Samsung, Intel et d’autres : «La CCIA condamne l’invasion, non provoquée, par le gouvernement russe de la nation souveraine de l’Ukraine, et se joint aux dirigeants du monde entier pour exiger que la Russie cesse immédiatement son agression ».

Des Big Tech suspendent des produits et services
En représailles, les entreprises membres de ce puissant lobby qu’est la CCIA, créée il y a un demi-siècle cette année (bien avant Internet) et basée à Washington, « ont suspendu de nombreux produits et services conformément aux sanctions financières de l’administration [Biden] visant à mettre fin à cette guerre insensée ». Et de fustiger l’attitude du Kremlin en visant sans le nommer Vladimir Poutine (photo) : « La CCIA condamne la censure continue des services de communications numériques par le gouvernement russe dans le but de dissimuler sa barbarie à son propre peuple […], marque d’un autoritarisme » (9). @

Charles de Laubier

France : Google et Facebook, sauveurs de quotidiens

En fait. Le 3 mars, l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) et Google France ont annoncé dans un communiqué commun « un nouvel accord pour la rémunération des droits voisins » – présenté comme « une étape historique » par les deux parties, mais sans qu’aucun chiffre ne soit rendu public.

En clair. Seul le quotidien économique Les Echos – dont le directeur de la publication est Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien (LVMH) et président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), justement signataire du nouvel accord « droits voisins » avec Google France – laisse entendre que les montants de la rémunération obtenue « pourraient avoir doublé » (1) par rapport au premier accordcadre du 12 février 2011. A l’époque, l’agence Reuters avait révélé que le montant initial portait sur un total de 62,7 millions d’euros que le géant du Net s’était engagé à verser à 121 journaux français membres de l’Apig et cosignataires de ce premier accord-cadre, dont 86,8 % étalés sur trois ans et le solde pour «mettre fin à tout litige » sur cette période (2).
Est-ce à dire que pour cette nouvelle mouture, l’enveloppe est portée à 125 millions d’euros ? Nul ne le sait tant le secret des affaires est bien gardé entre Google et l’Apig, laquelle regroupe à ce jour 289 titres de presse quotidienne nationale, régionale et locale. Entre ces deux signatures, outre le fait que deux syndicats d’éditeurs – le Spiil (presse en ligne) et la FNPS (presse spécialisée) – s’étaient insurgés l’an dernier contre un accord « opaques, inéquitables et nuisibles », créant une « dangereuse distorsion de concurrence » et « act[ant] de facto la position illégale de Google » (3), l’Autorité de la concurrence avait remis en cause ce premier accord-cadre par une décision datée du 12 juillet 2021. En cause notamment : le programme de licence «News Showcase » de Google (accès à un contenu éditorial enrichi ou qualifié de premium) qui forçait quelque peu la main des éditeurs à y adhérer. Désormais, Le géant du moteur de recherche et de Google News doit maintenant « négocie[r] des accords individuels de licence et les conditions de leur rémunération avec les membres de l’Alliance, sur la base de critères transparents et non discriminatoires » (4).
De son côté, Facebook a signé avec la même Apig un accordcadre « droits voisins » daté du 21 octobre 2021. Là aussi, les montants de rémunérations sont gardés secrets (5). Selon cet accord, le réseau social du groupe Meta est tenu, d’une part, de négocier des licences avec les éditeurs membres pour les rémunérer, et, d’autre part, de leur laisser le choix d’aller sur l’espace « Facebook News » lancé finalement mi-février (au lieu de janvier) avec une centaines de journaux. @

Raison fiscale ou digitale : fin de la redevance ?

En fait. Le 7 mars, lors d’un déplacement à Poissy (Yvelines) pour son premier meeting de président-candidat, Emmanuel Macron a lancé lors d’un échange avec des Pisciacais : « On va supprimer des impôts qui restent ; la redevance télé en fait partie ». Trois de ses rivaux la supprimeraient aussi. Dès 2023. Démagogique ?

En clair. La droite et l’extrême droite promettent la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, alias la redevance, tandis que la gauche et l’extrême gauche sont contre sa disparition. Preuve encore que le clivage gauche-droite resurgit dans cette campagne présidentielle 2022.
Les réactions du monde de la production audiovisuelle et cinématographique, qui dépendent de la manne des chaînes publiques, ont fusé : « Le candidat-président assume un choix hypocrite et dangereux. Hypocrite car les ressources (…) devront être prélevées sur les ressources de l’État, financées par les impôts des Français. Dangereux car ce choix aboutira à la fragilisation de l’audiovisuel public et à la remise en cause de son indépendance en soumettant son financement aux aléas et au bon vouloir des décisions gouvernementales », a vertement critiqué la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), fustigeant « la démagogie en marche » et « un cynisme insupportable ». Le BBA (Bloc, Blic, Arp), lui, parle d’« une grande inconséquence » aux « conséquences dramatiques ». Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) a fait part de son côté de « sa stupéfaction et son incrédulité ». Quant à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), elle évoque « le bug Macron » où le candidat « ignore » que le président a confié en octobre 2021 une mission à l’IGF (1) et à l’Igac (2) sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel », dont le rapport lui sera remis au printemps. Au gouvernement, Bercy et Culture sont en désaccord sur le plan B. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (ex-CSA) a suggéré le 8 mars sur France Inter : « Pourquoi ne pas envisager (…) que le régulateur donne chaque année un avis sur les dotations qui sont attribuées au service public ? ».
Au-delà de sa remise en cause par quatre candidats (Le Pen, Zemmour, Pécresse et Macron), la redevance audiovisuelle faisait débat depuis dix ans. La Suisse a été le premier pays a décider en mai 2013 de ne plus la faire payer aux seuls détenteurs de téléviseur, mais par tous les foyers dotés d’écrans numériques – en réduisant la taxe au passage (3). En France, la règle obsolète du poste de télévision perdure malgré la révolution numérique. Cette taxe annuelle, stabilisée à 138 euros depuis 2020, a rapporté l’an dernier 3,7 milliards d’euros – dont 65% affectés à France Télévision et 16 % à Radio France (4). @