A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

La liberté de la presse l’emporte sur la contestée procédure non contradictoire, grâce à Mediapart

Avec le procès « Perdriau contre Mediapart », qui a donné lieu à une ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 30 novembre 2022, c’est la liberté de la presse qui est consacrée. Ce revirement du juge est salutaire, mais le risque de « censure judiciaire » reste. Faut-il légiférer ?

Par Julie Jacob, avocate associée, cabinet Jacob Avocats

Alors que la vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris avait ordonné, dans son ordonnance du 18 novembre 2022, la censure d’une enquête du site de presse en ligne Mediapart révélant de nouvelles informations sur les pratiques politiques du maire de Saint-Etienne, le tribunal judiciaire de Paris – via la même vice-présidente – a prononcé une ordonnance de rétractation le 30 novembre 2022 (1). Ce qui a permis ainsi la publication de l’enquête sur la gestion de la mairie de Saint-Etienne.

Mise en péril de la liberté de la presse
Par cette même ordonnance, le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, a été condamné à verser la somme de 9.000 euros à la Société éditrice de Mediapart sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La première décision datée du 18 novembre 2022, qui avait fait interdiction à Mediapart de publier une enquête sous astreinte financière de 10.000 euros par jour, résultait d’une procédure non contradictoire, telle que prévue par l’article 493 du code de procédure civile, visant les cas de risque de déperdition de la preuve et d’atteinte à la vie privée. Cet article entré en vigueur en 1976 dit ceci : « L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » (2). Le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, avait dénoncé lundi une « censure préalable » et une « attaque sans précédent contre la liberté de la presse » car « Mediapart n’était pas informé de cette procédure et l’ordonnance a été prise par un juge sans que notre journal n’ait pu défendre son travail et ses droits » (3). Dans son ordonnance autorisant une telle procédure non contradictoire, le tribunal avait considéré qu’il n’était pas possible de respecter le principe du contradictoire compte tenu tant de « l’urgence » de la situation, que du caractère « irrémédiable » du préjudice. Il faut s’interroger si une procédure de référé d’heure à heure n’aurait pas tout de même permis de plaider cette affaire, avec le respect du contradictoire et donc avec la présence de toutes les parties. L’ordonnance avait été rendue en urgence, à la demande du maire de Saint- Etienne qui avait sollicité « l’interdiction précise de publier un enregistrement clandestin et son verbatim au titre du respect dû à sa vie privée », sans que Mediapart n’ait pu se défendre, autorisant dès lors une procédure non contradictoire. Manifestement, la vice-présidente, devant qui la requête a été déposée, a été trompée par le demandeur, pour la raison spécifique que Gaël Perdriau avait déjà connaissance des enregistrement litigieux depuis plusieurs mois et ne pouvait réellement « se prévaloir, pour justifier de déroger au principe du contradictoire, du caractère imminent de l’atteinte alléguée ». C’est la raison pour laquelle le tribunal a finalement rétracté son ordonnance du 18 novembre 2022 (laquelle n’a d’ailleurs pas été publiée), considérant que la voie du référé respectant le principe du contradictoire était à privilégier. Il est clair que le recours à la requête ne doit pas servir à contrôler la presse ni à créer un précédent pour les cas futurs.
Dans sa requête aux fins de mesures conservatoires, Gaël Perdriau avait indiqué au tribunal que la procédure de référé, même d’heure à heure, était inadaptée, car Mediapart aurait publié tout ou partie de l’enregistrement de la décision dans l’attente de la décision statuant sur la demande de suppression. Il a ainsi indiqué au juge que les préjudices auraient été « irrémédiables ». Il s’avère qu’en réalité, Gaël Perdriau n’a pas communiqué à la vice-présidente, l’ensemble des informations sur l’antériorité de la connaissance de l’existence de l’enregistrement litigieux et d’une première publication d’extraits dans Mediapart.

Pas de « censure préventive » ni « définitive »
La société du site de presse en ligne a contre-attaqué et saisi en référé le tribunal de Paris afin d’obtenir l’annulation « purement et simplement » de cette première décision de justice en demandant au tribunal d’« ordonner que la décision à intervenir soit exécutoire à compter de son prononcé compte tenu de l’extrême urgence de la situation ». Mediapart, qui avait respecté l’injonction faite par l’ordonnance rendue le 18 novembre 2022, a finalement obtenu gain de cause avec la rétractation de ladite ordonnance. Le tribunal a ainsi fait droit à la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête permettant, ainsi, à Mediapart de publier son enquête. Dans l’ordonnance du 30 novembre 2022, on peut notamment lire : « [L]a particulière gravité de l’ingérence faite à la liberté d’expression au titre du respect dû aux droits d’autrui tels le respect de la vie privée impose que la mesure sollicitée conserve une finalité provisoire et conservatoire. Par ailleurs, le recours à la requête entraînant un traitement judiciaire exorbitant, dérogeant à un débat contradictoire immédiat, ne doit pas être dévoyé de son objet et servir à instituer un contrôle a priori de toute publication, aboutissant dans ce cas à une censure préventive, ni encore servir à des fins principales d’interdiction définitive ».

Interventions : SNJ, RSF, AAPDP, APJ,…
Mais si l’on pourrait saluer un retour à la normal au regard de la liberté de la presse, le motif invoqué pour permettre au tribunal de revenir sur sa décision est toutefois contestable puisque le principe du recours à une procédure non contradictoire est en tout état de cause extrêmement limité. Il convient de mettre en avant un risque de perte de preuve ou d’atteinte grave à la vie privée, ce qui n’était aucunement le cas en l’espèce. Mediapart avait en effet pour projet de publier des enregistrements, ainsi qu’une enquête sur la vie politique du maire de Saint Etienne. Aucune atteinte à une liberté fondamentale n’était caractérisée pour se priver d’un débat contradictoire.
Au cours de l’audience du 25 novembre était intervenu volontairement le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris « afin de s’assurer du bon déroulement du débat contradictoire au cours de la présente audience ».
Et à cette même audience, le Syndicat national des journalistes (SNJ), le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes ont chacun déposé leurs conclusions d’intervention volontaire, reprises oralement à l’audience. La Ligue des droits de l’homme s’est elle aussi fait entendre notamment sur les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Quant à l’association Reporters sans frontières (RSF), elle a soutenu ses conclusions d’intervention volontaire, là aussi sur la CEDH (4). Deux autres conclusions d’intervention volontaire sont venues de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse (AAPDP), notamment sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et de l’Association confraternelle de la presse judiciaire (APJ). Entre les deux ordonnances, une proposition de loi a été présentée le 21 novembre 2022 par la sénatrice Nathalie Goulet. Elle vise à modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 et à préciser qu’une publication ne pourrait être interdite que par une décision rendue contradictoirement. Elle ne comporte qu’un article unique : « L’article 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par une phrase ainsi rédigée : “Une publication ne peut être interdite qu’en application d’une décision judiciaire rendue contradictoirement.” ». Dans l’exposé de ses motifs, la sénatrice centriste – avocate de profession et rejointe par vingt-quatre autres sénateurs – explique : « Un magistrat parisien, dans une affaire de presse vient de rendre une ordonnance sur requête. Cette procédure assez classique vient d’être utilisée de façon totalement inédite en matière de presse. Son contenu vise à interdire a priori une publication et ce sans contradictoire, ce qui est la marque d’une ordonnance sur requête dont la durée de vie est limitée mais qui fait grief. Par ce moyen légal, mais encore une fois inédit, il est porté une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et aux principes acquis en la matière depuis la loi du 29 juillet 1881. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à exclure l’utilisation de toute procédure non contradictoire, lorsque son objet concerne la liberté de la presse ».
Cependant, il nous semble que cette proposition de loi « Faire respecter la règle du contradictoire en matière de droit de la presse » (5) ne semble pas adaptée. Il est des cas où, en effet, l’appel à une requête non contradictoire pourrait s’avérer nécessaire. Ce pourrait être par exemple lorsque l’atteinte à la vie privée serait désastreuse et irrémédiablement compromise.
Cette rétractation d’ordonnance du 30 novembre 2022 nous rappelle en tout cas qu’il faut rester extrêmement vigilant aux éventuelles atteintes à la liberté de la presse. Les réactions ont été nombreuses, tant dans le monde politique que dans la presse. Les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ont applaudi ensemble le 1er décembre « une victoire pour la liberté d’informer » (6).

Des éditeurs de presse inquiets
Côté éditeurs de journaux, l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) s’est félicitée que « le tribunal [soit] heureusement revenu sur [sa] décision » mais s’inquiète que « les restrictions à la liberté de la presse se multiplient » (7). Quant au Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), dont est membre cofondateur Mediapart, il avait pointé le fait que cette « censure préalable d’un article de Mediapart [faisait] écho à la récente décision (8) rendue par le tribunal de commerce de Nanterre contre le média Reflets.info [lui interdisant] de publier de nouveaux articles sur le groupe Altice en raison d’un risque de “dommage imminent” » (9). @

La BEI, la CDC et le groupe Axel Springer soutiennent toujours le moteur de recherche Qwant

La Banque européenne d’investissement (BEI) lui a accordé « un rééchelonnement raisonnable » de sa dette. La Caisse des Dépôts (CDC) et le groupe allemand Axel Springer sont toujours ses plus importants actionnaires. Ayant échappé à la banqueroute, Qwant pourra fêter ses dix ans en 2023.

« Face à la domination sans réel partage de Google, la concurrence européenne s’organise. C’est le cas de Qwant, moteur de recherche franco-allemand qui tente de percer en assurant à ses utilisateurs un respect total de leur vie privée et des contenus non violents pour les plus jeunes », peut-on encore lire sur le site web (1) de la Banque européenne d’investissement (BEI), le plus gros créancier de Qwant. Il y a sept ans, la start-up française bénéficiait d’un prêt de la BEI de 25 millions d’euros.

Sa situation financière reste fragile
L’annonce de ce prêt européen avait été faite en grande pompe lors de la grande conférence numérique franco-allemande qui avait eu lieu le 28 octobre 2015 à l’Elysée, en présence d’un certain Emmanuel Macron (2), alors ministre français de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. L’eau a depuis coulé dans le Rhin et la société franco-allemande – vedette de la French Tech promue par celui qui est devenu en 2017 président de la République – a dû faire face cette année à deux échéances de remboursements de la BEI. Mais au lieu de devoir régler 5 millions d’euros en janvier et 10 millions d’euros en juin, l’entreprise a obtenu de la banque au Luxembourg « un rééchelonnement raisonnable de la dette », indique Raphaël Auphan (photo), directeur général de Qwant, à Edition Multimédi@.
Les nouvelles échéances sont confidentielles. Il nous précise que sur les 25 millions d’euros initialement annoncés en 2015, ce sont finalement 20 millions d’euros qui ont été tirés par l’entreprise auprès de la BEI. Qwant s’était endetté non seulement auprès de la BEI mais aussi en janvier 2017 auprès de la Caisse des dépôts (CDC) à hauteur de 15 millions d’euros. A cela s’ajoutaient 5 millions d’euros levés auprès du groupe de médias allemand Axel Springer, son actionnaire historique (3). Qwant doit en outre 3millions d’euros à l’Etat au titre du prêt garanti par celui-ci (PEG) accordé durant la crise sanitaire. « La dette de Qwant n’a pas diminué en 2021 », nous indique Raphaël Auphan, par rapport aux 39,3 millions d’euros d’endettement de 2020. Quant au prêt de 8 millions d’euros consenti en mai 2021 par le chinois Huawei sous forme d’obligations convertibles, « il s’agit d’une dette qui sera bientôt remboursée ». Et l’accord de « l’utilisation du moteur de recherche sur les smartphones Huawei arrive aussi à échéance ». L’an dernier, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros (4), pour une perte nette de 9,2 millions d’euros. Alors qu’en 2020 le déficit était de 12,8 millions pour un chiffre d’affaires de 7,5 millions d’euros (5). La situation financière reste fragile, mais Qwant peut compter sur le soutien de ses deux principaux actionnaires – Axel Springer et la CDC – qui ont réinjecté en 2020 de l’argent frais. Le premier était entré à hauteur de 18,4 % du capital de Qwant en 2014, via son fonds Axel Springer Digital Ventures, mais sa participation est moindre depuis l’entrée de la CDC.
Après l’ère de son PDG fondateur Eric Léandri (6), lequel a été contraint en janvier 2020 de passer les rênes de l’entreprise mal en point, Qwant a pris un nouveau départ début juillet 2021 avec une nouvelle direction : le tandem actuel composé de Corinne Lejbowicz, présidente, et Raphaël Auphan. « Nous sommes une tech de croissance et nous avons un plan de développement qui demandera de nouveaux moyens financiers », explique le directeur général. Qwant ne cesse d’innover. Il indique par exemple qu’« une offre spécifique de moteur de recherche, toujours gratuit, respectueux de la vie privée et sécurisé, sera proposée en 2023 aux entreprises ». Son offre « privacy » va s’étoffer. En plus de Qwant Search (moteur principal), Qwant Junior (dédié aux 6-12 ans), Qwant Maps (service de cartographie « sans laisser de traces »), Qwant VIPrivacy (extension de navigation anti-tracking publicitaire) et bientôt de Qwant pour les entreprises, d’autres produits sont en projet, dont un éventuel VPN (réseau privé virtuel). Depuis juin, le moteur de recherche permet de traduire ses textes dans 28 langues grâce à un partenariat avec la société allemande DeepL.

Développer son propre « master index »
Pour autant, Qwant reste encore dépendant de l’index Bing de Microsoft et de sa régie publicitaire Bing Ads. « Nous poursuivons le développement de notre propre master index, actuellement de 10 milliards de documents. Et sur certains segments comme l’actualité en France nous répondons à 100 % des requêtes », nous assure Raphaël Auphan. Le zéro-tracking séduit à ce jour 6 millions d’utilisateurs par mois, bien loin des 37,9 millions d’utilisateurs par mois pour le moteur de recherche Google en France. Peu importe puisque Qwant ne prétend plus devenir son « grand » rival en Europe, mais seulement une alternative « respectueuse de la vie privée ». Cela ne l’empêche pas de se réjouir lorsque la filiale d’Alphabet est mise à l’amende comme le 14 septembre (7). @

Charles de Laubier

L’industrie de la musique a du mal à s’attaquer au fléau des « fake streams » : l’opacité domine

Cela fait des années que la fraude au streaming musical est détectée sans que ce fléau des « fake streams » ne soit stoppé. Et ce, au détriment de la rémunération des artistes relégués dans le classement. Cela pourrait représenter jusqu’à 30 % de l’audience des musiques écoutées en ligne.

En 2021, le total du chiffre d’affaires généré par le streaming musical dans le monde atteignait 16,9 milliards de dollars. C’est devenu la principale source de revenus de l’industrie de la musique enregistrée, soit plus de 65 % du total (numérique, physique, droits voisins et synchronisation confondus), d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), dirigée par Frances Moore (photo). Mais, selon différentes sources, de 5% à 30 % en volume de la musique en streaming relèveraient de fausses écoutes – les « fake streams ».

845 millions de dollars captés illégalement ?
Impossible à ce stade de savoir ce que cela représente en valeur en raison de l’opacité des plateformes de streaming musical (Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Music, …). Si les fake streams devaient représenter ne serait-ce que 5 % du chiffre d’affaires du streaming musical dans le monde, cela correspondrait à… 845 millions de dollars de captés illégalement au détriment d’autres artistes relégués mécaniquement dans le volume de streams. Pire : en appliquant 10 % en valeur, l’addition de la fraude aux clics dépasserait largement les 1,5 milliard de dollars !
Cette extrapolation faite par Edition Multimédi@ est bien sûr invérifiable, mais elle n’est pas invraisemblable tant les fake streams ont pris de l’ampleur aux dires de la filière musicale. En juillet 2019, dans le magazine américain Rolling Stone, un label affirmait que « 3 % à 4% des flux mondiaux sont des flux illégitimes, représentant environ 300 millions de dollars de recettes potentielles perdues qui sont passées de sources légitimes à des sources illégitimes et illégales » (1). Depuis, les « fermes à clics » et la « manipulation de streams » ont proliféré pour augmenter l’audience de titres : logiciels robotisés (bot, botnet) ou personnes physiques rémunérée pour générer du clic. Au niveau mondial, le taux de 30 % a même été avancé par la filière musicale, notamment cité par le journaliste Sophian Fanen, cofondateur de Les Jours et auteur de l’enquête au long cours sur « La fête du fake stream» (2). Il nous précise cependant : « Il ne s’agit que d’une estimation, et [ce taux de 30 %] ne concerne que la nouveauté. Les faux streams ne fabriquent pas de l’argent ; ils font grossir artificiellement la masse globale de streams à partir de laquelle les plateformes rémunèrent la filière à partir de leurs revenus mensuels (qui varient) ». En France, où l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) est montée au créneau le 6 décembre pour appeler « à un sursaut du secteur et des pouvoirs publics face à ce phénomène désastreux à l’ampleur grandissante », le taux de fake streams se situerait entre 5% et 10 % des écoutes quotidiennes, d’après ElectronLibre. L’UPFI a adressé une lettre à sa centaine de membres et labels indépendants (Believe, Harmonia Mundi, PlayTwo, Wagram Music, …) pour « condamne[r] fermement et sans équivoque le principe de manipulation des écoutes, rappelant qu’elle relève d’une tricherie (…), un artiste ayant acheté des streams capte une rémunération qui lèse l’ensemble des artistes » (3). Elle estime en outre que l’Arcom (4) serait « légitime » pour réguler le streaming et « recueillir les plaintes contre les acteurs fournissant des prestations d’achat de streams ».
Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général de l’UPFI, Guilhem Cottet, rappelle qu’en mai 2021 un amendement avait été déposé dans ce sens au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi « Régulation et protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique », celle-là même qui a fondé l’Arcom. Bien qu’il ait été retiré, cet amendement (5) soutenu par la filière musicale proposait que l’Arcom puisse avoir des pouvoirs d’enquête et de « lutte contre la manipulation de diffusions en flux ». Ses agents habilités et assermentés pourraient « constater les faits susceptibles de constituer une infraction ». « En parallèle, rappelle aussi Guilhem Cottet, les organisations de producteurs avaient adressé un courrier à Roselyne Bachelot (6) pour la sensibiliser sur ce dossier : à la suite de cela, elle avait missionné une étude du Centre national de la musique (CNM), qui devrait être publiée début 2023 ». Au lieu de juin 2022…

Spotify dit lutter contre les manipulations
Le CNM bute sur la non-divulgation des données d’écoutes par les plateformes de streaming. C’est le cas du numéro un mondial de la musique en ligne Spotify qui affirme pourtant auprès de ses actionnaires et investisseurs – le groupe de Stockholm est coté à la Bourse de New York (Nyse) – prendre très au sérieux les fake streams : « L’échec à gérer et corriger efficacement [par des algorithmes et manuellement] les tentatives de manipulation des flux pourrait avoir une incidence négative sur nos activités, nos résultats d’exploitation et notre situation financière », prévient-il dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier

Liza Bellulo (FFTélécoms) veut faire payer les GAFA

En fait. Le 12 décembre, la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) a publié son étude annuelle réalisée par le cabinet Arthur D. Little pour faire passer le même message : les opérateurs, lourdement fiscalisés, investissent des milliards dans leurs réseaux que les GAFA utilisent sans payer.

En clair. Pour Liza Bellulo, secrétaire générale de Bouygues Telecom depuis janvier 2021 et présidente de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) depuis mai 2022, les rapports entre les opérateurs de réseau et les GAFA se placent sous le chiffre « 30 » : « Nous, les opérateurs télécoms au niveau européen, nous avons une capitalisation boursière totale 30 fois inférieure à celle des GAFA, lesquels paient 30 fois moins d’impôts et ils font croître nos réseaux de 30% chaque année avec des coûts qui sont induits : il faut mettre plus d’antennes, plus de liens de collecte et plus de liens de transport », a-t-elle expliqué le 13 décembre sur BFM Business. Cette énarque de 45 ans (depuis le 16 décembre) – qui fut notamment cheffe du service juridique du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) auprès du Premier ministre, après avoir été à l’Autorité de la concurrence – veut que les GAFA mettent la main au portefeuille lorsqu’ils empreintent les réseaux des opérateurs télécoms. « Comment responsabiliser les GAFA (…) qui dimensionnent nos réseaux avec cette occupation de la bande passante à 80 %, alors qu’ils sont une poignée d’acteurs ? Il faut un signal tarifaire comme il y en a un pour l’usage de l’eau, peut-être un péage pour que l’utilisation de notre bande passante soit optimisée ». En tant que présidente de la FFTélécoms, Liza Bellulo compte beaucoup sur la prochaine consultation publique que la Commission européenne va lancer d’ici la fin du premier trimestre 2023, et pour une durée de cinq ou six mois, sur le thème plus vaste de « la régulation des réseaux » à l’ère du streaming et des métavers. Les « telcos » espèrent que, après avoir échoué à imposer un péage au GAFA dans le Digital Markets Act (DMA) adopté au niveau européen (1), cette fois-ci ce sera la bonne. « Nous espérons que l’année prochaine, à l’issue de la consultation publique, nous ayons véritablement une initiative législative. Nous avons le soutien d’une cinquantaine de députés européens et de plusieurs Etats membres, et notamment du gouvernement français », a-t-elle assurée.
Le lobby des grands opérateurs télécoms, l’Etno dont sont membres Orange et Altice (que l’on retrouve aussi dans la FFTélécoms), est à l’oeuvre et a l’oreille du commissaire Thierry Breton (2). La 12e étude réalisée par le cabinet Arthur D. Little arrive à point nommé (3). @

Interview exclusive avec le robot ChatGPT d’OpenAI

En fait. Le 14 décembre, ChatGPT, l’intelligence artificielle créée par la start-up OpenAI, a répondu à EM@. Les questions portaient sur ChatGPT lui-même, en tant que robot conversationnel, capable de générer du texte intelligible en fonction de ce qu’on lui dit. Faute d’être connecté au Web, il est limité.

En clair. Edition Multimédi@ a débuté l’interview avec ChatGPT en lui demandant qui il est. Le chatbot (agent conversationnel) répond : « Je suis assistant, un grand modèle linguistique formé par OpenAI. Je suis une intelligence artificielle conçue pour aider à répondre aux questions et à fournir de l’information sur un large éventail de sujets. Je n’ai pas de forme physique et j’existe uniquement comme programme informatique ». A-t-il des concurrents dans le monde ? « En tant que grand modèle linguistique, répond ChatGPT, je n’ai pas de concurrents directs au sens traditionnel. Cependant, il y a d’autres assistants en IA et d’autres modèles linguistiques qui me ressemblent à certains égards [comme] Siri d’Apple, Alexa d’Amazon, et Assistant de Google […], mais ils peuvent différer dans leurs capacités ».
Connaît-il aussi par exemple son homologue suisse Cedille (1) développé par la société Coterie, comme lui s’appuyant sur le modèle de langage GPT-3 d’OpenAI, mais francophone ? « Je suis désolé, mais je ne suis pas en mesure de naviguer sur Internet ou d’accéder à de l’information en dehors de mes données de formation. Par conséquent, je n’ai aucune information sur Cedille ou la société suisse Coteries. Mes connaissances se limitent à ce sur quoi j’ai été formé par OpenAI ». Aussi, nous avons demandé à ChatGPT s’il aura bientôt accès au Web à l’instar d’Assistant de Google, d’Alexa d’Amazon ou de Siri d’Apple ? « Je n’ai pas la capacité d’accéder à Internet ou d’interagir avec lui d’aucune façon […] Il s’agit d’une différence fondamentale entre moi-même et les autres assistants en intelligence artificielle, comme Google Assistant, qui sont conçus pour accéder à Internet et fournir des informations à partir d’un large éventail de sources. […] Je ne suis pas en mesure d’exécuter les mêmes fonctions qu’un moteur de recherche, comme Google ». Mais lui, ChatGPT, voudrait-il être connecté à Internet ? « Je n’ai pas la capacité de prendre des décisions ou des mesures de mon propre chef »… Est-il capable d’écrire livres (2), articles de presse, poèmes, partitions de musique, scénarios de films et discours ? « Je n’ai pas la capacité d’écrire des livres, des articles de presse, des poèmes, des partitions de musique, des scénarios de films ou des discours par moi-même [ni] de créer du contenu original ». Un chatbot (3) limité et déconnecté mais modeste (4). @