A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Le livre espère sauver ses libraires face à Amazon et déréférencer sur Google ses titres piratés

Le Festival du Livre de Paris ferme ses portes ce 23 avril après trois jours au Grand Palais Ephémère. Cette deuxième édition (formule succédant au Salon du livre) s’est déroulée au moment où l’édition française tient tête à Amazon pour le prix de livraison et lutte contre le piratage avec LeakID.

A l’heure où se termine le Festival du Livre de Paris, organisé par le Syndicat national de l’édition (SNE), l’industrie du livre en France s’est donnée les moyens, d’une part, de combattre les 0,01 centime d’euro de frais livraison de livres brochés vendus sur les plateformes de e-commerce, Amazon en tête, et, d’autre part, d’utiliser un outil de désindexation de liens illégaux sur Google pour lutter contre le piratage en ligne de livre. Les librairies françaises, d’un côté, et les éditeurs de livres, de l’autre, attendent respectivement beaucoup de ces deux mesures.

Les 3 euros de l’Arcep retenus
Pour les frais de livraison des livres papier neufs vendus à distance, les librairies françaises peuvent remercier le régulateur de télécoms, plus précisément l’Arcep, laquelle est non seulement en plus régulateur de la distribution de la presse depuis octobre 2019, mais aussi depuis décembre 2021 le régulateur des tarifs d’expédition des livres. Il y a un an, le 28 avril 2022, c’est justement l’Arcep qui avait proposé au gouvernement – via ses ministres de la Culture et de l’Economie – d’établir à 3 euros par colis le montant minimal de tarification des frais de livraison de livres (1).
C’est ce montant-là que le gouvernement a retenu dans son arrêté publié le 7 avril dernier au Journal Officiel et cosigné par Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (2). Ce tarif plancher de frais de port est cependant limité aux commandes en ligne allant jusqu’à 34,99 euros d’achat, car à partir de 35 euros les frais de port des livres neufs peuvent continuer à être tarifés à « plus de 0 euro » – en l’occurrence à 0,01 euro comme l’a institué Amazon, suivi par la plupart des plateformes de e-commerce dont Fnac+. L’Arcep, elle, avait proposé le seuil de déclenchement de cette quasi-gratuité des frais de port « aux alentours de 25 euros d’achat », alors que le Syndicat de la librairie française (SLF) estimait que cela n’était pas suffisant et que la sénatrice (LR) Laure Darcos à l’origine de la loi « Economie du livre » tablait, comme elle l’avait indiqué à Edition Multimédi@, sur 50 ou 60 euros d’achat minimum (3). Le gouvernement a tranché, en fixant ce seuil de déclenchement de la quasi-gratuité à 35 euros toutes taxes comprises. L’arrêté précise en outre que « le tarif minimal ainsi fixé s’applique au service de livraison d’une commande quel que soit le nombre de colis composant cette commande » et que « le service de livraison est payé par l’acheteur de manière concomitante au paiement de la commande » (4). Ce tarif minimal s’applique à la livraison de tout nouveau livre acheté en France, sauf si les commandes sont collectées auprès d’un détaillant de livres. Le SLF, qui représente en France près de 700 adhérents, a obtenu du cabinet de la ministre de la Culture la précision suivante : « Ce seuil s’appliquera également aux commandes mixtes composées de livres et d’autres produits, ainsi qu’à celles passées dans le cadre des programmes de fidélité proposés par les plateformes sur Internet ».
La loi « Economie du livre », surnommée « loi Darcos » (5), à l’origine de cette mesure pro-libraires – ou, diront certains, « anti-Amazon » –, prévoit que la mesure s’appliquera six mois après la publication de l’arrêté, soit à partir du 7 octobre 2023. Pourtant, le SLF a réexprimé sa crainte que « la quasi-gratuité au-delà de 35 euros d’achat n’amoindrisse la portée de la mesure et n’entretienne une culture de la gratuité contraire à la logique du prix unique du livre » et demande en contrepartie « un tarif postal plus avantageux permettant, en se conjuguant avec les seuils minimaux, de rendre les libraires véritablement compétitifs à l’égard des grandes plateformes en ligne ». Des négociations sont d’ailleurs prévues cette année avec La Poste et sous l’égide de l’Arcep et des pouvoirs publics sur les tarifs postaux justement appliqués à la filière du livre (jugés trop élevés notamment pour les services de presse des éditeurs et pour les librairies dans leurs expéditions de livres).

Le SNE parle de « pressions » d’Amazon
C’est dans ce contexte de revendications qu’a eu lieu le 15 avril dernier dans toute la France – mais aussi en Belgique et en Suisse – la 25e édition de la Fête de la librairie indépendante. Ce fut l’occasion pour les libraires de réaffirmer « le combat qu’ils mènent pour protéger leur métier » (6).
Quant au syndicat des éditeurs (SNE), lequel regroupe plus de 700 maisons d’édition, il n’a pas communiqué sur la publication de l’arrêté « 3 euros ». Néanmoins, lors de ses vœux « à l’interprofession du livre » le 5 janvier dernier, son président, Vincent Montagne (photo), avait donné le ton en ciblant nommément le géant mondial du e-commerce, la bête noire de la filière française du livre : « C’est une décision importante qui devrait mettre fin à la distorsion de concurrence imposée par les grands acteurs du e-commerce. Elle réaffirme que le livre n’est pas, et ne sera jamais, un produit d’appel pour les plateformes numériques et que l’esprit de la loi sur le prix unique du livre reste le socle sur lequel repose toute notre filière. Toutefois, il faut rester vigilant. La décision a été notifiée à Bruxelles et la réponse des autorités européennes tarde en raison notamment des pressions exercées par Amazon » (7).

Arrêté « 3 euros » : illégal en Europe ?
Au lieu de se terminer le 16 janvier 2023, la période de statu quo à la suite de la notification à Bruxelles (8) avait été prolongée jusqu’au 14 février. Dans son « avis circonstancié » qui avait prolongé ce statu quo et qui est signé par le Français Thierry Breton (commissaire européen au Marché intérieur), la Commission européenne a émis plusieurs observations sur l’arrêté « 3 euros » français. « L’adoption de l’arrêté notifié, en combinaison avec la loi [française “Economie du livre”], entraînera une restriction injustifiée à la libre circulation des services de la société de l’information sur le territoire français, en violation de l’article 3 de la directive sur le commerce électronique [lequel interdit à un Etat membre de restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre Etat membre, ndlr] », a-t-elle notamment dénoncé. Autre grief qui va dans le sens d’Amazon : « Le tarif minimal d’expédition [les 3 euros] semble avoir une incidence plus lourde sur les détaillants en ligne qui n’ont aucune présence en France et pourrait entraîner une discrimination de facto à leur égard ».
En outre, le gouvernement français n’a pas fourni d’évaluation qui justifierait ce tarif minimal d’expédition et qui démontrerait sa contribution à préserver une « offre culturelle riche et diversifiée ». Pire, la Commission européenne a mis en garde la France sur le fait que son arrêté « pourrait être contraire [à] la directive sur le commerce électronique et [au] traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », rien que ça (9). Pour tenter de rassurer Thierry Breton, les ministres Rima Abdul-Malak et Bruno Le Maire lui ont répondu le 16 janvier 2023, tout en reportant de quatre mois la publication de l’arrêté en raison du caractère « circonstancié » de l’avis de Bruxelles. Edition Multimédi@ a demandé – en vain – à recevoir cette réponse…
Qu’à cela ne tienne : le livre était à l’honneur en France, entre la Fête de la librairie indépendante qui a donc eu lieu mi-avril et le Festival du Livre de Paris qui s’achève ce dimanche 23 avril. Et ce, le jour-même de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur – célébrée tous les ans à cette même date depuis que l’Unesco a fait du « World Book and Copyright Day » (10) une journée internationale en 1995.
Justement, le droit de la propriété intellectuelle est l’autre combat majeur de l’industrie du livre. En France, le SNE pour les éditeurs et la Sofia pour les auteurs ont ensemble mis en place fin novembre 2019 pour leurs adhérents respectifs une « solution collective de lutte contre le piratage ». Chacune des deux organisations contribue pour moitié au financement à cette « solution mutualisée ». Celle-ci est fournie par la société française LeakID qui développe « un service de lutte contre le piratage en ligne des livres numériques et des livres imprimés numérisés illégalement » (11). En juin 2022, son fondateur Hervé Lemaire (12) a cédé le contrôle de LeakID à Avisa Partners, cabinet français d’intelligence économique, d’e-réputation et de lobbying à Bruxelles. Le dernier webinar en date s’est tenu le 8 mars en présence de l’avocate Olivia Bacin-Joffre, directrice juridique et responsable affaires publiques de LeakID et ancienne juriste à l’ex-Hadopi.
Cet outil LeakID surveille Internet (13) pour le compte des majors du livre – Hachette Livre/Lagardère, Editis/Vivendi, Gallimard-Flammarion/Madrigall, SeuilLa Martinière/ Média- Participations, …) – et d’autres éditeurs du SNE comme Actes Sud. « Le groupe utilise un outil de déréférencement LeakID et mène des procès ciblés en cas de piratage important », indique par exemple Editis, filiale en vente de Vivendi et deuxième groupe français d’édition (derrière Hachette Livre de Lagardère).
Auparavant, le syndicat du boulevard Saint-Germain (Paris) proposait aux maisons d’édition la solution de la société française Surys (ex-Hologram Industries, ex-exAdvestigo). Mais cette dernière a été rachetée fin 2019 par IN Groupe (ex-Imprimerie Nationale).

LeakID (acquis par Avisa Partners) traque
LeakID a été jugé plus efficace dans la désindexation et plus massive contre les téléchargements illicites et le streaming d’ebooks piratés, surtout grâce à son bras armée Rivendell qui est un partenaire de Google pour les déréférencements partout dans le monde. C’est lui qui a traqué le site Z-library dont les adresses Internet et les sites miroirs – listés par l’Arcom (14) – ont été bloquées par Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR sur décision du tribunal judiciaire de Paris datée du 25 août 2022. Après TeamAlexandriz (2021), Z-Library (2022), d’autres sites « pirates » – comme Pirate Library Mirror ou Bookys – sont dans le collimateur de l’industrie du livre. @

Charles de Laubier

Kin Cheung est le nouveau président de Twitter France, vrai responsable avec Laurence O’Brien

La filiale française de Twitter a plus de 10 ans. Après le départ de son « Country Manager » Damien Viel fin 2022, Laurent Buanec lui a succédé. Mais les vrais patrons de Twitter France sont en fait Kin Cheung, son président, et Laurence O’Brien, son directeur général depuis 2015.

Alors que la maison mère Twitter Inc., rachetée par le milliardaire investisseur Elon Musk en octobre 2022 pour 44 milliards de dollars, a été le 4 avril dernier fusionnée dans la société X Corp., elle-même détenue par X Holding Corp (1), la filiale française a de son côté une nouvelle équipe dirigeante. Edition Multimédi@ a constaté que, depuis le 28 février, l’Américain Kin Cheung (proche de la cinquantaine) a remplacé son compatriote Kevin Cope à la présidence de la Twitter France où ce dernier avait été nommé il y a trois ans (2).

Dublin et Londres chapeautent Paris
Kin Fai Cheung – basé, lui, à Londres – se retrouve ainsi le numéro un de la filiale française de l’oiseau bleu – située, elle, rue de la Paix à Paris. Sa nomination a été déposée au greffe du tribunal de commerce de Paris et publiée au Bodacc (3) le 9 mars dernier (4). Reportant directement au siège mondial à San Francisco où la plateforme de microblogging aux gazouillis a été créée il y a 17 ans par Jack Dorsey (qui l’a dirigée jusqu’en novembre 2021 et dont il a gardé 2,4 % du capital), Kin Cheung est secondé par le directeur général à ce poste depuis en juillet 2015, l’Irlandais Laurence O’Brien (photo), qui est situé, quant à lui, au siège européen de Twitter à Dublin en Irlande.
Laurence O’Brien va d’ailleurs fêter le 7 mai prochain ses 10 ans chez Twitter où il est entré en tant que responsable financier au siège fiscal européen à Dublin (chez Twitter International Unlimited Company, ou TIUC, sise Cumberland Place, Fenian Street), tout en étant rattaché à la filiale britannique opérationnelle à Londres (Twitter UK Ltd, sise Air Street). Kin Cheung dirige cette filiale britannique et a aussi pris les fonctions de président de la filiale française. Basé à Londres, Kin Cheung a en outre été nommé en février directeur de deux autres filiales britanniques de Twitter : Magic Pony Technology, société spécialisée dans l’apprentissage automatique (5) pour améliorer la qualité vidéo et acquise en 2016 par l’oiseau bleu pour 150 millions de dollars ; Fabula AI, une startup d’intelligence artificielle conçue pour lutter contre les fake news grâce à de l’« apprentissage profond géométrique » (6) et rachetée par Twitter en 2019 (montant non divulgué) afin de tenter de ne plus diffuser de la désinformation. Alors même qu’Elon Musk n’a pas encore annoncé de successeur et demeure PDG de Twitter devenu X Corp, soit quatre mois après avoir pourtant affirmé le 20 décembre 2022 vouloir quitter ce poste après avoir nommé un successeur, l’oiseau en Europe change de têtes pour ses filiales parisienne et londonienne. La mainmise du multimilliardaire Elon Musk (7) sur Twitter en octobre dernier a aussitôt été suivie par la suppression d’environ 3.700 emplois dans le monde. Le siège de Dublin a aussi été touché, d’après Bloomberg (8). En France, où l’oiseau bleu compte alors 5,9 millions de visiteurs uniques par jour selon Médiamétrie (en février 2023), l’Arcom s’est inquiétée de cette saignée dans les effectifs touchant aussi les équipes de la modération des contenus et l’a fait savoir le 21 novembre 2022 à Dublin. Pris entre le marteau et l’enclume, le « Country Manager » de Twitter France alors en place, Damien Viel, avait annoncé la veille – dans un tweet (9) – son départ. Devant le tribunal correction de Versailles en janvier 2022, où il avait comparu pour « refus de répondre à une réquisition du procureur » et « complicité d’injure publique » après deux tweets injurieux d’anonymes non-identifiés (10), il avait fait valoir sa responsabilité limitée de « Country Manager ». Il a été relaxé en mars 2022 et Laurent Buanec lui a succédé en décembre. La responsabilité incombe à TIUC à Dublin, où se trouve, on l’a vu, le « vrai » directeur général de Twitter France – l’Irlandais Laurence O’Brien – censé transmettre à la justice française les demandes d’information au pénal.
D’après les derniers résultats de Twitter France, société par actions simplifiée (SAS) créée il y a environ dix ans, le chiffre d’affaires – provenant essentiellement de la publicité en ligne – était de 12,9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, en hausse de près de 10 % sur un an, pour une rentabilité nette de 678.000 euros.

Optimisations fiscales jusqu’au Delaware
Mais pour des raisons d’optimisation filiale, grâce à l’attractivité de l’Irlande, Twitter France – comme ses sociétés sœurs européennes Twitter UK, Twitter Germany, Twitter Netherlands et Twitter Spain – fait remonter du cash à Dublin justifié par diverses prestations apportées par la maison mère TIUC. Cette société irlandaise, d’après les derniers résultats connus, a fait état d’un chiffre d’affaires 2020 de plus de 1,1 milliard d’euros pour un résultat opérationnel de 169 millions d’euros (deux lignes comptables en baisse). L’optimisation fiscale se poursuit aux Etats-Unis, au sein d’une holding baptisée Lorikeet et située dans l’Etat du Delaware, réputé fiscalement mieux disant lui aussi. @

Charles de Laubier

Apple TV+ : obligé de financer des films français

En fait. Depuis le 20 avril, la plateforme de vidéo à la demande à l’acte ou par abonnement Apple TV+ intègre le bouquet MyCanal (sans surcoût pour les abonnés de Canal+). Et ce, en plus d’être déjà diffusée par bien d’autres canaux de distribution. En France, Apple TV+ passe aussi un cap vis-à-vis de l’Arcom.

En clair. En s’alliant avec « la chaîne du cinéma » Canal+, Apple franchit un pas de plus dans l’écosystème de « l’exception culturelle française ». Et ce, au moment où la firme de Cupertino va devoir financer plus de films et séries français. Car le chiffre d’affaires d’Apple TV+ en France a franchi en 2022 les 5 millions d’euros – le seuil de déclenchement de l’obligation de financement du cinéma français. L’Arcom s’apprête à signer une convention avec Apple TV+ (1), après avoir signé le 22 mars un avenant (2) avec Amazon Prime Video.
Sur MyCanal depuis le 20 avril, sans abonnement supplémentaire pour les abonnés de la chaîne cryptée de Vivendi, Apple TV+ devient un des produits d’appel de Canal+. « Il s’agit d’une offre incroyable pour les abonnés Canal+. Et avec des séries comme “Liaison” [série franco-britannique, ndlr] et “Les Gouttes de Dieu” [série franco-japonaise, ndlr], nous confirmons notre engagement auprès de l’industrie créative française », a assuré Eddy Cue, vice-président des services d’Apple, le 14 avril dernier. La marque à la pomme ajoute MyCanal à sa multitude de moyens d’accès déjà opérationnels, non seulement via le site web « tv.apple.com » pour ordinateurs mais aussi par l’application Apple TV+ disponible sur iPhone, iPad, sur les boîtiers et dongles Apple TV 4K, Roku, Fire TV (Amazon), Chromecast/Google TV, sur les Smart TV (Samsung, LG, Vizio, Sony, Xfinity, …), ou encore sur les consoles de jeu PlayStation et Xbox. Mais pour Canal+, c’est sans précédent : « Pour la première fois de son histoire, le groupe Canal+ a choisi d’offrir l’accès aux contenus d’une plateforme partenaire à tous ses abonnés en France. Avec ce partenariat historique, nous consolidons à la fois notre métier d’agrégateur, via la distribution d’Apple TV+, et notre métier d’éditeur, avec la diffusion de séries Apple Original sur notre chaîne Canal+ », a expliqué Maxime Saada, président du directoire de Canal+ (3). MyCanal+ offre aussi Netflix, Disney+ et Paramount+.
Bien que la firme de Cupertino soit partie plus tardivement que Netflix ou Disney+ sur le marché de la SVOD, Apple TV+ ayant été lancé en novembre 2019, elle est en train de mettre les bouchées doubles. Sa particularité par rapport à ses rivaux : « proposer uniquement des productions originales », à savoir des films et des séries désignés sous l’appellation « Apple Original » en exclusivité, moyennant 6,99 euros par mois. @

Readly, ePresse, Cafeyn et l’OPA du groupe Bonnier

En fait. Le 26 avril se tient une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société suédoise Readly, cotée au Nasdaq de la Bourse de Stockholm et détenue à 75,4 % – via sa filiale Tidnings AB Marieberg – par le premier groupe de médias scandinaves Bonnier News. L’avenir des e-kiosques en Europe se joue là.

En clair. Selon les informations de Edition Multimédi@, la prise de contrôle du suédois Readly International – « Spotify » de la presse numérique (1) et propriétaire d’ePresse et de Toutabo en France – par son compatriote le groupe de médias Bonnier News, va se jouer les 26 avril et 13 juin prochains. Ces dates correspondent pour les actionnaires de Readly à, respectivement, l’assemblée générale extraordinaire et l’assemblée générale ordinaire.
Si aucun actionnaire ne s’oppose à la prise de contrôle de Readly par Bonnier News, alors ce dernier pourra mener à bien son projet, à savoir : garder les activités scandinaves de Readly et céder à la société française Cafeyn (ex-LeKiosque.fr/ LeKiosk), rival d’ePresse en France (2), les activités non nordiques de Readly. En revanche, si un actionnaire s’oppose à ce qu’il pourrait considérer comme un « démantèlement » de Readly, cela pourrait compromettre et l’OPA de Bonnier sur Readly et l’accord de vente à Cafeyn. D’autant que la société Readly, cotée au Nasdaq de la Bourse de Stockholm et détenue depuis le 27 mars dernier à 75,4 % par Bonnier, verrait près de 80 % du chiffre d’affaires de Readly (52,2 millions d’euros en 2020) cédés à Cafeyn, à savoir les pays en dehors de la région scandinave – Allemagne en tête, suivie du Royaume-Uni et de la France. En lançant début décembre 2022 son OPA sur Readly, le premier groupe de médias dans les pays nordiques, Bonnier News (3), toujours contrôlé par la famille suédoise Bonnier, espérait obtenir 90 % du capital de Readly nécessaires pour radier cette entreprise du Nasdaq suédois.
L’accord avec Cafeyn – « sous réserve de l’achèvement de l’offre [l’OPA] » – tient toujours à ce jour et permettrait à ce dernier non seulement d’absorber son rival français ePresse mais surtout de « créer un champion européen » du kiosque numérique avec « une audience internationale plus large » susceptible de séduire les éditeurs voire de retenir les plus hésitants. Reste à savoir si les quatre marques Cafeyn, Readly, ePresse et Toutabo continueraient à coexister à l’avenir ou si l’une d’entre elles prendrait le dessus. « Lorsque nous avons acquis en 2019 le néerlandais Blendle, le choix a été de conserver la marque existante dans un souci de cohérence et de clarté pour les utilisateurs néerlandais », indique à Edition Multimédi@ Julia Aymé, directrice des affaires publiques de Cafeyn. @

ChatGPT, Midjourney, Flow Machines, … : quel droit d’auteur sur les créations des IA génératives ?

Face à la déferlante des IA créatives et génératives, le droit d’auteurs est quelque peu déstabilisé sur ses bases traditionnelles. La qualification d’« œuvre de l’esprit » bute sur ces robots déshumanisés. Le code de la propriété intellectuelle risque d’en perdre son latin, sauf à le réécrire.

Par Véronique Dahan, avocate associée, et Jérémie Leroy-Ringuet, avocat, Joffe & Associés

L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) par les entreprises, notamment en communication, est de plus en plus répandue. Des logiciels tels que Stable Diffusion, Midjourney, Craiyon, ou encore Dall·E 2 permettent de créer des images à partir d’instructions en langage naturel (le « text-to-image »). Il est également possible de créer du texte avec des outils tels que le robot conversationnel ChatGPT lancé en novembre 2022 par OpenAI (1), voire de la musique avec Flow Machines de Sony (2).

Flou artistique sur le droit d’auteur
Les usages sont assez variés : illustration d’un journal, création d’une marque, textes pour un site Internet, un support publicitaire ou pour un post sur les réseaux sociaux, création musicale, publication d’une œuvre littéraire complexe, …, et bientôt produire des films. Les artistes s’en sont emparés pour développer une forme d’art appelé « art IA », « prompt art » ou encore « GANisme » (3). Et, parfois, les artistes transforment les résultats obtenus en NFT (4), ces jetons non-fongibles authentifiant sur une blockchain (chaîne de blocs) un actif numérique unique. Pour produire un texte, une image ou une musique sur commande, le logiciel a besoin d’être nourri en textes, images ou musiques préexistantes et en métadonnées sur ces contenus (« deep learning »). Plus le logiciel dispose d’informations fiables, plus le résultat sera probant. Comme toute nouveauté technologique, l’utilisation de ces logiciels soulève de nombreuses questions juridiques. La question centrale en matière de propriété intellectuelle est de savoir à qui appartiennent les droits – s’ils existent – sur les contenus générés par l’IA ?
En droit français, une œuvre est protégeable si elle est originale. L’originalité est définie comme révélant l’empreinte de la personnalité de l’auteur, qui ne peut être qu’un être humain. Il faut donc déterminer qui est l’auteur, ou qui sont les auteurs d’une image, d’un texte ou d’une musique créés via une instruction donnée à un logiciel. Il faut aussi déterminer qui peut en être titulaire des droits. Il pourrait s’agir des auteurs des œuvres préexistantes, de nous-mêmes lorsque nous avons donné une instruction au logiciel, ou encore de l’auteur du logiciel (par exemple la société Stability AI qui développe Stable Diffusion). Les entités exploitant ces logiciels contribuent au processus permettant d’obtenir des textes, images ou des musiques inédites, dans la mesure où ce sont ces générateurs de contenus qui proposent un résultat comprenant un ensemble de choix plutôt qu’un autre. Ainsi, c’est la part d’« autonomie » des logiciels d’IA qui jette le trouble dans la conception traditionnelle du droit d’auteur. Un tribunal de Shenzhen (Chine) avait jugé en 2019 qu’un article financier écrit par Dreamwriter (IA mise au point par Tencent en 2015) avait été reproduit sans autorisation, reconnaissant ainsi que la création d’une IA pouvait bénéficier du droit d’auteur. Néanmoins, la contribution du logiciel se fait de manière automatisée et, à notre sens, l’usage technique d’un logiciel pour créer une image, un texte ou une musique ne donne pas au propriétaire du logiciel de droits sur l’image, sur le texte ou la musique : en l’absence d’une intervention humaine sur le choix des couleurs, des formes ou des sons, aucun droit d’auteur ou de coauteur ne peut être revendiqué au nom du logiciel. Le 21 février 2023, aux Etats-Unis, l’Office du Copyright a décidé que des images de bande dessinée créées par l’IA Midjourney ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur (5).
Les conditions d’utilisation de ces générateurs de textes, d’images ou de musiques peuvent le confirmer. Dans le cas de Dall·E 2, les « Terms of use » prévoient expressément que OpenAI transfère à l’utilisateur tous les droits sur les textes et les images obtenus, et demande même que le contenu ainsi généré soit attribué à la personne qui l’a « créé » ou à sa société. Stability AI octroie une licence de droits d’auteur perpétuelle, mondiale, non exclusive, gratuite, libre de redevances et irrévocable pour tous types d’usage de Stable Diffusion, y compris commercial. Mais en l’absence, selon nous, de tout droit transférable, ces dispositions semblent constituer de simples précautions.

Droits de la personne utilisant le logiciel
Il est donc essentiel, pour toute personne qui souhaite utiliser, à titre commercial ou non, les contenus créés via des outils d’IA, générative ou créative, de vérifier si la société exploitant le site en ligne où il les crée lui en donne les droits et à quelles conditions. Dès lors que l’apport créatif de la personne qui donne les instructions au générateur d’images, de textes ou de musique est limité à la production d’une idée mise en œuvre par le logiciel, et que les idées ne sont pas protégeables par le droit d’auteur, il est douteux qu’un tribunal reconnaisse la qualité d’auteur à cette personne. Puisque l’utilisateur du logiciel ne conçoit pas mentalement, à l’avance, le contenu obtenu, il est difficile d’avancer que ce contenu porte « l’empreinte de sa personnalité ». Mais surtout, on pourrait aller jusqu’à dénier la qualification d’œuvre de l’esprit aux images, textes ou musiques créés par l’IA. En effet, le code de la propriété intellectuelle (CPI) n’accorde la protection du droit d’auteur qu’à des « œuvres de l’esprit » créées par des humains.

« Œuvre de l’esprit » inhérente à l’humain
Faute d’action positive créatrice de la part d’un humain, on pourrait avancer qu’aucun « esprit » n’est mobilisé, donc qu’aucune « œuvre de l’esprit »protégeable par le droit d’auteur n’est créée. S’ils ne sont pas des « œuvres de l’esprit », les contenus ainsi créés seraient alors des biens immatériels de droit commun. Ils sont appropriables non pas par le droit d’auteur (6) mais par la possession (7) ou par le contrat (conditions générales octroyant la propriété à l’utilisateur). Il s’agit alors de créations libres de droit, appartenant au domaine public. Cela fait écho à d’autres types d’« œuvres » sans auteur comme les peintures du chimpanzé Congo ou les célèbres selfies pris en 2008 par un singe macaque. Sur ce dernier exemple, les juridictions américaines avaient décidé que l’autoportrait réalisé par un singe n’était pas une œuvre protégeable puisqu’il n’a pas été créé par un humain, sujet de droits. En revanche, dès lors que le résultat obtenu est retravaillé et qu’un apport personnel formel transforme ce résultat, la qualification d’« œuvre de l’esprit » peut être retenue, mais uniquement en raison de la modification originale apportée au résultat produit par le logiciel. Ce cas de figure est d’ailleurs prévu dans la « Sharing & Publication Policy » de Dall·E 2 qui demande à ses utilisateurs modifiant les résultats obtenus de ne pas les présenter comme ayant été entièrement produits par le logiciel ou entièrement produits par un être humain, ce qui est davantage une règle éthique, de transparence, qu’une exigence juridique.
En droit français, une œuvre nouvelle qui incorpore une œuvre préexistante sans la participation de son auteur est dite « composite » (8). Si les œuvres préexistantes sont dans le domaine public, leur libre utilisation est permise (sous réserve de l’éventuelle opposition du droit moral par les ayants droit). En revanche, incorporer sans autorisation une œuvre préexistante toujours protégée constitue un acte de contrefaçon. Si, par exemple, on donne l’instruction « Guernica de Picasso en couleurs », on obtiendra une image qui intègre et modifie une œuvre préexistante. Or les œuvres de Picasso ne sont pas dans le domaine public et les ayants droit doivent pouvoir autoriser ou interdire non seulement l’exploitation de l’image obtenue et en demander la destruction, mais peutêtre aussi interdire ou autoriser l’usage des œuvres de Picasso par le logiciel. La production et la publication par un utilisateur d’un « Guernica en couleurs » pourraient donc constituer une contrefaçon ; mais l’intégration de Guernica dans la base de données du logiciel (deep learning) pourrait à elle seule constituer également un acte contrefaisant (9). En effet, le CPI sanctionne le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés » (10). Le caractère « manifeste » de la mise à disposition, et la qualification de « mise à disposition » elle-même pourraient être discutés.
Mais c’est surtout la directive européenne « Copyright » de 2019 (11) qui pourrait venir en aide aux exploitants d’IA génératrices de contenus en offrant une sécurisation de leur usage d’œuvres préexistantes protégées. Elle encadre l’exploitation à toutes fins, y compris commerciales, d’œuvres protégées pour en extraire des informations, notamment dans le cas des générateurs de textes, d’images ou de musiques. Elle prévoit également une possibilité pour les titulaires de droits sur ces œuvres d’en autoriser ou interdire l’usage, hors finalités académiques. Une telle autorisation peut difficilement être préalable et les exploitants, OpenAI par exemple, mettent donc en place des procédures de signalement de création de contenu contrefaisant (12). Le site Haveibeentrained.com propose, quant à lui, de vérifier si une image a été fournie comme input à des générateurs d’images et de signaler son souhait de retirer l’œuvre de la base de données. Mais les artistes se plaignent déjà de la complexité qu’il y a à obtenir un tel retrait (13).
On le voit, l’irruption des créations de l’IA perturbe le droit de la propriété intellectuelle, dont les outils actuels sont insuffisants pour répondre aux questionnements suscités. On peut imaginer que l’IA permettra un jour de produire de « fausses » sculptures de Camille Claudel, en s’adjoignant la technologie de l’impression 3D, ou encore de faire écrire à Rimbaud ou à Mozart des poèmes et des symphonies d’un niveau artistique équivalent – voire supérieur ! – qu’ils auraient pu écrire et jouer s’ils n’étaient pas morts si jeunes. La question de l’imitation du style d’auteurs encore vivant n’est d’ailleurs pas sans soulever d’autres débats.

Risque de déshumanisation de la création
Un avenir possible de l’art pourrait être dans la déshumanisation de la création, ce qui non seulement rendrait indispensable une refonte du premier livre du CPI, sous l’impulsion du règlement européen « AI Act » en discussion (14), mais susciterait en outre des questionnements éthiques. Si le public prend autant de plaisir à lire un roman écrit par une machine ou à admirer une exposition d’œuvres picturales créées par un logiciel, voire à écouter une musique composée et jouée par l’IA, les professions artistiques survivront-elles à cette concurrence ? @