A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Netflix se défend d’introduire de la publicité entre épisodes, seulement de la recommandation de séries

Et si le numéro un mondial de la SVOD se mettait à vendre des espaces de publicité entre les épisodes pour diversifier ses revenus ? C’est ce que craignent certains de ses 130 millions d’abonnés, surpris de voir apparaître en août de l’auto-promotion de séries entre des épisodes. Netflix confirme le test.

Reed Hastings (photo), PDG fondateur de Netflix, a toujours vanté les mérites de son modèle économique sans publicité. C’est même un des fondamentaux de l’entreprise de Los Gatos (Californie) et surtout un confort appréciable pour ses 130 millions d’abonnés dans le monde, lesquels échappent ainsi
– le temps d’un épisode ou de plusieurs d’affilé (1) – à l’intrusion de messages publicitaires qui saucissonnent de plus en plus les films à la télévision.

Flou sur le test « publicitaire »
Mais Reed Hastings n’est-il pas en train de céder aux sirènes du marché publicitaire ? « Nous testons si l’apparition de recommandations entre des épisodes aide des membres à découvrir des histoires qu’ils aimeront plus rapidement », a tenté de rassurer Netflix en répondant le 18 août au site web américain Ars Technica (2) sur les raisons de l’apparition d’auto-promotions de séries entre des épisodes. Ces recommandations de contenus ne seraient qu’expérimentales et limitées à quelques abonnés, aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne notamment. Les commentaires des internautes, quelque peu critiques sur cette initiative publicitaire leur imposant environ 15 secondes d’un message promotionnel, se sont propagés sur des réseaux sociaux tels que Reddit ou Twitter depuis mi-août.
Le buzz et les inquiétudes soulevés par ces insertions ont amené un porte-parole de Netflix à qualifier ces apparitions de « test », pratiqué sur un
« segment » seulement de la base d’abonnés, et « uniquement pour du contenu de Netflix », donc en aucun cas sur d’autres produits extérieurs. Dans sa communication à Ars Technica, et reprise le lendemain par le site web Vulture (3), la communication de Netflix a indiqué être attentive au
« bavardage sur réseaux sociaux » mais plus concentrée « sur la façon dont les utilisateurs interagissent avec ces nouvelles annonces vidéo ». Autrement dit, si les utilisateurs s’engagent avec ces promotions, Netflix les étendra probablement à beaucoup plus d’utilisateurs. La firme de Los Gatos minimise la portée de telles insertions, expliquant qu’« il y a deux ou trois ans, [elle] a lancé des prévisualisations vidéo » (déclenchement d’une bandeannonce des épisodes à la page d’accueil d’une série) après avoir constaté que cela faisait gagner du temps aux abonnés dans leur recherche et leur permettait de trouver un contenu leur plaisant plus rapidement. Pour autant, le porte-parole de Netflix n’a pas indiqué combien de temps cette période de test durera ni si ces annonces publicitaires (skippable
après quelques secondes) deviendront permanentes sur le service de SVOD. Ce qui laisse planer le doute sur les réelles intentions de la plateforme de streaming vidéo. Certains abonnés ont clairement exprimé leur mécontentement, allant jusqu’à bouder l’application Netflix afin d’éviter
ces vidéos publicitaires sonores et intempestives.
Qu’a Reed Hastings derrière la tête ? Pourrait-il songer à une déclinaison gratuite de Netflix financée par de la publicité ? La plateforme Hulu de télévision et de vidéo, qu’opèrent ensemble NBCUniversal, 21st Century Fox, Disney et Time Warner, a bien une partie gratuite et une autre payante (4). Une chose est sûre : les 130 millions d’abonnés de Netflix ne sont pas en nombre suffisant aux yeux des investisseurs. L’action au Nasdaq à New York a d’ailleurs perdu de sa superbe depuis l’annonce, le 16 juillet, de ses résultats pour le second trimestre de l’année, où la croissance du nombre des nouveaux abonnés a été nettement inférieure aux attentes (5). Le titre est passé de 418 dollars (point haut du 11 juillet) à 316 dollars (point bas du 17 août), Netflix étant valorisé 161,9 milliards de dollars au 30 août. « Les investisseurs sont catastrophés par le flop de la prévision du deuxième trimestre de Netflix. Maintenant, les prévisions sont suspectes. Ce qui sape la valorisation », analyse Eric Schiffer, directeur général du fonds de capital-investissement Patriarch, selon ses propos rapportés par l’agence Reuters. Ce coup de mou dans la croissance des abonnements est à mettre en rapport avec les lourds investissements – jusqu’à 8 milliards de dollars en 2018 dans des séries et des films – que consacre l’entreprise de Reed Hastings pour attirer de nouveaux clients.

« Salto en France », futur concurrent
Cette déception intervient au moment où Netflix fait face à plus de rivaux.
« Nous prévoyons plus de concurrence de la part d’AT&T/Warner Media,
de Fox/Disney [plateforme “Disney Play” prévue pour fin 2019, ndlr] ou de Fox/Comcast ainsi que des acteurs à l’international tels que ProSieben en Allemagne et Salto (6) en France », écrit Reed Hastings le 16 juillet dans sa lettre aux actionnaires. L’été a aussi été marqué pour Netflix par l’annonce, le 13 août, du prochain départ de son directeur financier David Wells (7) –
à ce poste depuis 2010 et présent dans l’entreprise depuis 2004. @

Charles de Laubier

Vers un droit fondamental de l’accès à l’Internet dans la Constitution de 1958 ?

Comme il existe une Charte de l’environnement adossée à la Constitution française depuis 2004, une « Charte du numérique » faisant de l’accès à Internet un droit-liberté serait historique après une décennie de débats. Le 11 juillet, le projet a été rejeté. Mais la réflexion continue.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Un groupe de parlementaires de tous horizons politiques a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 une « Charte du numérique », comme il y a une Charte de l’environnement adoptée, elle, en 2004 (1). Cette charte du numérique – qui comprend sept articles (2) – vise à consolider les grands principes du numérique en garantissant des droits et libertés numériques qui pourront alors faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.

Droit d’accès aux réseaux numériques
La Charte du numérique, telle que proposée le 21 juin dernier par le groupe de travail informel commun à l’Assemblée nationale et au Sénat en vue de
« réfléchir à l’inclusion des droits et libertés numériques dans la Constitution », prévoit notamment que « la loi garantit à toute personne un droit d’accès aux réseaux numériques libre, égal et sans discrimination »
et que les réseaux numériques « respectent le principe de neutralité qui implique un trafic libre et l’égalité de traitement ». Ces propositions font écho à la déclaration commune signée le 28 septembre 2015 (3) par le président de l’Assemblée nationale (Claude Bartolone) et la présidente de
la Chambre des députés italienne (Laura Boldrini). Ce texte franco-italien
« sur les droits et devoirs numériques du citoyen » (4) devait être adressé
au Parlement européen pour inviter les Etats de l’Union européenne à y adhérer. Si l’on peut regretter que la Charte du numérique ait été aussitôt rejetée par la commission des lois, le 27 juin 2018 à l’Assemblée nationale, lors de l’étude du projet de loi constitutionnelle au motif que ses conséquences et implications étaient trop hasardeuses, on note qu’elle pourrait être reprise sous forme d’amendements au projet de loi constitutionnelle (5). Le sujet est d’importance. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que l’accès à l’Internet n’est pas libre dans tous
les pays, certains Etats limitant l’accès au réseau des réseaux en utilisant diverses techniques : blocage d’adresses IP de noms de domaine, censure
de certains mots-clés sur les moteurs de recherche ou encore filtrage des sites web contenants ces mots-clés (6). Il suffit également de rappeler que
le Saoudien Raif Badawi a été cruellement sanctionné pour avoir voulu ouvrir un blog afin d’inviter à un débat sur l’influence religieuse dans le Royaume d’Arabie saoudite. Cette initiative a été sévèrement sanctionnée : une peine de prison de dix ans, 1.000 coups de fouet et une amende. Son avocat, Waleed Abu al-Khair a également été condamné, à quinze ans de prison, pour l’avoir défendu et avoir prôné la liberté d’expression. De même, le blogueur mauritanien Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir a été condamné à mort pour un billet jugé blasphématoire (7). Sa peine de mort avait été confirmée par la cour d’appel de Nouadhibou, tout en requalifiant les faits en « mécréance », mais annulée par la Cour suprême (8) avant de
se voir transformée en une condamnation à deux ans, toujours pour les mêmes faits (9). Il aura été incarcéré durant quatre ans. Quant au chinois Liu Xiaobo, il a également été déclaré coupable d’« avoir participé à la rédaction de la Charte 08, manifeste politique qui défendait une réforme démocratique pacifique et demandait un plus grand respect des droits humains fondamentaux en Chine, ainsi que la fin du système de parti unique ». Il avait été condamné à onze ans de prison pour ce manifeste signé par 303 intellectuels qui a circulé sous forme de pétition sur Internet. Récipiendaire du prix Nobel de la Paix en 2010, il est décédé en juillet 2017 alors qu’il venait de bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle à raison de son état de santé très dégradé. Certains, à l’instar de Vinton Cerf (10) – l’un des pères fondateurs de l’Internet – considère que l’Internet est une
« technologie (…) facilitateur de droits, pas un droit en lui-même ».

Un nouveau droit-liberté fondamental
C’est en ce sens également que s’exprime Michaël Bardin, docteur en droit public, lequel considère que si « les juges, par cette décision [Hadopi de 2009, ndlr (11)], confirment bien qu’il est nécessaire de reconnaître l’importance contemporaine du droit d’accès à internet (…), pour autant,
le droit d’accès à internet n’est ni “un droit de l’homme” ni un “droit fondamental” en lui-même ». Et d’ajouter : « Il n’est et n’existe que comme moyen de concrétisation de la liberté d’expression et de communication.
En définitive, le droit d’accès à internet vient prendre sa juste place dans les moyens déjà connus et protégés que sont la presse, la radio ou encore la télévision » (12). Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui qualifie le droit d’accès à l’Internet de droit fondamental (13). En ce sens également, la professeure universitaire Laure Marino observe que le Conseil constitutionnel a élevé la liberté d’accès à Internet au rang de nouveau droit fondamental : « Pour ce faire, le Conseil constitutionnel utilise la méthode d’annexion qu’il affectionne. Il décide que la liberté de communication et d’expression “implique” désormais la liberté d’accès
à Internet. Comme dans un jeu de poupées russes, cela signifie qu’elle l’intègre et l’enveloppe ou, mieux encore, qu’elle l’annexe. On peut se réjouir de cette création d’un nouveau droit-liberté : le droit d’accès à Internet. L’accès à Internet devient ainsi, en lui-même, un droit-liberté, en empruntant par capillarité la nature de son tuteur, la liberté d’expression. Ainsi inventé par le Conseil, le droit d’être connecté à Internet est donc un droit constitutionnel dérivé de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (14).

La coupure de l’accès Internet
C’est également la position exprimée en 2015 par la commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique (ComNum) de l’Assemblée nationale dans son rapport (15). Elle observe que plusieurs décisions prises au plan européen militent en ce sens. Ainsi, à titre d’exemple, dès 2009, et en plein débat sur la loi « Hadopi » que devait adopter la France quelques semaines plus tard, le Parlement européen s’est symboliquement opposé, par une recommandation (16), à la riposte graduée et à l’hypothèse de la coupure de l’accès Internet. Dans le même esprit, la directive européenne 2009/140/CE du 25 novembre 2009, composante du troisième « Paquet télécom » (17), prévoit que « les mesures prises par les Etats membres concernant l’accès des utilisateurs finals aux services et applications, et leur utilisation, via les réseaux de communications électroniques respectent les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les principes généraux du droit communautaire ». Cette directive impose par conséquent le respect de la présomption d’innocence et la mise en place d’une procédure « préalable, équitable et impartiale » avant toute restriction de l’accès ; elle estime en conséquence que le droit d’accès à Internet comporte des enjeux qui dépassent largement ceux de l’accès à la presse, la radio ou la télévision (18). Plus encore, « l’accès à internet est indispensable non seulement à l’exercice du droit à la liberté d’expression, mais aussi à celui d’autres droits, dont le droit à l’éducation, le droit de s’associer librement avec d’autres et le droit de réunion, le droit de participer pleinement à la vie sociale, culturelle et politique et le droit au développement économique et social » (19). Comme l’indique le Conseil d’Etat dans son étude annuelle de 2014, la liberté d’entreprendre – qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – implique le droit pour les entreprises de développer des activités à caractère numérique. « La loi et la jurisprudence présentent aujourd’hui plusieurs garanties de ce que l’on pourrait qualifier de ‘’droit à une existence numérique’’ de l’entreprise, qui implique différents attributs : droit à un nom de domaine, droit à fournir des services sur Internet, droit d’utiliser certains instruments tels que la publicité, la cryptographie ou les contrats conclus par voie électronique ». Il va sans dire que la liberté d’entreprendre et le droit à une existence numérique impliquent également le droit d’accéder à Internet. On rappellera que la peine de suspension de l’accès à Internet n’a été prononcée qu’une seule fois par la justice française et jamais appliquée. Elle a été supprimée par le décret du 8 juillet 2013 (le rapport Robert de 2014 a émis une proposition de rétablissement de cette peine de suspension en la généralisant aux infractions qui mettent en péril un mineur).
Dans ce contexte, il convient d’acter que le droit fondamental d’accès à Internet doit être assuré dans ses fondements substantiels et pas seulement comme possibilité de connexion à la toile. L’accès comprend le libre choix des systèmes d’exploitation, des logiciels et des applications. La protection effective du droit d’accès exige des interventions publiques adéquates pour surmonter toute forme de fracture numérique – culturelle, infrastructurelle, économique – en ce qui concerne notamment l’accessibilité de la part des personnes handicapées.

A l’instar de la Charte de l’environnement
C’est donc dans cet objectif que le groupe parlementaire transpartisan a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 la « Charte du numérique »,
à l’instar de la Charte de l’environnement adoptée en 2004. Les débats du
11 juillet 2018 à l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle
« pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » ont finalement abouti au rejet de cette charte.
Mais la réflexion, elle, va se poursuivre, d’autant que l’Internet Society (Isoc) soutient l’initiative française après avoir lancé une pétition « pour la consécration constitutionnelle des droits fondamentaux des utilisateurs du numérique ». @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris,
et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz

Ayant écarté Vivendi, Ubisoft devient une tête de pont du chinois Tencent – le « T » de BATX – en Europe

Alors que Tencent – le géant chinois du Net – va fêter ses 20 ans cette année, il est parti à la conquête du monde. L’éditeur français de jeux vidéo Ubisoft, dans le capital duquel il détient depuis mars dernier 5 %, devient un de ses plus importants appuis pour se développer en Occident.

C’est sa filiale Tencent Mobility Limited qui détient 5 % du capital d’Ubisoft (4,2 % des droits de vote), depuis l’accord d’investissement conclu le 20 mars 2018 (1). Ce partenariat stratégique entre le « T » de BATX (les GAFA chinois) et l’éditeur français de jeux vidéo (présent à l’international) se concrétisera avec le développement et la diffusion d’un nouveau jeu mobile en Chine.

Au-delà des 5 % du capital d’Ubisoft ?
Tencent avait déjà publié en juin 2017 le jeu mobile développé exclusivement pour l’Empire du Milieu – « Might and Magic Heroes: Era of Chaos » – et exploitant une franchise historique d’Ubisoft (2). En moins d’un an, les recettes ont dépassées les 100 millions d’euros en Chine. De quoi renforcer les liens. En janvier dernier, Tencent avait mis une sélection de jeux développés par Ketchapp, filiale d’Ubisoft, sur l’application mobile de messagerie-réseau socialboutique WeChat (alias Weixin) et plus précisément dans l’espace « mini-games » lancé en décembre 2017. Le potentiel de joueurs est énorme puisque près de 1 milliard d’utilisateurs sont actifs sur WeChat/Weixin. Tencent est d’ailleurs aussi éditeur de jeux vidéo comme « Honor of Kings ». L’audience massive du chinois pourrait aider Yves Guillemot (photo de gauche), PDG d’Ubisoft, à atteindre un objectif global à dix ans qu’il s’est fixé : 5 milliards de joueurs grâce au streaming, au cloud et à l’e-sport !
Mais les relations entre le chinois et le français, surtout depuis l’entrée du premier comme « actionnaires de long terme » au capital du second, est plus du donnant-donnant. Si Ubisoft a signé pour que Tencent l’aide à grandir sur le marché chinois, ce dernier est bien sûr en droit d’attendre un retour d’ascenseur du français pour l’aider à se développer sur les marchés occidentaux. Certes, Ubisoft n’a pas attendu Tencent pour s’implanter dans l’Empire du Milieu où il a ouvert des studios dès 2007 à Chengdu (centre-ouest de la Chine) où se trouve sa filiale Chengdu Ubi Computer Software, ainsi qu’à Shanghai (centre-est de la Chine) avec Shanghai Ubi Computer Software et Guillemot Electronic Technology. Sans parler de la présence à Pékin, Chengdu et Shenzhen de Gameloft Software – l’autre éditeur de jeux vidéo fondé par Michel Guillemot, l’un des frères de Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, et tombé dans l’escarcelle de Vivendi mi-2016. Mais cette fois Ubisoft se retrouve un peu plus redevable vis-à-vis de son nouvel actionnaire stratégique minoritaire. D’autant que Tencent a besoin d’appuis solides comme Ubisoft pour se déployer à grande échelle en Occident. Car le colosse du Net, dont la capitalisation est de 468 milliards de dollars (pas si loin de celle de Facebook), voit les choses en grand. Va-til à terme prendre
le contrôle d’Ubisoft comme Tencent Games l’a fait en 2015 de l’éditeur de jeux vidéo américain Riot Games, studio qui a développé le célèbre
« League of Legends », ou du studio finlandais Supercell (« Clash of
Clans ») ? Si le chinois doit encore attendre 2023 avant d’éventuellement porter sa participation au-delà des 5 % dans Ubisoft, limitation à laquelle il s’y est engagé auprès de la famille fondatrice Guillemot (23 % des droits de vote) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il peut compter sur un soutien commercial du français pour se renforcer en Europe. Le PDG cofondateur de Tencent, Ma Huateng dit « Pony » (photo de droite) pose des jalons sur le Vieux Continent tels que la participation croisée de 10 % avec la plateforme musicale suédoise Spotify en 2017, une prise participation de
12 % dans Snap la même année pour en faire une plateforme de gaming, un partenariat avec le fabriquant danois Lego pour des jeux en ligne ou encore un partenariat avec le français Carrefour en 2018.
Aux Etats-Unis, Tencent est entré la même année au capital du producteur Skydance et a signé avec Google en Chine. Alors qu’il a du mal à introduire sa messagerie-réseau social WeChat en Europe, le « T » chinois de BATX serait bien tenté d’y lancer sa plateforme de jeux vidéo WeGame (ex-Tencent Games Platform) pour essayer de détrôner le puissant concurrent Steam du groupe américain Valve. En Chine, le site Wegame.com compte plus de 200 millions de gamers. Attendu à l’international depuis 2017, son lancement en Occident serait pour bientôt si l’on en croit Begeek.fr.

Ubisoft pourrait aider WeGame en Occident
Tencent serait décidé à lancer WeGame dans le reste du monde, en réponse au fait que Valve a signé un partenariat avec Perfect World pour lancer Steam en Chine. C’est là qu’Ubisoft pourrait aider Tencent à promouvoir WeGame en Europe, aux Etats-Unis et au Canada (3). Le géant chinois a bien d’autres atouts à revendre : il veut coter ses activités musique en ligne, Tencent Music Entertainment (TME), sur une Bourse aux Etats-Unis et non
à Hong Kong où le groupe est coté. @

Charles de Laubier

Les podcasts sont de plus en plus natifs mais cherchent toujours leur mesure d’audience

Alors que seuls Europe 1, RTL et Radio France mesurent l’audience de leurs podcasts de radio de rattrapage avec Médiamétrie, qui ne publie plus de chiffres depuis 2013, les éditeurs indépendants de podcasts originaux (dits natifs) espèrent trouver une solution commune d’ici la rentrée.

Après ses podcasts « Minute papillon ! » (flash info) et
« Terrain glissant » (sur le football), le quotidien gratuit 20 Minutes a lancé début juillet deux nouveaux podcasts :
« Sixième science » (en partenariat avec Sciences et Avenir) et « Juste un droit » (questions sur la justice en France). Ces bulletins audios sont disponibles non seulement sur le site web 20Minutes.fr mais aussi sur Deezer, SoundCloud et les applications sous iOS (Apple) et Android (Google).

Binge Audio, FrenchSpin, Nouvelle Ecoute, …
Le gratuit 20 Minutes, détenu depuis 2016 par le groupe belge Rossel et Sipa/Ouest-France, actionnaires chacun à 49 % (de ce journal fondé par le norvégien Schibsted), fait ainsi partie des nombreux médias qui misent sur les podcasts. L’Equipe, Europe 1, Radio France, Radio Nova, Arte Radio, Les Echos, Slate.fr avec Audible (Amazon) et bien d’autres donnent aussi de la voix. Mathieu Gallet, ancien président de Radio France, serait aussi en train de créer sa propre société de production de podcasts (1). Lorsqu’il était encore à la Maison Ronde, il prévoyait de faire payer les podcasts après un certain temps de gratuité, ce que sa successeuse Sibyle Veil n’envisage pas (lire en Une). Le podcast – contraction de « iPod » et de « broadcasting » – s’est affranchi en partie de l’antenne, en n’étant plus seulement de la Catch up Radio, mais aussi un média délinéarisé à part entière.
La multiplication des podcasts natifs, productions audio originales (info ou fiction), le prouve. Outre les smartphones, premier terminal d’écoute des podcasts, l’avènement des assistants vocaux – enceintes connectées en tête (2) – dotés d’Alexa/Amazon, d’Assistant/Google ou de Siris/Apple (3) devrait booster leur audience. Or la mesure d’audience pose justement un problème. Médiamétrie ne publie plus depuis fin 2013 les résultats « eStat » de la mesure des podcasts radio, que seuls Lagardère Active (Europe 1),
RTL et Radio France utilisent pourtant. Mais tous les éditeurs de podcasts n’ont pas les moyens de financer une telle mesure. Selon nos informations, Médiamétrie – qui ne nous en dit pas plus – mène actuellement des discussions avec les éditeurs indépendants de podcasts natifs pour leur proposer « une solution alternative » (4). A défaut d’une mesure globale
des podcasts en France, des solutions moins coûteuses sont proposées par Podtrac, Triton ou encore Aqoa, mais force est de constater qu’elles ne font pas consensus et qu’elles pêchent par l’absence de tiers de confiance pour certifier les résultats. De plus, la mesure de l’écoute effective du téléchargement reste une difficulté (5). « Nous travaillons activement avec tous les éditeurs sur une mesure marché, entre la commission audio-digital du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) et les éditeurs indépendants. Nous devrions arriver à une tendance vers la rentrée », indique à Edition Multimédi@ Joël Ronez(photo), président et cofondateur de la société de production de podcasts Binge Audio, et ancien directeur des nouveaux médias de Radio France et ex-responsable web d’Arte. Cet éditeur audio et réseau de podcasts – le plus écouté en France avec plus de 1,5 million d’écoutes au premier trimestre 2018, selon Podtrac – utilise depuis fin 2017 la solution de mesure d’audience de l’américain Podtrac justement. D’autres éditeurs indépendants tels que FrenchSpin, Riviera Ferraille, Nouvelle Ecoute, Riviera Ferraille, MadmoiZelle, Histoire de Darons ou encore Usbek & Rica l’ont aussi retenue, « L’implémentation de Podtrac se fait au moyen d’un préfixe sur les flux RSS », indique le groupe de travail audio-digital du Geste. Tant que l’audience ne sera pas commune et certifiée en France et les tarifs pour les annonceurs raisonnables (6), la monétisation des podcasts par de la publicité audio sera difficile à réaliser. Aux Etats- Unis, où Podtrac mesure les podcasts et publie les audiences « US Ranking », la publicité sur les podcats a atteint 314 millions de dollars de recettes en 2017 grâce à une croissance de 86 %. Selon l’Interactive Advertising Bureau (IAB), organisation professionnelle de la pub online, et une étude du cabinet PwC dévoilée en juin dernier, ce marché devrait atteindre les 659 millions de dollars en 2020.

Après le transistor et la radio, le podcast ?
Le boom du podcast sera-t-il pérenne ? C’est toute la question. Tout dépend de sa rentabilité future. Pas de mesure certifiée fiable, pas de publicité audio, donc pas d’avenir. Bing Audio, pourtant le réseau indépendant le plus écouté perd de l’argent, et les suivants aussi. Cela n’empêche pas les producteurs de podcasts d’être plus nombreux encore : BoxSons, RadioKawa, LouieMedia, … Selon Médiamétrie, 4 millions de Français écoutent des podcasts chaque mois. @

Charles de Laubier

Trump veut encore empêcher AT&T-WarnerMedia

En fait. Le 13 juillet, le département américain de la Justice (DoJ) a fait appel de la décision d’un juge fédéral d’autoriser, il y a un mois, le rachat du groupe de médias Time Warner – rebaptisé WarnerMedia – par l’opérateur télécoms AT&T pour 85,4 milliards de dollars. Le spectre de Trump plane toujours.

En clair. Rappelez-vous ce que le futur président des Etats- Unis, Donald Trump, avait déclaré lorsqu’il était en campagne en octobre 2016 le jour –
le 22 octobre – de l’annonce par l’opérateur télécoms AT&T du rachat du groupe de médias et de cinéma Time Warner pour plus de 85 milliards de dollars (108 milliards avec la dette) : « C’est trop de pouvoir concentré dans les mains de trop peu de gens ! » (1). Près de deux ans plus tard, le bras de fer continue entre l’administration Trump et le couple AT&T-WarnerMedia (ex-Time Warner).
Le géant des télécoms a finalisé sans attendre la méga-fusion mi-juin. Et ce, juste après que le juge fédéral Richard Leon ait rendu à Washington le 12 juin une décision favorable à l’opération assortie d’un « Memorandum Opinion » de 172 pages qui fera date (2). Pour ce magistrat, l’administration Trump n’avait apporté aucune preuve à l’affirmation selon laquelle l’ensemble AT&T-WarnerMedia allait se faire au détriment des consommateurs. D’ailleurs, la concurrence n’a jamais été plus vivace avec l’arrivée dans le secteur de l’audiovisuel des GAFAN (Netflix compris). Mais le Department of Justice (DoJ) des Etats-Unis s’était donné 60 jours pour éventuellement faire appel, ce qu’il a fait au bout d’un mois seulement – montrant ainsi sa détermination à faire échec au projet. AT&T a d’ailleurs pris la précaution de garder WarnerMedia dans une filiale distincte, afin
de parer à toute éventualité dans cette affaire d’Etat. C’est la division
« Antitrust » du DoJ qui instruit ce méga-dossier (3), lequel lui coûte suffisamment cher pour qu’il en fasse état devant le Congrès en prévision de son budget 2019 : « L’achat de Time Warner par AT&T a consommé des ressources [financières] significatives sur plus d’une année et l’issue du procès, visant à interdire la fusion, s’étendra out au long de l’année 2018.
De telles enquêtes de fusion et défis sont consommatrices de temps et coûteuses, ce qui est le cas parce que les questions sont souvent complexes et l’enjeu est important pour les consommateurs américains et l’économie ». De son côté, le directeur juridique d’AT&T, David McAtee, s’est dit « surpris [mais] prêts à défendre la décision du tribunal devant la cour d’appel ». Reste à savoir si l’opérateur télécoms sera contraint de céder le réseau de télévisions Turner, dont fait partie la chaîne CNN détestée par Donald Trump. @