A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Vers une régulation « presse, médias, plateformes »

En fait. Selon nos informations, c’est le 3 octobre que seront enfin lancés les « Etats généraux de l’information » voulus par Emmanuel Macron. Les conclusions sont attendues pour « mai 2024 », a indiqué Bruno Lasserre, président du « comité de pilotage » créé le 13 juillet par l’Elysée. Il a esquissé l’ambition dans Charente Libre le 7 août.

En clair. « Aujourd’hui nous avons une régulation pour chaque type d’entreprise de l’information : la presse, les médias, les plateformes numériques. Nous avons l’ambition d’une régulation qui surplombe et relie tous ces droits particuliers. La France peut innover et inspirer la Commission européenne », a esquissé Bruno Lasserre, président du comité de pilotage des Etats généraux de l’information, dans un entretien à Charente Libre le 7 août (1). La mission, que lui a confiée Emmanuel Macron consiste à « inspirer le législateur, les politiques publiques ».
Quelle sera cette régulation « surplomb[ant]» la presse, les médias et les plateformes ? « La livraison de nos conclusions est prévue pour mai 2024 », indique le retraité du Conseil d’Etat. Alors que les discussions démarrent au Parlement européen sur le projet de règlement sur « la liberté des médias » (EMFA) en vue d’aboutir avant les élections des eurodéputés en juin 2024 (2). En France, où le feuilleton du JDD « interpelle » (dixit Bruno Lasserre), les propositions de loi sur l’indépendance des médias et de leurs rédactions n’ont pas attendu les Etats généraux de l’information : après la proposition « Forteza » déposée l’an dernier par la députée dont le mandat s’est terminé en juin 2022, il y a la proposition « Assouline » déposée par le sénateur le 12 juillet (3) et la proposition « Taillé-Polian » déposée par la députée le 19 juillet (4). Les Etats généraux de l’information arrivent, eux, un an et demi après le rapport – non suivi d’effet – de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias en France, où des milliardaires s’étaient succédés aux auditions (5).
Le comité de pilotage de Bruno Lasserre va aussi « entendre les acteurs » mais aussi « créer une consultation citoyenne » (jeunes inclus). Parmi les thèmes prévus : l’« éducation aux médias », l’« innovation technologique », le « métier de journaliste », le « statut de tous les nouveaux métiers », les « modèles économiques », le « factchecking », … Et Bruno Lasserre de dire : « Il faudrait pouvoir accéder à un site impartial qui hiérarchise l’information, distingue le vrai du faux, permet aux Français d’exercer leur esprit critique ». Emmanuel Macron, lui, veut y parler de France Médias Monde (RFI et France 24) comme « formidable levier de rayonnement » et « d’influence »… Rédactions indépendantes, avez-vous dit ? @

Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ».

Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ».

Services d’intérêt économique général
Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France). « Les communs numériques sont Continuer la lecture

Yannick Carriou, PDG de Médiamétrie : « Nous allons mesurer en 2024 les plateformes de SVOD comme Netflix »

Médiamétrie – dont le conseil d’administration est composé de membres actionnaires issus des médias (télés en tête), des annonceurs, des agences, mais pas encore des plateformes – sortira en septembre 2024 les volumes de consommations de Netflix, Amazon Prime Video et autres, « qu’ils le veuillent ou non ».

Médiamétrie, qui fêtera ses 40 ans dans deux ans (en juin 2025), fait monter encore plus la pression sur les grandes plateformes numériques comme Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou Apple TV+. Alors que les discussions confidentielles s’éternisent depuis plus d’un an avec certaines d’entre elles, dont Netflix, l’institut français de mesure d’audience réaffirme sa volonté aller de l’avant, avec ou sans leur coopération. « Nous sortirons une quantification totale de consommation des plateformes, puis au niveau des principaux contenus des audiences, avec des définitions ayant du sens, une information auditée, un certain niveau de transparence. A partir de septembre 2024, du moins au troisième trimestre 2024, on sortira des volumes de consommation, par exemple de Netflix. Puis six à neuf mois plus tard [soit à partir de mars 2025 au plus tôt, ndlr], on descendra au niveau des contenus », a indiqué Yannick Carriou (photo), PDG de Médiamétrie, lors d’une rencontre le 12 juillet avec l’Association des journalistes médias (AJM), dont fait partie Edition Multimédi@. Et d’ajouter : « C’est la raison pour laquelle nous avons passé un accord avec Nielsen, qui nous apporte immédiatement des technologies que nous sommes en train de tester et d’adapter à l’Internet français pour faire cette mesure-là ».

Vers une plateforme coactionnaire de Médiamétrie ?
Nielsen, le géant américain de la mesure d’audience présent dans le monde, collabore déjà avec Médiamétrie depuis 1999 mais, avec ce nouveau partenariat signé fin 2022, il fournit au français ses technologies – déjà éprouvées aux Etats-Unis – de mesure des flux digitaux à domicile par des routeurs Internet, de gestion informatique des contenus numériques de télévision, ainsi que de reconnaissance de contenus des plateformes de vidéo à la demande (VOD, SVOD, AVOD, FAST, …). « On sait mesurer quand un terminal se connecte à un serveur qui appartient à Netflix, Amazon ou Spotify, et quantifier automatiquement et de manière assez certaine les volumes de consommation. La situation est un peu différente au niveau des contenus : dans l’univers de la SVOD, 90 % à 95 % des contenus sont quasi exclusifs et on les reconnaît par une technique de type Shazam [reconnaissance de contenus, ndlr], alors que sur la télévision les contenus sont watermarqués [par du watermarking ou tatouage numérique, ndlr]. Sur l’audio digital, c’est plus difficile car les contenus sont aussi diffusés par les autres », explique Yannick Carriou.

Vers une plateforme coactionnaire de Médiamétrie ?
Médiamétrie travaille déjà sur les acteurs de l’Internet comme Google/YouTube, Facebook, Snap et Twitter ou encore Dailymotion, lesquels participent aux travaux de son comité Internet. En revanche, ce n’est toujours pas le cas des plateformes de SVOD qui sont absentes. « Si Netflix, Amazon, Disney et d’autres veulent participer d’avantage, et ils sont les bienvenus ; ils le peuvent en apportant un peu plus de précisions (logs, informations, …) qui seront auditées. Mais à ce jour, aucune plateforme ne nous a encore apporté ses données, constate le PDG de Médiamétrie. De tout façon, on n’en a pas besoin car nous allons d’abord développer notre mesuresocle. Or une fois que l’on commence à les mesurer pour de vrai, qu’ils le veuillent ou non, ils ne rigolent plus et les discussions s’ouvrent ». Comme avec Netflix. Médiamétrie, qui compte cinq comités décisionnels (Audimétrie, TV, Internet, Radio, Métridom (1)) et un atelier Cross média pub, « invite » les plateformes de SVOD à y participer. Mais « à deux conditions : que l’on ait une mesure à discuter et que l’on se mette d’accord sur la comitologie (2) ; probablement qu’en 2024 on aura une discussion pour l’insertion de ces acteurs », indique le PDG de Médiamétrie. Pour l’heure, en France, les Netflix, Amazon et autres Disney pratiquent l’automesure de l’audience de leurs plateformes et de leurs contenus, et ne partagent pas leurs données avec le marché. Certains acteurs de la SVOD peuvent annoncer des chiffres, comme Amazon avec Roland Garros que le géant du ecommerce retransmet depuis 2021, mais ils ne sont pas audités. «La posture de l’automesure qui consiste à dire “Prenez et mangez-en tous” ne marche pas trop », dit Yannick Carriou. Dans l’audio, Spotify fait aussi de la publicité digitale mais « ils sont très opaques sur les chiffres », des annonceurs lui achetant de l’impression (3). « Mais quelle est l’audience derrière ces impressions ? », s’interroge le patron de Médiamétrie. Pour lui, « la plateformisation relève de l’extension du domaine de la lutte ».
Un double bras de fer a lieu avec ces plateformes, notamment de SVOD. D’un côté, Médiamétrie les prévient qu’il va bientôt les mesurer à partir du troisième trimestre 2024, et, de l’autre, l’Union des marques (UDM) dirigée par Jean-Luc Chetrit (photo ci-dessus) les met en garde sur le fait que les annonceurs ne leur achèteront pas d’espaces de publicité tant qu’ils ne seront pas mesurés par Médiamétrie. Si certaines marques se laissent néanmoins tenter par Netflix ou Amazon, « c’est pour essayer et par effet de curiosité », assure Yannick Carriou. Et d’affirmer : « Il n’y a pas eu d’évasion massive de la publicité vers les plateformes de SVOD, et cela n’explique surtout pas la baisse de la publicité de la télévision ». Mais Médiamétrie se garde bien de tirer de conclusion hâtive sur un échec ces derniers mois de Netflix, lequel prépare son « inventaire » (4), tout comme Disney+. « Le plus gros est devant nous », concède-t-il.
Reste la question sensible pour Médiamétrie de l’évolution de son conseil d’administration, dont les 17 membres (maximum) ont la particularité – sauf son président (Yannick Carriou) – d’être salariés des entreprises actionnaires de l’institut de mesure, « société anonyme de droit privée », tient à rappeler son PDG. Actuellement, le capital de 14.880.000 euros est détenu à 65 % par des médias (France Télévisions 22,89 %, TF1 10,8 %, Canal+ 1,4 %, Radio France 13,5 %, Europe 1/ Lagardère 5,4 %, NextRadioTV/Altice 5,4 %, M6/RTL 2,7 %, Ina 2,81 %). Et les 35 % restants par des publicitaires annonceurs, agences conseils et… opérateur télécom (Union des marques 9,33 %, Publicis 6,7 %, Dentsu 6,7 %, Havas 6,7 %, Orange 2,44 %, Omnicom 1,62 %, IPG 1,61 %). Parmi eux, le dernier arrivé au capital (en juillet 2021) est Orange via sa filiale Orange Participations (5). Alors pourquoi ne pas faire aussi entrer une plateforme du Net au conseil d’administration en tant que coactionnaire ? « Mais pourquoi feraisje entrer une plateforme ? », a demandé Yannick Carriou. Pour refléter l’évolution du paysage médiatique et publicitaire, lui répond-on. « C’est un peu romantique comme idée, a-til répliqué, puisque le rôle du conseil d’administration consiste à valider mon budget, les règles de fonctionnement et à vérifier, mais à ne prendre aucune décision sur les mesures. Je pourrais faire entrer Auchan si vous voulez… Mais ça n’apportera rien à la fonction elle-même ». Alors pourquoi avoir fait entrer un opérateur télécom ? « Parce qu’Orange a voulu y entrer, tout en apportant de la data, et s’est rapproché de l’Union des marques qui a bien voulu lui vendre une partie de ses actions et qui donc passé de 11,77 % à 9,33 % », a-t-il justifié. Vous pourriez faire une augmentation de capital si aucun actionnaire actuel n’est vendeur d’actions ? « Je n’ai pas besoin d’argent ». Que dirait Médiamétrie si Netflix, Amazon ou un autre géant du Net venait lui proposer d’être coactionnaire en apportant son expertise data ? « Je ne dis pas non. Il faudrait que la plateforme achète des actions ». Aucun GAFAM n’en a fait la demander à ce jour ? « Non ». Yannick Carriou, qui a entamé un second mandat de trois ans depuis le 1er avril, assure en tout cas que les médias traditionnels ont conscience de l’évolution des usages et les télévisions se plateformisent elles-mêmes.

Etats-Unis : Nielsen compare déjà la TV et le Net
Il serait impossible pour une chaîne comme TF1 de dire qu’elle va devenir une plateforme et de refuser à ce que les autres plateformes comme Netflix soient mesurées. « Ce serait totalement illogique, souligne-t-il. Par contre, là où les chaînes ou les éditeurs sont extrêmement sourcilleux, et ils ont raison car une partie de leur destin difficile est en jeu, c’est sur la comparabilité des mesures ». Les médias veulent la stricte comparabilité des chiffres avec les plateformes, comme a commencé à le faire Nielsen aux Etats-Unis et avec Amazon dès l’année dernière malgré la résistance de certains groupes de télévision américains (6). @

Charles de Laubier

La Société des droits voisins de la presse (DVP) peine à négocier avec les plateformes numériques

Créée il y a près de deux ans et épaulée par la Sacem et le CFC, la Société des droits voisins de la presse (DVP) – présidée par Jean-Marie Cavada – négocie difficilement avec une dizaine de plateformes numériques, dont Google, Meta, Microsoft, Twitter, LinkedIn ou Onclusive (ex-Kantar Media).

(Cet article a été publié dans EM@ n°304 du 24 juillet. Le 2 août, après d’autres médias, l’AFP a saisi la justice contre Twitter, rebaptisé X, pour refus de négocier)

Depuis sa création fin octobre 2021, il y a près de deux ans, la société de gestion collective des droits voisins de la presse DVP (dont la dénomination est Société des droits voisins de la presse) reste assez discrète sur l’état d’avancement de ses négociations avec une dizaine de grandes plateformes numériques. Il s’agit de tenter de trouver des accords de rémunération de la presse lorsque des articles en ligne sont exploités par ces plateformes. A ce jour, la Société DVP représente – au titre des droits voisins de la presse – 238 éditeurs et 46 agences de presse, soit plus de 624 publications de presse.

4 ans après la loi du 24 juillet 2019…
La Société DVP, présidée par Jean-Marie Cavada (photo), a en fait confié les négociations à deux organismes reconnus : la Sacem (1) pour les plateforme numériques dites B2C (orientées consommateurs) telles que Google, Meta, Microsoft, LinkedIn ou encore Twitter ; le CFC (2) pour les plateformes numériques dites B2B (orientées vers les entreprises et professionnels) telles que les prestataires de veille média comme Onclusive (ex-Kantar Media), Cision (ex- L’Argus de la presse) ou encore des crawlers (spécialistes scannant le Web pour leurs clients). La Sacem assure en outre la gestion de la société DVP, dont la directrice générale gérante est Caroline Bonin, la directrice juridique de la Sacem. Les négociations pour obtenir « une juste rémunération », et d’en obtenir le paiement, ont commencé à partir du printemps 2022, mais rien n’a filtré jusqu’à maintenant – les négociations avant tout accord d’autorisation étant soumises à une stricte règle de confidentialité.
« Une dizaine de négociations sont ainsi en cours, à des stades variés, notamment en raison de discussions juridiques complexes sur l’éligibilité au droit voisin de la presse de certaines publications, que les redevables du droit voisin contestent pour diminuer le montant de la rémunération à acquitter et que DVP défend, en application de la loi et dans l’esprit de la gestion collective », a signalé le 31 mai dernier la Société DVP à ses éditeurs membres (parmi lesquels Edition Multimédi@). Certaines négociations ont fait l’objet de plusieurs projets de contrats et offres financières, mais aucune n’a abouti à ce stade malgré des réunions hebdomadaires avec les plus importants acteurs du Net. Le conseil d’administration de la Société DVP – composé de 16 membres (dont 12 éditeurs de presse et 3 agences de presse) et présidé par Jean-Marie Cavada – oeuvre pour obtenir « la meilleure rémunération possible pour tous ses membres et pour toutes les exploitations depuis l’entrée en vigueur de la loi reconnaissant le droit voisin de la presse [du 24 juillet 2019, ndlr], dans le respect des critères posés par cette loi, que les redevables du droit voisin contestent encore ». La loi française « Droit voisin de la presse » du 24 juillet 2019 modifiant le code de la propriété intellectuelle (3), pourtant conforté par l’Autorité de la concurrence (ADLC) qui a prononcé le 9 avril 2020 des injonctions à l’encontre des géants du Net (dont Google) rechignant à négocier, doit encore être appliquée – quatre ans après sa promulgation ! Le 21 juin 2022, l’ADLC a adopté une décision mettant fin à la procédure initiée contre Google et acceptant ses engagements modifiés. Mais des négociations traînent toujours, y compris avec d’autres GAFAM. « Alors que les éditeurs attendent avec impatience la mise en oeuvre de la loi de juillet 2019, le conseil d’administration de DVP est déterminé à signer au plus tôt des accords de licence tout en s’assurant que les fondements du droit voisin soient respectés afin d’en assurer la pérennité », a assuré fin mai la société de gestion collective. Il y a selon elle « urgence économique ».
Un travail de définition des règles de répartition entre les membres a déjà commencé, afin de leur verser rapidement les redevances qui leur revient, dès que le premier contrat sera signé avec la première plateforme. Mais la Société DVP ne cache pas « les difficultés de négociation avec certains grands acteurs du numérique » et pourrait profiter de la date anniversaire de la loi «Droits voisins de la presse » – le 24 juillet donc – pour communiquer et « alerter largement les pouvoirs publics quant à la difficulté de concrétiser l’existence de ce droit ».

Pas encore de redevances, mais des adhésions
Les comptes de l’exercice 2022 de la Société DVP (4) affichent, dans ce contexte de négociations et de bras de fer, des recettes uniquement constituées des frais d’admission versés par les nouveaux membres, pour un total de 76.918 euros. Les dépenses, elles, s’élèvent à 48.330 euros (sites web, vote électronique, commissaire au compte, dépôt de la marque). Ce premier bilan (5) et le budget prévisionnel 2023 (6) expliquent l’absence de DVP dans le rapport annuel 2023 de la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins (CCOGDA), publié le 26 juin dernier par la Cour des comptes (7). @

Charles de Laubier

La France sera l’un des pays les plus impactés par le règlement européen « Liberté des médias »

Le 21 juin dernier, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le mandat lui permettant de négocier avec le Parlement européen le projet de règlement sur « la liberté des médias » (EMFA). Ces discussions devraient aboutir avant les prochaines élections du Parlement européen de juin 2024.

(Tandis qu’en France, le 13 juillet, l’Elysée a annoncé pour septembre des « Etats généraux de l’information » , dont les conclusions seront livrées à l’été 2024)

Le European Media Freedom Act (EMFA), projet de règlement européen sur la liberté des médias, fait couler beaucoup d’encre. Ce futur texte législatif – contraignant pour les Vingt-sept – vise à préserver la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias dans l’Union européenne (UE), ainsi qu’à protéger les journalistes, leurs sources, et les services de médias contre les ingérences politiques dans les rédactions. L’EMFA entend notamment faire la transparence sur la propriété des médias.

Financement des médias et leur indépendance
C’est un sujet sensible, mais déterminant pour la démocratie. L’objectif des instances européennes est que les négociations autour de ce projet de règlement « Liberté des médias » puissent se conclure « avant les prochaines élections au Parlement européen », lesquelles se tiendront les 6 et 9 juin 2024. Maintenant que le mandat de négociation (1) avec le Parlement européen a été approuvé le 21 juin par les représentants permanents des Etats membres, le Conseil de l’UE – présidé depuis le 1er juillet et pour six mois par le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez (photo) – a donné le coup d’envoi de l’examen du texte. Il concerne la presse et la radio qui n’entraient pas dans le champ de la directive européenne de 2010 sur les services de médias audiovisuels (SMA). Or leur importance transfrontalière est croissante grâce à Internet, aux applications mobiles et aux agrégateurs de contenus d’actualités (Google News, MSN, Yahoo News, …), et en plusieurs langues.
Les GAFAM sont des passerelles vers ces médias nationaux, mais aussi des catalyseurs de publicité en ligne. Et – convergence des médias oblige – la presse et la radio en ligne se sont étoffées dans les contenus audiovisuels (vidéo, podcasts, live streaming, …). La désinformation (fake news, manipulations, ingérences, …) est en outre plus facilement propagée par les plateformes numériques et les fournisseurs de contenus. L’article 17 de l’EMFA impose aux très grandes plateformes une « exemption médiatique », à laquelle s’oppose la CCIA représentant les GAFAM (2). Les éditeurs, eux, craignent la censure de leurs contenus par ces géants du Net (3).
C’est dans ce contexte que le Conseil de l’UE et le Parlement européen s’emparent de la proposition de règlement EMFA que la Commission européenne avait présentée le 16 septembre 2022 « établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive [SMA] » (4). Le but est d’harmoniser les règlementations nationales sur la presse et la radio en termes de pluralisme des médias, d’indépendance éditoriale ou encore de financement de ces médias par des acteurs privés (industriels, milliardaires, fonds, …) et par les pouvoirs publics (aides d’Etat (5), médias publics, …). Parmi les « obstacles » au marché unique des médias en Europe, le mandat du 21 juin pointe « le manque de coordination entre les mesures et procédures nationales des Etats membres » et « l’insuffisance des outils de coopération réglementaire entre les autorités réglementaires nationales » (Arcom en France, l’ALM en Allemagne, l’AGCOM en Italie, etc.). Ce à quoi s’ajoutent « des mesures nationales discriminatoires ou protectionnistes », qui peuvent pénaliser les éditeurs désireux d’entrer sur de nouveaux marchés.
Plus largement, l’EMFA veut que soient respectés par les éditeurs : la liberté des médias, le pluralisme des médias, la diversité culturelle, linguistique et religieuse, conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’UE (6). La Hongrie, la Pologne et la Slovénie sont souvent cités comme les premiers pays visés par ce futur règlement, mais la France n’est pas en reste malgré sa loi de 1881 sur « la liberté de la presse » (7). Car l’Hexagone a la particularité unique au monde d’avoir des pans entiers de sa presse détenus par des industriels milliardaires : Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Xavier Niel, Daniel Kretinsky, Bernard Arnault, Patrick Drahi, ou encore Rodolphe Saadé. À la suite de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias en France (8), une seule proposition de loi sur l’indépendance des médias a été déposée par la députée Paula Forteza en février 2022 mais semble depuis bloquée à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale (9).

Lobbies des éditeurs contre un « super-Erga »
Au niveau européen, le lobbying des éditeurs de presse – via l’association des quotidiens ENPA et celle des magazines EMMA – est puissant (10). Leur dernière action : une lettre ouverte datée du 27 juin (11) aux législateurs européens s’inquiétant notamment de « l’harmonisation européenne » et de la création d’un Conseil européen des services des médias (EBMS) qui transformera l’actuel Erga (regroupant les « Arcom » nationaux) en « super-Erga » garant de l’indépendance des médias et du respect du futur EMFA. @

Charles de Laubier