A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Marie-Pierre Sangouard, Amazon France : « L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif »

Directrice des contenus Kindle d’Amazon France depuis 2011, après avoir été directrice du livre à la Fnac, Marie-Pierre Sangouard nous répond à l’occasion du Salon du livre de Paris sur l’auto-édition, le livre numérique, la TVA, le format AZW, ainsi que sur le lancement d’Amazon Publishing en France.

La francophonie numérique veut s’imposer face à un Internet colonisé par les pays anglophones

Ayant succédé au Sénégalais Abdou Diouf en tant que secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors du XVe Sommet de la francophonie de novembre 2014, la Canadienne Michaëlle Jean (photo) a présenté le 18 mars dernier à Paris le premier rapport sur la « francophonie numérique ».

Par Charles de Laubier

Michaëlle JeanIl y a aujourd’hui 274 millions de francophones dans le monde. Ils seront 700 millions en 2050, soit une personne sur treize. Au moment où est célébrée, ce 20 mars, la Journée internationale de la francophonie (1), le rapport sur la « francophonie numérique » dresse pour la première fois un état des lieux de la langue française et des francophones sur Internet.
« A première vue, on peut penser que les francophones sont bien servis dans l’univers du numérique. Bien qu’ils ne constituent que 3 % de l’ensemble des internautes, 4 % de l’ensemble des contenus qu’on trouve sur Internet sont en français », constate-t-il.
L’anglais, sureprésenté sur Internet
Mais à y regarder de plus près, l’anglais est la langue la plus surreprésentée sur Internet : « Il y est deux fois plus présent que ne paraît le justifier sa proportion du nombre d’internautes ». Les utilisateurs de langue anglaise représentent en effet 27 % de l’ensemble des internautes, alors que les contenus en anglais pèsent 56 % sur Internet – soit une offre deux fois plus importante que la demande.
Les francophones, eux, ne représentent que 3 % des internautes mais disposent de contenus en français en proportion avec leur nombre. Encore faut-il que les habitants des 57 pays membres de la francophonie – sur cinq continents – aient bel et bien accès à des contenus numériques de qualité, particulièrement pédagogiques. «Pour que la quantité de contenus numériques de qualité en français et en langues partenaires s’accroisse sur Internet et ailleurs, les acteurs francophones doivent continuer d’investir dans leur production et leur diffusion », recommande vivement ce rapport présenté le 18 mars par secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Michaëlle Jean (photo). Face aux Etats-Unis qui produisent le plus de contenus sur Internet, portés par les GAFA américains (3), l’OIF en appelle aux gouvernement des pays francophones pour que leurs populations aient accès à des contenus en langue française. Cela passe par la production de contenus, le développement de technologies en français, le soutien à la créativité artistique francophone, mais aussi la production dynamique de contenus en mode collaboratif, à l’image de ceux de l’encyclopédie Wikipédia ou du système de base mondiale de données géographiques OpenStreetMap. « Il faut publier des livres numériques en français. Il faut publier des vidéos en français sur YouTube. Il faut produire des logiciels en langue françaises, notamment dans le logiciel libre [voir tableau ci-contre, ndlr]», a insisté Réjean Roy, chargé de la rédaction du rapport de l’OIF et expert canadien en technologies de l’information.

Droit d’auteur et domaine public
La question du droit d’auteur à l’ère du numérique est également posée, dans la mesure où les internautes et mobinautes francophones peuvent créer de nouveaux contenus et services en se servant de ce qui existe. « En fait, il n’a jamais été aussi facile de combiner différents films pour en créer un nouveau, d’enrichir un jeu vidéo
de ses propres idées, de produire une nouvelle chanson en modifiant le rythme d’un classique, de modifier un livre existant pour le mettre au goût du jour et ainsi de suite.
Il existe cependant un grand obstacle à la créativité potentiellement sans fin des internautes et des utilisateurs des TIC : le manque de matériel qu’il leur est possible d’exploiter librement », relève le rapport de l’OIF, au moment où la Commission européenne s’apprête de son côté à réformer la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Il y a bien le Réseau numérique francophone (RNF), créé à Paris en 2006 par les bibliothèques nationales de différents pays avec pour mission d’assurer la présence du patrimoine documentaire francophone sur le Web. Ce sont ainsi plus de 800 000 documents en français qui sont accessibles sur le site Rfnum.org : journaux, revues, livres, cartes et plans, documents audiovisuels. Il y a aussi le Calculateur du domaine public, dont la version bêta est en ligne : créé à l’initiative de la France en partenariat avec l’Open Knowledge Foundation, il s’agit d’un outil de valorisation des œuvres qui ne sont plus protégées par un droit de propriété littéraire et artistique. Cet outil s’appuie sur les métadonnées des établissements culturels pour identifier, explorer et valoriser les oeuvres du domaine public. Mais ces initiatives ont encore une portée limitée. « D’autres contenus ne peuvent être exploités de façon optimale par les utilisateurs des TIC, parce que le mode de protection intellectuelle sélectionné volontairement ou involontairement par les créateurs les empêche de le faire. Pour contourner ce problème, les francophones gagnent à recourir à de nouveaux instruments comme les licences Creative Commons», explique le rapport de l’OIF (4).
Par exemple, un cinéaste pourra choisir une licence Creative Commons pour laisser d’autres artistes intégrer des extraits de ses films dans leurs propres productions et vendent ces dernières. Ou un photographe pourra laisser les internautes reproduire et distribuer ses clichés librement, à condition que ces derniers ne soient pas modifiés, que l’on indique qu’ils sont de lui et qu’aucune utilisation commerciale n’en soit faite.
A noter que depuis janvier 2012, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et la Creative Commons Collective Societies Liaison ont un accord pour permettre aux artistes de mettre à disposition, notamment sur Internet, leurs œuvres pour une utilisation non commerciale.

Vers un plan numérique de la francophonie ?
L’année 2015 marque en tout cas une prise de conscience des enjeux culturels de la francophonie numérique, au moment où c’est justement en octobre prochain que va être fêtée les dix ans de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Signée le 20 octobre 2005 à Paris, où se situe aussi le siège de l’OIF, ce texte international doit faire l’objet de « directives opérationnelles » pour prendre en compte le monde digital (5). Le rapport de l’OIF montre bien que la francophone numérique dépend aussi à des infrastructures d’accès à Internet (6). Selon l’Internet Society, cité dans le rapport, « la faible connectivité entre les fournisseurs de services Internet (FAI) se traduit souvent par le routage du trafic local vers des liens internationaux coûteux, simplement pour atteindre ensuite des destinations dans le pays d’origine. Ces liens doivent être payés en devise étrangère. De fait, les FAI doivent payer les taux d’expédition internationale pour une livraison locale. Il y a une solution internationalement reconnue à cette inefficacité. Il s’agit d’un point d’interconnexion Internet ou IXP ». Or, sur plus de 400 IXP dans le monde, il sont seulement 60 à être situés dans des pays membres de l’OIF – surtout en Europe et au Canada.
Côté financements, afin de favoriser l’incubation dans l’investissement numérique, notamment auprès de projets et start-up francophones innovantes, le Fonds francophone des inforoutes (FFI) – créé en 1998 – vient d’être transformé en Fonds francophone de l’innovation numérique (FFIN), dont les capacités financières seront renforcées. « Un appel à projets va être lancé prochainement », a indiqué Eric Adja, directeur de la francophonie numérique à l’OIF. Le Réseau francophone de l’innovation (Finnov (7)), créé en juillet 2013, recense pour l’instant 64 incubateurs dans les pays francophones. De là à imaginer un « plan numérique de la francophonie » (dixit Louis Houle, président du chapitre québécois de l’Internet Society), il n’y a qu’un pas… Peut-être d’ici le prochain Sommet de la francophonie prévu à Madagascar en 2016. @

Charles de Laubier

Comment Webedia (Fimalac) entend venir en aider à l’industrie culturelle française

Webedia prévoit de doubler son chiffre d’affaires à 100 millions d’euros en 2015. Pour Véronique Morali, sa présidente, la filiale digitale de Fimalac – holding de son compagnon Marc Ladreit de Lacharrière – veut être le porte-drapeau numérique de l’industrie culturelle française dans le monde. Les acquisitions vont se poursuivre.

(Depuis la publication de cet article, Le Monde révèle le 1er avril que Fimalac « semble aujourd’hui le candidat le plus probable »  pour les 49 % de Dailymotion, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, préférant des partenaires européens)

Véronique Morali« Notre vision est que nous pouvons être facilitateur de la transformation digitale des filières dans le divertissement et l’industrie culturelle. Et le cinéma est un bon exemple. Nous avons trouvé qu’il était judicieux de devenir partenaire du CNC (1) quand
il a lancé (en janvier dernier) son offre de mise en avant des films français [http://vod.cnc.fr, ndlr], en apportant notre savoir-faire digital dans le cadre de la recomposition de place qu’il est en train de mener », a déclaré Véronique Morali (photo), présidente du directoire de Webedia et présidente de Fimalac Développement, devant l’Association des journalistes médias (AJM), le 9 mars dernier (2).
Le site web Allociné – que Webedia a acquis en juillet 2013 – propose aux internautes de voir les films en les louant ou les achetant sur des plateformes tierces de vidéo à la demande (VOD) vers lesquelles ils sont orientés. A terme, les télécharger directement pourrait être proposé.

Cinéma, jeux vidéo, mode/beauté, cuisine/gastronomie et tourisme
Webedia veut qu’Allociné soit plus qu’un simple site web de référence du cinéma. « Plutôt que d’organiser en tant que CNC le référencement des offres légales, nous lui avons dit de profiter (en se mettant en dessous) de ce que l’on fait depuis vingt ans chez Allociné pour les fiches-films. Tous les mois sur Allociné, il y a environ 250 millions de fiches-films qui sont consultées par mois, et sur lesquelles les offres de VOD dites vertueuses sont référencées », a expliqué Cédric Siré, PDG de Webedia, présent aux côtés de Véronique Morali.
En revanche, Webedia ne compte pas aller sur le terrain de la VOD : « Car entrer sur ce marché, cela demande un premier investissement de 30 et 40 millions d’euros à mettre sur la table pour se payer aujourd’hui un catalogue (de films) à distribuer. Ce n’est pas notre modèle. Nous préférons le modèle média », a justifié le fondateur de Webedia.
Le cinéma fait partie des cinq thématiques verticales – avec les jeux vidéo, la mode/beauté, la cuisine/gastronomie, et le tourisme – sur lesquelles le groupe Fimalac a décidé d’investir en Europe et à l’international (3). « Avec nos verticales, nous voulons être partenaire de la recomposition digitale de filières pour le divertissement. L’industrie culturelle est beaucoup travaillée par le groupe Fimalac, avec tout un pôle entertainment [production de spectacles et exploitation de salles (4), ndlr]», a indiqué Véronique Morali. Et Cédric Siré de poursuivre : « Nous avons choisi ces cinq thématiques où l’on est capable de devenir des numéros un mondiaux et où nous estimons que la France a une légitimité, voire une forme d’exception ». Sur chacune
de ces cinq domaines culturels, Webedia s’appuie sur un triple modèle économique :
la publicité (e-pub programmatique, vidéo, opérations spéciales, …), les services (aider notamment les marques à devenir elles-mêmes des médias), et le e-commerce (comme la billetterie). Cédric Siré a aussi dit que les cinq verticales n’avaient pas vocation à aller jusqu’à faire de la presse papier (« Nous ne savons pas faire »).

En revanche, après avoir investi 240 millions d’euros depuis l’acquisition de Webedia (Pure People, Allociné/Côté Ciné, Jeuxvidéo.com/Millenium, 750g, …), Fimalac va
plus que jamais continuer à faire des acquisitions dans chacun de ces cinq secteurs culturels du divertissement. « Nous avons un actionnaire en quête de pépites et de développement, dans le cadre d’un capitalisme familial bien compris (donc très rigoureux dans la gestion et la rentabilité). On ne peut pas dire que l’on ait des limites. On ne peut pas acheter Google, c’est clair ! », a lancé Véronique Morali. Et pourquoi pas Dailymotion ? « Ce n’est pas à vendre, d’abord. C’est une belle affaire mais ce n’est pas à vendre pour Orange », a-t-elle répondu (5). « Au niveau mondial, on est déjà le deuxième groupe français digital derrière Dailymotion », s’est en tout cas félicité Véronique Morali. S’il n’y pas de limite, une acquisition à 1 milliard d’euros ? « Je ne sais pas, franchement… Si vous avez de bonnes idées, vous me les passez. Ce que
je peux vous dire, c’est qu’on étudiera cette offre ! Nous n’avons pas de limites, si ce n’est la limite de la liquidité de Fimalac. Et encore, Marc de Lacharrière dirait que l’on des capacités d’emprunts qui sont intactes puisque l’on a zéro dette », a-t-elle poursuit.

Fimalac, consolidateur culturel
Dans un univers du divertissement très fragmenté, Fimalac affirme ainsi son ambition d’être un acteur numérique de l’industrie culturelle française et un consolidateur sur le mode build-up (6) (dixit Véronique Morali). Le groupe du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière en a les moyens, notamment depuis la cession en décembre de 30 % de l’agence de notation Fitch, dont il détient encore 20 %. Ce qui lui a rapporté l’équivalent de plus de 1,5 milliards d’euros. @

Charles de Laubier

Stream ripping : la question de la licéité de la copie privée à l’ère du streaming reste posée

Le streaming s’est imposé face au téléchargement sur Internet. Si mettre en ligne une oeuvre (musique, film, photo, …) nécessite l’autorisation préalable des ayants droit, les internautes ont-ils le droit à la copie privée – exception au droit d’auteur – lorsqu’ils capturent le flux (stream ripping) ?

Martin Bouygues ne veut pas sacrifier sa filiale Bouygues Telecom sur l’autel de l’oligopole

Un an après avoir tenté – en vain – de racheter SFR, la filiale télécoms de Bouygues est devenue au fil des mois une proie pour ses concurrents (Free, Orange, Altice/Numericable-SFR) qui, pour la plupart, veulent un passage de quatre à trois opérateurs – un triopole – sur un marché français devenu très oligopolistique.

Par Charles de Laubier

C’était il y a un an maintenant. Le 6 mars 2014, Bouygues présentait aux analystes financiers « un projet industriel qui donnerait naissance à un acteur majeur du numérique en France » : la fusion Bouygues Telecom-SFR. En chiffre d’affaires annuel, le nouvel ensemble aurait pesé 15 milliards d’euros et serait devenu le septième plus grand opérateur télécoms en Europe dernière, Deutsche Telekom, Telefonica, Vodafone, Orange, Telecom Italia et British Telecom, mais plus gros que Telenor, Telia Sonera et Swisscom. Le rapprochement de la filiale télécoms de Bouygues de celle (à l’époque) de Vivendi aurait aussi capitalisé sur les relations historiques de Bouygues Telecom et SFR pour le partage des investissements : coopération dans l’ADSL depuis 2008, co-investissement dans la fibre depuis 2010 et projet de mutualisation dans les réseaux mobiles.

Numericable-SFR, Free et Orange sont en embuscade
Et pour que ce rapprochement de ces deux opérateurs télécoms matures du marché français puisse être accepté par l’Autorité de la concurrence, Martin Bouygues (photo), PDG du groupe éponyme, s’était arrangé – par avocats interposés – avec Xavier Niel, patron de Free, pour que ce dernier lui rachète son infrastructure mobile et ses fréquences dans le cas où la fusion Bouygues Telecom-SFR aboutirait.
On connaît la suite : Vivendi a préféré le mois suivant vendre SFR à Altice-Numericable ; Bouygues Telecom s’est retrouvé Gros-Jean comme devant. Et malgré la tentative qui s’en est suivie de Xavier Niel pour s’en emparer, la filiale télécoms du groupe Bouygues s’est résolue à poursuivre seule son chemin. « Bouygues Telecom poursuit la mise en place de son plan de transformation (…) visant à lui garantir un avenir autonome. De plus, le groupe n’a reçu à ce jour aucune offre de rachat pour sa filiale Bouygues Telecom », avait indiqué Martin Bouygues dans un court communiqué, le 4 août dernier, en réponse aux velléités du fondateur de Free et son rival de toujours (1) (*) (**). Un an et quelques marques d’intérêt d’Orange (au printemps) et d’Altice (à l’automne) après, la situation n’a pas changé, ou presque, et les rumeurs courent toujours : Numericable-SFR, le nouveau groupe constitué par Patrick Drahi et sa holding Altice (2), étudie le rachat de Bouygues Telecom (3), tandis que Free et Orange seraient en embuscade.

France : de quatre à trois opérateurs ?
Comme il y a un an, Martin Bouygues a dû faire taire les rumeurs lors de la présentation des résultats financiers du groupe familial le 25 février dernier :
« Nous sommes beaucoup courtisés, comme tous les opérateurs du monde.
Mais il n’y a aucune négociation en cours. Le choix, c’est le stand alone ; on a
été très clairs là-dessus. Bouygues Telecom dispose d’un portefeuille de fréquences exceptionnel et peut donc parfaitement poursuivre son chemin seul ».
Le magnat du BTP et de la communication, qui aurait même lancé un « Vous vendriez votre femme, vous ? » (4), ne veut pas que sa filiale télécoms fasse les frais de la consolidation du secteur, laquelle est bien engagée avec la constitution du groupe Numericable-SFR (Virgin Mobile compris). Orange est aux avant-postes pour exiger un passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France. « Nous avons toujours dit qu’une consolidation du secteur en France serait positive et nous sommes disponibles pour des initiatives qui auraient du sens », a rappelé Ramon Fernandez, directeur financier de l’ex-France Télécom. Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, qui présentera le 17 mars son plan stratégique à horizon 2020, en appelle depuis un an – à qui veut bien l’entendre – à un marché à seulement trois opérateurs et non plus quatre comme actuellement. « Sur le marché français, on ne pourra pas rester durablement à quatre opérateurs ; la taille du marché ne le justifie pas », avait-il encore affirmé sur France 24, en prenant en exemple l’Allemagne qui est passé l’été dernier de quatre à trois opérateurs avec le rachat de E-Plus, filiale du néerlandais KPN, par O2, filiale de l’espagnol Telefonica. Selon lui, la constitution d’un triopole non seulement ferait baisser la pression concurrentielle (donc la baisse des prix susceptibles alors de repartir à la hausse) mais aussi du même coup de renforcer ses marges financières afin de poursuivre ses investissements dans les réseaux très haut débit de nouvelle génération (4G et fibre optique).
Qu’en pense le régulateur des télécoms ? « Comme Bruno Lasserre [le président de l’Autorité de la concurrence, ndlr], je pense qu’il n’y a pas de chiffre magique à trois ou quatre opérateurs. Mais il y a un chiffre maudit, c’est deux ! Un duopole est difficile à réguler, tous les exemples à travers le monde montrent que c’est la pire situation pour l’investissement et les prix », a affirmé Sébastien Soriano le 22 février dans une interview au Figaro. Le nouveau président de l’Arcep connaît bien Bruno Lasserre, avec lequel il partage les mêmes vues sur la consolidation du marché français des télécoms, pour avoir été durant trois ans rapporteur permanent à l’Autorité de la Concurrence (2001 à 2004), puis rapporteur général adjoint (2009 à 2012). Bruno Lasserre s’opposera à toute concentration d’opérateurs télécoms qui présentera un risque de basculement à terme dans un duopole. Ainsi à deux reprises, en 2012 puis en 2014,
il s’est opposé à ce que Free rachète SFR car cela aurait provoqué la disparition inéluctable de Bouygues Telecom.
Mais le président de l’Autorité de la concurrence n’est pas contre un retour à un triopole, à la condition indispensable à ses yeux qu’il y ait « un Maverick de type Free » (5) : Qui de Free ou de Bouygues Telecom restera ce franc-tireur indépendant capable d’animer la concurrence en cas de « troïka » dans les télécoms ? « Lorsque le Maverick est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de ce Maverick. Ce sont des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs »,
avait expliqué le 11 juin 2014 le président de l’Autorité de la concurrence, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). Dans le mobile,
avant l’arrivée de Free en février 2012, c’était Bouygues Telecom qui faisait office
de Maverick, d’aiguillon ou de lièvre pour la concurrence. Près de vingt ans après l’invention par Bouygues Telecom du forfait mobile (en mai 1996) et plus de douze ans après l’invention par Free du forfait triple play (à 29,99 euros), Bruno Lasserre entend bien garder un « trublion des télécoms » dans l’Hexagone, lui qui fut directeur général des PTT dans les années 1990 et qui a « brisé le monopole de France Télécom et SFR à l’époque » (selon ses propres termes).

Bouygues Telecom est bien vivant !
En tous cas, Martin Bouygues ne veut pas sacrifier ses télécoms sur l’autel de la concentration à trois opérateurs. « Nous avons été en enfer durant quatre ans ; on a voulu nous tuer, mais ça a raté ! », a-t-il ironisé le 25 février. Bouygues Telecom est bien vivant… Martin aussi (6). D’autant que l’entreprise dirigée par Olivier Roussat, son PDG depuis avril 2013, va finaliser cette année son plan d’économies de 300 millions d’euros (7) présenté il y a trois ans, avec notamment à la clé plus de 1.400 départs volontaires de salariés (sur 9.000), pour un retour au vert espéré dès 2016. Pour cela, l’opérateur mise sur sa box Miami lancée en janvier, sur les « bonus » pour mobile tels que Spotify, CanalPlay et Gameloft, et une 4G plus puissante prévue cette année, tout en voulant continuer à être « le price maker » (dixit Martin) dans le fixe. @

Charles de Laubier