A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Piratage : l’Hadopi se dit prête a gérer la liste noire

En fait. Le 10 septembre, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, a lancé le « Comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins ». La charte des acteurs du e-paiement tarde, mais l’Hadopi est prête.

Un an après son lancement en France, comment Netflix tire le marché de la SVOD

Grâce à Netflix présent en France depuis un an, le marché de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) commence à décoller et devrait atteindre 470 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Mais le numéro un américain s’arrogera les deux-tiers : pas très réjouissant pour les autres…

Reed HastingsSelon les prévisions du cabinet d’études NPA Conseil, Netflix devrait réaliser en 2018 environ 290 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le marché français de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui atteindrait alors un total de 470 millions d’euros – contre 173 millions attendus cette année (voir graphique ci-dessous).
Pendant que la firme américaine dirigée par Reed Hastings (photo) se taillera la part du lion, soit les deux tiers du marché français, les autres services concurrents essaieront de tirer tant bien que mal leur épingle du jeu. CanalPlay devrait stagner au cours de ces trois prochaines années, après avoir atteint les 600.000 abonnés fin 2014 (700.000 revendiqués aujourd’hui).

Près de 1 million d’abonnés Netflix en France d’ici la fin de l’année
Le service de SVOD du groupe Canal+ serait ainsi en passe d’être dépassé par Netflix, lequel devrait atteindre en fin d’année : soit 600.000 abonnés (scénario pessimiste de NPA Conseil), soit 900.000 abonnés (scénario optimiste).
Si CanalPlay risque de stagner à moins de 1 million d’abonnés d’ici à 2018, le service américain devrait quant à lui afficher 1,1 million d’abonné (scénario pessimiste), voire 2,7 millions (scénario optimiste). Une des raisons de ce succès annoncé de ce nouvel entrant réside dans dans son catalogue qui, ayant démarré il y a un an en France avec seulement 3.598 programmes, dépasse maintenant en nombre ceux de tous ses concurrents : à fin juin, Netflix propose en France 10.848 programmes (dont 131 séries, parmi lesquelles 9 françaises), contre 9.136 programmes chez CanalPlay (dont 115 séries, parmi lesquelles 12 françaises), suivi de Jook Video avec 3.890 programmes (que AB Groupe a arrêté le 30 juin dernier (1) pour se concentrer sur des thématiques), TFou Max de TF1 avec 2.683, Club Video SFR de Numericable- SFR avec 1.876 programmes, Video Futur de Netgem avec 1.256 programmes, Pass M6 avec 992 programmes et Filmo TV du groupe Wild Bunch avec 445 programmes. Netflix se distingue aussi par ses créations originales : House of Cards, Orange is the New Black, Marco Polo, Daredevil, … Même si le service de SVOD aux 70 millions d’abonnés dans le monde, est en passe d’écraser tous ses concurrents français, il leur fait tout de même profiter de sa dynamique de développement. « La montée en puissance de Netflix devrait exercer un effet moteur sur l’ensemble du marché, et particulièrement pour les services qui se positionneront de façon alternative aux grandes plateformes généralistes (à l’exemple de TFou Max ou de Gulli Max sur le segment jeunesse, ou d’Afrostream dont le lancement interviendra à la rentrée) », prévoit NPA Conseil, pour qui la firme de Los Gatos fait preuve d’une « implantation solide et durable en France ». Netflix propose en outre à fin juin quelque 130 films français, dont un nombre significatif ont moins de 36 mois car ils sont sortis aux Etats-Unis. En France, la réglementation de la chronologie des médias interdit actuellement de commercialiser un nouveau film en SVOD avant 36 mois justement. Cette contrainte en vigueur depuis 2009 aurait pu être un obstacle au décollage de Netflix sur l’Hexagone : il n’en est rien, même si ce délai de trois ans est devenu anachronique à l’heure d’Internet. La reprise des négociations le 1er juillet dernier pour réformer cette chronologie des médias (2) obsolète pourrait aboutir à un passage de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois (3). Ce serait un petit coup
de pouce pour rafraîchir un peu les catalogues de la SVOD en France. @

Charles de Laubier

Le manque d’interopérabilité des écosystèmes de l’Internet mobile à nouveau pointé du doigt

L’Internet Society (Isoc), association qui est à l’origine de la plupart des standards ouverts du Net, dénonce le verrouillage des plateformes mobiles
telles que celles d’Apple, de Google ou de Microsoft. Ce qui limite les choix
des consommateurs et augmente les coûts de développement des applications.

Michael Kende« Aujourd’hui, nous associons l’Internet mobile à un appareil intelligent qui tourne sur une plateforme spécifique et qui permet d’accéder aux applications que nous utilisons. Bien que cela ait généré des avantages extraordinaires pour les utilisateurs et toute une économie des applications pour les développeurs, les utilisateurs sont prisonniers d’une plateforme et cela limite au final les choix d’une manière inédite pour l’Internet », déplore Michael Kende (photo), chef économiste de l’Internet Society (Isoc) et auteur du rapport « Global Internet Report 2015 » dévoilé le 7 juillet dernier.
Le problème est que la grande majorité des applications mobiles sont « natives », c’est-à-dire qu’elles sont développées pour une plateforme mobile telle que Android de Google, iOS d’Apple, Windows Phone de Microsoft ou encore Blackberry du fabricant éponyme (ex-RIM).

Dépendance OS-App Store
Cela augmente les coûts pour les développeurs, lesquels doivent concevoir des applications pour chacune de ces plateformes, tandis que les consommateurs sont pieds et poings liés par ces écosystèmes verrouillés, dans l’impossibilité de passer d’une plateforme à une autre. Ce qui limite et le choix des mobinautes et la concurrence entre ces plateformes. Le rapport de l’Isoc constate ainsi une « dépendance croissante aux applications mobiles ».
Cette association internationale pionnière du Net, regroupant une communauté de concepteurs, d’opérateurs, de fournisseurs de réseau et de chercheurs (2), s’en prend ainsi à ces walled gardens. Alors que l’on compte aujourd’hui plus de 1,3 million d’applications mobiles dans le monde, l’inconvénient est qu’elles ont été pour la plupart d’entre elles développées pour des plateformes dites « propriétaires ». Le mobinaute se retrouve non seulement dépendant de l’OS (Operating System) sous-jacent mais aussi de l’App Store correspondant. Par exemple : l’iOS d’Apple est associé uniquement à iTunes et Android à Google Play. Comparée à l’accès au Web avec un navigateur Internet sur un ordinateur, l’expérience de l’internaute est largement plus ouverte que celle du mobinaute dans sa prison dorée (3). « Sur les terminaux intelligents utilisant des applis natives, c’est complètement différent. D’abord, les utilisateurs ne peuvent pas facilefacilement chercher parmi les applications, ou facilement se déplacer entre elles comme sur des sites web. De plus, ils ne peuvent pratiquement télécharger que ce qu’il y a dans l’App Store, et il ne leur est pas possible de changer de boutique. Finalement, s’ils changent de système d’exploitation, ils auront à ré-accéder à toutes leurs applis, pour peu qu’elles soient aussi disponibles sur la nouvelle plateforme », souligne le rapport de l’Isoc.

A cela s’ajoute le fait que bon nombre d’applis mobiles sont des outils standalone :
elles n’ont pas d’adresses web ni d’hyperliens dit « profonds » (ou deep link) permettant de pointer vers une autre appli ou vers une de ses ressources précises. Résultat : les informations trouvées sur une appli ne peuvent pas être facilement partagées et les utilisateurs ne peuvent pas passer d’une appli à l’autre. Il faut donc encourager les développeurs à adopter ces liens profonds, en assignant à chaque application une URI (Uniform Resource Identifier) sur le modèle des URL du Web. « Cependant, malgré des progrès, il y a toujours des pierres d’achoppement sur l’adoption du deep linking », regrette Michael Kende.
En plus de ce manque d’interopérabilité mobile, qui génère de la confusion chez les mobinautes, il y a le problème du contrôle exercé par les propriétaires des App Stores qui peuvent « limiter l’expression et le choix des consommateurs ». Les Apple, Google et autres Microsoft peuvent en tant que gatekeepers se transformer en censeurs de contenus, ayant le droit de vie ou de mort sur les applis qu’ils publient sur leur boutique en ligne. Leur pouvoir peut potentiellement restreindre l’innovation.

Problème identifié en Europe
Le manque d’interopérabilité des applis et de leur écosystème a aussi fustigé par la Commission européenne sur la base d’un rapport commandité à Gigaom et intitulé
« Sizing the EU App Economy ». Publié en février 2014, il assimile les non-interopérabilités à des « goulets d’étranglement technique » que Bruxelles voient comme une cause de « morcellement » du marché unique numérique (4). En France, le 10 décembre 2014, Tim Berners-Lee – l’inventeur du World Wide Web il y a 25 ans – a lui aussi dénoncé les environnements fermés et verrouillés des applis mobiles (5), tout en se posant en garant de l’ouverture et de l’interopérabilité du Net avec HTML5. @

Charles de Laubier

Après la presse et la radio, Matthieu Pigasse veut investir la télévision et la musique

Le directeur général délégué de la banque Lazard (vice-président Europe), Matthieu Pigasse, est propriétaire du magazine Les Inrockuptibles depuis 2009, co-actionnaire du groupe Le Monde depuis 2010, du Nouvel Observateur depuis 2014, et acquéreur de Radio Nova en mai 2015. Et après : musique et télévision.

Par Charles de Laubier

Matthieu PigasseSa holding personnelle s’appelle « Les Nouvelles Editions indépendantes » (LNEI) et a été constituée il y aura six ans le
31 juillet. Après des négociations exclusives, qui ont été annoncées le 21 mai, elle est en passe de racheter le groupe Nova Press, propriétaire de Radio Nova, de Nova Records ou encore de Nova Production.
C’est la dernière acquisition en date de Matthieu Pigasse (photo), banquier et homme d’affaire, fils de Jean-Daniel Pigasse, lequel fut journaliste à La Manche Libre, et neveux de Jean-Paul Pigasse, ancien directeur général adjoint du groupe Les Echos (1) et de la rédaction de L’Express dans les années 1980. Matthieu Pigasse (47 ans) a hérité de la fibre média.
Avec Radio Nova, il enrichit son portefeuille média déjà constitué du magazine culturel Les Inrockuptibles qu’il a acquis en juin 2009, du groupe Le Monde dont il est co-actionnaire depuis juin 2010 en tant que « P » du trio « BNP » (aux côtés de Pierre Bergé
et Xavier Niel), lequel trio est aussi propriétaire – via la holding « Le Monde Libre » – du Nouvel Observateur depuis juin 2014.

Son ombre plane sur l’affaire « Numéro 23 »
Le prochain investissement de Matthieu Pigasse dans les médias pourrait être dans la télévision, comme il l’a indiqué dans une interview parue le 5 juillet dernier dans L’Est Républicain : « Notre objectif est de continuer à construire un groupe de médias, sur tous les supports possibles d’aujourd’hui : papier, radio, scènes, mais peut-être aussi demain télévision. On verra si l’occasion se présente… ».
Cela fait en réalité plus de trois ans que Matthieu Pigasse cherche à investir dans la télévision. Il a été un temps, en 2012, présenté comme étant l’un des co-investisseurs – aux côtés de Xavier Niel, François-Henri Pinault, Bernard Arnault, Jean- Charles Naouri et Pascal Houzelot (Pink TV) – du projet de chaîne sur la TNT gratuite baptisée initialement « TVous La Télédiversité », devenue « Numéro 23 ». Axée sur la diversité et les aspects sociétaux (culture, parité, modes de vie familiaux, sexualités, handicap, etc), cette chaîne fait partie des six nouvelles chaînes de la TNT gratuite lancées en décembre 2012 et affiche aujourd’hui une part d’audience modeste de 0,6 % à 0,7 % – avec l’ambition de dépasser 1 % cette année.

Des vues sur LCI pour Le Monde
Encore récemment, David Kessler – ancien directeur des Inrocks et ex-conseiller pour la culture et la communication du président de la République, François Hollande (2) –
a expliqué dans Le Monde du 16 juin qu’il a défendu avec Pascal Houzelot (par ailleurs membre du conseil de surveillance du Monde) le dossier de candidature de « Numéro 23 » devant le CSA « en tant que représentant de Matthieu Pigasse qui envisageait de devenir actionnaire de Numéro 23 aux côtés d’autres investisseurs minoritaires, dont Xavier Niel, le patron de Free (tous deux sont actionnaires du Monde) ».
Cette sortie agacerait au plus haut point Matthieu Pigasse qui n’a finalement jamais été actionnaire de la société éditrice Diversité TV France, bien que lui et Pascal Houzelot se connaissent très bien puisque ce dernier est devenu aussi (en plus du Monde) administrateur de la société éditrice des Inrocks, Les Editions Indépendantes, aux côtés de Louis Dreyfus…

Matthieu Pigasse n’a donc rien à voir directement avec la vente controversée – mais légale – de la chaîne Numéro 23 et de sa fréquence TNT obtenue gratuitement il y a moins de trois ans, à NextRadioTV (BFM TV) pour près de 90 millions d’euros. Mais son ombre plane bien indirectement sur cette affaire. L’opération est maintenant suspendue à la décision du CSA qui, depuis la loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance audiovisuelle, doit donner son agrément – ou pas – à cette vente après une étude d’impact (3). Cette spéculation autour d’une fréquence relevant du bien public « choque » en tout cas la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, comme elle l’a dit devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 8 juillet.
Sans doute Matthieu Pigasse aurait-il préféré se faire connaître autrement dans
le paysage audiovisuel français… Comme, par exemple, en s’emparant de LCI, la chaîne d’information en continu du groupe TF1. Il y a un an, en juillet 2014, les trois actionnaires du Monde – dont Matthieu Pigasse – avaient en effet fait savoir au PDG
de TF1, Nonce Paolini, qu’ils étaient intéressés par le rachat de LCI. Les trois co-prétendants au rachat ont fait valoir – par la voix de Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde – de possibles synergies entre le journal Le Monde et cette chaîne LCI. Et ce, après que le CSA ait refusé de basculer cette dernière sur la TNT gratuite et que TF1 ait décidé en conséquence de prévoir à terme sa fermeture. Mais Nonce Paolini n’a pas donné suite aux messages du trio « BNP », estimant qu’il était trop tôt pour négocier. En juillet 2014, le CSA avait refusé la demande de passage sur la TNT gratuite des chaînes payantes LCI (TF1), Paris Première (M6) et Planète+ (Canal+), expliquant que le marché publicitaire était trop faible. LCI et Paris Première avaient alors saisi le Conseil d’Etat, lequel a finalement invalidé la procédure le 17 juin dernier. Le régulateur de l’audiovisuel va donc devoir réexaminer les dossiers et les actionnaires du Monde – Matthieu Pigasse avec – devront patienter s’ils ont encore
des vues sur LCI. Mais si TF1 décidait de ne pas se défaire sa chaîne d’information continue payante, il leur faudra aller voir ailleurs.

Les velléités de Matthieu Pigasse de mettre un pied dans la télévision se manifestent aujourd’hui dans un contexte où le marché de l’audiovisuel est confronté à une baisse des recettes publicitaires (même si l’année 2014 reste stable, après un recule de -3,5 % en 2013, selon l’Irep). De plus, la loi Macron – une fois qu’elle sera promulguée à la fin de l’été – prévoit désormais une taxe de 20 % au lieu de 5 % précédemment en cas de revente d’une fréquence (initialement délivrée gratuitement dans l’audiovisuel en contrepartie d’obligations) dans les cinq ans suivant son attribution (voire 10 % entre cinq et dix ans, 5 % au-delà de dix ans).
En attendant de faire de la télévision, Matthieu Pigasse se console avec la scène. Il est devenu le 5 juillet dernier président de l’association Territoire de musiques, laquelle gère les Eurockéennes – « les Eurocks » pour les habitués. « J’ai accepté par passion absolue pour la musique, le rock et ce festival où je viens depuis huit ans et par tous
les temps », a-t-il déclaré ce jour-là, en indiquant être prêt à « investir dans le milieu musical » et pourquoi pas en créant un label de production commun aux Inrocks et à Radio Nova. Ce festival de musiques actuelles a lieu chaque année à Belfort et a dépassé cette année les 100.000 visiteurs, mais l’homme d’affaires veut aller plus loin pour le développer malgré la crise que traversent les festivals en France (subventions en baisse).

Le rock comme passion
C’est la première fois qu’il prend la présidence d’une association culturelle, étant par ailleurs depuis 2010 vice-président du Théâtre du Châtelet à Paris. Mais superviser un festival n’est pas une nouveauté pour lui, car sa société Les Editions Indépendantes organise le Festival Les Inrocks (du 10 au 17 novembre cette année). « Plutôt que de pleurer en glosant sur l’exception française, mieux vaut être fier de ce que l’on fait,
être forts, et partir à la conquête du monde », a dit dans sa récente interview l’auteur
de « Eloge de l’anormalité » (4) paru l’an dernier. A suivre… @

Charles de Laubier

Amazon fête ses 20 ans et devrait dépasser les 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015

C’est le deuxième « A » de GAFA. Le géant mondial du e-commerce fête les 20 ans de l’ouverture d’Amazon.com le 16 juillet. Son fondateur et PDG Jeff Bezos a toujours préféré l’investissement et la diversification à la rentabilité. Mais jusqu’à quand ? Tandis que l’Europe enquête sur sa position dominante, notamment dans le livre, et sur sa fiscalité.

Par Charles de Laubier

Jeff BezosAmazon.com a ouvert le 16 juillet 1995. « Fluid Concepts and Creative Analogies », de Douglas Hofstadter, fut le premier livre vendu en ligne. Devenu le numéro un mondial du commerce électronique – avec le livre pour commencer, rejoint ensuite par la musique et l’électronique grand public –, la société Amazon a été créée en juillet 1994 par PDG actuel, Jeffrey Preston Bezos, alias Jeff Bezos (photo), puis introduite en Bourse en juin 1997.
Sa capitalisation boursière dépasse aujourd’hui les 200 milliards de dollars. Selon nos calculs, le chiffre d’affaires du groupe Amazon devrait franchir cette année la barre des 100 milliards d’euros, si la croissance de 20 % observée entre les deux années précédentes se maintenait. Et ce, au moment de fêter ses 20 ans. Le géant du e-commerce a réalisé en 88,9 milliards de dollars de revenus en 2014.

Pertes, échecs et diversifications
Pourtant, la firme créée à Seattle (Etat de Washington aux Etats-Unis) n’a jamais été vraiment profitable depuis sa création. La perte nette a été de 241 millions de dollars l’an dernier, malgré une année précédente bénéficiaire à 274 millions de dollars.
Ce sont les investissements frénétiques engagés par Jeff Bezos qui pèsent sur la rentabilité : e-commerce diversifié, fabrication de tablettes, liseuses, smartphones, mini-décodeurs, services de vidéo et de musique en ligne, livres numériques en accès illimité, stockage illimité de photos, etc. Depuis 2010, où le bénéfice net avait fait un bond de 28 % à 1,15 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires plus que moitié moindre que celui d’aujourd’hui, les actionnaires et les investisseurs n’ont cessé d’être déçus par le manque de rentabilité du groupe. Plus le géant du ecommerce encaisse de l’argent, plus il en perd ! Sans parler des « échecs » que Jeff Bezos a reconnus et
a même chiffrés en « milliards de dollars » (1). Par exemple, si ses liseuses Kindle et tablettes Fire sont bien accueillies par les utilisateurs, il n’en est pas allé de même du smartphone Fire Phone lancé il y a un an maintenant. Amazon a même dû sérieusement déprécier les stocks, ce qui lui a coûté quelque 170 millions de dollars (charge enregistrée au troisième trimestre 2014). Mais les affaires continuent. Il y a près d’un an, en août 2014, Amazon rachetait pour 970 millions de dollars Twitch, première plateforme mondiale dans le domaine des jeux vidéo en réseaux sociaux. Plus de 100 millions de membres de la communauté des gamers se réunissent chaque mois pour regarder des jeux vidéo et en discuter avec plus de 1,5 million de diffuseurs en live. Et c’est en octobre 2014 qu’Amazon a ajouté une corde à son arc : le mini-décodeur Fire TV Stick, pour rivaliser avec le Chromecast de Google. D’abord disponible aux Etats-Unis, il l’est en Europe depuis mars dernier. De la taille d’une
clé USB, il se branche sur le port HDMI du téléviseur pour y visionner des vidéos en streaming (pas de téléchargement) ou aussi y afficher les vidéos regardées à partir
d’un smartphone ou d’une tablette. En fait, le Fire TV Stick est une version plus petite
et moins chère de Fire TV, le premier décodeur pour téléviseur d’Amazon.
Quant au service par abonnement Prime, lancé il y a dix ans, il rencontre un réel succès tant aux Etats-Unis qu’à l’international. Pour 99 dollars par an, Prime donne accès en ligne à des contenus numériques et à des livraisons gratuites en deux jours. Les membres d’Amazon Prime ont accès en streaming à des milliers de films et d’épisodes TV, y compris les « Amazon Original Series » produites par le géant du
Net et disponibles sur Prime Instant Video (lancé en 2011) sans frais supplémentaires pour ses membres. La série « Transparent » est par exemple multi-lauréate au Golden Globe (meilleure série comique et meilleure série musicale). Une prochaine série est attendue avec le réalisateur Woody Allen.

Abonnement Prime : l’offre s’étoffe
Amazon va même produire des films pour les salles de cinéma, dont le premier sortira à la fin de l’année. Ces « Amazon Original Movies », produits par Amazon Studios, seront ensuite disponibles en ligne deux mois après leur sortie. Premier titre : « Elvis & Nixon », dont les droits viennent d’être acquis par le géant du e-commerce. En plus de dizaines de milliers de films et épisodes, l’abonnement Amazon Prime offre – avec Prime Music – 1 million de chansons et des centaines de play-lists. A noter qu’Amazon possède en outre IMDb, la base d’information de référence mondiale sur les films et les artistes.

A l’assaut de la maison connectée
La diversification passe par l’innovation. Depuis mars dernier, il est proposé gratuitement aux abonnés de Prime le « Dash Button », un petit boîtier doté d’un gros bouton et d’une étiquette indiquant la marque d’un produit ménager à acheter (255 références, du papier-toilette au sacs poubelle, en passant par les dosettes de café).
Il se colle ou s’accroche n’importe où dans la maison afin de faciliter la prise de commande en cas de besoin. Décidé à s’imposer dans la maison connectée, Amazon
a lancé le 23 juin dernier un petit cylindre – baptisé « Echo » – qui fait office de service d’assistance vocale pour contrôler les objets connectés à domicile (éclairage, hi-fi, chauffage, …). En mars dernier, Amazon s’est encore un peu plus diversifié avec le lancement d’un service pour les particuliers baptisé « Amazon Home Services » sur Amazon.com (électricité, plomberie, ménage, jardinage, décoration intérieure, etc). Audelà de la livraison en un jour avec « Prime Now », Jeff Bezos compte en outre lancer « Prime Air », pour livrer par drone de petits paquets en 30 minutes maximum ! Dans le livre numérique, Amazon a lancé Kindle Unlimited pour proposer un abonnement d’accès illimité à des ebooks en streaming : 9,99 euros par mois pour 800.000 livres. Amazon est aussi une maison d’édition avec Amazon Publishing, dont l’activité a aussi été lancée en début d’année en France.
Plus ancienne, la plateforme Kindle Direct Publishing (KDP) favorise l’auto-édition
des auteurs désireux d’atteindre directement leur public : 600.000 auteurs y sont présents aujourd’hui. Et à partir du 1er juillet, les auteurs de livres auto-édités seront rémunérés à la page lue et non plus sur le nombre de téléchargements d’ebooks lus
à plus de 10 %.

Autre activité : Amazon Web Services (AWS), filiale de services de cloud, propose
ses services d’informatique dématérialisée et accessibles à distance. C’est l’une des activités du groupe qui enregistre la plus forte croissance et pèse déjà 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le nuage informatique serait une vache à lait pour Amazon. En janvier 2015, Amazon a en outre lancé WorkMail, un service de messagerie professionnelle d’AWS. En avril 2015, Amazon a annoncé le lancement d’Amazon Business, une place de marché aux Etats-Unis destinée aux achats des entreprises. Sans oublier « Amazon Lending », service de prêts aux PME qui vient d’être lancé
au Royaume- Uni (après les Etats-Unis et le Japon). Cette boulimie dans les investissement et la diversification tous azimuts ne semble pas prendre fin. Jeff Bezos vise maintenant la Chine, pour affronter son grand rival asiatique Alibaba. L’Europe profite bien sûr de l’expansion internationale du géant du e-commerce, qui emploie 32.000 salariés dans l’Union européenne (centres de logistique, développement de logiciels, services clients, …). Cela ne l’empêche pas d’être dans le collimateur de la Commission européenne qui, mi-juin, l’a mis en garde contre tout abus de position dominante. Une enquête – dite « procédure formelle d’examen » – a notamment été ouverte le 11 juin sur les pratiques d’Amazon dans la distribution de livres numériques. Amazon est actuellement le plus grand distributeur de livres numériques en Europe. Bruxelles soupçonne d’obliger contractuellement les maisons d’édition à l’informer
de l’offre de conditions plus favorables faite à ses concurrents et de lui accorder les conditions comparables. La Commission européenne craint qu’avec ces clauses, il ne soit plus difficile pour les autres distributeurs de livres numériques de concurrencer Amazon grâce au développement de nouveaux produits et services innovants.

Fin de l’optimisation fiscale
Autre pratique d’Amazon dans le viseur de Bruxelles : la fiscalité avantageuse dont bénéficie la firme de Seattle au Luxembourg (aides d’Etat). Une enquête a, là aussi,
été ouverte en octobre 2014 et est actuellement en cours. Par exemple, la principale filiale allemande d’Amazon ne s’est acquittée que de 11,9 millions d’euros d’impôts en 2014, alors qu’elle a enregistrée un chiffre d’affaires record de 11,9 milliards de dollars. Sentant le vent tourner à son désavantage (risque de redressement fiscal), le géant du Net a commencé en mai à déclarer ses revenus pays par pays – à commencer par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, en attendant l’ouverture prochaine d’une filiale en France. @

Charles de Laubier