A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Si Facebook devenait has been, Mark Zuckerberg pourrait toujours se faire élire président des Etats-Unis en 2020 !

Le numéro un mondial des réseaux sociaux est à son firmament avec 2,01 milliards d’utilisateurs revendiqués. Mais il doit mettre le paquet s’il ne veut pas être « ubérisé » ni devenir has been auprès des jeunes attirés par Snapchat et d’autres plateformes. En cas d’échec, son PDG fondateur pourrait se reconvertir en… président des Etats-Unis.

Par Charles de Laubier

Mark Zuckerberg (photo), successeur de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2020 : ce n’est pas tout à fait une fake news ni une rumeur, et encore moins une fiction politique. C’est une hypothèse prise très au sérieux par l’actuel président des Etats-Unis. Si lui, Donald Trump – milliardaire issu de l’immobilier, 544e fortune mondiale (3,5 milliards de dollars) – a pu être élu à la tête des Etats-Unis en novembre 2016, alors pourquoi Mark Zuckerberg – milliardaire lui aussi, issu du nouveau monde numérique, 5e fortune mondiale (69,8 milliards de dollars) – n’aurait-il pas autant de chance, sinon plus, pour être élu 46e président américain en novembre 2020 ?
Selon le média en ligne Politico, daté du 21 août dernier, cette perspective aussi incroyable soit-elle est bien envisagée par l’équipe de campagne de l’actuel président Trump qui a dressé la liste des adversaires potentiels pour 2020. Ainsi, parmi la douzaine de candidats démocrates possibles pour la prochaine élection présidentielle américaine, il y a un certain Mark Zuckerberg.

Du réseau social au contrat social
Le PDG de Facebook, cocréateur du réseau social en 2004, s’est toujours refusé à envisager un engagement politique. Mais il ne cache pas ses accointances avec le parti démocrate. N’a-t-il pas recruté pour sa fondation Chan Zuckerberg Initiative l’ancien directeur de campagne de Barack Obama en 2008 (David Plouffe) et l’ancien responsable stratégique de la campagne d’Hillary Clinton en 2016 (Joel Benenson) ?
Le PDG fondateur, qui aura seulement 36 ans en 2020 (1), ne se limite pas à ses quelque 95,4 millions d’ »amis » qui le suivent personnellement sur le numéro un mondial des réseaux sociaux. Il aspire aussi à aller à la rencontre des Américains, comme il
a pu le faire en janvier dernier en se déplaçant dans différents Etats (Texas, Alaska, Michigan, …) et en allant à la surprise générale jusqu’à aller dîner chez une simple famille de l’Ohio. « Je veux parler à plus de gens sur la manière dont ils vivent, travaillent et pensent sur le futur », avait confié Mark Zuckerberg lors de cette tournée des Etats-Unis.

« Définir un nouveau contrat social »
Ce tour à travers le pays n’a pas manqué d’alimenter les spéculations sur une éventuelle candidature présidentielle, dans trois ans. A tel point que la chaîne américaine CNN, en mai dernier, avait déjà ajouté à sa liste des candidats démocrates pour 2020. Face à un Trump de plus en plus décrié dans son propre pays comme sur
la scène internationale, au risque d’être un jour acculé à la démission, si ce n’est d’être destitué en cas d’impeachment, « Zuck » apparaît comme le challenger certes le plus improbable mais le plus en adéquation avec les idéaux progressifs de la nouvelle génération américaine férue d’Internet. Sa notoriété mondiale et sa fortune personnelle constituent ses deux meilleurs atouts. Si, toutes proportions gardées, Emmanuel Macron – de six ans son aîné – a pu « ubériser » la politique française pour devenir le plus jeune locataire de l’Elysée en France, alors Mark Zuckerberg a toute la crédibilité requise pour s’installer derrière le Bureau ovale à Washington.
D’ailleurs, les interventions publiques de cet ancien étudiant d’Harvard devenu multimilliardaire prennent parfois des allures de discours présidentiels. Par exemple, sur son blog personnel de sa page Facebook, il prend le contre-pied de Donal Trump en écrivant le 1er juin : « Se retirer de l’accord de Paris sur le climat est mauvais pour l’environnement, mauvais pour l’économie, et cela présente un risque pour l’avenir de nos enfants ». Ce n’était pas la première fois qu’il s’opposait à Trump, l’ayant déjà fait à propos des étrangers : « Les Etats-Unis sont une nation d’immigrants et nous devrions en être fiers ». Les divergences entre Trump et Zuck ne manquent pas, comme sur la neutralité du Net que le premier remet en question (2). Et il y eu aussi ce discours très politique et remarqué, prononcé à Harvard le 25 mai, dans lequel le PDG de Facebook en appelle à « définir un nouveau contrat social pour notre génération » et à « redéfinir l’égalité des chances pour que chacun ait la liberté de poursuivre ses objectifs ». Bien que technophile, il se veut lucide sur son époque : « Notre génération sera confrontée à des dizaines de millions d’emplois remplacés par l’automatisation. Mais nous avons la possibilité de faire tellement plus ensemble » (3). A bon entendeur… L’avenir nous dira si Mark Zuckerberg à la Maison-Blanche était une idée farfelue ou prémonitoire. Pour l’heure, le PDG de Facebook a de quoi s’occuper – à commencer par son réseau social qui ne doit pas s’endormir sur ses lauriers s’il ne veut pas être « ubérisé » par d’autres plateformes de partage. Car, malgré une santé financière plus que florissante (bénéfice net de 10,2 milliards de dollars en 2016 pour un chiffre d’affaires de 27,6 milliards de dollars, avec une capitalisation boursière de 499,3 milliards au 1er septembre 2017), la firme de Menlo Park (Californie) montre des signes de faiblesse. Snapchat, que Mark Zuckerberg avait tenté en vain de racheter en novembre 2013 à prix d’or (3 milliards de dollars), vient jouer les trouble-fête. Selon une étude de eMarketer publiée le 23 août, ce réseau social de partage de photos et de vidéos – co-créé en septembre 2011 sous le nom de Picaboo par Evan Spiegel, aujourd’hui DG de Snap – a tendance à séduire plus de jeune que Facebook : cette année, le numéro un des réseaux sociaux va même perdre 3,4 % de ses utilisateurs âgés de 12 à 17 ans au profit de Snapchat et d’Instagram, pour n’en compter plus que 14,5 millions dans cette tranche d’âge.

Pour autant, Facebook est loin d’être boudé par la génération des « Millennials », car il possède justement Instagram racheté en 2012 pour environ 1 milliard de dollars, et très prisé des jeunes, ainsi que depuis 2014 WhatsApp acquis 19 milliards. Cette même année Facebook lançait en outre sa propre messagerie instantanée Messenger. Il n’y a donc pas péril en la demeure, mais il y a des signes qui ne trompent pas : d’ici la fin de cette année 2017, eMarketer prévoit en effet que – pour la première fois – les moins de 24 ans devraient être plus nombreux aux Etats-Unis sur Snapchat (41,4 millions) que sur Facebook (41,1 millions).
Quoi qu’il en soit, Mark Zuckerberg ne veut pas devenir « has been » auprès des jeunes qui constituent une assurance vie pour toutes les plateformes numériques désireuses d’être pérennes. Cela passe notamment par les vidéos. Le numéro un des réseaux sociaux entend ainsi le rester en multipliant les services en ce sens. Le service audiovisuel Facebook Watch a été lancé le 31 août pour concurrencer YouTube voire Netflix dans la diffusion d’émission de télévision, de séries ou encore de documentaires (contenus parfois cofinancés par la firme de Mark Zuckerberg). Le service de vente de particulier à particulier Facebook Marketplace a, lui, été lancé le 14 août pour marcher cette fois sur les plates-bandes d’eBay et du Bon Coin.

Stratégie vidéo et presse
Quant au service de diffusion et de commentaire de vidéo en direct Facebook Live, il avait été lancé en avril 2016 pour ne pas être « ubérisé » par Periscope de Twitter ou les captures vidéo de Snapchat. La presse n’est pas en reste avec, depuis mai 2015, Facebook Instant Articles qui va maintenant proposer aux éditeurs un système d’abonnement ; Mark Zuckerberg l’a annoncé lui-même le 23 août. En attendant de défrayer la chronique en 2020 ? @

Charles de Laubier

En taxant le cloud, la France reste plus que jamais championne d’Europe de la copie privée

La commission « copie privée », sous la houlette des ministères de la Culture, de l’Industrie et de la Consommation, vient de faire un premier pas vers la taxation du Net en vue de « compenser » le manque à gagner des industries culturelles lié au droit de copie privée des utilisateurs enregistrant des œuvres audiovisuelles dans le cloud.

Par Charles de Laubier

La commission « copie privée », présidée par Jean Musitelli (photo), vient d’adopter les barèmes de taxes qui seront prélevées auprès des éditeurs de services de télévision et
de radio fournis à distance, en ligne, avec possibilités d’enregistrement dans le cloud. Le vote des membres de cette commission – composée de personnes désignées pour moitié par les ayants droits (12 sièges), pour un quart par les fabricants ou importateurs de supports numériques (6 sièges), et pour un autre quart par les consommateurs (6 sièges) – s’est déroulé
le 19 juin dernier. C’est le site web Next Inpact qui l’a révélé le 30 juin. Cette taxation
du cloud audiovisuel intervient un an après l’adoption de la loi « Création » (1), datée
du 7 juillet 2016, qui prévoit en effet dans son article 15 que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision
ou de radio d’origine linéaire.

De l’amendement « Lescure » au barème « Molotov »
Et ce, grâce à l’adoption lors des débats d’un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes. Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition qui fut aussi surnommée « amendement Molotov » (2) (*) (**) permet à cette entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter
de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée
(dans un cercle restreint ou familial) de musiques, de films ou d’autres œuvres. De l’amendement « Lescure » au barème « Molotov » Autrement dit : la société éditrice du service de télévision Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme collecteur Copie France la redevance « copie privée », en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans que les dirigeants de Molotov aient besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de télévision. La société Molotov devra simplement s’acquitter de de la taxe « copie privée » en fonction du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, et selon
les capacités de stockage mises à disposition de chacun de ses clients.

45 euros/an par utilisateur dès 320 Go
Les barèmes adoptés le 19 juin pour le cloud audiovisuel dit nPVR (3), ou magnétoscopes numériques personnels en ligne, s’inspirent des taxes « copie privée » appliquées aux « box » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). En l’occurrence, elles vont de 6,30 euros pour 8 Gigaoctets (Go) de stockage à 45 euros pour 320 Go ou plus. Et le FAI ou le Cloud TV de type Molotov peuvent amortir ces sommes sur cinq ans. Ainsi, 45 euros pour les espaces de stockage de plus de 320 Go côté FAI deviennent 0,75 euros à payer chaque mois durant cinq ans côté Molotov (voir tableau des barèmes p.10). « Les 12 ayants droits ont voté pour, avec au surplus la voix du président [Jean Musitelli, ndlr]. Dans les autres collèges [fabricants/importateurs et consommateurs, ndlr], les 7 autres membres présents se sont abstenus. Ces barèmes temporaires entreront en application une fois publiés au Journal Officiel. Douze mois plus tard, la commission pourra les mettre à jour en fonction des retours d’expérience
et des nouveaux acteurs sur ce marché », rapporte Next Inpact (4). Orange et Canal+ pourraient lancer des services de Cloud TV comparables.
Contacté par Edition Multimédi@, Jean Musitelli – qui aura accompli les deux premières années de son mandat le 17 septembre prochain – nous a confirmé ces informations :
« Nous souhaitons évidemment (et nous agissons pour) que le barème provisoire pour les nPVR soit publié au Journal Officiel dans les meilleurs délais. En effet, la commission a travaillé d’arrachepied au cours des six derniers mois pour permettre aux opérateurs qui ont commencé à déployer ce nouveau service ou qui ont l’intention de le faire de procéder dans un cadre juridique sécurisé, garantissant leurs intérêts propres, ceux des ayants droits bénéficiaires de la rémunération pour copie privée et de ceux des consommateurs ».
Cela fait un an maintenant – le 11 juillet précisément – que la société Molotov a lancé son service et provisionne depuis par abonné 45 euros (5), ce qui correspondait jusqu’alors au montant jusqu’alors applicables – dans la nomenclature de la commission « copie privée » – aux mémoires et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels). Si le télénaute bénéficie de 500 Go avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Cette taxe pourra être ainsi amortie sur cinq ans si l’abonné reste fidèle au service Molotov.tv et/ou à ses applications mobiles. De quoi lisser l’impact.
Les capacités de stockage audiovisuel du cloud et les magnétoscopes numériques personnels en ligne viennent ainsi s’ajouter à la longue liste des supports de stockage numérique taxés tels que DVD, clés USB, disques durs externes, smartphones ou encore tablettes. Seuls échappent encore curieusement à cette taxe « copie privée » les disques internes des ordinateurs et les consoles de jeux vidéo. Car cela se serait pas « politiquement correct »… En 2016, la redevance pour copie privée a rapporté 265 millions d’euros. Ce qui représente une hausse supérieure à 17 % sur un an. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), publié en mai (6), la France arrive en tête des pays dans le monde qui collectent le plus de redevance pour la copie privée. Rien qu’en Europe, l’Hexagone pèse 39 % des 581 millions d’euros collectés – contre seulement à peine plus de 100 millions d’euros en Allemagne, par exemple. Depuis cette réunion du 19 juin « dans les nuages », la commission « Musitelli » – ainsi qu’il y eut la commission « d’Albis » jusqu’en octobre 2009, puis « Hadas-Lebel » jusqu’en 2015, du nom de ses présidents successifs – s’est à nouveau réunie le 4 juillet dernier. Depuis la reprise de ses travaux à la fin de l’année 2015, la commission « Musitelli » s’est ainsi retrouvée en scéance une quinzaine de fois.
Or la loi prévoit qu’elle produise un rapport annuel. Pourtant, le dernier rapport d’activité date de 2010/2011. En dix ans, seuls trois rapports annuels ont été publiés (7). « La rédaction d’un rapport d’activité aurait le mérite de montrer que (…) la commission est active et avance dans ses travaux », a estimé Jean Musitelli qui a souhaité dès février dernier auprès de ses membres l’élaboration d’un rapport pour 2015/2016, lequel ne saurait tarder.

Etudes pour réactualisation les autres taxes
Quant aux enquêtes d’usages qu’est tenue de faire réaliser la commission si elle veut réactualiser les autres barèmes, elles sont en train d’être menées par l’institut CSA. Elles portent sur « les décodeurs et box opérateurs, les disques durs externes, les téléphones mobiles multimédia, les tablettes tactiles multimédia (y compris les tablettes tactiles de nouvelle génération) » (dixit le Boamp (8)). Sont donc inclus les hybrides ordinateurs-tablettes. La commission attend les résultats du CSA en septembre prochain. @

France Télévisions : Couture dans l’ombre d’Ernotte

En fait. Le 19 juin, les médias avaient reçu une invitation pour le 5 juillet de « présentation de la rentrée 2017/2018 » de France Télévisions. Mais la présidente du groupe, Delphine Ernotte, n’y était pas annoncée. Finalement, elle fut présente, aux côtés de Xavier Couture, DG délégué à la stratégie et aux programmes, et des cinq directeurs de chaîne.

Bernard Arnault, le nouveau magnat de la presse française, reprend sa revanche sur le numérique

L’homme le plus riche de France, deuxième fortune européenne et onzième mondiale, est en passe de faire du groupe Les Echos – qu’il a racheté au prix fort il y aura dix ans cette année – non seulement le pôle multimédia de son empire du luxe LVMH, mais aussi une société de services « high-tech » pour entreprises.

Il y a dix ans, en juin 2007, le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault (photo), jetait son dévolu sur Les Echos, premier quotidien économique français qu’il rachètera finalement – malgré l’opposition de la rédaction et la dimension politique de l’événement – pour près de 350 millions d’euros (dettes comprises). Tombent alors dans l’escarcelle de l’homme le plus riche de France (1) et d’Europe le journal Les Echos, assorti de son site web Lesechos.fr, mais aussi le mensuel Enjeux-Les Echos, Radio Classique ainsi que Investir et Connaissance des Arts. Malgré la résistance de la rédaction des Echos à l’époque et la création de la société des journalistes, malgré l’interpellation du président de la République (Nicolas Sarkozy, dont Bernard Arnault fut le témoin de mariage) et de la ministre de la Culture et de la Communication (Christine Albanel), et malgré une contre-offre de rachat présentée par Fimalac (groupe de Marc Ladreit de Lacharrière), Les Echos passeront en fin de compte des mains du groupe britannique Pearson (alors encore propriétaire du Financial Times) à celles du groupe de luxe LVMH.

Un nouveau « papivore », de plus en plus numérique
Bernard Arnault a ainsi réussi à s’emparer en novembre 2007 du premier quotidien économique français et à céder dans le même temps son concurrent chroniquement déficitaire La Tribune qu’il possédait depuis 1993. Depuis, la rédaction vit avec le risque de conflits d’intérêt permanent avec son unique propriétaire industriel multimarque – Louis Vuitton, Moët Hennessy, Christian Dior, Kenzo, Givenchy, Chaumet, Château Yquem, Krug, Berlutti ou encore Guerlain (2) – et par ailleurs actionnaire de Carrefour (à 8,74 %), sans parler de ses multiples participations via notamment son fonds personnel Aglaé Ventures (Netflix, Spotify, Airbnb, Devialet, SeLoger, Slack, Betfair, Back Market, …) ou via ses holdings Groupe Arnault et Financière Agache. Si l’intervention directe de Bernard Arnault dans le contenu éditorial du quotidien des affaires paraît improbable, le plus grand danger réside en fait dans l’autocensure
que peuvent s’appliquer les journalistes et leurs hiérarchies. Les garanties obtenues
en 2007 sur l’indépendance de la rédaction des Echos, la nomination de trois administrateurs indépendants, la création d’un comité d’indépendance éditoriale et la charte éthique avec le PDG du groupe Les Echos – Francis Morel depuis 2011, Nicolas Beytout auparavant – ne peuvent rien contre l’autocensure – insidieuse et pernicieuse. Il en va maintenant de même pour Le Parisien-Aujourd’hui en France que le milliardaire du luxe a racheté en octobre 2015, avec son site web Leparisien.fr, pour environ 50 millions d’euros.

De l’échec d’Europ@web à la presse en ligne
Avec une fortune personnelle dépassant les 30 milliards d’euros en 2016, Bernard Arnault (68 ans) a les moyens de ses ambitions et désormais des médias d’influence
à sa main. Cela a un prix, surtout que Les Echos n’ont atteint l’équilibre opérationnel qu’au bout de sept ans et que Le Parisien est déficitaire. Sans parler de l’apport de 6millions qu’il a fait au quotidien L’Opinion lancé en 2013 par Nicolas Beytout. Le mécène de la presse française se rêve-t-il en tycoon des médias ? Après ses deux quotidiens, Les Echos et Le Parisien, Bernard Arnault s’intéresse à la presse quotidienne régionale et notamment au groupe Ebra, filiale du Crédit Mutuel qui possède Les Dernière nouvelle d’Alsace (DNA), Le Progrès, L’Est républicain ou encore Le Dauphiné libéré. C’est Francis Morel qui l’a laissé entendre il y a un an (3). Bernard Arnault partage d’ailleurs avec un certain Michel Lucas la passion de la musique classique. Or ce dernier (78 ans) a quitté début 2016 ses fonctions de président du Crédit Mutuel et va aussi céder mi-septembre prochain sa place de patron de la presse régionale du groupe Ebra à Philippe Carli, l’ancien DG du groupe Amaury (propriétaire de L’Equipe et… vendeur du Parisien à LVMH). Philippe Carli est déjà à l’oeuvre au Crédit Mutuel pour redresser ce pôle presse. Et le vendre assaini à Bernard Arnault qui deviendrait propriétaire du premier groupe de presse régionale en France ? L’avenir nous le dira – de même que l’on saura bien assez tôt qui succèdera au « manager de presse de la décennie » Francis Morel (70 ans l’an prochain).
Au-delà de la naissance d’un « papivore », c’est aussi la revanche d’un investisseur dans non seulement la presse écrite après ses déboires dans La Tribune, mais aussi dans le numérique après ses déconvenues lors de l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Bernard Arnault a essuyé les plâtres de la « nouvelle économie » après avoir créé en 1999 son fonds d’investissement Internet, Europatweb, présent à l’époque dans Liberty Surf (racheté par la suite par Free), dans la banque en ligne Zebank (devenue Egg, puis revendu à Ing Direct), dans le site britannique de e-commerce Boo.com (liquidé en 2000), dans la société ST3G candidate à une licence 3G en France (avant d’y renoncer), et une cinquantaine d’autres participations liées à Internet. Europatweb, alors aussi actionnaire de Firstmark (boucle locale radio), fut sauvée des eaux par Suez Lyonnaise, avant de finalement jeter l’éponge et à renoncer à entrer en Bourse après le krach de 2000. « Europ@web » a signé l’échec de Bernard Arnault sur Internet. Sa revanche numérique semble aujourd’hui venue, via le groupe Les Echos-Le Parisien qui met les bouchées-double sur les contenus numériques et la hightech. Selon l’ACPM (ex-OJD), Leparisien.fr a enregistré en avril plus de 53,6 millions de visites, dont 89 % provenant de France. Ce qui le place en quatrième position des quotidiens après Le Monde, Le Figaro et 20 Minutes, et neuvième place des sites web en France. Tandis que Lesechos.fr affiche plus de 22,8 millions de visite ce même mois, dont 88 % de France, soit en vingt-deuxième position. Mais ce sont surtout les ventes numériques (4) qui sont encourageantes dans un contexte de chute des ventes « papier » en kiosque : Les Echos ont vendu en 2016 près de 35.000 versions numériques du journal par jour en moyenne sur un total payée de 128.663 exemplaires. Aujourd’hui en France – le pendant national du Parisien – fait bien moins en versions numériques avec quelque 2.000 exemplaires en moyenne par jour en 2016 pour un total de diffusion payée de 133.354 exemplaires. Le quotidien régionale Le Parisien, lui, fait mieux : plus de 13.000 versions numériques en moyenne par jour sur 205.486 exemplaires payés.
Francis Morel entend mettre en commun la gestion de la data, pour que le groupe Les Echos-Le Parisien soit plus fort dans la publicité en ligne ciblée et le brand content. Il se diversifie aussi dans la communication digitale d’entreprise, depuis le rachat début 2016 de Pelham Media. Bernard Arnault se développe ainsi dans les services qui pèsent déjà 35 % de son chiffre d’affaires, et compte atteindre les 50 % dans un ou deux ans. Tous ses médias déménageront d’ici la fin de l’année dans un même immeuble du XIe arrondissement de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Economie, innovation, high-tech, politique
Fin mai, le groupe a annoncé l’acquisition de 78 % du capital de Netexplo (société HappeningCo), un observatoire international du digital créé en 2007. Ses services et contenus « académiques » seront proposés en septembre dans un nouvel abonnement « platinum » des Echos, tandis qu’un supplément baptisé The Innovator sera proposé. Le salon Viva Technology, lancé l’an dernier avec Publicis et dédié aux start-up, couronne le tout. Le 16 juin, Bernard Arnault a pu s’y afficher aux côtés du nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron. @

Charles de Laubier

Altice lâche la marque SFR pour tenter de redorer son blason en France et faire bonne figure face aux GAFA

Altice devient la marque unique du groupe de Patrick Drahi dans le monde. Les trois lettres SFR, héritées de la « Société française du radiotéléphone » créée il
y a 30 ans, passent par pertes et profits. Son image a été « abîmée ». Selon nos calculs, SFR a perdu 3,5 millions d’abonnés depuis son rachat en 2014.

Par Charles de Laubier

« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients. De plus, le groupe a évolué depuis quelques années dans sa stratégie en passant d’un opérateur de télécoms à un opérateur global : télécoms, médias, publicité. Et il n’intervient plus uniquement en France mais dans de multiples pays », a expliqué Michel Combes (photo), directeur général d’Altice, la maison mère de l’opérateur télécoms SFR dont il est le PDG, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le 17 mai dernier, soit six jours avant que Patrick Drahi n’officialise de New York l’abandon de la marque SFR pour Altice assorti d’un nouveau logo. A noter que Michel Combes s’était refusé
à confirmer ce jour-là l’information selon laquelle Altice devenait la marque unique du groupe. « Je ne vous ai pas dit de nom…, quel qu’il soit. Et si l’on devait en changer, nous le ferions avec beaucoup de délicatesse. J’ai fait beaucoup de changement de marques dans ma vie antérieure (Orange, Vodafone, …) », s’était-il contenté de dire devant l’Ajef. Altice sera donc bien cette marque unique, qui était avancée comme « logique » dans Les Echos dès avril (1) et qui a bien été annoncée en mai comme l’avait indiqué Satellifax (2). SFR va être rebaptisé Altice France, comme il existe déjà Altice Portugal, Altice Caribbean ou encore Altice Africa.

En finir avec le patchwork de marque et bénéficier d’économies d’échelle
Cette transformation sur tout le groupe sera menée d’ici à fin juin 2018. C’est que le groupe Altice, à force d’acquisitions tous azimuts, se retrouve avec une multitude de marques. Outre SFR en France, il y a Hot en Israël, Meo et M4O au Portugal, Tricom dans la République Dominicaine, ou encore Suddenlink et Optimum depuis les acquisitions aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision (3), sans parler des marques secondaires dans tous ces pays. A ce patchwork s’ajoute le fait qu’en République Dominicaine, Altice utilise la marque Orange dans le cadre d’un accord de licence avec son premier concurrent en France. Les marques Numericable et Virgin Mobile, elles, ont disparu. « Ce que nous observons, avait poursuivi Michel Combes, c’est que beaucoup de nos concurrents sont issus du monde digital et sont allés vers des marques uniques au niveau mondial pour pouvoir bénéficier d’effets d’échelle ». Cependant, demeureront les marques médias telles que BFM, RMC, Libération, L’Express ou encore i24News, ainsi que d’autres commerciales comme Teads dans la publicité vidéo et Red dans le mobile en France. Alors qu’Altice Media avait été rebaptisé SFR Presse en octobre 2016, ce sera bientôt l’inverse ! Alain Weill en restera le dirigeant.

Il y a urgence à redorer le blason
Dans son rapport annuel 2016 publié le 10 avril dernier, le groupe avait indiqué qu’il
« évaluait les bénéfices supplémentaires que pourrait générer l’adoption d’une marque globale, laquelle permettrait de communiquer plus clairement sur la stratégie globale d’Altice comme acteur innovant, disruptif et fournisseur de meilleurs services de nouvelle génération à ses clients ». Cette stratégie monomarque va donc passer par
« une harmonisation et un changement de marques existantes dans les pays où le groupe opère pour partager une nouvelle identité globale ». La marque Altice a l’avantage de ne pas être entachée de discrédit auprès d’une partie des clients français et de bénéficier d’une notoriété internationale. Certes, le siège social du groupe du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi n’est pas en France mais basé aux Pays-Bas (après l’avoir été au Luxembourg). L’entreprise est cotée en Bourse à Amsterdam (4), pas à Paris, et il est prévu que des actifs soient cotés aux Etats-Unis.
Mais Altice permettrait de tourner la page des années peu reluisantes de SFR en matière de relation clientèle et d’investissement dans son réseau, notamment lorsque l’opérateur télécoms était la pleine propriété de Vivendi de 2011 jusqu’à son rachat par Altice en avril 2014. Selon les calculs de Edition Multimédi@, le nouveau propriétaire
a été confronté à la perte de plus de 3,5 millions d’abonnés cumulés depuis trois ans
– dont 84,8 % dans le mobile et 15,2 % dans le fixe. Même si l’érosion de la base de clientèle a été freinée depuis le début de l’année, le parc total de clients a encore baissé sur un an au premier trimestre 2017, à 20,043 millions dans le mobile (14,513 million de particuliers et 5,529 millions de professionnels) et à 6,078 millions dans le fixe (voir tableau ci-dessous). A ce train-là, le groupe de Patrick Drahi pourrait repasser en France sous la barre des 20 millions de clients dans le fixe et sous les 6 millions dans le mobile – si ce n’est pas déjà fait à l’heure où nous publions. Selon l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), plus de la moitié des plaintes sont émises en 2016 par les clients de trois marques du groupe : SFR, Red et Numericable. Il y a donc en effet urgence à redorer le blason. Le rebranding est toujours une opération à risque et la filiale française d’Altice, à l’instar de toutes les autres entités du groupe concernées par ce changement d’image, va devoir investir
des dizaines de millions d’euros pour asseoir la nouvelle identité. Cette uniformisation génèrera aussi des économies d’échelle. C’est Publicis aux Etats-Unis qui a conçu le nouveau logo d’Altice.
La marque SFR, créée il y a 30 ans – en février 1987 sous le nom de Société française du radiotéléphone – par la Compagnie générale des eaux (devenue en 1998 Vivendi),
a vécu. La disparition de la marque au carré rouge aura aussi l’avantage de faire oublier les sanctions que lui a infligées l’Autorité de la concurrence telles que l’amende de 40 millions d’euros prononcée le 8 mars dernier pour non-respect de ses engagements pris lors du rapprochement Numericable- SFR  et atteinte à la concurrence (5). L’an dernier, SFR avait aussi écopé le 19 avril d’une amende de 15 millions d’euros engagements pris à La Réunion et à Mayotte.

54 milliards d’euros de dettes
Par ailleurs, SFR est synonyme de suppression d’emplois (6) et de grèves dans les boutiques SFR (en mars dernier). La multinationale Altice, créée en 2001 au Luxembourg, a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 20,7 milliards d’euros pour une perte nette de 1,8 milliard d’euros et un effectif de 49.732 personnes. Son endettement atteint près de 54 milliards d’euros. @

Charles de Laubier