A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Vivendi a encore déprécié sa filiale Dailymotion, de 68 millions d’euros dans ses résultats 2019

Dailymotion a 15 ans d’existence, la plateforme vidéo française ayant été créée le 15 mars 2005 par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. Mais le « YouTube » français, dévalorisé, continue encore de perdre de l’argent. Ses partenariats avec des éditeurs en Europe et aux Etats-Unis se multiplient.

(Après cet article paru dans EM@ n°234, Huawei et Dailymotion ont annoncé le 26 mai que le chinois intègre désormais la solution technologique vidéo du français)

« Vivendi a comptabilisé en 2019 une dotation pour dépréciation du compte courant de Dailymotion à hauteur de 68 millions d’euros », peut-on lire dans le document d’enregistrement universel 2019 de Vivendi, publié le 12 mars dernier. Ce n’est pas la première fois que le groupe multimédia de Vincent Bolloré procède à une dévalorisation de sa filiale Dailymotion. Dans son document de référence 2018 cette fois (1), Vivendi avait déjà dû comptabiliser une dépréciation de Dailymotion d’un montant de 73 millions d’euros, tout en consentant en plus à sa plateforme vidéo « un abandon de créance de 55 millions d’euros ».

Dailymotion a perdu la moitié de sa valeur
Autrement dit, financièrement, le « YouTube » français ne vaudrait plus que 130 millions d’euros au titre de l’année 2019. Soit moins de la moitié de sa valeur d’achat. Car si Dailymotion a 15 ans d’existence maintenant, son rachat par le groupe Vivendi date d’il y a 5 ans maintenant : c’est en juin 2015 qu’Orange lui vend dans un premier temps 90 % du capital de la plateforme vidéo pour 271,25 millions d’euros, avant de lui céder en juillet 2017 les 10 % restants pour 26 millions d’euros supplémentaires. Au total, Dailymotion aura coûté à l’achat à Vivendi près de 300 millions d’euros (2). Et encore, la valorisation de la plateforme française d’agrégation et de diffusion de contenus vidéo est peut-être bien moindre au regard de ses performances financières. Or Vivendi ne publie plus depuis deux ans le chiffre d’affaire de Dailymotion, ni ses pertes qui se sont creusées. Et ce, alors que Maxime Saada (photo), directeur général du groupe Canal+ depuis septembre 2015, est devenu aussi en mars 2017 président du conseil d’administration (3) de la plateforme vidéo qu’il a reprise en main. Les derniers résultats rendus publics de Dailymotion remontent à 2018 dans le document de référence de 2017 : Dailymotion affiche alors un chiffre d’affaires de seulement 43,2 millions d’euros, en chute de 26 % sur un an, avec une perte de 75,2 millions d’euros (contre 42,3 millions l’année précédente). La valeur comptable de Dailymotion dans les comptes de Vivendi était encore de 271,6 millions d’euros (grosso modo le prix d’achat), dont 80 millions d’euros pour la marque « Dailymotion » et 9 millions d’euros pour sa technologie. Depuis deux ans, Dailymotion se retrouve relégué dans les comptes de Vivendi dans les « Nouvelles Initiatives » aux plus de 700 salariés. Outre la plateforme d’agrégation de vidéo, l’on y trouve aussi Flab Prod (société de production vidéo rachetée en 2016 par Vivendi et également présidée par Maxime Saada), Flab Presse (agence de presse affiliée à Flab Prod), Vivendi Content (filiale de création de nouveaux formats, dont des vidéos pour mobile produites par Studio+ jusqu’à sa fermeture de ce dernier sur un échec (5)), ainsi que GVA (filiale du groupe, fournisseur d’accès à Internet en Afrique). Toutes ces entités « Nouvelles Initiatives » très disparates totalisent ensemble un chiffre d’affaires de 71 millions d’euros en 2019 – affichant une croissance assez faible de 7,5 % sur un an. Mais le résultat opérationnel de cet ensemble improbable accuse une perte de 65 millions d’euros, toujours l’an dernier, en amélioration tout de même par rapport à la perte de quelque 100 millions d’euros en 2018. Dailymotion pèse pour une bonne part dans cet agrégat fourre-tout.
Le « YouTube » français revendique à fin 2019 un total de plus de 350 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde, en hausse de 20 % en deux ans. Selon la mesure d’audience « Internet global » de Médiamétrie en France, Dailymotion se retrouve à la 39e place avec 16,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de mars, dont 63,7 % sur smartphone, 26,9% sur ordinateur et 23,6 sur tablette. Alors que YouTube, la filiale de Google, affiche 47,6 millions de visiteurs uniques sur le même mois – soit le double. Dailymotion entend « se distingu[er] des autres plateformes d’agrégation vidéo », notamment en se concentrant sur les 18-49 ans – « cible non-prioritaire pour les services vidéo en ligne existants mais stratégique pour les annonceurs » – et sur des contenus provenant d’éditeurs (actualités, divertissement, musique et sport).

Le pari des partenariats et de l’international
Vivendi espère sortir Dailymotion de l’ornière en multipliant les partenariats avec « des éditeurs mondiaux de contenus de premier plan » : en 2019, la plateforme vidéo en a noué plus de 280, dont 70 aux Etats-Unis. Parmi eux : Le Monde ou Konbini (6) en France, Gruner+Jahr en Allemagne, Hearst aux Etats-Unis, JPI Media en Grande-Bretagne, Meredith aux Etats-Unis, ou encore côté sports la MLB (baseball), la NHL (hockey) ou la Nascar (courses automobiles). Dailymotion essaie aussi de trouver de nouvelles audiences partout dans le monde, comme en Indonésie, à Taïwan ou encore au Mexique. @

Charles de Laubier

Œil pour œil, dent pour dent : Apple pourrait être la première victime collatérale du « Huawei bashing »

La marque à la pomme risque d’être la première grande firme américaine – un des GAFA qui plus est – à payer très cher l’ostracisme que les Etats-Unis font subir au géant chinois Huawei. Si la loi du talion est gravée dans la Bible, elle semble aussi être une règle non-écrite de la Constitution chinoise. Représailles en vue.

« Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie », dit la Bible (1), qui n’est finalement pas si pacifique qu’on le dit. La Chine va faire sienne cette loi du talion en prenant des mesures de rétorsion à l’encontre d’entreprises américaines, au premier rang desquelles Apple.
D’après le Global Times, quotidien proche du Parti communiste chinois au pouvoir, Pékin est prêt à prendre « des contre-mesures » ciblant des entreprises américaines. Dans un article publié le 15 mai dernier, complété par deux autres, Apple est cité en premier, suivi de Qualcomm, Cisco et Boeing (2). « La Chine prendra des contremesures, comme inclure certaines entreprises américaines dans sa liste d’‘’entités non fiables’’, imposer des restrictions aux entreprises américaines comme Qualcomm, Cisco et Apple, ou mener des enquêtes à leur sujet, et suspendre les achats d’avions de Boeing ». Le ministère chinois du Commerce – le Mofcom (3) – a confirmé en mai la préparation de cette liste noire où Apple figurera en bonne place. L’Empire du Milieu est donc prêt à rendre coup sur coup, alors que son fleuron technologique Huawei – numéro deux mondial des smartphones en 2019 devant… Apple (4) – fait l’objet depuis près de dix ans maintenant d’une discrimination de la part de l’administration Trump, allant jusqu’à son bannissement des infrastructures 5G aux Etats-Unis il y a un an.

L’Executive Order « anti-Huawei » prolongé d’un an
Fondée en 1987 par Ren Zhengfei, suspect aux yeux des Etats-Unis pour avoir été un technicien de l’Armée chinoise de 1974 à 1982, la firme de Shenzhen est plus que jamais dans le collimateur de Washington. Xi Jinping (photo), président de la République populaire de Chine, semble donc déterminé à rétorquer à Donald Trump, président des Etats-Unis d’Amérique (lequel a prêté serment sur la Bible) dans la bataille économique qui les oppose. Leurs Big Tech respectives sont les premières à être prises en otage, sur fond de guerre commerciale et de protectionnisme économique. Hasard du calendrier, le 15 mai correspondait aussi aux un an du décret – un Executive Order (5) – pris par Donald Trump.

Des années d’accusations sans preuve
Ce fameux décret « 13873 » (6) interdit aux entreprises américaines de se fournir en équipements high-tech et télécoms auprès de fabricants soupçonnés de vouloir porter atteinte à la « sécurité nationale » et à la cyber sécurité des Etats-Unis – avec Huawei et son compatriote ZTE en ligne de mire, mais sans les nommer. Pour monter d’un cran les hostilités, le locataire de la Maison-Blanche a fait savoir le 13 mai qu’il prolongeait ce décret d’une année supplémentaire. « L’acquisition ou l’utilisation sans restriction aux Etats-Unis de technologies de l’information et des communications ou de services conçus, développés, fabriqués ou fournis par des entreprises détenues par, contrôlées par, ou soumises à des juridictions ou directions des adversaires étrangers, donne la capacité à ces derniers de créer et d’exploiter des vulnérabilités dans les services ou technologies de l’information et des communications, avec des effets potentiellement catastrophiques. Cela représente une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des Etats-Unis », justifie Donald Trump (7) pour « prolonger d’un an l’urgence nationale » décrétée par l’Executive Order du 15 mai 2019 – à savoir jusqu’au 15 mai 2021. Plus que jamais, Huawei est montré du doigt et présenté comme une soi-disant cyber menace que la firme de Shenzhen a toujours réfutée. Depuis la première enquête engagée en septembre 2011 par la commission du Renseignement de la Chambre des représentants des Etats-Unis, il y a donc près de dix ans, aucune preuve des allégations américaines de cyber espionnage ou de cyberattaques de la part de Huawei ou de ZTE n’a été apportée. Au pays de l’Oncle Sam, le fantasme technologique se le dispute à la théorie du complot ! Jusqu’à preuve du contraire. A l’autre bout de la planète, on fulmine : « La Chine doit être préparée au pire scénario de découplage complet avec les Etats-Unis dans le secteur de la haute technologie. Bien que la menace de découplage de l’administration Trump avec la Chine fasse partie de sa stratégie électorale [la prochaine élection présidentielle américaine aura lieu le 3 novembre 2020, ndlr], l’approche radicale de suppression de la Chine est devenue une tendance irréversible aux Etats-Unis », déclare le Global Times dans un édito du 15 mai (8). Apple devrait être la première victime collatérale de ce conflit sino-américain, lorsque Pékin mettra ses menaces à exécution en réponse à Washington. La goutte qui a fait déborder le vase chinois, c’est la décision annoncée le 15 mai par l’administration Trump – via son département américain au Commerce (DoC) – de « répond [re] aux efforts de Huawei pour saper la “Entity List” [la liste noire des entreprises bannies des Etats-Unis, ndlr] en restreignant sa possibilité d’utiliser des produits conçus et fabriqués avec des technologies américaines pour concevoir et fabriquer ses semi-conducteurs ». Hisilicon, la filiale de la firme de Shenzhen, fabrique des puces pour smartphones et stations de base 5G. Mais elle se fournit massivement auprès du taïwanais TSMC (9) pour la production. Or ce dernier – numéro un mondial des fabricants de semi-conducteurs (10) – produit aussi ses technologies de microprocesseurs sur le sol américain, et compte Huawei comme gros client à hauteur d’environ 10 % de son chiffre d’affaires. TSMC, qui selon le quotidien économique japonais Nikkei ne prend plus de commandes de Huawei, s’est soumis aux dictats étatsuniens au moment où il a annoncé la construction d’une nouvelle usine dans l’Arizona (11). Le taïwanais fournit aussi les américains Qualcomm et Nvidia. Huawei a dénoncé le 18 mai la décision « arbitraire et pernicieuse » du DoC. Depuis avril, cette fois, ce sont les opérateurs télécoms China Telecom et China Mobile et leurs filiales américaines respectives qui sont dans le collimateur de la justice américaine (DoJ) et le régulateur fédéral des communications (FCC) : leurs licences américaines pourraient être révoquées. Décidément, dans sa croisade « anti-Huawei », tous les coups sont permis de la part de l’administration Trump. Avant même que Pékin ne fasse jouer la loi du talion, Apple – sur le point d’être à son tour sur liste noire – voit déjà le fabricant chinois de ses iPhone – le taïwanais Foxconn, filiale du groupe Hon Hai – confronté à la crise économique déclenchée par la pandémie du covid-19. Hon Hai prévoit une chute de ses revenus d’au moins 15 % par rapport à l’année précédente.

La Chine, près de 15 % des revenus d’Apple
Apple – icône des GAFA – a tout à perdre de ce bras de fer entre Washington et Pékin, d’autant que la marque à la pomme a pris ses quartiers sur le vaste marché chinois : au premier trimestre 2020, la Chine représentait 14,8 % du chiffre d’affaires total d’Apple. Depuis le 11 mai, l’action de la firme de Cupertino au Nasdaq commence à montrer des signes de faiblesse : – 2,3 % (au 18-05-20). Les quatre iPhones compatibles 5G sortiront à l’automne prochain, mais avec plusieurs semaines de retard. Fin avril, lors des résultats de son second trimestre de l’année fiscale décalée, Apple n’a fourni aucune prévision. Et ce, pour la première fois en plus d’une décennie. @

Charles de Laubier

Le géant chinois Tencent accélère sa conquête du monde, notamment en Europe et en Afrique

Le « T » de BATX se déploie plus que jamais hors de Chine. Son président cofondateur, Ma Huateng, veut conquérir le monde. Après avoir pris 10 % dans Universal Music (Vivendi), il étend sa propre plateforme musicale Joox à l’international. Et multiplie les investissements tous azimuts : streaming musical, jeux vidéo, fintech, …

En avril, le cofondateur président de Tencent – Ma Huateng, alias Pony Ma (photo) – est devenu l’homme le plus riche de Chine, devançant son compatriote Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, se hissant ainsi à la vingtième place mondiale des milliardaires. Selon le classement Forbes, la fortune de Ma Huateng (48 ans) approche les 47 milliards de dollars (au 08-05-20).
Il possède encore aujourd’hui 8,58 % du capital du groupe Tencent Holdings Limited, qui est enregistré dans le paradis fiscal des Iles Caïmans, distantes de 15.000 kilomètres de Hong Kong où le géant du Net chinois a été créé en 1998 et où il est coté en Bourse depuis 2004. La valorisation boursière de Tencent est l’une des plus importantes au monde, avec 513,7 milliards de dollars (l’équivalent de 473,9 milliards d’euros au 08-05-20). Au point d’avoir dépassé un temps les capitalisations d’Alibaba et de Facebook ! Ma Huateng est en outre actionnaire, majoritaire cette fois (à 54,29 %), de la société Tencent Computer qu’il avait initialement cofondée il y a vingt-deux ans à Shenzhen, ville située dans le sud de la Chine et en périphérie de Hong Kong, où le groupe dispose de son siège social dans ses propres « twin towers » – les Tencent Seafront Towers – construites de 2015 à 2017.

Le Parti communiste chinois veille sur Tencent
C’est d’ailleurs dans cette ville-monde de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine que se tient le 13 mai 2020 l’assemblée générale annuelle, laquelle validera les résultats 2019 (dévoilés le 18 mars dernier) de ce conglomérat du Net : bénéfice net de 93,3 milliards de yuans (12 milliards d’euros), soit un bond de 19 % sur un an, pour un chiffre d’affaires de 377,2 milliards de yuans (48,6 milliards d’euros), en hausse de 20 % sur la même période. Pour l’instant, seuls les jeux vidéo génèrent un quart de leurs revenus à l’international. La musique en ligne en prend le chemin. « Pony Ma » n’est pas un prince rouge (puisqu’il ne descend pas d’un haut dirigeant du Parti communiste chinois), mais il est vice-président cofondateur de la puissante Fédération chinoise des sociétés Internet (CFIS), aux côtés, entre autres, de Jack Ma (alias Ma Yun) et de Li Yanhong (alias Robin Li), le président fondateur du « Google » chinois Baidu. La CFIS, pour China Federation of Internet Societies (1), est basée à Pékin et fut créée il y a deux ans pour que les patrons des BATX – acronyme des « GAFA » chinois – s’engagent à respecter, y compris dans leurs investissements à l’étranger, les valeurs de la République populaire de Chine.

WeChat/Weixin, QQ, « HoK », Joox, …
Le CFIS revendique son rôle de « promouvoir l’esprit du Parti communiste chinois » auprès de ses 300 membres, comme l’a expliqué Ren Xianliang, l’actuel président de cette fédération parapublique, qui est aussi vice-président du Comité de construction sociale de l’Assemblée nationale populaire de Chine (2) : « Le CFIS fournira des conseils politiques aux organisations membres, (…) les aidera à (…) protéger leurs intérêts, supervisera les opérations des organisations membres et favorisera le développement des organisations du Parti [communiste chinois] dans l’industrie », avait déclaré le 9 mai 2018, lors de l’inauguration de cette fédération (3), celui qui fut chef adjoint de l’Administration du cyberespace de Chine (4), le bras armé de la censure sur Internet.
C’est donc sous la « bienveillance » de Pékin que Tencent, à l’instar des autres BATX, conquiert le monde. Ayant franchi l’an dernier la barre du milliard d’utilisateurs dans le monde (1,165 million au 31 décembre 2019 précisément), sa messagerie instantanée multimédia WeChat – le « WhatsApp » chinois mais aux multiples fonctions (texte, vocal, vidéo, paiement mobile) – se décline aujourd’hui à l’international dans une vingtaine de langues (dont le français). Baptisée Weixin par Ma Huateng lors de son lancement en Chine en 2011, elle a pris l’année suivante ce nom de WeChat pour partir à l’assaut d’autres marchés. Dix ans avant cette application mobile, Tencent avait lancé pour ordinateur la messagerie instantanée et portail web QQ (ex-OICQ), proposant jeux vidéo, musique, films, microblogging et e-commerce. Devenu le sixième site web le plus consulté au monde (5), derrière Google, YouTube, Tmall (Alibaba), Facebook et Baidu, QQ compte 647 millions d’utilisateurs à fin 2019 – soit dix ans après ses débuts à l’international. Mais autant Weixin/WeChat gagne des utilisateurs (+ 6,1 % sur un an), autant QQ en perd (- 7,5 %). Outre les communications interpersonnelles, Tencent s’est démultiplié. Dans la musique, la firme de Shenzhen vient de jouer l’un de ses meilleurs coups hors Chine : depuis fin mars, elle détient – via un consortium qu’elle mène – 10 % du capital d’Universal Music, première major mondiale de la musique (6) et filiale du français Vivendi, avec une option d’achat de 10 % supplémentaires que ce consortium peut lever d’ici le 15 septembre 2021. De plus, Tencent Music Entertainment a la possibilité d’acquérir une participation minoritaire dans les activités d’Universal Music en Chine dans les deux ans. La major de Vivendi/Bolloré, valorisée aujourd’hui 30 milliards d’euros, sera introduite en Bourse « au plus tard début 2023 ». Sans attendre, Ma Huateng renforce à l’international sa propre plateforme musicale freemium Jook, lancée il y a cinq ans et déjà devenue le « Spotify » dans plusieurs pays d’Asie (7). Jook est à QQ Music ce que WeChat est à Weixin, une application à vocation internationale. Ce service de musique en streaming a été lancé en Afrique du Sud, pays de l’actionnaire principal de Tencent : le groupe Internet sud-africain Naspers. Celui-ci détient via sa holding MIH TC (Prosus) 31 % du capital de la firme de Shenzhen. En investissant quelque 25 millions d’euros de capital-risque dans Tencent en 2001, Naspers se retrouve aujourd’hui avec une participation valorisée 145 milliards d’euros ! Il y a deux ans, Naspers avait cédé 2 % de ses parts pour 7,8 milliards d’euros mais s’était engagé (8) à ne pas en vendre à nouveau avant… 2021. Après l’Asie, l’Afrique du Sud et – comme l’a annoncé Poshu Yeung, directeur général de Tencent à l’international – bientôt au Nigeria (9), Joox s’apprête à conquérir le monde.
Le « T » de BATX est aussi à l’offensive sur le marché mondial du jeu vidéo : depuis 2004, des jeux en ligne ont été édités sous la marque QQ jusqu’au lancement en 2015 du jeu mobile multijoueur « Honor of Kings » (HoK). Ce blockbuster, inspiré de « League of Legends » de l’éditeur Riot Games racheté par Tencent en 2011 (10), est aussi proposé hors de Chine sous le nom de « Arena of Valor ». En outre, le groupe chinois contrôle Supercell depuis 2019, détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, 5 % du français Ubisoft (11) et 5 % également du suédois Paradox Interactive (12). Le chinois nourrit aussi de grandes ambitions mondiales dans la productiondistribution de films (Tencent Pictures), la création de bandes dessinés numérique (comics chinois appelés manhuaa), la VOD (v.QQ et Huya Live) ou encore le ecommerce (PaiPai, TenPay, JD.com détenu à 15 %).

WeChat Pay, TenPay et la fintech
Et dans la fintech, Tencent est embuscade hors de l’Empire du Milieu, fort du leadership chinois de son application de paiement mobile WeChat Pay lancée en 2013 et rival d’Alipay (Alibaba), de Baidu Wallet et de Sina Weibo (13). En espérant aller au-delà de ses millions de clients chinois voyageant à l’étranger et de se mesurer à Google Pay, Apple Pay, voire à Visa ou Mastercard, la firme de Shenzhen s’offre des participations dans des fintech occidentales telles que les françaises Lydia et Qonto. Des jalons pour conquérir l’Europe. @

Charles de Laubier

Fort du succès mondial de « League of Legends » depuis plus de dix ans, Riot Games met les bouchées doubles

C’est la consécration pour le Français Nicolas Laurent, alias Nicolo : recruté il y a dix ans par l’un des deux cofondateurs de Riot Games, Brandon Beck, il dirige ce grand éditeur américain de jeux vidéo en ligne depuis deux ans et demi. Jusqu’alors monoproduit avec « LoL », Riot Games se diversifie et fait l’acquisition de Hypixel Studios.

Après avoir fait durant dix ans de « League of Legends » (LoL) son unique jeu vidéo à succès, d’ »arène de bataille en ligne multijoueur » (1), sur ordinateur, l’éditeur américain Riot Games honore enfin le « s » de son nom. Le 30 avril, il a lancé « Legends of Runeterra » (LoR), un jeu en ligne de « cartes à collectionner » (2), qui était en version bêta ouverte (3), depuis fin janvier sous Windows seulement. Cinq autres jeux vidéo en ligne – respectivement de tir (« Valorant »), de stratégie d’équipes (« Teamfight Tactics »), de combat (« Projet L »), de bataille pour mobile et consoles («Wild Rift »), de gestion e-sport (« TBA ») – sortiront au cours de cette année 2020 sur ordinateurs, smartphones et consoles. Chacun d’eux est développé, à l’instar de « LoL », pour durer plus d’une décennie en tant que blockbuster online. De plus, la firme de Los Angeles que dirige depuis plus de deux ans et demi le Français Nicolas Laurent, alias Nicolo (photo), s’est lancée dans le développement d’une série d’animation baptisée « Arcane » et attendue d’ici la fin de l’année. « Riot construit également le monde de Runeterra [celui rendu célèbre par LoL, ndlr] à travers des projets multimédias sur la musique, des bandes dessinées, des jeux de société et la prochaine série animée Arcane », promet l’éditeur américain, filiale du chinois Tencent depuis 2011.

« LoL » a généré 1,5 milliard de dollars en 2019
Selon le cabinet d’études SuperData (groupe Nielsen), « League of Legends » a rapporté l’an dernier à Riot Games pas moins de 1,5 milliard de dollars – soit une hausse supérieure à 6 % sur un an. Ce qui place encore « LoL » – dix ans après son lancement – en quatrième position du marché mondial du free-to-play (à options payantes), derrières le trio de tête : « Fortnite » d’Epic Games (1,8 milliard), « Dungeon Fighter Online » de Nexon (1,6 milliard), « Honour of Kings » de Tencent (1.6 milliard). « Alors que “Fortnite” a moins de joueurs que “League of Legends”, les joueurs de “Fortnite”sur PC sont plus de deux fois plus susceptibles de dépenser de l’argent sur le contenu ingame [achats à l’intérieur du jeu, ndlr] que le public de “League of Legends” », relève SuperData qui chiffre à 87,1 milliards de dollars le total des revenus mondiaux du free-to-play l’an dernier (4), en hausse de 6%. Avec sa puissante maison mère chinoise Tencent (le « T » de BATX détenant aussi 40 % de Epic Games à l’origine de « Fortnite », 84 % du finlandais Supercell, 5 % d’Activision Blizzard ou encore 5 % du français Ubisoft), « Riot » est désormais décidé à chasser… en meute à partir de 2020 sur le marché mondial des jeux vidéo on line en plein boom.

« LoR », « Valorant » et rachat de « Hytale »
Avec son jeu de carte en ligne « LoR », annoncé le 15 octobre 2019 à l’occasion de l’événement du dixième anniversaire de « League of Legends », Riot Games compte séduire les quelque 100 millions de joueurs de « LoL » et rivaliser ainsi avec le pionnier dans cette catégorie, « Hearthstone » d’Activision Blizzard. Plus que jamais au centre de l’arène des géants du gaming, l’éditeur cofondé en 2006 par Brandon Beck (alias Ryze) et Marc Merrill (alias Tryndamere), actuels coprésidents, se sent pousser des ailes. Avec « Valorant », son jeu de tir « à la première personne » (5) dont la version bêta fermée fait depuis le 7 avril un véritable carton sur Twitch (la plateforme de jeux en ligne d’Amazon), Riot Games lance ainsi un autre défi à Activision Blizzard (« Overwatch »), mais aussi à Valve (« Counter Strike »). Avant son lancement prévu l’été prochain pour ordinateurs et consoles, « Valorant » s’annonce comme le prochain blockbuster de Riot Games, tant a été élevée l’audience des chaînes permettant de suivre en live streaming les quelques happy few gamers ayant eu la chance d’obtenir les clés d’accès à la version pré-commerciale – avec un pic de plus de 1,7 million de spectateurs simultanés (6).
Riot Games vient en outre d’ajouter une corde à son arc en annonçant, le 16 avril dernier, l’acquisition de l’éditeur de jeux vidéo Hypixel Studios – un partenaire que l’éditeur de « LoL » conseille depuis près de deux ans. Mais le montant de l’opération n’a pas été dévoilé : 750 millions de dollars, comme l’avait évoqué le poisson d’avril (7) de l’an dernier ? D’origine canadienne et s’implantant aussi en Irlande du Nord à Londonderry (Derry), la société Hypixel Studios est en train de développer « Hytale », un jeu de construction par cubes de type « bac à sable » (8) concurrent de « Minecraft » du studio suédois Mojang – lequel fut racheté en 2014 par Microsoft pour 2,5 milliards de dollars. Les créateurs de « Hytale » (9) se sont inspirés de ce dernier après avoir créé il y a sept ans Hypixel, devenu l’un des plus populaires serveurs de « Minecraft » justement. Le lancement de « Hytale » auprès du grand public est prévu pour 2021, mais la version bêta a déjà enregistré plus de 2,5 millions d’inscriptions et plus de 56 millions de vues pour son trailer sur YouTube (10). Riot Games, qui compte aujourd’hui plus de 2.500 employés surnommés « Rioters » dans plus de vingt bureaux à travers le monde, renforce sa dimension internationale, tout en devenant ainsi éditeur multi-jeux. Nicolas Laurent, CEO de Riot Games, est en fait l’artisan historique du succès planétaire de « League of Legends ». Il a commencé sa carrière professionnelle en 2003 dans une filiale d’Orange, GOA (lancée par France Télécom), qui éditait un portail Internet francophone du même nom dédié aux jeux en réseau, free-to-play et multijoueurs, avant de disparaître il y a dix ans. C’est là qu’il a fait ses premières armes commerciales durant six ans. Nicolo confira plus tard qu’il consacra beaucoup de temps à jouer à « La Quatrième Prophétie » ou T4C (11), un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (dit Mmorpg) – médiéval-fantastique – développé il y a vingt ans par la société canadienne Vircom Interactive (également disparue). Orange/GOA en avait la licence d’exploitation pour la France jusqu’en 2002. Grâce à GOA, et après deux ans et demi à Paris, il a commencé à évoluer à l’international : six mois à Séoul (Corée du Sud) et trois ans à Dublin (Irlande).
Après GOA, Nicolas Laurent devient partenaire marketing et commercial de Riot Games en novembre 2009, tout juste un mois après la sortie de la phase bêta de « League of Legends ». Au bout de deux ans au service de « LoL », c’est Brandon Beck qui a proposé en 2011 à Nicolo d’intégrer Riot Games pour l’aider à diffuser LoL aux gamers du monde entier. Durant sept ans, le « Frenchie » assurera le développement international de l’éditeur de légende en s’installant d’abord à Los Angeles (où se situe son siège social) puis à Hong Kong (où il a installé le premier studio de développement international de Riot Games). « En dehors de nos fantastiques associés dans le Sud-Est asiatique et Taïwan (avec Garena) ainsi qu’en Chine (Tencent), j’avais réalisé que la meilleure façon d’offrir une réelle expérience de Riot Games était d’éditer “League of Legends” directement sur la plupart des marchés. Aussi, j’y suis allé sur un mode de frénésie internationale et j’ai commencé d’installer la présence de l’entreprise partout dans le monde ! Nous y sommes allés avec serveurs dédiés, marketing, e-sports, localisation, communauté, sites web, bureaux, équipes dédiées, etc. », raconte Nicolas Laurent sur son compte LinkedIn. Edition Multimedi@ n’a pas réussi à entrer en contact avec lui.

Nicolo, le « Frenchie » business-gamer
Tombé quand il était petit dans les jeux vidéo des années 1980, sur consoles Nintendo ou Sega puis sur ordinateurs, Nicolo n’a cependant jamais voulu être un artiste, ni même un créateur de jeux vidéo et encore moins un programmeur informatique. Son dada à lui, ce fut le business depuis sa formation à l’Essec mais en se faisant plaisir. C’est réussi. @

Charles de Laubier

Amazon, porté par l’explosion des achats en ligne due au confinement, s’attire des critiques de toutes parts

Le géant mondial du e-commerce fondé par Jeff Bezos profite-t-il du malheur des autres ? C’est en substance ce que pensent certains, victimes ou pas de la position dominante renforcée d’Amazon dans la vente et les services en ligne. Et ce, au moment où la pandémie du covid-19 faire rage.

(Depuis cet article paru dans EM@ n°231 du 6 avril, le tribunal de Nanterre a ordonné le 14 avril à Amazon de s’en tenir aux seuls produits essentiels durant un mois, et d’évaluer les risques au covid-19. Le 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé ce jugement, mais en ramenant l’astreinte de chaque infraction de 1 million à 100.000 euros)

A qui profite le crime ? Amazon est plus que jamais pris pour cible par ses détracteurs, qui reprochent au géant du e-commerce de profiter de la pandémie du coronavirus pour booster son chiffre d’affaires (qui affichait déjà 280,5 milliards de dollars en 2019) et son bénéfice net (11,5 milliards). Et à son président fondateur Jeff Bezos (photo), déjà l’homme le plus riche du monde (1) et détenteur de 12 % de ce GAFA, de s’enrichir encore plus (fortune de 117,3 milliards de dollars au 02-04-20).

Des revenus colossaux qui dérangent
Bien que redescendue sous la barre des 1.000 milliards de dollars, la valorisation boursière d’Amazon continue de tutoyer ce seuil, à 949,7 milliards (au 02-04-20). Si entre son pic du 19 février et son plongeon du 12 mars, l’action d’Amazon a perdu 22,7 % de son prix, entraînée dans sa chute par l’effondrement des Bourses dans le monde, elle s’est redressée depuis et à contre-courant de la plupart des autres entreprises cotées. Cette insolente résilience financière est d’autant plus dérangeante qu’elle s’affiche en cette période historique de crise sanitaire mondiale sans précédent, contraignant plus de 3 milliards d’êtres humains au confinement, et annonçant de terribles conséquences économiques qui appauvriront le plus grand nombre. Alors que la vente en ligne explose dans le monde en raison de ces mesures de confinement et de mises en quarantaine de la population dans de nombreux pays, le commerce physique et les commerçants indépendants se sentent, eux, les premiers sacrifiés sur l’autel du covid-19. Déjà que le e-commerce était en temps normal montré du doigt comme destructeur de magasins de proximité et de boutiques brick and mortar dans les centres-villes et les villages (2), les plateformes de vente en ligne se retrouvent plus que jamais accusées de tous les maux. Amazon est en toute première ligne, tant il est le premier géant du Net à tirer profit du #Restezchezvous, situation qui provoque une recrudescence de commandes sur Internet et via les applications mobiles. Et ce, au détriment des enseignes ayant pignon sur rue. C’est que l’activité de e-commerce de la firme de Seattle – avec notamment ses 150 millions d’abonnés revendiqués par Jeff Bezos au 30 janvier pour son bouquet de services Prime (3) – tourne à plein régime, lorsqu’elle n’est pas en surchauffe et ses entrepôts débordés, avec des ruptures de stocks à la clé. Amazon dans le monde, c’est un effectif de quelque 800.000 personnes travaillant soit à temps plein, soit à temps partiel (intérimaires), voire comme saisonniers (4). Et Jeff Bezos a annoncé le 21 mars aux « Amazoniens » qu’il recrutait 100.000 personnes supplémentaires (5), tout en gratifiant ses salariés – aux Etats-Unis et en Europe – de 2 dollars, livres ou euros de plus par heure « afin que les autres puissent rester chez eux ». Mais de là à fermer ses entrepôts où des employés ont été diagnostiqués « Covid- 19 », il y a un pas sanitaire que Jeff Bezos se refuse à franchir, ce que reproche par exemple l’ONG Les Amis de la Terre (6). Surtout lorsqu’un salarié de Brétigny-sur-Orge se trouve en réanimation. Par précaution face au « danger grave et imminent » de la pandémie, des salariés du groupe ont soit déposé des congés, soit exercé leur droit de retrait (comme dans les entrepôts d’Amazon près de Douai dans le Nord et à Montélimar dans la Drôme). Sous la pression, Amazon France a annoncé le 3 avril la fourniture de masques à tous ses salariés. Amazon est en outre critiqué pour son peu d’empressement à lutter contre les fake news et arnaques autour du coronavirus, en particulier sur les prix élevés de masques FFP2, gels hydroalcooliques, gants ou encore lingettes désinfectantes. Pendant que des secteurs d’activité sont contraints d’être à l’arrêt, les livraisons e-commerce restent, elles, autorisées – comme l’a rappelé la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), le 24 mars (7) en France où les ventes par Internet ont franchi l’an dernier les 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et le gouvernement français a garanti dès le 15 mars « l’appro-visionnement en produits alimentaires et en produits de première nécessité »

Shoppertainment versus « première nécessité »
Difficile pour Amazon – leader mondial du « shoppertainment » (8) – de s’en tenir aux produits dits de première nécessité, à ceci près que « certains produits » domestiques et médicaux « seront désormais prioritaires dans les centres de commandes » (jusqu’au 5 avril). « Si la vente de livres en librairie n’est pas “indispensable” à la vie de la nation, pourquoi la vente de livres par Amazon ou un hypermarché l’est-elle ? », s’est plaint le Syndicat national de la librairie française (SLF), accusant d’« hérésie sanitaire » cette « concurrence déloyale » (9). A la demande de la Commission européenne et à l’instar de Netflix et Google/YouTube, Amazon a réduit de 25 % la bande passante de sa plateforme Prime Video. @

Charles de Laubier