A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Suppression de 1.700 postes : les syndicats de SFR dénoncent « un scandale social, économique et financier »

Sur les 9.500 emplois que compte encore le 2e opérateur télécoms français SFR, 1.700 postes vont être supprimés en 2021 sur la base du volontariat. C’est près de 18 % des effectifs « télécoms » de la filiale française d’Altice. Les syndicats, eux, sont vent debout contre ce projet « Transformation et ambitions 2025 ». Blocage.

Depuis la première réunion de négociation du 10 mars dernier entre les syndicats de SFR et la direction générale du 2e opérateur télécoms français, c’est le black-out total. Aucune date de nouvelle rencontre n’est prévue. « La direction a fermé la porte des négociations ; elle boude, c’est le blocage », regrettent le 18 mars les représentants syndicaux, contactés par Edition Multimédi@. La CFDT, la CFTC et l’Unsa Com ont dénoncé ce 10 mars « un scandale social, économique et financier ». Ils l’ont fait savoir dans un « manifeste pour la vérité« , dans lequel ils ont fait connaître « leur opposition à une négociation ouverte sur la base d’un tissu de mensonges travestissant la réalité économique de SFR » et « sur la base d’une construction artificielle et inacceptable de “nouvelles” orientations stratégiques ». Alors que SFR en est à son troisième plan social en moins de dix ans (2), dont 5.000 emplois supprimés en 2017, celui-ci – avec sa destruction de 1.700 emplois – ne passe pas. « Cette invitation à la négociation d’une réduction des effectifs est faite alors que justement les excellents chiffres de la période, au contraire des autres entreprises françaises, auraient dû conduire SFR à organiser une discussion autour d’un partage des résultats », s’insurgent les organisations syndicales, rappelant que Patrick Drahi (photo), le patron fondateur de la maison mère Altice, s’était dit « sensible » au dialogue social au sein de l’entreprise.

Les télécoms pourtant préservées par la crise
Au lieu de cela, les négociations démarrent, selon les syndicats, sur des « bases tronquées, anti-économiques et antisociales ». Et les syndicats représentatifs de SFR d’enfoncer le clou : « Il serait en effet particulièrement intolérable que dans un secteur préservé par la crise, les pouvoirs publics puissent faire preuve d’un “turbulent silence”, face à des suppressions d’emplois qui vont peser sur les comptes sociaux de la nation, alors que l’entreprise est prospère ». En croissance de 2,4 % sur un an, l’opérateur SFR est la vache à lait d’Altice France, dont il génère 97 % du chiffre d’affaires total (lequel est de 10,9 milliards d’euros en 2020), avec un ratio de rentabilité opérationnelle de 39,8 % (Ebitda télécoms).
La volonté de SFR d’embaucher parallèlement 1.000 jeunes d’ici 2025 ne suffit pas à apaiser le courroux des syndicats. Ce millier de nouvelles recrues sur quatre ans se fera « sur les nouveaux métiers qualifiés du numérique, par exemple liés à la sécurité, l’analyse de la donnée ou l’IA ». Ce que la direction présente comme « un grand plan de recrutement » de 1.000 « jeunes diplômés » rend d’autant plus indigeste pour les syndicats la suppression de 18 % des effectifs de SFR, même si « l’embauche de jeunes est une nécessité ».

« Transformation et ambitions 2025 »
En annonçant le 3 mars son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 », SFR a justifié son objectif de 1.700 suppressions d’emplois par, d’une part pour 400 d’entre eux, la baisse de fréquentation dans les boutiques (- 30 %) et la progression continue des actes en ligne, et, d’autre part pour 1.300 d’entre eux, l’évolution du réseau de boutiques ramené à 568 magasins d’ici fin 2022. En outre, dans le cadre de ses obligations légales qu’il affirme déjà dépasser, le groupe Altice France-SFR – incluant les médias BFM et RMC – s’est engagé à créer 1.000 contrats d’apprentissage par an. « A l’heure où nous sommes déjà dans une phase d’investissements massifs pour la fibre et la 5G, nous devons, en tant qu’acteur sur lequel repose toute l’économie numérique, nous mettre en ordre de marche et nous fixer des objectifs élevés pour faire face à ce niveau d’exigence », a expliqué Grégory Rabuel, directeur général de SFR. Le deuxième opérateur télécoms en France revendique 25 millions de clients.
L’un des points d’achoppements entre direction et syndicats réside dans la demande des seconds à ce que l’emploi soit maintenu jusqu’en 2025 au niveau où il est début 2021. Pour la direction, ces exigences « posées en préalable à toute négociation » sont « incompatibles avec la situation de l’entreprise et la nécessité de sa transformation » (3). Pour les syndicats, il ne s’agit pas d’un « péalable » mais d’un contre-projet à négocier. Nul ne sait maintenant quand la direction présentera son plan de réorganisation. La dernière entrevue entre les syndicats de SFR et le président d’Altice Europe, Patrick Drahi, accompagné de son directeur opérationnel Armando Pereira, remonte au 16 décembre 2020. Les deux dirigeants auraient alors assuré aux organisations syndicales leur « attachement à un dialogue social de qualité ». Mais ces dernières ont rapidement déchanté, constatant début février « que le dialogue social est en mode totalement dégradé et qu’il n’existe plus d’interlocuteur faisant un lien entre les salariés, leurs représentants et vous [Drahi et Pereira] ».
La vente au groupe espagnol Cellnex de la filiale Hivory, qui se présente au sein d’Altice comme « la 1ère Tower Co en France » avec son parc de plus de 10.000 points hauts pour les antennes mobiles 3G, 4G et 5G (pylônes, châteaux d’eau, toits-terrasses, …), est aux yeux des syndicats révélatrice de l’absence de concertation et d’information préalable. Les partenaires sociaux ont appris la nouvelle par voie de presse (4). Hivory a comme principal client SFR, mais travaille aussi avec Bouygues Telecom et Free. Autres signes de dégradation du climat social et des conditions de travail : le recours massif au télétravail, sous prétexte de crise sanitaire, s’est fait sans concertation et sans accompagnement (5) ; le recours au chômage partiel pour des milliers de salariés a permis des économies substantielles pour le groupe. Depuis l’annonce du plan social le 3 mars, le dialogue de sourds s’est installé et la réunion du 10 mars a donné le coup d’envoi du bras de fer social. La direction de SFR, elle, défend son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 » auprès de ses « partenaires sociaux » en invoquant « l’accélération de la digitalisation des usages constatée par tous depuis le début de la crise sanitaire », « de[s] revenus captés par d’autres acteurs » (les GAFAN), « de[s] tarifs toujours très bas » et « une fiscalité spécifique au secteur extrêmement lourde ». Le groupe Altice France-SFR entend « poursuivre sur le long terme sa politique d’investissements efficace ». Il s’agit, selon la direction, de pouvoir absorber le trafic qui ne cesse d’augmenter chaque année (+35 % de trafic pour SFR en 2020) et de s’adapter aux évolutions technologiques récurrentes, comme la fibre et la 5G. Côté fibre : « Altice France-SFR poursuivra le déploiement de l’infrastructure fibre du pays et se fixe comme objectif le raccordement de plus de 90 % des foyers français en 2025 » et « vise 5 millions de nouveaux clients FTTH ». Côté 5G : « Altice France- SFR appuiera ses efforts de déploiement 5G et couvrira 98 % des villes de plus de 10.000 habitants en 5G », dont Paris depuis le 19 mars.

Altice Europe n’a plus la cote
Quant à la maison mère d’Altice France-SFR, Altice Europe, elle n’est plus cotée à la Bourse d’Amsterdam depuis le 27 janvier dernier. Le milliardaire Patrick Drahi a repris le contrôle (plus de 92 % du capital) du groupe de télécoms et de médias qu’il a fondé et dont il était déjà actionnaire majoritaire. Son opération de rachat d’actions avait pour objectif de ne plus être pénalisée par les investisseurs inquiets de sa dette, bien que ramenée à 28,5 milliards d’euros (6). @

Charles de Laubier

Rupert Murdoch, magnat des médias avec News Corp, fête ses 90 ans le 11 mars et tient tête aux GAFAM

Le milliardaire australo-américain Rupert Murdoch est une légende vivante mondiale de la presse et de l’audiovisuel. Le dirigeant nonagénaire et fondateur de News Corporation, l’un des plus grands groupes de médias,est presque le seul à faire trembler les Google, Facebook et autres Microsoft pour les forcer à rémunérer ses contenus.

Le Parlement australien a finalement légiféré le 25 février en faveur des médias de l’île-continent d’Océanie, lesquels vont pouvoir être rémunérés par les plateformes numériques – Google, Facebook et Microsoft en tête – qui utilisent leurs contenus journalistiques sur leurs moteurs de recherche, leurs agrégateurs d’actualités et leurs réseaux sociaux. Cette loi historique pour la presse en ligne dans le monde entier, bien qu’elle ne concerne que l’Australie, instaure dans la loi australienne sur la concurrence et la consommation ainsi que dans les lois du Trésor un « code de négociation obligatoire pour les médias d’information et les plateformes numériques ».
Ce code sans précédent instaure un cadre permettant aux entreprises de média et aux plateformes numériques de « négocier de bonne foi en vue d’obtenir une rémunération pour l’utilisation et la reproduction des contenu d’actualités ». Les GAFAM sont tenus aussi de fournir aux éditeurs des informations sur l’exploitation de leurs contenus journalistiques et de donner un préavis lors de changements dans un algorithme qui auront un effet important sur le trafic de référence ou la publicité associée. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une rémunération, un comité arbitral choisira entre deux offres finales ou à défaut infligera une amende à la plateforme numérique récalcitrante.

Le lobbying « conservateur » de News Corp a payé
La nouvelle loi « News Media and Digital Platforms » s’attache en outre à régler le déséquilibre du pouvoir de négociation qui existe entre les plateformes numériques et les entreprises de presse, tel que l’avait relevé en juillet 2019 l’autorité australienne de la concurrence et de la consommation, l’ACCC, dans un rapport d’enquête. Le groupe de média News Corp a été moteur dans l’élaboration de cette loi inédite, Rupert Murdoch (photo) étant proche du gouvernement conservateur australien à Canberra, la capitale du pays. Il a d’ailleurs été reproché au magnat australo-américain de faire un lobbying en faveur d’une telle loi pour tenter de sauver ses propres journaux en grand difficulté financière, du moins ceux publiés en Australie que sont The Daily Telegraph, Herald Sun et The Australian. C’est en Australie que Rupert Murdoch est né il y a 90 ans, à Melbourne, dans l’Etat de Victoria, où il a été élevé dans la foi protestante. C’est sur sa terre natale qu’il posera les fondations de son futur empire médiatique (lire ci-dessous). Le patriarche multimilliardaire – dont la fortune familiale est estimée à plus de 22 milliards de dollars (au 27-02-21), soit le 68e plus riche du monde (3) – a pesé de tout son poids sur le marché de la presse australienne et usé de toute son influence auprès du gouvernement conservateur pour faire adopter cette loi. News Corp a mené une guérilla acharnée durant une décennie sur les droits d’auteur de la presse, exigeant « une rémunération équitable » des GAFAM pour ses contenus. Mark Zuckerberg a tenté le bras de fer en bloquant les liens d’actualités dans Facebook pendant une semaine précédant l’adoption de la loi, mais il a perdu. Google a préféré négocier après avoir menacé de suspendre son moteur, signant même un accord mondial avec News Corp le 17 février (4). Les médias australiens, dont les quelque 140 journaux de News Corp Australia (ex-News Limited), vont toucher des millions de dollars… australiens (AUD). En 2023, Rupert Murdoch fêtera les 100 ans de son groupe historique créé par le journaliste James Edward Davidson. @

Charles de Laubier

Généraliser « à la va-vite » le Pass Culture ne passe pas vraiment en temps de restrictions culturelles

La généralisation du Pass Culture décidée pour 2021 par le gouvernement ne passe toujours pas pour certains. Le Sénat s’était dit « étonné » de tant de précipitation sans « évaluation préalable d’ampleur ». La musique en streaming en profite le plus et les disquaires physiques vont l’intégrer.

Sur le Pass Culture, la musique est plébiscitée par ses utilisateurs et se retrouve au premier rang des pratiques culturelles. C’est un outil de relance très utile. Il y a le spectacle vivant, le streaming, et l’idée serait d’intégrer les disquaires, notamment les indépendants, qui représentent l’achat physique, soit 40 % du marché de la musique enregistré [36,8 % précisément en 2019, soit 230 millions d’euros, bien moins en 2020, ndlr]. C’est beaucoup d’argent », a relevé le président du Centre national de la musique (CNM), Jean-Philippe Thiellay, lors de son audition au Sénat le 3 février dernier.

Généralisation à 300 euros au lieu de 500
Le Sénat justement est très regardant sur le déploiement du Pass Culture, pour lequel il a créé dès 2018 un « groupe de travail » transpartisan, composé d’un sénateur de chaque groupe politique et présidé par Jean-Raymond Hugonet (photo). Il reporte à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de la chambre haute. Dans sa configuration actuelle qui va évoluer cette année, ce Pass Culture permet à des jeunes de 18 ans de bénéficier d’une application sur laquelle chacun d’eux disposent de 500 euros pendant deux ans, afin de découvrir et de réserver parmi les offres culturelles de proximité et offres numériques proposées (livres, concerts, théâtres, musées, cours de musique, abonnements numériques, etc.). Pour l’instant, quatorze départements (1) sont éligibles au Pass Culture. « Les personnes de 18 ans n’ayant pas la nationalité française mais vivant dans l’un des départements de l’expérimentation depuis un an sont éligibles au Pass Culture », précise la société Pass Culture. Le 19 janvier dernier, ce groupe de travail avait fait part de son étonnement à la suite de l’annonce sept jours plus tôt de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, de la décision de généraliser le Pass Culture. Elle l’avait confirmé le 12 janvier dernier devant les députés qui l’auditionnaient au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, sans donner de date précise de la sortie de l’expérimentation. « L’année 2021 devrait permettre la généralisation du Pass Culture sur l’ensemble du territoire, avec un montant réajusté au regard des comportements constatés dans le cadre de l’expérimentation. La date de cette généralisation doit encore être définie au regard de la situation sanitaire et de la réouverture des établissements et des lieux de culture. Cette généralisation sera accompagnée d’un dispositif complémentaire pour les moins de 18 ans dans le cadre scolaire, afin de les préparer à cette démarche d’autonomisation », avait annoncé la ministre de la rue de Valois (2). Cette généralisation sera accompagnée d’une vaste campagne de publicité.
Pour les sénateurs, c’est incompréhensible non seulement parce qu’il n’a été réalisé « aucune évaluation d’ampleur de ce dispositif », mais aussi en raison de « la fermeture au public de la plupart des établissements culturels ». Surtout que généraliser le Pass Culture à ce stade, c’est pour les sénateurs mettre la charrue avant les bœufs… Le groupe de travail très critique rappelle au passage que la première génération de bêta-testeurs – car le Pass Culture est encore dans une phase d’expérimentation – n’arriveront à la fin de leur période de test qu’en juin prochain. Et c’est auprès d’eux qu’une étude d’évaluation devra être conduite pour savoir de quoi il retourne. Les sénateurs demandent d’ailleurs « que ces résultats soient rendus publics et donnent lieu à un débat devant le Parlement ».
Pour tenter d’expliquer la précipitation du gouvernement à décider la généralisation de ce Pass Culture dès cette année, le groupe de travail avance une piste plutôt politicienne : « Cette annonce apparaît avant tout motivée par la volonté de concrétiser, avant l’élection présidentielle de 2022, la promesse faite par Emmanuel Macron en mars 2017 alors qu’il était candidat à la présidence de la République. Elle s’inscrit dans la droite ligne du vote d’un budget de 59 millions d’euros en faveur de cet instrument dans le cadre de la loi de finances pour 2021, contre l’avis du Sénat ».

1,5 % du budget de la culture en 2021
Le budget du Pass Culture cette année est donc en hause de 7,6 % par rapport aux 40 millions d’euros de l’an dernier, lequel était déjà en augmentation de 2 % par rapport aux 24 millions d’euros de 2019. Ces enveloppes budgétaires et le train de vie de la société Pass Culture avaient d’ailleurs été épinglés, notamment début novembre 2019 par le site d’investigation Mediapart (3) qui avait dénoncé les rémunérations élevées non seulement de son président Damien Cuier (revue à la baisse depuis), mais aussi les émoluments du conseiller Eric Garandeau soupçonné de conflit d’intérêts (renonçant alors à présider la société).
Le Pass Culture reste cependant une goutte d’eau dans le budget 2021 de la culture (lequel est un record de 3,8 milliards d’euros, hors audiovisuel et sans compter les 880 millions d’euros issus cette année du plan de relance et dans une moindre mesure des investissements d’avenir (4)). Il ne représente en effet que 1,5 % de ce budget culturel, ce qui reste tout de même non négligeable en période de crise sanitaire et d’effondrement économique des activités culturelles.

Les disquaires entrent dans la danse
Rappelons que la mission de service public « Pass Culture » (pass.culture.fr) s’est réorganisée en juillet 2019 autour d’une société par actions simplifiées (SAS), dont les actionnaires sont le ministère de la Culture et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) par le biais de son activité Banque des Territoires. Cette SAS, qui compte aujourd’hui une soixantaine de collaborateurs (5), assure la gestion et le développement du dispositif Pass Culture dans toute la France.
Le dispositif va donc s’ouvrir aux disquaires ayant pignon sur rue, notamment aux indépendants qui sont au nombre d’environ 300 en France selon leur syndicat Gredin (6). D’autant que le Pass Culture a vocation à « encourager la rencontre entre les acteurs culturels et les utilisateurs ». Il n’est donc pas possible de se faire livrer des biens matériels. De plus, les achats de biens numériques (VOD, ebook, jeux vidéo, …) sont plafonnés à 200 euros, tout comme les achats de biens physiques (livre, CD, …) d’ailleurs.
Les « lieux » culturels semblent au rendez-vous de l’expérimentation malgré la crise sanitaire : 28.256 recensés au 18 février. Les jeunes bénéficiaires aussi : ils étaient à cette date 141.061 majeurs de 18 ans à en profiter, contre 117.260 trois mois plus tôt, sur un total potentiel de 150.000 potentiellement concernés dans les quatorze départements expérimentaux. Sans attendre de bilan ni d’étude d’impact sur les expérimentations, Roselyne Bachelot avait surprise tout son monde en indiquant – lors de la présentation du budget 2021 de la culture 28 septembre dernier – le montant de 500 euros alloué à chacun des jeunes heureux élus était « sans doute excessif » dans la mesure où il est, d’après elle, « sous-consommé ». Mais n’est-ce pas à mettre sur le compte des fermetures d’établissements culturels qui ont commencé à être imposées il y a un an, en mars 2020 ? Les restrictions, couvre-feux et confinements ont entraîné une fermeture administrative des cinémas, des théâtres, des libraires, des disquaires ou encore des endroits du spectacle vivant. Alors qu’en juin dernier encore, l’association Tous pour la musique (TPLM) – réunissant les professions de la musique (7) – soumettait aux pouvoir publics une dizaine de propositions face au covid-19 dont celle-ci : « Réorienter le Pass Culture vers les arts vivants et les productions locales ». Les détenteurs du fameux sésame se sont retrouvés le bec dans l’eau face aux portes closes et annulations en tout genre.
Pour le groupe de travail « Pass Culture » du Sénat, qui se plaint d’ailleurs de n’avoir que des informations « au compte-gouttes » du dispositif, débloquer 1,5 % du budget de la culture cette année sans réellement connaître les résultats d’une telle expérimentation n’est pas justifiable à ce stade. « Nous avons nous-mêmes suivi l’expérimentation dans les territoires de test et constaté que les résultats y sont inégaux », a prévenu le sénateur Jean-Raymond Hugonet dans La Gazette des communes, le 21 janvier. Et de s’insurger : « Alors que le monde de la culture est aux arrêts de rigueur, on voit ici une oasis aux visées électorales arrosée abondamment de 59 millions d’euros. C’est insupportable. On demande au gouvernement de la décence ! Ce dispositif, c’est de la communication » (8).
Le président du groupe de travail sénatorial estime en outre que l’exécutif ferait donc mieux de mettre l’accent sur l’éducation artistique et culturelle (EAC), plutôt que de « se focaliser sur des projets pseudo-modernes ». En ces temps de restrictions sanitaires et de couvre-feux, et encore plus en période de confinement, le Pass Culture gagnerait cependant à privilégier la dématérialisation culturelle. Le gouvernement n’encourage-t-il pas le télétravail ? Alors pourquoi pas la « téléculture ».

Les plateformes numériques donnent le change
Si les GAFAN, excepté Audible d’Amazon (podcasts et audiobooks), restent écartés du dispositif franco-français, de nombreuses plateformes numériques sont néanmoins au rendez-vous : Deezer, Ubisoft, Majelan (podcasts), OCS (chaîne payante d’Orange), Blacknut (jeux vidéo), Youboox (ebooks et e-presse), Iznéo (e-BD), Sybel (séries audio), Madelen (SVOD de l’Ina), UniversCiné (films), FilmoTV (films), LaCinetek (films), Le Vidéo Club (films), Shadowz (films), Spicee (documentaires) ou encore QueerScreen (LGBTQ+). Il y en a pour tous les goûts. @

Charles de Laubier

Wikipedia, qui fête ses 20 ans, est à la recherche de son nouveau PDG pour succéder à Katherine Maher

Inconnue du grand public, Katherine Maher – PDG de la fondation Wikimedia qui édite « l’encyclopédie libre » universelle Wikipedia, cofondée il y a 20 ans par Jimmy Wales – quittera le 15 avril prochain ses fonctions qu’elle assumait depuis cinq ans. Du nouveau ou de la nouvelle « CEO » dépendra « l’avenir du savoir ».

« Katherine a été une grande et puissante dirigeante pour Wikimedia, et elle pense qu’il est temps pour la fondation d’avoir un nouveau leader », confie à Edition Multimédi@ le cofondateur de Wikipedia, Jimmy Wales (photo). Alors que « l’encyclopédie libre » d’envergure universelle célèbre son 20e anniversaire, il se félicite que Katherine Maher ait accru la visibilité de l’importance de l’accès au savoir dans le monde. « En tant que dirigeante, elle s’est faite la championne de règles plus inclusives et a institué le premier Code de conduite universel des projets Wikimedia », a-t-il déclaré, à l’occasion de l’annonce le 4 février du départ, prévu le 15 avril, de celle qui est PDG depuis cinq ans de la Wikimedia Foundation (1). Cette Américaine, née dans le Connecticut, a un parcours atypique et est passionnée par le Moyen-Orient.Katherine Maher est en 2003 diplômée de langue arable à l’Université américaine du Caire, en Egypte ; elle étudie en 2004 à l’Institut français d’études arabes de Damas, en Syrie ; elle travaille jusqu’en 2005 au Conseil des relations étrangères, et notamment sur le conflit israélo-palestinien ; elle sort la même année diplômée en études moyennes-orientales et islamiques de l’Université de New York. Katherine Maher (37 ans) est polyglotte : anglais, arabe, allemand et français.

Une nouvelle CEO du Moyen-Orient ou d’Afrique ?
Katherine Maher a fait savoir le jour de l’annonce de son prochain départ qu’elle espère, pour lui succéder, une personne « provenant de l’avenir du savoir », en l’occurrence de l’Afrique, de l’Inde ou de l’Amérique du Sud. Et pourquoi pas du Moyen-Orient justement ? « Nous devons atteindre des publics et mobiliser des participants qui reflètent la diversité mondiale. Ce serait puissant d’avoir un PDG qui représente nos efforts pour devenir une organisation vraiment internationale, apporte une perspective sur les besoins de l’avenir de la connaissance libre, et s’engage à élargir la portée de nos projets », nous indique-t-elle. Durant ces cinq ans la direction d’une telle organisation à but non lucratif et à renommée mondiale, elle a « considérablement augmenté la présence de Wikipedia dans les marchés émergents », s’est réjoui le conseil d’administration présidé par María Sefidari. Une nouvelle personne dirigeante provenant de de ces régions du monde, où l’accès gratuit à la connaissance relève plus que jamais du droit fondamental, serait la bienvenue à la tête de Wikimedia. L’entreprise Viewcrest Advisors mandatée comme chasseuse de tête est certifiée « Women’s Business Enterprise », ce qui pourrait déboucher sur une nouvelle candidature féminine.

130 millions de dollars collectés en 2020
Katherine Maher a aussi à son crédit le fait d’avoir lutté contre la désinformation et la censure croissantes, « y compris une campagne réussie de plaidoyer et de contentieux qui a amené la Turquie à lever [en janvier dernier sur injonction d’un juge d’Ankara, ndlr] son blocage de Wikipedia au bout de deux ans et demi ». Le combat judiciaire continue pour la liberté d’expression, cette fois en Chine qui bloque l’encyclopédie universelle depuis deux ans dans toutes les langues et depuis cinq ans en mandarin. La CEO sortante a aussi augmenté la diversité et le nombre de rédacteurs et contributeurs – au nombre de 200.000 sur la planète, dont environ 60.000 francophones (4) – de la méga-encyclopédie universelle aux 45 millions d’articles actualisés, ainsi que le nombre de lectorat. « Le rôle de PDG de Wikimedia est fascinant et stimulant : nous ne sommes pas seulement un géant d’Internet, nous sommes une communauté. Et inversement », rappelle Jimmy Wales, alias « Jimbo ». Aujourd’hui, avec plus de 1 milliard de terminaux différents par mois s’y connectant, Wikipedia rivalise en audience avec Google ou Facebook dans le « Top 10 » des sites web les plus fréquentés de la planète. « Nous ne comptons pas le nombre de “visiteurs uniques” en raison de notre engagement fort envers la vie privée », fait valoir la fondation. En France, où Wikipédia existe depuis le 23 mars 2001, l’encyclopédie libre est le septième site web le plus fréquenté avec plus de 31 millions de « visiteurs uniques » en décembre 2020, selon Médiamétrie.
« Katherine a défini une vaste orientation stratégique pour la prochaine décennie de Wikimedia et solidifié la position financière et l’avenir du mouvement », assure la Wikimedia Foundation (WMF), dont le siège est à San Francisco. Lors du dernier exercice 2019/2020 (clos le 30 juin), la fondation qui fait office de « maison mère » de Wikipedia a engrangé plus de 129,2 millions de dollars dans l’année, dont 93 % provenant de donations, de legs et autres contributions. Sous la direction de Katherine Maher, ces recettes ont fait un bond de 58 % par rapport aux 81,8 millions de dollars générés sur 2015/2016 (année de sa prise de fonction en tant que CEO). « Nous vous demandons, humblement, d’aider Wikipedia à continuer à prospérer non seulement pendant 25 ou 50 ans, mais pour toujours », est-il écrit sur la plateforme de dotation Wikimedia Endowment (5). Et Jimmy Wales, qui a créé la fondation deux ans et demi après Wikipedia, de nous expliquer : « Je pense que Wikipedia représente un élément-clé de notre culture, et une bonne partie, par rapport à beaucoup d’autres choses en ligne. C’est notre ambition que de faire quelque chose d’authentique et durable ». De là à suggérer à l’Unesco d’inscrire Wikipedia au patrimoine culturel de l’humanité, il y a un pas qu’a tenté de franchir son fondateur il y a dix ans en appelant à signer une pétition d’initiative allemande pour reconnaître l’encyclopédie universelle comme « premier site numérique du patrimoine culturel mondial » (6). Si l’essentiel des fonds sont orientés vers la plateforme du savoir, une partie va aux autres médias opérés par la fondation : Mediawiki (depuis janvier 2002), un paquet open source qui alimente Wikipedia et de nombreux autres wikis sur le Web ; Wiktionary (depuis décembre 2002), un dictionnaire multilingue de contenus libres disponible en 170 langues ; Wikimedia Commons (depuis septembre 2004), un référentiel multilingue de photographies, diagrammes, cartes, vidéos, animations, musique, sons, textes parlés ou autres ; Wikidata (depuis octobre 2012), un stockage libre et ouvert pour les données structurées de tous les projets Wikimedia, y compris Wikipedia, Wikivoyage ou encore Wikisource.
Selon les comptes de la fondation, 43 % des ressources financières sont allouées à la maintenance informatique de tous les sites web de la galaxie « Wiki » (7), 32 % aux communautés « Wiki » (subventions, projets, formations, outils, défense juridique), 13 % à l’administration et à la gouvernance permettant notamment de recruter du personnel qualifié, 12 % à la collecte de fonds elle-même au niveau mondial. Finalement, le quinquennat de Katherine Maher à la tête de la fondation s’est bien passé. De quoi faire oublier les psychodrames qui avaient entaché la précédente direction assurée alors par la Russe Lila Tretikov de juin 2014 jusqu’à sa démission forcée en mars 2016. Son départ précipité faisait suite à la polémique soulevée à l’époque autour d’un coûteux projet de moteur de recherche cofinancé par la fondation américaine Knight et susceptible de concurrencer Google, Yahoo ou MSN (Microsoft). Celle-ci alloue le 18 septembre 2015 une aide financière – que signe Lila Tretikov (8) – pour que la Wikimedia Foundation puisse mener à bien son projet baptisé « Knowledge Engine ».

Oublié le psychodrame du Knowledge Engine
Le manque de transparence autour de ce projet ambitieux a généré de telles inquiétudes au sein de la communauté des Wikipédiens (9) que ce « wiki search engine », développé par l’équipe « Discovery », a été relégué à un usage interne (10). Tandis que le moteur-maison MediaWiki (11) reste, lui, un logiciel libre utilisé par de nombreux sites «wiki » (12). La démission de Lila Tretikov avait été précédée en janvier 2016 par l’éviction d’un membre du conseil d’administration, Arnnon Geshuri, pour son rôle controversé lorsqu’il travaillait chez Google. Les Wikipédiens de tous les pays s’étaient même émus de trop de consanguinité entre Google justement et le « Board of Trustees » de la fondation (13). Jimmy Wales n’a-t-il pas été lui-même membre du conseil consultatif (14) de la firme de Mountain View ? C’est du passé. « L’avenir du savoir » est devant. @

Charles de Laubier

Streaming : le Centre national de la musique (CNM) bute sur « une boîte noire »

En fait. Les 3 février, le président du Centre national de la musique (CNM), Jean-Philippe Thiellay, a été auditionné au Sénat par la commission de la culture. Il est revenu sur le rapport qu’il a publié le 27 janvier sur la répartition des revenus des plateformes de streaming musical. Ses travaux ont buté sur « une boîte noire ».