A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Ayant pivoté dans la vidéo en streaming (OTT), Netgem se démarque des « box » et de la SVOD

Permettre aux internautes de « ne pas être dépendant de la box » de leur fournisseur d’accès à Internet et d’avoir une plateforme de vidéo à la demande « sans abonnement et sans engagement ». Telle est l’ambition réaffirmée par Netgem, dont la filiale Vitis lance un service de VOD en OTT : Viva.

(Lors de la présentation de ses résultats semestriels le 30 juillet, soit après la parution de cet article dans EM@, Netgem a relevé ses objectifs financiers 2021)

Le 5 juillet dernier, le français Netgem a annoncé – via sa marque Videofutur – le lancement d’une nouvelle plateforme de vidéo à la demande (VOD) « dédiée au cinéma, sans abonnement et sans engagement », destinée à « la génération streaming qui souhaite voir en streaming ses films préférés en toute liberté, sur tous ses écrans et sans être dépendant de sa box opérateur ». Autrement dit, Netgem se positionne de plus en plus en OTT indépendamment des « box TV » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, Bouygues Telecom, SFR, Free et d’autres – dont sa propre box Videofutur.

Vers la fin des offres triple play ?
Surfant sur l’essor de la fibre optique et de la 5G, Netgem table sur son développement en OTT (Over-The-Top) sans avoir de compte à rendre aux opérateurs télécoms. « En 2020, le groupe a démontré que le pivot entamé depuis plusieurs années vers le métier de fournisseur d’accès à la vidéo en streaming (OTT) porte ses fruits », se félicite Netgem dans son rapport financier 2020, publié fin avril dernier. Grâce au très haut débit et à son modèle économique basé sur des revenus récurrents (90 % de son activité), l’entreprise cofondée par Joseph Haddad (photo) – président du conseil d’administration – a réussi malgré la crise sanitaire à générer l’an dernier un chiffre d’affaires de 30,2 millions d’euros en croissance de 20 %, pour un résultat net de 4,1 millions d’euros (contre 6,9 millions de pertes nettes l’année précédente). Cette performance est due à l’intégration-consolidation depuis début 2020 de sa filiale Vitis qui opère, en tant que fournisseur d’accès à la fibre optique, l’offre « box/VOD » Videofutur. Vitis, qui a ainsi contribué à hauteur de 54,9 % du chiffre d’affaires 2020 du groupe, est un FAI triple play sur le marché de la fibre optique en France, dans les zones géographiques couvertes par les réseaux d’initiative publique (RIP) des collectivités territoriales.
La société Vitis, toujours contrôlée par Netgem, a été fondée il y a cinq ans par Mathias Hautefort – l’actuel directeur général du groupe – avec le soutien de la Caisse des dépôts et du groupe Océinde d’origine réunionnaise. Mais plus globalement, Netgem estime qu’« au moment où les consommateurs européens basculent massivement vers la fibre, de plus en plus questionnent le bien fondé des packages 3P [comprenez le triple play des “box”, ndlr] intégrant des centaines de chaînes linéaires proposés par les opérateurs télécoms ». Le groupe français, qui est aussi présent en Grande-Bretagne, à Singapour, au Mexique ou en Australie, parie sur l’extension du phénomène cord-cutting déjà observé aux Etats-Unis (où les abonnés ne veulent plus dépendre d’un câblo-opérateur pour accéder à la télévision ou à la VOD/SVOD) en proposant « des services autonomes pour accéder à la télévision en streaming ». Son service NetgemTV est ainsi proposé directement au client final et/ou en partenariat avec des opérateurs télécoms – ces derniers s’étant résolus à proposer des offres one play ou double play (accès à la fibre et téléphonie sans télévision) à des prix plus agressifs pour amortir plus rapidement leurs lourds investissements dans leurs infrastructures très haut débit. La 5G devrait aussi accélérer le mouvement.
Aujourd’hui, le groupe encore détenu par la famille Haddad à hauteur de 24,7 % du capital et 31,5 % des droits de vote, déploie ses services NetgemTV à l’international et Videofutur (via Vitis) sur l’Hexagone. « En France, le modèle de distribution du groupe s’appuie sur la distribution direct-toconsumer de NetgemTV en bundle avec la revente d’un accès fibre sur zone locale sous la marque Videofutur et sur une distribution indirecte via des partenaires opérateurs télécoms », est-il expliqué dans le rapport financier 2020. L’ambition plus large est de se rendre indispensable dans les foyers, quitte à rayonner dans toutes les pièces de maison avec la technologie mesh (maillage) afin d’améliorer la qualité du Wifi à domicile grâce à une solution baptisée SuperStream. Netgem entend ainsi s’imposer en tant qu’« opérateur OTT pour la maison connectée », selon les propres termes de Mathias Hautefort.

330.000 abonnés francophones en Europe
C’est dans le cadre de cette stratégie de disruption qu’a été lancée en France la plateforme « Viva by Videofutur », dont le catalogue de 15.000 programmes (films, séries, documentaires, animations, …) – dont de nombreux films français (1) mais aussi américains (2) – va être référencé sur le moteur de l’offre légale de VOD du CNC (3) et intégrera le Pass Culture (4) d’ici fin juillet. En tant que plateforme VOD (à la location ou à la vente), les nouveaux films pourront y être proposés quatre mois après leur sortie en salle de cinéma. A ce jour, le groupe revendique – NetgemTV et Videofutur compris – plus de 330.000 abonnés en France et dans des pays francophones comme aux Luxembourg (Post) ou en Suisse (Net+). @

Charles de Laubier

Youboox fête ses 10 ans de lecture en streaming et envisage une nouvelle levée de fonds en fin d’année

Cofondée le 22 juillet 2011 par Hélène Mérillon, la société Youboox – éditrice de la plateforme de lecture en streaming par abonnement lancée en mars 2012 – se développe en révolutionnant le monde du livre. Le « Netflix de l’écrit », mais aussi du livre audio, affirme être rentable et envisage une troisième levée de fonds.

« Notre modèle économique n’a pas changé depuis la création de la société, mais nous avons développé nos offres via plusieurs canaux de distribution : d’abord en nous appuyant sur de grand partenaires B2B comme les opérateurs télécoms SFR et Free [ainsi qu’Orange Belgique et Orange Tunisie, ndlr], les groupes hôteliers comme Accor, ou des compagnies aériennes comme Air France, puis en accélérant nos investissements marketing digitaux en B2C », indique à Edition Multimédi@ Hélène Mérillon (photo), présidente de Youboox. Aujourd’hui, avec un catalogue disponible en streaming illimité de 400.000 contenus provenant de 1.500 éditeurs (ebooks, livres audios, bandes dessinées, quotidiens, magazines, guides de voyages, guides pratiques, …), Youboox revendique 2,5 millions d’utilisateurs francophones partout dans le monde. Avec une gratuité sur les trente premiers jours (1), les deux offres d’abonnement mensuel (l’une classique à 7,99 euros mais restreinte aux ebooks et aux BD, et l’autre à 11,99 euros avec livres audio et presse compris) ont séduit à ce jour plus d’un demi-million d’abonnés payants. Pour le prix d’un livre de poche, le lecteur peut s’offrir « un buffet littéraire à volonté » (dixit Orange Belgique) et un kiosque à journaux illimité.

Barre des 10 millions d’euros de chiffre d’affaire
« Nous connaissons une croissance à deux chiffres sur le chiffre d’affaires “abonnement” depuis trois ans et nous sommes rentables depuis deux ans », nous assure Hélène Mérillon, qui ne dévoile cependant pas les montants financiers. Selon nos estimations, Youboox a franchi en 2020 – et pour la première fois – la barre des 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et ce, comparé à l’année 2017 dont les résultats sont les derniers connus, à savoir 8,6 millions d’euros de ventes et 470.000 euros de perte nette. Elle nous indique néanmoins que « la société – toujours indépendante (fondateurs et management étant majoritaires) – n’a pas de besoin immédiat de financement, mais une prochaine levée de fonds sera envisagée, probablement d’ici la fin d’année, pour accompagner la croissance compte tenu du développement du marché ». La société Youboox, créée le 22 juillet 2011 avant de lancer la première plateforme de streaming d’ebooks en France en mars 2012, avait procédé à deux premières levées de fonds : une première en 2013 pour 1,1 million d’euros, auprès d’Editions Atlas notamment, et une seconde en 2016 pour 1million d’euros auprès de NCI, Paeonia et IronCapital. Elle bénéficie en outre du soutien de la région Ile-de-France et de Bpifrance.

Approche disruptive pour le monde de l’édition
L’approche disruptive de la lecture en streaming par abonnement bouscule depuis une décennie maintenant le monde du livre, notamment en France où l’édition numérique peine à générer 263,6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020, pesant ainsi moins de 10 % du marché français du livre (2). Mais ce dernier est dans son ensemble en recul de 2,3 % par rapport à l’année précédente, alors que le marché des ebooks progresse de 13,5 % sur la même période (3). L’appétence pour la lecture en ligne (avec possibilité de poursuivre hors connexion) grandit et le potentiel de la e-lecture est énorme : plus d’un Français sur quatre (26 %) a déjà lu un livre numérique, soit un total de 13,8 millions de electeurs – en progression de 1 million de e-lecteur sur un an (4). Youboox s’est en plus diversifié, il y a deux ans maintenant, dans le livre audio. Depuis un an, son forfait mensuel Youboox One de livres et BD pour 9,99 euros intègre aussi un livre audio par mois. Sur ce segment de l’écoute, la demande est forte aussi puisque près d’un Français sur cinq (19 %) a déjà écouté un livre audio, soit tout de même 9,9 millions de « lecteurs » audiophiles. Ces chiffres d’audience de ce nouveau e-lectorat en France proviennent du 11e « baromètre des livres imprimés, numériques et audio », publié en avril dernier par le Syndicat national de l’édition (SNE) avec les sociétés d’auteurs Sofia et SGDL.
Sur la base d’une enquête réalisée par Médiamétrie, cette étude révèle que « toujours plus de lecteurs sont intéressés par un abonnement pour leurs usages numériques » en matière de lecture : 37 % des Français interrogés (+5 points sur un an) et 42 % pour les livres audio numériques (+9 points). C’est ce principe de l’abonnement à un catalogue d’ouvrages en ligne qui font entrer les maisons d’édition dans un nouveau paradigme, qu’elles redoutent plus qu’elles ne sollicitent. Sur ces plateformes de streaming, que cela soit Youboox ou d’autres comme Youscribe, Scribd ou encore Kindle Unlimited d’Amazon en position dominante, les livres ne sont pas vendus mais loués. Après avoir craint au départ une destruction de valeurs et une violation du prix unique du livre, lequel donne depuis 40 ans cette année le pouvoir aux éditeurs de fixer seuls le tarif de leurs titres, le monde du livre traditionnel a dû s’y faire. « Notre offre est conforme à la loi du prix unique du livre et l’équilibre entre le prix du service et le coût des contenus est respecté depuis toujours », assure Hélène Mérillon. En effet, après la promulgation de la loi du 26 mai 2011 instaurant le prix du livre numérique, toutes les offres d’abonnement avec accès illimité se sont mises en conformité avec ce sacro-saint principe de l’anti-dumping sur les prix des livres hérité de la loi « Lang ». « Le prix unique du livre s’applique aux abonnements comme aux livres vendus à l’unité et permet à des acteurs locaux indépendants comme les libraires ou Youboox de se développer et de proposer aux lecteurs des solutions alternatives aux grandes plateformes mondiales, durables et respectueuses de la chaîne du livre », se félicite Hélène Mérillon. Certes, le marché du livre numérique dans le monde est largement tiré par la firme fondée par Jeff Bezos – pionnier des ebooks avec ses liseuses Kindle –, mais cela n’a pas empêché des avantgardistes français comme Youboox d’exister. Le « Netflix de l’écrit et du livre audio » n’a donc pas fini de se développer et sa notoriété de grandir auprès du grand public francophone (300 millions de locuteurs). La crise sanitaire et ses confinements ont contribué à booster voire à faire exploser l’« ebookisation » de la lecture, tandis que l’érosion des ventes de livres papier permet de sauver des forêts et à protéger l’environnement. Pour les maisons d’édition, c’est « faire contre mauvaise fortune bon cœur »… La société d’Hélène Mérillon constate que les confinements ont fait progresser la lecture numérique de plus de 40 % en Amériques du Nord et du Sud, suivies par l’Afrique du Nord avec plus de 20 % ou encore l’Asie-Pacifique avec près de 15 %. Youboox étend sa bibliothèque numérique partout où les francophones sont nombreux. En France, au-delà de son site web, de ses applications mobiles, de ses accords avec SFR, Free ou des tiers (Accord, Air France, …), Youboox a profité du dernier déconfinement en mai pour proposer aux restaurants et bars qui ont réouverts de donner accès à leurs clients – en Wifi et sans téléchargement d’application – à son catalogue en streaming en salle ou en terrasse (évitant notamment que le tenancier ne fasse circuler le journal du jour avec les risques sanitaires).

5 % des revenus réinvestis dans des contenus
Youboox avait aussi lancé trois mois plus tôt un « pass » pour les professionnels de l’hôtellerie et du tourisme, en misant sur le « sans contact » (hygiénique) et le « sans papier » (écologique). Sur le Pass Culture, dans sa nouvelle version lancée le 21 mai dernier par Emmanuel Macron pour un crédit offert de 300 euros au lieu de 500 euros auparavant, un jeune de 18 ans peut bénéficier de « trois mois de lectures en illimité chez Youboox ». Par ailleurs, pour soutenir les auteurs de bandes dessinées (plus de 5.000 étant déjà disponibles en streaming), Youboox s’est associé de novembre dernier à novembre prochain à la plateforme de financement participatif Ulule pour aider six nouveaux projets de BD (5). Et pour la bonne cause, 5% des revenus annuels de Youboox sont par ailleurs réinvestis « dans la production de contenus en partenariat avec le tissu local », selon les pays francophones desservies par la plateforme de lecture en streaming. @

Charles de Laubier

Livres numériques piratés : LeakID et Rivendell surveillent le Net

En fait. Le 24 juin, à l’occasion de son assemblée générale, le Syndicat national de l’édition (SNE) a publié son rapport d’activité 2020 assortis de chiffres du marché français. L’édition numérique peine à décoller : 263,6 millions d’euros de chiffre d’affaires (+13,5 %). Les éditeurs se protège contre piratage avec LeakID.

Les GAFAM se retrouvent aux Etats-Unis dans l’oeil du cyclone antitrust, avec risque de démantèlement

Le vent tourne. A deux mois de la prise de fonction de la juriste Lina Khan au poste de présidente de la FTC, l’autorité de la concurrence américaine, un paquet de six projets de loi « anti-monopole » des Big Tech a été adopté le 24 juin 2021 par la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, en rêve ; la future présidente de l’autorité de la concurrence américaine, Lina Khan (photo), va peut-être le faire : mettre au pas les GAFAM, si ce n’est les démanteler, pour mettre un terme aux abus de position dominante et aux pratiques monopolistiques de ces Big Tech nées aux Etats-Unis et déployées dans la plupart des régions du monde, au point d’asphyxier toute concurrence sérieuse voire de tuer dans l’oeuf toute innovation provenant de start-up gênantes. « Protéger les consommateurs américains », tel est le leitmotiv de la Federal Trade Commission (FTC) que va présider à partir du mois de septembre l’Américaine Lina Khan, née en Europe (à Londres) de parents pakistanais il y a un peu plus de 32 ans. Cette brillante juriste, que le président américain Joe Biden a nommée à la tête de l’autorité fédérale de la concurrence et de l’anti-monopole, s’est forgée une réputation « anti-GAFAM » très redoutée des Big Tech. Son premier fait d’arme est un article paru en 2017 dans le Yale Law Journal de l’université américaine Yale et intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon« . Le ton est donné. La politique concurrentielle américaine a permis à des mastodontes comme la firme de Jeff Bezos d’écraser les prix et la concurrence, sur fond d’emplois précaires et d’optimisation fiscale.

Lina Khan, chairwoman redoutée à la tête de la FTC
Comme il se doit dans le fonctionnement des institutions des Etats- Unis, Lina Khan a été désignée en mars comme commissaire – démocrate – de la FTC par Joe Biden, ce qui fut confirmé le 15 juin par le Sénat américain. Dans la foulée le locataire de la Maison- Blanche l’a nommée présidente de la FTC pour un mandat de trois ans à partir de septembre prochain. Son premier dossier sera celui du rachat des studios de cinéma Metro Goldwyn Mayer (MGM) par le géant Amazon, lequel a demandé le 30 juin dernier à ce que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire par souci d’impartialité. La FTC enquête déjà sur la marketplace d’Amazon. En avril dernier, lors de son audition d’intronisation devant le même Sénat américain, la jeune juriste spécialiste des lois antimonopoles – jusqu’à maintenant professeure de droit à l’université de Columbia à New York – avait fait part de son inquiétude sur la position dominante des GAFAM sur les nouveaux marchés. « J’ai eu l’occasion de travailler sur les questions de concurrence par l’entremise des services gouvernementaux, d’abord à la FTC et, plus récemment, en tant qu’avocate au sous-comité du droit antitrust, commercial et administratif, de la commission de la magistrature à la Chambre [des représentants des Etats-Unis, ndlr] », a indiqué Lina Khan.

Commission antitrust aux avant-postes
C’est justement ce « subcommittee on antitrust » (6), bipartisan (démocrate/républicain) et présidé par le démocrate David Cicilline (photo ci-contre), qui a publié en octobre 2020 un rapport de 451 pages – un véritable pavé dans la mare des Big Tech – intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (7). Il recommande au Congrès américain de légiférer rapidement pour empêcher ces mastodontes planétaires du numérique aux comportements monopolistiques d’évincer la concurrence – quitte à en passer par leur séparation structurelle ou spin-off (8). Et ce, après avoir entendu en juillet 2020 Sundar Pichai (Google), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) et Tim Cook (Apple), convoqués à la fin de l’enquête parlementaire. Si Satya Nadella (Microsoft) n’était pas de la partie, il a tout de même été question aussi de la firme cofondée par Bill Gates.
Démantèlement en vue ou pas, l’intégration verticale des géants du Net pose problèmes à la concurrence, à l’emploi et à l’innovation. Joseph Simons, qui fut président de la FTC jusqu’en janvier dernier, avait d’ailleurs reconnu qu’autoriser par exemple les rachats d’Instagram (en 2012) et de WhatsApp (en 2014) par Facebook fut deux graves erreurs de ce gendarme fédéral de la concurrence (9). Pour l’heure, un juge de Washington a estimé le 28 juin dernier que la FTC n’apportait pas « suffisamment de preuves » d’un abus de position dominante de la firme de Mark Zuckerberg.
Cette fois, toujours sous l’impulsion de David Cicilline, la commission de la magistrature de la Chambre des représentants des Etats-Unis (la fameuse House Judiciary Committee) vient de repartir à la charge contre les GAFAM en approuvant les 23 et 24 juin derniers six projets de loi (10) : un texte rétablit la concurrence en ligne et veille à ce que les marchés numériques soient équitables et ouverts en empêchant les plateformes en ligne dominantes d’utiliser leur pouvoir de marché pour choisir les gagnants et les perdants, favoriser leurs propres produits ou bien encore fausser le marché par des comportements abusifs en ligne (11) ; un texte visant à limiter les retards et les coûts pour les procureurs généraux des Etats lorsqu’ils portent des affaires antitrust devant la cour fédérale, en raison du transfert de ces affaires à un autre endroit (12) ; un texte interdisant aux plus grandes plateformes en ligne de se livrer à des fusions qui élimineraient des concurrents, ou des concurrents potentiels, ou qui serviraient à accroître ou à renforcer leur pouvoir monopolistique (13) ; un texte autorisant la FTC et le département de la Justice américaine (DoJ) à prendre des mesures – comme le démantèlement ? – pour empêcher les plateformes en ligne en position dominante de tirer parti de leur pouvoir monopolistique pour fausser ou détruire la concurrence sur les marchés qui dépendent de cette plateforme (14) ; un texte donnant à la FTC de nouveaux pouvoirs et outils d’application afin d’établir des règles favorables à la concurrence pour l’interopérabilité et la portabilité des données en ligne (15) ; un texte augmentant les frais imposés aux parties lors du dépôt d’un gros projet de fusion et acquisition, afin de donner plus de moyen financier au DoJ et à la FTC (16).
Avec cet arsenal antitrust tel qu’il est proposé, les GAFAM ont du souci à se faire. « Après 29 heures et les meilleurs efforts des Big Tech, la commission judiciaire de la Chambre a adopté les six projets de loi de notre programme pour construire #AStrongerOnlineEconomy ! Grande victoire pour les consommateurs, les travailleurs et les petites entreprises ! », a twitté David Cicilline le 24 juin à l’issu de l’approbation de cette demi-douzaine de projets de loi qui sont sans précédent dans l’histoire encore récente de l’Internet. Côté Républicains, il y a aussi un accueil favorable à ces mesures sans concession : l’un d’eux, Kenneth Buck, estime que cette réforme antitrust se fait « au scalpel, pas à la tronçonneuse » ! S’il n’est pas question à ce stade de démantèlement, il n’y a qu’un pas judiciaire pour imposer des spin-off. La démocrate Pramila Jayapal, elle, a été à l’origine du projet de loi obligeant les plateformes incriminées à se dessaisir entièrement de certains secteurs d’activité en cas d’abus de position dominante.La balle est maintenant dans le camp du Congrès des Etats-Unis pour que ce paquet législatif soit voté, mais aussi entre les mains de Lina Khan, la future présidente de la FTC, pour que ces nouvelles règles – si elles devaient être finalement promulguées – soient mises en œuvre.

Couper l’herbe sous pied de l’Europe
Les Facebook, Amazon et autres Apple n’auront qu’à bien se tenir. « Briser les monopoles et améliorer nos lois antitrust », a résumé le démocrate Jerrold Nadler qui préside, lui, la commission de la magistrature : « En freinant les abus anticoncurrentiels, notre loi fait en sorte qu’il y ait de la place pour les opportunités et l’innovation pour prospérer en ligne ». Même Margrethe Vestager à Bruxelles n’aurait pas mieux dit si elle avait eu son mot à dire à Washington. Finalement, comme le laisse entendre David Cicilline (17), les Etats- Unis entendent ne pas – en voulant légiférer contre ses propre GAFAM – se faire dicter des lois anti-monopoles numériques par l’Union européenne, laquelle examine actuellement le paquet DSA/DMA (Digital Services Act/Digital Markets Act). Mais le Vieux Continent a une longueur d’avance législative sur le Nouveau Monde. @

Charles de Laubier

Crise sanitaire : plus que jamais, les Français parient sur les jeux d’argent et de hasard en ligne

L’Autorité nationale des jeux (ANJ) fête ses un an. Succédant à l’Arjel, elle a été constituée le 15 juin 2020 par la nomination des neuf membres de son collège, dont sa présidente, Isabelle Falque-Pierrotin, ex-présidente de la Cnil. Avec les confinements, les jeux d’argent et de hasard ont le vent en poupe, paris sportifs en tête.

Plus de dix ans après l’ouverture du marché français des jeux d’argent et de hasard en ligne que sont les paris sportifs, les paris hippiques et le poker, le dynamisme est de mise malgré – ou grâce à – la crise sanitaire : sur l’année 2020, le chiffre d’affaires des opérateurs de jeux à gains a augmenté de 22 % en un an pour atteindre un peu plus de 1,7 milliard d’euros, soit un record depuis l’ouverture à la concurrence (1). Ce que l’on appelle aussi le « produit brut des jeux » (2) a été généré grâce à presque 5 millions de comptes joueurs actifs (CJA), un joueur pouvant en avoir plusieurs chez différents opérateurs (3). « Ces performances illustrent l’accélération de la digitalisation des pratiques de jeu, qui est une conséquence de la crise sanitaire », avance, pour expliquer cet engouement dans les jeux d’argent et de hasard en ligne, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) présidée depuis sa création il y a un an par Isabelle Falque-Pierrotin (photo). En effet, nombre de compétitions sportives et de courses hippiques physiques ont été suspendues en raison de la pandémie. Ce qui a favorisé l’an dernier la forte hausse des revenus des opérateurs agréés, non seulement dans les paris en ligne – chiffre d’affaires d’ailleurs plus important sur les enjeux hippiques (+ 31 % en 2020) que sur les mises sportives (+ 7 %) –, mais aussi et surtout dans le poker (+ 64 %).

Parier sur l’Euro de football et les JO de Tokyo
Qu’en sera-t-il à l’ère post-covid, s’il devait y avoir un monde d’après ? Pour l’heure, dans la foulée de l’année 2020, le premier trimestre 2021 s’est inscrit lui aussi en croissance soutenue à deux chiffres, de 35 % sur un an à , toujours en termes de chiffre d’affaires des opérateurs de jeux d’argent en ligne – au nombre de quinze aujourd’hui. Quant à l’ensemble des quelque 3 millions de comptes actifs, il est aussi en forte augmentation, de 19 % sur le premier trimestre. Après avoir été la victime collatérale des confinements, les paris sportifs en ligne reprennent, eux, du poil de la bête cette année avec « la progression des mises la plus spectaculaire », à plus de 2,1 millions de mises, du jamais vu sur un trimestre. Les parieurs sportifs – près de 2,5 millions de comptes joueurs actifs auprès d’opérateurs tels que Betclic, Unibet ou Winamax – sont tenus en haleine avec les deux compétitions majeures cette année : l’Euro de football du 11 juin au 11 juillet (4), pendant lequel les mises en France pourraient totaliser entre un demi-milliard et 1 milliard d’euros, et les JO de Tokyo du 23 juillet au 8 août (5), ces deux événements ayant été reportés à ces dates-là à cause de la pandémie.

Feeling Publishing, 15e opérateur agréé
Le gendarme des jeux d’argent redouble de vigilance sur les publicités alléchantes et les pronostiqueurs (tipsters) attirant de nouveaux joueurs par parrainage commissionné. C’est d’ailleurs sur le segment des paris sportifs que l’ANJ a agréé en mars dernier le quinzième opérateur du marché français (tous jeux d’argent en ligne confondus) : la société marseillaise Feeling Publishing, qui édite désormais la plateforme de paris sportifs Feelingbet.fr, laquelle était depuis 2013 exploitée en marque blanche en partenariat avec un autre opérateur lui aussi agréé dans les paris sportifs, France Pari, et éditeur de son côté de France-pari.fr. « On va basculer dans les prochaines semaines sur Feeling Publishing/Feelingbet. La marque blanche sous France Pari va disparaître », indique Pascal Vallet, fondateur de Feeling Publishing, à Edition Multimédi@. L’ANJ lui a délivré son agrément pour cinq ans (6) à compter du 4 mars dernier. « France Pari, via sa filiale Sportnco, continuera à nous fournir le logiciel de jeu mais nous prenons notre indépendance en ayant obtenu notre propre licence de paris sportifs. Ce qui me permet d’être officiellement opérateur et de pouvoir mener notre propre politique de développement », nous confie Pascal Vallet.
De leur côté, les paris hippiques en ligne – segment de marché bien plus modeste que les paris sportifs – observent aussi une envolée à deux chiffres des enjeux depuis l’an dernier (354 millions d’euros), qui se poursuit sur les trois premiers mois de cette année (110 millions d’euros). C’est là aussi un record trimestriel en ligne, s’expliquant en partie par la fermeture « sanitaire » des points de vente physiques d’enregistrements de paris (PMU et 237 hippodromes régulés aussi par l’ANJ). Le chiffre d’affaires des six opérateurs agréés dans les paris hippiques, dont Genybet ou Joabet, est de ce fait en forte hausse, tout comme le nombre de turfistes : plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs sur 2020 et près de 1 million sur le seul premier trimestre 2021. A noter que, par ailleurs, le milliardaire Xavier Niel, fondateur de Free et (co)détenteur de titres de presse (Le Monde, L’Obs, Télérama, Nice-Matin, France Antilles Martinique, France Antilles Guadeloupe, France-Guyane) et copropriétaire de Mediawan, a obtenu en février le feu vert de l’Autorité de la concurrence (7) pour s’emparer de Paris-Turf via NJJ Holding qu’il contrôle. Le groupe éponyme édite des quotidiens à l’attention des parieurs et des professionnels hippiques (Paris Turf, Paris Courses, Week-End, La Gazette des Courses, Tiercé Magazine, Bilto). Sur les paris sportifs, cette fois, le groupe édite l’hebdomadaire Lotofoot Magazine.
Le poker en ligne (plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs en 2020 pour 446 millions d’euros de chiffre d’affaires, et près de 1 million de CJA au premier trimestre 2021) n’est pas en reste. Le bond du produit brut des jeux généré pour les opérateurs agréés par le poker en ligne, dont Partypoker ou Pokerstars, est de 53 % l’an dernier et de 23 % au début de l’année en cours – merci aux confinements. Selon l’ANJ, l’embellie devrait se poursuivre et le recrutement de nouveaux joueurs de poker en ligne aussi.
Si l’ANJ contrôle la politique de « jeu responsable » des casinos physiques, au nombre de 202 casinos en France (groupes Partouche, Lucien Barrière, Joa, Tranchant, …) et les clubs de jeux parisiens peu nombreux, elle ne régule pas les jeux de casino en ligne. Et pour cause : le casino en ligne est interdit en France, contrairement à la plupart des autres européens tels que la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Suède ou encore le Royaume-Uni (8). Sur l’Hexagone, le ministère de l’Intérieur a encore la main sur la lutte contre le blanchiment et sur l’intégrité de l’offre des jeux. Or, les casinos « en dur » ont souffert de la fermeture de leurs établissements durant les confinements et les couvre-feux (rouverts totalement depuis le 9 juin, mais jusqu’à 23 heures) – sans parler par ailleurs de la concurrence des « tripots » (9) clandestins… La crise sanitaire serat- elle l’occasion de lancer une réflexion sur l’introduction en France du casino en ligne. Edition Multimédi@ a posé la question à Isabelle Falque-Pierrotin, mais n’a obtenu aucune réponse.

Le « en ligne », 17 % du marché total
Si le chiffre d’affaires du marché des jeux en ligne en concurrence a presque été multiplié par trois depuis dix ans de libéralisation, il pèse encore moins de 20 % du chiffre d’affaires total du marché français des jeux d’argent et de hasard (17 % des plus de 10 milliards de produit brut des jeux d’argent et de hasard en 2020, tous confondus, physiques ou dématérialisés, contre seulement 7 % il y a une décennie). L’ANJ, qui régule bien au-delà des jeux d’argent sur Internet, couvre un marché – la Française des jeux (FDJ) et le PMU compris – de plus de 50 milliards de mises sur l’année (10). @

Charles de Laubier