A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Les fintech et les Big Tech pourraient aller jusqu’à faire disparaître la banque traditionnelle

Lors des 5èmes Assises des Technologies financières, qui se sont tenues le 23 novembre à l’initiative de l’agence Aromates, le scénario du démantèlement des services bancaires n’est pas un sujet tabou. Mais selon la Fondation Concorde une « coopétition » entre banques et fintech serait préférable.

Les fintech poursuivent plus que jamais leur conquête des services bancaires, au point que « la distinction entre banques et fintech devient ténue », souligne la Fondation Concorde dans son rapport consacré aux banques et aux fintech, dévoilé le 23 novembre par l’économiste Christian de Boissieu (photo) aux Assises des Technologies financières. En plus de services financiers innovants et fluides proposés aux utilisateurs, elles développent des solutions disruptives « appliquées à des maillons de la chaîne de valeur considérées comme cœur de métier des banques ». Exemple : le crédit constitue une des activités historiques des banques ; des fintech y interviennent désormais dans l’acquisition de données, les modèles d’analyse de risque, le processus d’octroi ou encore le paiement fractionné. Résultat : les demandes d’agréments auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour obtenir le statut d’établissement de crédit ont augmenté.

Crise existentielle au Comité de Bâle
« Les fintechs se transforment de plus en plus en établissements bancaires en termes réglementaires », constate la Fondation Concorde, think-tank pluridisciplinaire et indépendant créé il y a 25 ans. Pourtant, il y a un paradoxe français : la Banque de France rappelle que l’Hexagone est considéré comme le premier grand pays européen dans l’usage d’Internet pour les services bancaires. Or les fintech y sont moins nombreuses – 900 selon l’association France FinTech – que dans d’autres pays : en Allemagne ou en Grande-Bretagne, le secteur bancaire traditionnel est plus fragmenté et donc plus favorable aux fintech et néo-banques. Alors qu’en France, le monde bancaire est très concentré (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Caisses d’Epargne, Crédit Mutuel/CIC, La Banque Postale, …). Le Comité de Bâle – dont sont membres l’ACPR et la Banque de France parmi les superviseurs bancaires de 27 pays dans le monde (2) – envisage plusieurs scénarios possibles pour la transformation du paysage bancaire : de la survie de la banque traditionnelle « se modernis[a]nt à l’aide d’une expérience client numérique renforcée », à la fin de la banque traditionnelle avec « disparition de la fonction d’intermédiation bancaire ». Pour l’ACPR, qui a publié en juillet une analyse sur « les acteurs numériques de la finance » (3), le scénario où « les services bancaires sont “démantelés” pour être offerts sur des plateformes numériques » n’est pas à exclure. Ce démantèlement laisserait la place aux opérations et transactions financières directes entre parties prenantes (particuliers, entreprises, …), grâce au peer-to-peer (P2P), à la blockchain et aux cryptomonnaies. Même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît, dans un rapport d’avril 2022 (4), qu’« en portant l’innovation à un niveau inédit, une forme d’intermédiation financière fondée sur des cryptoactifs, dite “finance décentralisée” (DeFi), a connu une croissance extraordinaire ces deux dernières années, et est susceptible d’offrir une efficience accrue et des possibilités d’investissement » (5).
Le président du conseil scientifique de la Fondation Concorde, Christian de Boissieu (6), écrit dans sa préface du rapport présenté aux Assises des Technologies financières : « Grâce à leur taille souvent modeste, grâce à leurs plateformes performantes dans la collecte et le traitement des données – les fameuses data– grâce à des coûts de transaction extrêmement compétitifs, les fintechs sont venues bousculer les banques » (7). Lorsque ce ne sont pas des Big Tech américaines (GAFAM) ou chinoises (BATX) qui, en ayant accès à des gros volumes de données (big data), « détiennent un avantage concurrentiel majeur visà- vis des banques traditionnelles », ce sont les fintech qui interviennent dans différents domaines financiers : services de paiement, compensation et règlement, crédit, assurance, gestion d’actifs, cryptoactifs, … Il y aurait plus de 25.000 fintech en activité dans le monde, d’après Statista. Lorsqu’elles marchent sur tout ou partie des plates-bandes des banques traditionnelles, on les désigne comme des « néobanques ». « L’approche souvent disruptive des fintech leur permet de challenger les services financiers de base traditionnellement proposés par les banques, tant en termes de qualité que de coût », constate la Fondation Concorde.

« Tout est une question d’équilibre »
Mais, selon son rapport, « tout est une question d’équilibre : disposer d’un secteur bancaire fort et solide est un atout pour l’économie d’un pays, pourvu que cela ne bride pas l’innovation ». Et pour Jacques Marceau (photo de droite), organisateur des Assises des Technologies financières (agence Aromates) et administrateur et animateur de la commission « banques et services financiers » de la Fondation Concorde, les fintech sont « à la fois des partenaires stratégiques et un atout pour les banques traditionnelles ». @

Charles de Laubier

Devenu 2e éditeur de presse magazine en France, le Tchèque Daniel Kretínsky a ses chances pour Editis

Entré il y a quatre ans dans le club grandissant des industriels milliardaires propriétaires de médias français, l’oligarque tchèque Daniel Kretínsky semble le mieux placé pour devenir l’actionnaire de référence du deuxième éditeur français, Editis. Le nouveau tycoon de la presse française, s’intéresse aussi à l’audiovisuel.

Le 7 novembre est paru au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE) l’avis officiel de la « notification préalable d’une concentration » reçue par la Commission européenne le 24 octobre 2022 de la part de Vivendi – contrôlé par le groupe Bolloré – qui veut acquérir « le contrôle exclusif de l’ensemble de Lagardère ». Bruxelles a appelé « les tiers intéressés à lui présenter leurs observations éventuelles [qui devaient] lui parvenir au plus tard dans un délai de dix jours » après cette publication au JOUE (1). Depuis le 17 novembre, la direction générale de la concurrence (DG Comp) de la Commission européenne a donc toutes les cartes en main pour rendre sa décision – positive ou négative sur cette opération – à partir du 30 novembre, date de la fin de la procédure d’examen (2). A moins qu’elle ne décide de lancer une enquête approfondie. Le lendemain du dépôt formel de sa notification à Bruxelles, le groupe Vivendi a indiqué qu’il « poursui[vai]t l’étude du projet de cession d’Editis dans son intégralité » afin d’obtenir le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer du groupe Lagardère, dont sa pépite Hachette Livre : troisième groupe mondial de l’édition et premier éditeur français.

Vivendi doit céder Editis pour avoir Lagardère
Pour satisfaire aux exigences de l’Union européenne en matière de concentration et de concurrence, le groupe de Vincent Bolloré est tenu de céder sa filiale Editis, deuxième éditeur en France. Il l’avait racheté en janvier 2019 et comptait initialement le garder dans le futur ensemble « Vivendi-Lagardère ». Mais les inquiétudes de l’édition en France et les réserves de la DG Comp en amont, ont poussé Vivendi à devoir vendre Editis « pour éviter les problèmes potentiels de concentration avec le groupe Lagardère ». Avec ses 53 maisons d’édition (La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, …), Editis a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 856 millions d’euros, tandis qu’Hachette Livre avec ses 200 maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, …) en a généré le triple : 2,598 milliards d’euros. Comme le projet de cession d’Editis annoncé le 28 juillet se fera « via principalement une distribution aux actionnaires de Vivendi et une cotation à Euronext Paris » (3), chaque actionnaire de Vivendi recevra des actions « Editis » au prorata de celles qu’il détient dans la maison mère (4).

Bolloré va récupérer 29,7 % d’Editis et les vendre
Ainsi, le groupe Bolloré du milliardaire breton – actionnaire de référence de Vivendi à hauteur de 29,4 % du capital – recevra 29,4 % d’actions d’Editis, ou 29,7 % si l’on se réfère aux droits de vote. Mais Bolloré s’est engagé à céder l’ensemble de ses actions-là pour « doter Editis d’un noyau actionnarial de référence et stable ». Le reste ira en Bourse, à moins que Bruxelles ne trouve à redire sur ce découpage financier (5). Or, le seul candidat déclaré auprès de Vivendi pour le rachat des 29,4 % d’Editis à Bolloré n’est autre que le milliardaire tchèque Daniel Kretínsky (photo). Tous les autres prétendants potentiels au rachat des actions de Bolloré dans Editis (LVMH, Bouygues, Fimalac, Scor/Humensis, Lefebvre Sarrut, Kering, E.Leclerc, Bonnier, Mondadori, Bertelsmann, …) démentent ou attendent (6). Mais dès que la Commission européenne rendra sa décision à partir du 30 novembre (sauf enquête approfondie), les prétendants pourront sortir du bois et répondre à l’appel d’offres piloté par trois banques (dont Lazard et BNP Paribas). Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi, a déjà dit l’été dernier qu’il ne souhaite vendre « ni à un concurrent français (dans l’édition) ni à un fonds d’investissement ». Ce qui laisse toutes ses chances à Daniel Kretínsky. Le Tchèque magnat de l’énergie d’Europe centrale (7) et propriétaire du groupe Czech Media Invest (CMI) n’est pas dans l’édition de livres en France, mais plus que jamais dans la presse française.
Outre son ticket indirect dans Le Monde, en étant coactionnaire via les 49 % dans Le Monde Libre (LML) qu’il avait acquis fin octobre 2018 au banquier Matthieu Pigasse (8), le milliardaire de 47 ans est propriétaire de plusieurs magazines négociés dès avril 2018 et rachetés en février 2019 à Lagardère (Elle (9), Télé 7 jours, Femme actuelle, France Dimanche, Ici Paris, Public, Art & Décoration, …). Et, depuis le printemps 2018, il possède l’hebdomadaire Marianne fondé il y a un quart de siècle par Jean-François Kahn (10). Par ailleurs, l’oligarque tchèque a prêté en septembre au quotidien Libération 14 millions d’euros remboursable dans quatre ans (en 2026), auxquels il a ajouté un don de 1 million d’euros au Fonds de dotation pour la presse indépendante (FDPI) où se trouve la holding Presse Indépendante qui contrôle Libération. Le FDPI compte un administrateur proche du milliardaire : Branislav Miskovic. Cédé il y a deux ans par un autre milliardaire, Patrick Drahi (Altice/SFR), le quotidien créé par Jean-Paul Sartre passera la cinquantaine – le 18 avril 2023 – sans encombre malgré ses pertes (7,9 millions en 2021). Outre la presse, le nouveau tycoon des médias français a aussi fait irruption dans le paysage audiovisuel, en s’invitant en 2019 au capital de TF1 et en franchissant le seuil des 5 % deux ans après via sa société luxembourgeoise Vesa Equity Investment. Il était même candidat depuis mars 2021 au rachat de M6, jusqu’à ce que le groupe allemand Bertelsmann renonce le 3 octobre dernier à vendre sa filiale française. Le francophile et francophone Daniel Kretínsky, qui a fait une partie de ses études de droit à l’université de Dijon, est ainsi entré dans le club grandissant des industriels milliardaires propriétaires de pans entiers des médias français : Bernard Arnault, Xavier Niel, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Patrick Drahi, François Pinault ou encore le nouveau venu Rodolphe Saadé. Cette oligarchie médiatique à la française est unique au monde et pose questions quant à l’indépendance des rédactions (11).
Le 14 octobre dernier à l’université d’automne de l’association Un Bout des Médias, dont Julia Cagé est présidente, Denis Olivennes (photo ci-contre) – redevenu le 1er novembre (après l’avoir déjà été de janvier 2019 à juin 2020) président du conseil de surveillance de CMI France, filiale française des médias de l’homme d’affaires tchèque – a fait une révélation. Celui qui est aussi président de Presse Indépendante (Libération) a raconté pourquoi la Une de Marianne avait été modifiée in extremis en faveur d’Emmanuel Macron durant la dernière campagne présidentielle : c’est Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, qui a appelé Daniel Kretínsky au téléphone pour avoir son avis sur le projet initial de Une. « Bon, puisque vous me le demandez, lui a répondu le propriétaire qui l’a lui-même nommée à ce poste, je vous le donne mais je vous répète que c’est vous qui déterminez la Une : dans le choix entre Macron et Le Pen, ce n’est pas un choix gauche-droite, mais un choix démocratie-pas démocratie. Donc, si vous êtes ambigüe, c’est une façon de vous exprimer. Mais vous faites ce que vous voulez » (12). Sur ce, elle a modifié sa Une du 21 avril 2022 en « Malgré la colère… éviter le chaos », au lieu de « La colère… ou le chaos ? ». La Société des rédacteurs de Marianne avait aussitôt dénoncé une ingérence « pro-Macron » de l’actionnaire (13).

CMI France, 2e éditeur de presse magazine
Pas de quoi rassurer les journalistes de Libé que son créancier milliardaire a récemment rencontrés : « Je ne partage pas les idées de votre journal, mais je le soutiens et il est libre de son contenu », leur a dit Daniel Kretínsky. En leur lançant comme preuve, selon lui, de l’indépendance de Libé : « Vous ne me verrez plus ! ». CMI France, dont l’ancien président du conseil de surveillance était Etienne Bertier (son bras-droit), revendique être « le deuxième éditeur de presse magazine en diffusion en France » avec 17 titres, dont certains ont été créés tels que l’hebdo « de combat » Franc-Tireur lancé il y a un an. Et en octobre, Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », est tombé dans son escarcelle. L’avenir proche, lui, nous dira si Editis élargira le pouvoir d’influence de l’oligarque tchèque à l’édition française. @

Charles de Laubier

Au coeur de l’enquête « Microsoft-Activision » de la Commission européenne, il y a le géant Sony

En ouvrant le 8 novembre une « enquête approfondie » sur le projet d’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, la Commission européenne ne mentionne pas Sony qui domine encore le marché mondial du jeu vidéo avec sa console PlayStation. Comment le japonais a convaincu Bruxelles d’agir.

(Comme concession, Microsoft a proposé à Bruxelles d’accorder une licence « Call of Duty » de 10 ans à Sony pour sa PlayStation, selon Reuters le 28 novembre)

« La Commission européenne craint qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs personnels [afin d’être proposés en exclusivité sur les seules console Xbox de Microsoft, ndlr], notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que “Call of Duty” », a-t-elle fait savoir le 8 novembre pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (1), dont la célèbre licence « Call of Duty » (2).

Jim Ryan s’est rendu à Bruxelles le 8 septembre
Si la Commission européenne et sa vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager, ne mentionnent aucunement Sony dans leur annonce, le géant japonais est considéré comme l’instigateur de cette enquête approfondie. Dès le 20 janvier 2022, soit deux jours après l’annonce par Microsoft de son projet de méga-acquisition d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars, un porte-parole de Sony s’était exprimé pour la première fois sur cette opération envisagée : « Nous nous attendons à ce que Microsoft respecte les accords contractuels et continue de veiller à ce que les jeux Activision soient multiplateformes », avait-il déclaré dans un entretien au Wall Street Journal (3).
Le groupe nippon tient à ce que tous les jeux d’Activision Blizzard demeurent disponibles sur les plateformes de jeux vidéo non-Microsoft si la méga-acquisition devait être autorisée. Autrement dit, la console PlayStation de Sony doit pouvoir continuer à proposer notamment « Call of Duty », ce jeu de tir à la première personne (4) qui relève de la catégorie « AAA » des jeux vidéo à gros budget. Six mois après l’annonce qui n’a cessé depuis de faire des vagues dans le monde des jeux vidéo, Jim Ryan (photo de droite), PDG de Sony Interactive Entertainment (SIE) depuis avril 2019 en charge notamment de l’activité PlayStation (5), se serait rendu lui-même à Bruxelles le 8 septembre dernier – soit avant que le deal « Microsoft-Activision » ne soit formellement notifié à la Commission européenne le 30 septembre – pour faire part officiellement de ses inquiétudes sur les conséquences de ce rachat s’il devait aboutir. C’est ce qu’avait révélé Dealreporter, site d’information spécialisé dans les fusions et acquisitions (M&A). Jim Ryan a dénoncé la position dominante potentielle d’une fusion « Microsoft-Activision » au seul profit de l’écosystème de la Xbox. « Les effets réseau sont tels que si Microsoft devait bloquer l’accès à “Call of Duty” sur la PlayStation, des millions d’utilisateurs migreraient alors vers la Xbox. Il y a risque de forclusion », a expliqué en substance le PDG de SIE à Bruxelles, en appuyant ses dires par des études économiques. Et il a déclaré que la proposition de Microsoft de garder « Call of Duty » pendant encore trois ans – voire cinq ans – sur PlayStation était « inadéquate à plusieurs niveaux », estimant que la proposition de la firme de Redmond « sape ce principe » qui consiste pour Sony à « garantir que les joueurs PlayStation continueront à avoir la plus haute qualité avec “Call of Duty” » (6). Google serait lui aussi préoccupé par le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft.
Alors que l’autorité de la concurrence britannique – la CMA (7) – s’est aussi emparée de ce dossier brûlant pour rendre son verdict d’ici le 1er mars 2023, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mars pour prendre sa décision. En attendant, Sony continue de dominer le marché mondial des consoles de jeux vidéo assorties de leurs plateformes en ligne, loin devant Microsoft et Nintendo. En présentant le 1er novembre dernier ses résultats sur le second trimestre de son année fiscale se terminant le 31 mars 2023, Hiroki Totoki, le directeur financier de la firme nipponne, a rehaussé ses prévisions de ventes de la console PlayStation 5 (PS5) de 18 millions à 23 millions d’unité sur l’exercice en cours 2022/2023. En revanche, la prévision de la rentabilité annuelle de son activité jeux vidéo a été revue à la baisse en raison des craintes de récession économique mondiale qui pourrait réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.

La bataille entre PS Plus et XG Pass
La déception de Sony vient de sa plateforme de jeux en streaming par abonnement PlayStation Plus (PS Plus) qui, alors qu’elle a été refondue l’été dernier, se veut la rivale de Xbox Game Pass (XG Pass) pour jouer sur console, ordinateur ou dans le cloud. Le japonais a vu le nombre de ses abonnés PS Plus décliner à 45,4 millions, perdant près de 2 millions d’abonnés sur son second trimestre se terminant fin septembre (par rapport à la fin juin). « Nous constatons que cette diminution résulte d’une plus grande baisse que prévu dans l’engagement des utilisateurs de PlayStation 4 », a expliqué le groupe de Tokyo (Minato). @

Charles de Laubier

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange se fait désirer, jusqu’au 16 février 2023

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange, dont elle est la directrice générale depuis avril, se fait attendre. Initialement prévue d’ici la fin de l’année, voire dès cet automne, cette feuille de route de l’après-Stéphane Richard ne sera présentée qu’en février 2023. Ce qui alimente les inquiétudes en interne.

Lors de son baptême du feu devant les actionnaires d’Orange réunis en assemblée générale annuelle le 19 mai, soit 45 jours après sa prise de fonction en tant que directrice générale du groupe, Christel Heydemann (photo) avait dit qu’elle présentera son plan stratégique 2030 « d’ici la fin de l’année ». Il était même question de le révéler dès cet automne. « Plus le temps avançait, plus la date était repoussée », indique à Edition Multimédi@ une source en interne et proche de la direction. « C’est fin juillet qu’a finalement été retenue la date du 16 février 2023 pour présenter ce plan stratégique 2030, soit le jour de la publication des résultats annuels de l’exercice en cours », nous précise cette même source. Mieux vaut tard que jamais. Cette nouvelle échéance a été confirmée par Christel Heydemann le 25 octobre lors de la présentation de « solides résultats » pour le troisième trimestre (1). Les 136.566 salariés du groupe (au 30 juin 2022, dont les 47.009 en France) se focalisent, eux, plus sur le maintien de leur pouvoir d’achat que sur la réduction des coûts. Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’est tenu le 22 septembre, la nouvelle directrice générale d’Orange est intervenue pour (tenter de) rassurer représentants du personnel, syndicats et forces vives.

La cabinet Bain & Company, plume de la DG
D’après les promesses faites par Christel Heydemann lors de ce CSEC, le plan stratégique 2030 devrait être plus « humain » que comptable. Selon nos informations, c’est le cabinet américain de conseil en stratégie et management Bain & Company qui l’accompagne dans la rédaction de sa feuille de route. Mais pourquoi la directrice générale d’Orange a-t-elle remis à février 2023 la levée de voile sur sa stratégie plutôt que de le faire durant ce second semestre 2022 comme prévu initialement ? Un premier élément de réponse se trouve dans la nomination – annoncée le 23 septembre – de Caroline Guillaumin qui succèdera à Béatrice Mandine comme directrice exécutive de la communication du groupe Orange. « Elle accompagnera le déploiement du futur plan stratégique [2030] et jouera un rôle essentiel pour la communication auprès des salariés et de l’ensemble des parties prenantes externes du groupe », a indiqué la patronne d’Orange (2). Jusqu’alors directrice des ressources humaines de la Société générale, dont elle fut auparavant directrice de la communication de ce groupe bancaire, Caroline Guillaumin aura un rôle central à jouer chez l’opérateur télécoms historique où il faudra passer du plan stratégique « Engage 2025 » de Stéphane Richard au plan stratégique 2030 de Christel Heydemann.

Le double-jeu du président Jacques Aschenbroich
La DG prépare en outre sa communication « corporate » de 2023 cornaqué de Clément Léonarduzzi, vice-président de Publicis France et ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Rappelons que l’Etat français est actionnaire d’Orange, à hauteur de 22,95 % du capital (3), et compte trois administrateurs. En reculant la divulgation de son plan stratégique 2030, le temps notamment que sa « dir com» soit pleinement opérationnelle, Christel Heydemann prend le risque du flou industriel et de la démobilisation de ses troupes déjà marquées par le « climat de malaise » depuis l’AG de mai (4). Alors même que, sans avoir de feuille de route stratégie 2030, de multiples réorganisations ont déjà commencées au sein du groupe : dans la filiale « entreprises » Orange Business Services (OBS), dans la distribution digitale mais aussi physique (avec plus de 320 boutiques propriétés d’Orange et celles de Générale de téléphone), au niveau d’Orange Bank (cette néobanque à vendre), ou encore pour unifier les systèmes d’information des différents opérateurs télécoms du groupe (dans le monde).
« C’est une pagaille interne effroyable », nous confie-t-on. Les priorités stratégiques de la directrice générale Christel Heydemann ne sont pas les mêmes que celles du président non-exécutif du conseil d’administration Jacques Aschenbroich (photo ci-contre), en poste, lui, depuis le 19 mai. Ce dernier œuvre par exemple pour qu’Orange Bank – ex-Groupama Banque – soit cédée au plus vite au vu de son déficit chronique : selon nos calculs, près de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation depuis cinq ans qu’Orange consolide dans ses comptes ces « services financiers mobiles ». Mais Christel Heydemann, elle, serait plus pour trouver une alliance stratégique à Orange Bank. Dans le cadre de l’évolution de la direction d’Orange, elle a annoncé le 12 septembre la promotion au poste de DG d’Orange Bank de Stéphane Vallois, lequel a remplacé le 1er octobre Paul de Leusse dont il était jusqu’alors le délégué. « Stéphane Vallois sera chargé de continuer à développer Orange Bank dans la dynamique impulsée dans le cadre du futur plan stratégique », a-t-elle précisé. Orange Bank compte plus de 2,7 millions de clients, dont 845.000 en Afrique (5). Ironie de l’histoire : Stéphane Vallois est un ancien « Bainie », surnom désignant ceux qui ont travaillé chez Bain & Company, comme ce fut le cas aussi de Paul de Leusse. Ce cabinet international prête aujourd’hui main-forte à Christel Heydemann pour écrire son plan stratégique 2030 tant attendu. Ce cabinet américain, dont le siège mondial est à Boston, est un habitué de l’opérateur historique français : Orange Consulting, dirigé par Philippe Roger au sein d’OBS, s’appuie sur lui – y compris pour parler en 2017 d’« Humanité(s) Digitale(s) » (6). Plus récemment, Bain & Co a publié cet été une étude mettant en garde les « telcos », dont Orange : « L’inflation réduira d’au moins trois à cinq points de pourcentage les marges d’EBITDA [marge brute d’exploitation, ndlr] de la plupart des opérateurs télécoms au cours des deux prochaines années ». Et de leur recommander de prendre trois mesures pour notamment « réduire les coûts », à savoir : « obtenir une vue d’ensemble des dépenses, élever le directeur financier [Ramon Fernandez chez Orange, dont il est aussi directeur général délégué depuis 2018, ndlr] au niveau des quatre plus hauts dirigeants du groupe, et faire preuve de grande rapidité en capital-investissement pour repérer les occasions de créer de la valeur » (7). La réduction des coûts restera en tout cas la « raison d’être » comptable d’Orange dans le prolongement du plan stratégique « Engage 2025 », lequel poursuit « Scale up » qui est un « programme d’efficacité opérationnelle » lancé en 2019 pour atteindre 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Ramon Fernandez a indiqué le 25 octobre que déjà 600 millions d’euros d’économies nettes cumulées auront été réalisées à fin 2022.
Jacques Aschenbroich, lui, entend aussi imprimer sa marque au risque de marcher sur les plates-bandes de Christel Heydemann – voire d’être critiqué en interne pour « ingérence sur tout » (dixit notre source). N’a-t-il pas transformé le Comité innovation et technologie (CIT) en « comité stratégique » au risque de court-circuiter le conseil d’administration ? Le président de ce CIT est Frédéric Sanchez, un administrateur indépendant d’Orange et par ailleurs président de la société de services Fives, laquelle est un fournisseur de l’équipementier automobile Valeo… dont Jacques Aschenbroich est toujours président du conseil d’administration (après en avoir été le PDG jusqu’en janvier 2022). Cette double casquette en agace plus d’un, jusqu’à Bpifrance Participations, filiale de la banque publique d’investissement (bras armé financier de l’Etat actionnaire), qui souhaiterait voir le président d’Orange quitter enfin Valeo (8). Il se dit même que l’Elysée ne croit plus en Orange, lui préférant Iliad/Free comme opérateur européen en construction – Emmanuel Macron et Xavier Niel se connaissent bien depuis 2010 et s’apprécient.

2030, l’année fatidique de toutes les ruptures
Une chose est sûre, c’est qu’Orange aura muté d’ici la fin de cette décennie. D’ici 2030, Orange aura achevé l’extinction du réseau de cuivre historique qui est encore aujourd’hui largement utilisé pour l’ADSL ou le VDSL par 17 millions de foyers français (9). D’ici 2030, Orange aura arrêté la 2G et la 3G dans les pays européens. D’ici 2030, horizon fixé par l’ONU pour atteindre les ODD (10), Orange aura contribué à ce que chaque adulte dans le monde – y compris en France où l’illectronisme perdure (11) – ait un accès abordable aux réseaux numériques. D’ici 2030, Orange aura généralisé la 5G sur tout l’Hexagone. Last but not least : en 2030, Orange n’aura plus qu’une décennie pour être avec ses réseaux « net zéro carbone ». @

Charles de Laubier

Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier