A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange se fait désirer, jusqu’au 16 février 2023

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange, dont elle est la directrice générale depuis avril, se fait attendre. Initialement prévue d’ici la fin de l’année, voire dès cet automne, cette feuille de route de l’après-Stéphane Richard ne sera présentée qu’en février 2023. Ce qui alimente les inquiétudes en interne.

Lors de son baptême du feu devant les actionnaires d’Orange réunis en assemblée générale annuelle le 19 mai, soit 45 jours après sa prise de fonction en tant que directrice générale du groupe, Christel Heydemann (photo) avait dit qu’elle présentera son plan stratégique 2030 « d’ici la fin de l’année ». Il était même question de le révéler dès cet automne. « Plus le temps avançait, plus la date était repoussée », indique à Edition Multimédi@ une source en interne et proche de la direction. « C’est fin juillet qu’a finalement été retenue la date du 16 février 2023 pour présenter ce plan stratégique 2030, soit le jour de la publication des résultats annuels de l’exercice en cours », nous précise cette même source. Mieux vaut tard que jamais. Cette nouvelle échéance a été confirmée par Christel Heydemann le 25 octobre lors de la présentation de « solides résultats » pour le troisième trimestre (1). Les 136.566 salariés du groupe (au 30 juin 2022, dont les 47.009 en France) se focalisent, eux, plus sur le maintien de leur pouvoir d’achat que sur la réduction des coûts. Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’est tenu le 22 septembre, la nouvelle directrice générale d’Orange est intervenue pour (tenter de) rassurer représentants du personnel, syndicats et forces vives.

La cabinet Bain & Company, plume de la DG
D’après les promesses faites par Christel Heydemann lors de ce CSEC, le plan stratégique 2030 devrait être plus « humain » que comptable. Selon nos informations, c’est le cabinet américain de conseil en stratégie et management Bain & Company qui l’accompagne dans la rédaction de sa feuille de route. Mais pourquoi la directrice générale d’Orange a-t-elle remis à février 2023 la levée de voile sur sa stratégie plutôt que de le faire durant ce second semestre 2022 comme prévu initialement ? Un premier élément de réponse se trouve dans la nomination – annoncée le 23 septembre – de Caroline Guillaumin qui succèdera à Béatrice Mandine comme directrice exécutive de la communication du groupe Orange. « Elle accompagnera le déploiement du futur plan stratégique [2030] et jouera un rôle essentiel pour la communication auprès des salariés et de l’ensemble des parties prenantes externes du groupe », a indiqué la patronne d’Orange (2). Jusqu’alors directrice des ressources humaines de la Société générale, dont elle fut auparavant directrice de la communication de ce groupe bancaire, Caroline Guillaumin aura un rôle central à jouer chez l’opérateur télécoms historique où il faudra passer du plan stratégique « Engage 2025 » de Stéphane Richard au plan stratégique 2030 de Christel Heydemann.

Le double-jeu du président Jacques Aschenbroich
La DG prépare en outre sa communication « corporate » de 2023 cornaqué de Clément Léonarduzzi, vice-président de Publicis France et ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Rappelons que l’Etat français est actionnaire d’Orange, à hauteur de 22,95 % du capital (3), et compte trois administrateurs. En reculant la divulgation de son plan stratégique 2030, le temps notamment que sa « dir com» soit pleinement opérationnelle, Christel Heydemann prend le risque du flou industriel et de la démobilisation de ses troupes déjà marquées par le « climat de malaise » depuis l’AG de mai (4). Alors même que, sans avoir de feuille de route stratégie 2030, de multiples réorganisations ont déjà commencées au sein du groupe : dans la filiale « entreprises » Orange Business Services (OBS), dans la distribution digitale mais aussi physique (avec plus de 320 boutiques propriétés d’Orange et celles de Générale de téléphone), au niveau d’Orange Bank (cette néobanque à vendre), ou encore pour unifier les systèmes d’information des différents opérateurs télécoms du groupe (dans le monde).
« C’est une pagaille interne effroyable », nous confie-t-on. Les priorités stratégiques de la directrice générale Christel Heydemann ne sont pas les mêmes que celles du président non-exécutif du conseil d’administration Jacques Aschenbroich (photo ci-contre), en poste, lui, depuis le 19 mai. Ce dernier œuvre par exemple pour qu’Orange Bank – ex-Groupama Banque – soit cédée au plus vite au vu de son déficit chronique : selon nos calculs, près de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation depuis cinq ans qu’Orange consolide dans ses comptes ces « services financiers mobiles ». Mais Christel Heydemann, elle, serait plus pour trouver une alliance stratégique à Orange Bank. Dans le cadre de l’évolution de la direction d’Orange, elle a annoncé le 12 septembre la promotion au poste de DG d’Orange Bank de Stéphane Vallois, lequel a remplacé le 1er octobre Paul de Leusse dont il était jusqu’alors le délégué. « Stéphane Vallois sera chargé de continuer à développer Orange Bank dans la dynamique impulsée dans le cadre du futur plan stratégique », a-t-elle précisé. Orange Bank compte plus de 2,7 millions de clients, dont 845.000 en Afrique (5). Ironie de l’histoire : Stéphane Vallois est un ancien « Bainie », surnom désignant ceux qui ont travaillé chez Bain & Company, comme ce fut le cas aussi de Paul de Leusse. Ce cabinet international prête aujourd’hui main-forte à Christel Heydemann pour écrire son plan stratégique 2030 tant attendu. Ce cabinet américain, dont le siège mondial est à Boston, est un habitué de l’opérateur historique français : Orange Consulting, dirigé par Philippe Roger au sein d’OBS, s’appuie sur lui – y compris pour parler en 2017 d’« Humanité(s) Digitale(s) » (6). Plus récemment, Bain & Co a publié cet été une étude mettant en garde les « telcos », dont Orange : « L’inflation réduira d’au moins trois à cinq points de pourcentage les marges d’EBITDA [marge brute d’exploitation, ndlr] de la plupart des opérateurs télécoms au cours des deux prochaines années ». Et de leur recommander de prendre trois mesures pour notamment « réduire les coûts », à savoir : « obtenir une vue d’ensemble des dépenses, élever le directeur financier [Ramon Fernandez chez Orange, dont il est aussi directeur général délégué depuis 2018, ndlr] au niveau des quatre plus hauts dirigeants du groupe, et faire preuve de grande rapidité en capital-investissement pour repérer les occasions de créer de la valeur » (7). La réduction des coûts restera en tout cas la « raison d’être » comptable d’Orange dans le prolongement du plan stratégique « Engage 2025 », lequel poursuit « Scale up » qui est un « programme d’efficacité opérationnelle » lancé en 2019 pour atteindre 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Ramon Fernandez a indiqué le 25 octobre que déjà 600 millions d’euros d’économies nettes cumulées auront été réalisées à fin 2022.
Jacques Aschenbroich, lui, entend aussi imprimer sa marque au risque de marcher sur les plates-bandes de Christel Heydemann – voire d’être critiqué en interne pour « ingérence sur tout » (dixit notre source). N’a-t-il pas transformé le Comité innovation et technologie (CIT) en « comité stratégique » au risque de court-circuiter le conseil d’administration ? Le président de ce CIT est Frédéric Sanchez, un administrateur indépendant d’Orange et par ailleurs président de la société de services Fives, laquelle est un fournisseur de l’équipementier automobile Valeo… dont Jacques Aschenbroich est toujours président du conseil d’administration (après en avoir été le PDG jusqu’en janvier 2022). Cette double casquette en agace plus d’un, jusqu’à Bpifrance Participations, filiale de la banque publique d’investissement (bras armé financier de l’Etat actionnaire), qui souhaiterait voir le président d’Orange quitter enfin Valeo (8). Il se dit même que l’Elysée ne croit plus en Orange, lui préférant Iliad/Free comme opérateur européen en construction – Emmanuel Macron et Xavier Niel se connaissent bien depuis 2010 et s’apprécient.

2030, l’année fatidique de toutes les ruptures
Une chose est sûre, c’est qu’Orange aura muté d’ici la fin de cette décennie. D’ici 2030, Orange aura achevé l’extinction du réseau de cuivre historique qui est encore aujourd’hui largement utilisé pour l’ADSL ou le VDSL par 17 millions de foyers français (9). D’ici 2030, Orange aura arrêté la 2G et la 3G dans les pays européens. D’ici 2030, horizon fixé par l’ONU pour atteindre les ODD (10), Orange aura contribué à ce que chaque adulte dans le monde – y compris en France où l’illectronisme perdure (11) – ait un accès abordable aux réseaux numériques. D’ici 2030, Orange aura généralisé la 5G sur tout l’Hexagone. Last but not least : en 2030, Orange n’aura plus qu’une décennie pour être avec ses réseaux « net zéro carbone ». @

Charles de Laubier

Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier

Après le rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM, place à la mission « Bargeton »

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire en vain par trois amendements rejetés le 6 octobre dernier : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) va refaire parler d’elle lors des auditions de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre, rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie).

Julien Bargeton missionné par décret d’Elisabeth Borne publié le 25 octobre
S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (1) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes. Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay. A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur de la majorité présidentielle Julien Bargeton (photo) qui vient d’être missionné – par décret publié le 25 octobre et signé par la Première ministre Elisabeth Borne – pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais Continuer la lecture

Devenue en cinq ans la plus grande bourse mondiale de cryptomonnaies, Binance mise sur la France

Binance, numéro un mondial des plateformes d’échange de cryptomonnaies, s’est fait pirater début octobre. Le Sino-Canadien Changpeng Zhao, son PDG cofondateur devenu milliardaire, aurait sans doute rêvé meilleur événement pour les cinq ans de sa licorne. Qu’à cela ne tienne, il accélère et compte sur Paris.

Quand la plus grande plateforme mondiale d’échange de cryptomonnaies se fait pirater, en plus du krach des bitcoin, ether, ripple et autres dogecoin de cet été, cela n’augure rien de bon dans l’esprit du public pour l’avenir des monnaies numériques. Surtout qu’elles sont censées être sécurisées et certifiées par leur blockchain, ces réseaux décentralisés, cryptés et capables d’authentifier la détention et les échanges d’actifs numériques. Ainsi, Binance – le numéro un mondial de cette finance décentralisée (DeFi (1)) – s’est fait « hacker » dans la nuit du 6 au 7 octobre 2022. Le pirate a pu s’emparer de l’équivalent de 100 millions voire 110 millions de dollars sur le demimilliard de dollars que celui-ci comptait détourner en BNB (2), la cryptomonnaie de Binance. Celle-ci fonctionne sur la blockchain Binance Smart Chain (BSC) depuis septembre 2020, après avoir été lancée comme token sur Ethereum il y a cinq ans, au moment du démarrage de la plateforme d’échange de cryptomonnaies. Plus de peur que de mal pour cette licorne sans frontières – la start-up Binance n’est pas (encore) cotée mais elle est valorisée 300 milliards de dollars (3) – qui a réalisé l’an dernier plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires (4).

Piratage de Binance : deux « exploits » inquiétants
La cyberattaque a été rapidement circonscrite par la « suspension temporaire » de la blockchain BSC et la faille identifiée sur « un pont à chaînes multiples » (5). La majorité des fonds ont été « gelés », mais l’hackeur s’est évaporé dans le cyberespace avec au moins 100 millions de dollars dérobés. « Le problème est maintenant maîtrisé. Nous nous excusons pour les désagréments et nous vous fournirons en conséquence d’autres mises à jour », a twitté le PDG de Binance, Changpeng Zhao (photo), le 7 octobre au petit matin (6). Cette déconvenue pour Binance laissera des traces, au-delà de la forte chute du cours du BNB qui fut au pire moment de – 7,5 % par rapport au niveau le plus haut du 6 octobre (7). Surtout que ce n’est pas la première fois que Binance se fait pirater : un précédent « exploit » (8) s’est produit en mai 2019, avec un vol de 7.000 bitcoins d’un montant à l’époque de 40 millions de dollars (9). De tels incidents font désordre pour la plus grande bourse de cryptomonnaies au monde en volume. Forte actuellement de ses 90 millions d’utilisateurs, la fintech des cryptos nourrit des ambitions planétaires sans précédent et son patron lance un véritable défi à tout la finance internationale.

Un total de 1 milliard d’investissements en 2022
Se surnommant « CZ », ce Sino-Canadien (né et ayant grandi en Chine avant d’avoir la nationalité canadienne) a cofondé Binance il y a cinq ans à Singapour avec Yi He (photo ci-contre) – aujourd’hui directrice marketing (CMO) et depuis début août en charge aussi de l’incubateur Binance Labs gérant 7,5 milliards de dollars d’actifs (10). Malgré les embûches, la crypto-exchange continue d’aller de l’avant pour conforter sa place de leader, loin devant son rival Coinbase (11), qui est, lui, coté à la Bourse de New-York, au Nasdaq. La licorne de CZ est devenue le fleuron du « capitalisme Web3 » et affiche déjà des pics d’activité impressionnants : jusqu’à 100 milliards de dollars échangés en 24 heures, soit jusqu’à 7.700 milliards dollars négociés sur une année ! De quoi donner le tournis, même aux plus aguerris du trading. Depuis 2018, CZ est milliardaire et aujourd’hui – à 45 ans depuis le 10 septembre – sa fortune atteint (au 14-10-22) 17,4 milliards de dollars (12).
Dans un entretien à l’agence Bloomberg (13), publié le 7 octobre, CZ affirme que Binance pourrait dépenser sur l’ensemble de l’année 2022 plus de 1milliard de dollars dans des acquisitions et des investissements. Le numéro un mondial de l’exchange de tokens veut faire des emplettes pour accroître ses activités dans la DeFi, les NFT, le métavers, les jeux vidéo ou encore le e-commerce. Or, depuis janvier, seulement 325 millions de dollars ont été dépensés dans quelque 67 projets. Si le milliard était atteint, cela représenterait sept fois les dépenses de l’année 2021. Et encore, cela ne prend pas en compte deux investissements très en vue : le plus important est le projet de participer à la prochaine acquisition de Twitter par Elon Musk, opération dans laquelle Binance prévoit d’injecter 500 milliards de dollars ; le second, déjà envisagé en février dernier mais reporté, consiste à investir 200 millions de dollars dans Forbes Media, l’éditeur américain du plus que centenaire magazine économique. Et ce, via une Spac (14) – sorte de « coquille vide » boursière permettant de lever des fonds en Bourse et baptisée Magnum Opus Acquisition.
La participation minoritaire dans Twitter pourrait se concrétiser dès que le patron de Tesla et de SpaceX aura jeté son dévolu sur la firme à l’oiseau bleu. Concernant Forbes Media et son projet d’introduction en Bourse accompagné par Binance, lequel apportait aussi son expertise dans les cryptomonnaie, la blockchain et le Web3 dans des contenus éditoriaux du célèbre titre (lu par 150 millions de personnes dans le monde), ce n’est que partie remise comme l’avait confirmé Forbes Media le 1er juin (15). Avec CoinMarketCap, le site web d’information de référence sur les cryptomonnaies et 543e site web le plus visité au monde avec 120 millions de visiteurs par mois (16), Binance a fait en avril 2020 sa première acquisition de taille. A qui le tour ? « Binance Labs gère actuellement des actifs pour un total de 7,5 milliards de dollars, ce qui en fait la plus grande société de capital de risque en cryptoactifs de l’industrie », déclare l’incubateur qui finance plus de 180 projets liés au Web décentralisé (blockchain) et à la crytographie. Autant de start-up dont certaines pourraient tomber dans son escarcelle. CZ se focalise notamment sur l’Europe et plus particulièrement sur la France où il a déclaré lors du Paris Blockchain Week Summit (PBWS) le 13 avril 2022 : « We love France » ! Il y a annoncé vouloir investir 100 millions d’euros en France justement, dans le cadre de son projet « Objectif Lune » (Moon Objective) lancé en novembre 2021, avec la bénédiction de Cédric O, alors secrétaire d’Etat chargé du Numérique, et le partenariat de l’incubateur de startup Station F créé par Xavier Niel (il y a cinq ans comme Binance). Et ce, au moment de la création de Binance France SAS domiciliée à Montrouge et présidée par David Prinçay. A l’instar de Binance US, l’entité distincte aux Etats-Unis (BAM Trading Services Inc., enregistrée dans le Delaware), la société française n’a pas de lien juridique avec Binance Asia Services (BAS) à Singapour. BAS a d’ailleurs dû fermer sa plateforme en février dans ce pays pour pivoter en hub de blockchain.
CZ avait indiqué au printemps qu’il avait choisi la France – à la crypto-régulation plus accueillante – comme « rampe de lancement pour l’Europe » et en faire de l’Hexagone « le coeur de la communauté crypto européenne ». CZ s’est ainsi « engag[é]à construire et soutenir un écosystème fort autour de la blockchain, du Web3 et des métavers » (17). Le mois suivant, le 4 mai dernier, Binance obtenait en France son statut de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), véritable sésame délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF). De là à faire de Paris la domiciliation de son futur siège social (européen ou mondial) voire la place financière de sa cotation en Bourse envisagée, il n’y aurait qu’un pas.

Paris, tête de pont pour l’Europe voire le monde
La fintech du Web3 a franchi une étape supplémentaire durant la Binance Blockchain Week (BBW) qui s’est tenue à Paris mi-septembre dernier, où Changpeng Zhao a rencontré Jean-Noël Barrot, le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications (18). « Nous avons aujourd’hui 150 personnes à Paris et nous prévoyons d’en embaucher environ 200 autres d’ici la fin de l’année », a indiqué le Sino-Canadien, plus francophile que jamais. Selon nos informations, un directeur général de Binance France pourrait être recruté d’ici la fin de l’année. Durant ce même BBW dans la capitale française, Binance s’est constitué un conseil mondial d’experts (Global Advisory Board), présidé par Max Baucus, ancien sénateur américain et ambassadeur en Chine. Le haut fonctionnaire français Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor à Bercy, en est un des membres. Après le crypto-krach du marché des cryptos, surnommé « l’hiver crypto », Binance – adoubé par la France – veut montrer pattes blanches aux régulateurs financiers du monde entier. @

Charles de Laubier

Bertelsmann avait prévenu : l’échec « TF1-M6 » aura un impact sur tout l’audiovisuel en Europe

Le projet de « fusion » entre TF1 et M6 a fait couler beaucoup d’encre depuis seize mois. L’annonce le 16 septembre 2022 de son abandon laisse le groupe allemand Bertelsmann (maison mère de RTL Group, contrôlant M6) sur un gros échec face aux Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+.

La discrète famille milliardaire Mohn, propriétaire de Bertelsmann, doit s’en mordre les doigts. Son homme de confiance, Thomas Rabe (photo), PDG du premier groupe de médias européen et directeur général de sa filiale RTL Group (elle-même contrôlant M6 en France), avait pourtant mis en garde les autorités antitrust françaises : si elles ne donnaient pas leur feu vert à la vente de M6 (alias Métropole Télévision) à TF1 (groupe Bouygues), cela aurait un « un impact profond sur le secteur audiovisuel en Europe ». En insistant : « J’espère que les décideurs en sont conscients ».

RTL Group perd une bataille devant Netflix
Thomas Rabe s’exprimait ainsi dans une interview au Financial Times, publiée le 31 août dernier. « Si les autorités décident de s’opposer à cette combinaison [TF1-M6],c’est une occasion perdue, non seulement pour cette année mais pour le long terme », prévenait-il. Soit quinze jours avant l’abandon du projet en raison des exigences de l’Autorité de la concurrence (cession soit de la chaîne TF1, soit de la chaîne M6 pour que l’opération soit acceptable). Thomas Rabe estimait qu’un échec du projet ne laisserait rien présager de bon en Europe : « Si cet accord ne passe pas en France, il sera très difficile pour un accord similaire de passer en Allemagne et dans d’autres pays ».
Or Bertelsmann prévoit justement en Allemagne de fusionner ses télévisions avec le groupe de chaînes payantes et gratuites ProSiebenSat.1 Media (1). Cela reviendra pour la famille Mohn à racheter ProSiebenSat.1, le rival allemand de RTL Group. Et aux Pays-Bas, RTL Nederland a annoncé il y a un an qu’il va absorber les activités audiovisuelles et multimédias de Talpa Network, le groupe néerlandais fondé par John de Mol. Parallèlement, afin de se recentrer sur « la création de champions média nationaux », Bertelsmann a vendu RTL Belgium aux groupes DPG Media et Rossel, et RTL Croatia au groupe CME du magnat des médias Ronald Lauder (2). Comme avec TF1 en France et ProSiebenSat.1 en Allemagne, l’objectif de la fusion avec Talpa Network aux Pays- Bas est le même : répliquer en Europe à l’offensive des plateformes numériques mondiales américaines, que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+, en créant localement des groupes « cross-media » de taille capables d’investir dans les technologies et la créativité – en particulier dans des contenus premiums pour rivaliser avec les productions originales des GAFAN. Et à l’heure où Netflix, Amazon/Freevee (3) et Disney+ s’ouvrent à la publicité audiovisuelle, ces consolidations sur le marché européen de la télévision traditionnelle visent à résister avec des écrans publicitaires attractifs. Les éditeurs de télé redoutent en plus que l’audience des plateformes de SVOD soit certifiée et comparée avec celle de leurs chaînes (4). Dans leur communiqué commun du 16 septembre annonçant l’abandon du projet de fusion, RTL Group et Bouygues (maison mère de TF1 acquéreur de M6) sont amères : « Les parties regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte de la rapidité et de l’ampleur des changements qui ont touché le secteur de l’audiovisuel française. Ils continuent de croire fermement qu’une fusion des groupes TF1 et M6 aurait fourni une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accrue des plateformes internationales » (5). Le groupe de Martin Bouygues renonce ainsi à un ensemble de plus de 3,4milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui aurait constitué le quatrième acteur de l’audiovisuel européen.
De son côté, Bertelsmann a aussitôt relancé le processus de cession de M6. Les candidats au rachat de M6 – dont l’autorisation de diffusion en France arrivera à échéance le 5 mai 2023 – avaient jusqu’au jeudi 29 septembre pour déposer leurs offres fermes (6). Et Bertelsmann n’aura que l’embarras du choix mais le groupe allemand doit aller vite au regard de cette échéance devant l’Arcom. Il y a trois favoris au rachat de M6 : Daniel Kretínsky (CMI) ; Stéphane Courbit (FL Entertainment (7)) avec Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) ; Xavier Niel avec l’italien MediaForEurope. Et d’autres potentiels candidats : Vivendi, Altice, NRJ, …

En France, l’Arcom et l’Arcep divergeaient
Quant à l’Arcom et à l’Arcep, ils ont rendu public le 21 septembre leur avis respectif sur le projet de rachat de M6 par TF1 – avis remis cinq mois plus tôt à l’Autorité de la concurrence. L’Arcom a émis des réserves en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes », tout en prenant en compte des mouvements de concentration en Europe face aux plateformes de streaming (8). L’Arcep, elle, y était défavorable, craignant « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs » (9), mais sans parler de ce qui se passe en Europe. @

Charles de Laubier